Читать книгу Annette Laïs - Paul Feval - Страница 7
Оглавление«Hé! là-bas! cria tout à coup ma tante Renotte qui amassait toujours des trésors de colère avant d'éclater, ce n'est pas des sornettes qu'il faut, encore moins des vieilleries de chansons pour établir ce garçon-là à Paris. A-t-on juré de ne parler raison! Vivra-t-il avec les calembours du vieux? Tiens, chevalier, ajouta-t-elle en mettant un rouleau de louis sur mon assiette avec un peu trop d'ostentation, je ne fais pas de calembours, moi; et voilà qui vient de Landevan!»
Ma sœur la marquise regarda le rouleau d'un air triste. Elle en avait tant besoin pour sa jeune famille! Le petit zieu de Bel-Œil caracola, et Nougat caressa Gérard sur sa tabatière.
«Voilà qui est parlé!» dit le bon abbé Raffroy.
Mon beau-frère aussi me fit un signe de tête amical. Ce don Juan dégommé avait un excellent cœur et sa décadence le rendait compatissant.
«Renotte, prononça dignement mon père, tu fais tes cadeaux comme on fait l'aumône, ma bonne femme. Nous avons des charges, et chacun ici le sait bien, mais, à Paris comme à Vannes, le chevalier de Kervigné aura de quoi soutenir son nom, saperbleure!
—Charlot demande si le poulet est du poisson! s'écria ma mère extasiée. Ah! quel enfant!»
L'oncle Bélébon grommelait:
«Je ne suis pas fortuné, mais en dévoilant à mon neveu les mystères de la capitale, j'ai fait pour lui plus peut-être que si je lui avais prodigué de l'or!»
Mon père tira de son portefeuille une lettre qui passa de main en main jusqu'à moi. C'était un ordre signé Kersosinec, Kerbonel et Cie, de Vannes, qui me constituait un crédit de trois cents francs par mois chez Mallet frères, à Paris. M. Raffroy cria bravo! Nougat fit la grimace, ma sœur la marquise changea de couleur, l'oncle Bélébon haussa les épaules, et Vincent dit franchement:
«Foi de Dieu! pour cent écus on en aurait quatre comme lui au marché!
—Ce n'est pas trop,» déclara le marquis.
La tante Renotte se leva pour aller embrasser mon père. Moi j'avais le cœur gros et je me demandais ce que je pourrais faire jamais de tant d'argent.
C'était un événement. Il y eut un silence autour de la table; car je ne trouvais pas les mots qu'il fallait pour remercier mon père. Au milieu de ce silence, la voix profonde de ma tante Kerfily Bel-Œil gronda:
«Ne jugez pas Ethelred avec sévérité, dit-elle. Son enfance et sa jeunesse s'étaient écoulées dans les vertes forêts de la Thuringe. La nature seule avait présidé à son éducation. Il ignorait la corruption des villes et ne soupçonnait même pas les infâmes mystères de nos sociétés modernes. Ah! plaignez-le plutôt. Plaignez cette âme tendre et vertueuse dont la candeur....
—Charlot s'embête!» déclara mon neveu, qui n'avait point oublié son succès de la veille.
Les toasts furent courts et tous en mon honneur. On se leva de table plus tôt qu'à l'ordinaire, et, malgré tous les efforts de l'oncle Bélébon, l'après-dîner se passa tristement. Chacun vint tour à tour me faire des recommandations. Ma sœur me dit:
«Maintenant que te voilà si riche, ne va pas faire de folies pour tes neveux! Ils n'ont besoin de rien. Ecris-nous un peu les toilettes de la présidente, et fais-toi un sort.
—J'espère que nous n'abandonnerons pas nos devoirs religieux, glissa l'abbé Raffroy à mon oreille en me donnant un baiser paternel. Va voir de ma part le père Kernuault aux Lazaristes. Il t'aimera pour toi, et il est de bon conseil.»
L'oncle Bélébon me prit à part pour me dire très haut:
«N'invente pas la poudre sans nous en prévenir.»
Mais cela ne fit rire que ce rustre de Vincent.
Nougat me mit dans la main ostensiblement un rouleau de grosses pièces de cent sous.
«Sois sobre, me dit-elle. Et si tu entends parler de bonnes liqueurs pour la digestion, fais-moi payer un port de lettre.»
La diligence partait le lendemain à quatre heures, et j'avais un mal de tête à faire pitié. J'annonçai l'intention de me retirer: les adieux et les embrassades commencèrent. En moi, le souvenir de cet instant est à la fois très profond et très vague. Je vois une larme dans les yeux de ma mère, qui, certes, m'aurait fait plus de caresses si Charlot avait voulu le permettre. Bel-Œil me tint longtemps pressé contre sa poitrine pour me dire:
«Tu as un cœur sensible, que l'exemple d'Ethelred te profite. Il était de ton âge. L'inconnue, loin d'être Emeriska de Ludolphi, appartenait à la classe de ces malheureuses dont on ne peut prononcer le nom sans rougir. Il y avait là des assassins qui poignardèrent le malheureux Ethelred, dont le dernier soupir s'exhala avec le nom de sa bien-aimée.»
Ma tante Bel-Œil fondait en larmes, mais c'était pour Ethelred.
«Tu es meilleure que je ne croyais, lui dit Renotte en me prenant par le bras. Toi, marche droit, et tu iras loin!»
Le dernier mot fut de mon père:
«Souviens-toi, chevalier, qu'il n'y a jamais eu de mésalliance dans la maison de Kervigné.»
Ce fut tout. J'aurais tort d'oublier, cependant, que cet odieux Vincent me fit des cornes au moment où je me retirais.