Читать книгу Les parvenus - Paul Feval - Страница 3
ОглавлениеLE DOCTEUR PÉNOYÉE
Vous êtes un parvenu, cher docteur, un parvenu de la science et de la patience, un parvenu du travail audacieux, , de l’esprit droit et honnête, de la vaillante intelligence; vous êtes un parvenu par l’esprit et par le courage, un parvenu par le bonheur mérité, un parvenu par le juste et glorieux succès.
Votre science, elle-même, cette toute jeune fille du génie allemand, , votre belle homœopathie est une parvenue qui portait hier la livrée de l’indigence et qui va mettre demain à son front souriant la fière couronne des reines.
Ce parvenu de Beaumarchais reprochait avec amertume aux gentilshommes d’être tout en ce monde pour s’être donné seulement la peine de naître. Il avait tort. La noblesse n’est qu’une, parvenue àgée de cinq ou six siècles et même davantage, qui a fait sa fortune en même temps que la France, cette autre grande parvenue.
Cher docteur, je vous le demande: pourquoi ce mot de parvenu n’est-il l pas s le e plus beau de tous les mots rangés par ordre alphabétique dans notre dictionnaire? Qu’exprime-t-il, ce mot, sinon l’effort heureux et victorieux, l’obstacle franchi, la route parcourue, la montagne gravie et ses plus hauts sommets conquis? Pourquoi notre langue a-t-elle fait de ce mot triomphant une injuree?
On pourrait bien lui dire aussi, à notre langue, quelle est une parvenue fille des parvenus Michel Montaigne, Malherbe, Corneille, Molière et Bossuet. Notre langue répondrait que l’Académie, fondée par un parvenu pour des parvenus, a sanctionné cet abus, et qu’une belle langue peut bien, comme une jolie femme, jouir du droit de caprices.
C’en est donc fait! Parvenu ne se peut prendre qu’en mauvaise part. Au nom du lexique, honte à quiconque est fils légitime de ses œuvres! Less héritiers seuls des parvenus commencent à valoir quelque chose: ce sont déjà des gentilshommes. En conscience, le neveu du bonnetier mort millionnaire n’a jamais vendu de caleçons. Le fils de ce neveu a les mains encore plus nettes. La quatrième génération peut fort bien se donner un petit blason pour enjoliver les boutons de sa livrée.
Ne souriez pas, cher docteur. Ce ne sont point là des plaisanteries de l’autre monde. En notre siècle, dédaigneux des vieux préjugés, les petits blasons menteurs se portent très-bien, et quoique personne n’attache assurément la moindre importance à ces fadaises, tous les équipages de la famille Turcaret sont timbrés, écussonnés, chargés de cimiers, de diadèmes et de devises.
Turcaret n’achète plus la noblesse, il la cueille. Ce procédé nouveau n’étant pas aussi coûteux que l’ancien, au lieu d’un brin, on en prend une botte, voilà toute la différence. Or, les trente-cinq millions de Français qui dictent t la langue au secrétaire perpétuel de l’Académie détestent instinctivement Turcaret. Qu’il y ait ou non là-dedans un peu de jalousie, voilà le fait. C’est à cause de Turcaret que la langue a déshonoré ce pauvre mot héroïque: Parvenu.
On dit que Turcaret est insolent, avare, dur, vaniteux, grossier: parvenu signifie tout cela dans le langage commun.
Bref, parvenu proteste contre ce forfait de la destinée qui permet à un faquin d’éclabousser un galant homme.
Et l’envie, ce reptile qui vient mordre le talon de tout vainqueur, l’envie regardee d’en bas. Chaque fois quelle aperçoit une tête qui dépasse le niveau, dans vos rangs, hommes de science, dans nos rangs, artistes ou penseurs, dans la foule enfin, où toutes les carrières sont représentées, l’envie glapit, gonflée de venin; elle accuse le hasard et l’injustice du sort, elle rapetisse le triomphe en le commentannt; elle explique, elle salit, elle calomnie, et pour celaa un n seul mot lui suffit, un mot merveilleux: Parvenu!
Cher docteur, , moi qui aime les parvenus glorieux et les parvenus honnêtes, , j’ai fait ce livre contre les parvenus qui donnent raison à l’envie. Je vous l’adresse et voudrais pouvoir me placer, sans être taxé d’orgueil, au rang des parvenus de votre sorte.