Читать книгу L'autre Tartuffe, ou La mère coupable - Пьер Бомарше, Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais - Страница 3

L'AUTRE TARTUFFE, OU LA MÈRE COUPABLE
ACTE PREMIER

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Le Théâtre représente un salon fort orné

SCÈNE PREMIÈRE

SUSANNE, seule, tenant des fleurs obscures, dont elle fait un bouquet

QUE Madame s'éveille et sonne; mon triste ouvrage est achevé. (Elle s'assied avec abandon.) A peine il est neuf heures, et je me sens déjà d'une fatigue… Son dernier ordre, en la couchant, m'a gâté ma nuit toute entière… Demain, Susanne, au point du jour, fais apporter beaucoup de fleurs, et garnis-en mes cabinets.– Au portier: —Que, de la journée, il n'entre personne pour moi. – Tu me formeras un bouquet de fleurs noires et rouge foncé, un seul œillet blanc au milieu… Le voilà. – Pauvre Maîtresse! elle pleurait!.. Pour qui ce mélange d'apprêts?.. Eeeh! si nous étions en Espagne, ce serait aujourd'hui la fête de son fils Léon… (avec mystère.) et d'un autre homme qui n'est plus! (Elle regarde les fleurs.) Les couleurs du sang et du deuil! (Elle soupire.) Ce cœur blessé ne guérira jamais! – Attachons-le d'un crêpe noir, puisque c'est-là sa triste fantaisie! (Elle attache le bouquet.)

SCÈNE II

SUSANNE, FIGARO regardant avec mystère. (Cette scène doit marcher chaudement.)

SUSANNE

ENTRE donc, Figaro! Tu prends l'air d'un amant en bonne fortune chez ta femme!

FIGARO

Peut-on vous parler librement?

SUSANNE

Oui, si la porte reste ouverte.

FIGARO

Et pourquoi cette précaution?

SUSANNE

C'est que l'homme dont il s'agit peut entrer d'un moment à l'autre.

FIGARO, appuyant

Honoré-Tartuffe – Bégearss?

SUSANNE

Et c'est un rendez-vous donné. – Ne t'accoutume donc pas à charger son nom d'épithètes; cela peut se redire et nuire à tes projets.

FIGARO

Il s'appelle Honoré!

SUSANNE

Mais non pas Tartuffe.

FIGARO

Morbleu!

SUSANNE

Tu as le ton bien soucieux!

FIGARO

Furieux! (Elle se lève.) Est-ce là notre convention? M'aidez-vous franchement, Suzanne, à prévenir un grand désordre? Serais-tu dupe encore de ce très-méchant homme?

SUSANNE

Non; mais je crois qu'il se méfie de moi; il ne me dit plus rien. J'ai peur, en vérité, qu'il ne nous croye raccommodés.

FIGARO

Feignons toujours d'être brouillés.

SUSANNE

Mais qu'as-tu donc appris qui te donne une telle humeur?

FIGARO

Recordons-nous d'abord sur les principes. Depuis que nous sommes à Paris, et que M. Almaviva… (Il faut bien lui donner son nom, puisqu'il ne souffre plus qu'on l'appelle Monseigneur…)

SUSANNE, avec humeur

C'est beau! et Madame sort sans livrée! nous avons l'air de tout le monde!

FIGARO

Depuis, dis-je, qu'il a perdu, par une querelle du jeu, son libertin de fils aîné, tu sais comment tout a changé pour nous! comme l'humeur du Comte est devenue sombre et terrible!

SUSANNE

Tu n'es pas mal bourru non plus!

FIGARO

Comme son autre fils paraît lui devenir odieux!

SUSANNE

Que trop!

FIGARO

Comme Madame est malheureuse!

SUSANNE

C'est un grand crime qu'il commet!

FIGARO

Comme il redouble de tendresse pour sa pupille Florestine! Comme il fait, sur-tout, des efforts pour dénaturer sa fortune!

SUSANNE

Sais-tu, mon pauvre Figaro! que tu commences à radoter? Si je sais tout cela, qu'est-il besoin de me le dire?

FIGARO

Encor faut-il bien s'expliquer pour s'assurer que l'on s'entend! N'est-il pas avéré pour nous que cet astucieux Irlandais, le fléau de cette famille, après avoir chiffré, comme secrétaire, quelques ambassades auprès du Comte, s'est emparé de leurs secrets à tous? que ce profond machinateur a su les entraîner, de l'indolente Espagne, en ce pays, remué de fond en comble, espérant y mieux profiter de la désunion où ils vivent, pour séparer le mari de la femme, épouser la pupille, et envahir les biens d'une maison qui se délâbre?

SUSANNE

Enfin, moi! que puis-je à cela?

FIGARO

Ne jamais le perdre de vue; me mettre au cours de ses démarches.

SUSANNE

Mais je te rends tout ce qu'il dit.

FIGARO

Oh! ce qu'il dit… n'est que ce qu'il veut dire! Mais saisir, en parlant, les mots qui lui échappent, le moindre geste, un mouvement; c'est-là qu'est le secret de l'âme! Il se trame ici quelque horreur! Il faut qu'il s'en croye assuré; car je lui trouve un air… plus faux, plus perfide et plus fat; cet air des sots de ce pays, triomphant avant le succès! Ne peux-tu être aussi perfide que lui? l'amadouer, le bercer d'espoir? quoiqu'il demande, ne pas le refuser?..

SUSANNE

C'est beaucoup!

FIGARO

Tout est bien, et tout marche au but; si j'en suis promptement instruit.

SUSANNE

… Et si j'en instruis ma maîtresse?

FIGARO

Il n'est pas tems encore; ils sont tous subjugués par lui. On ne te croirait pas: tu nous perdrais, sans les sauver. Suis-le par-tout, comme son ombre… et moi, je l'épie au-dehors…

SUSANNE

Mon ami, je t'ai dit qu'il se défie de moi; et s'il nous surprenait ensemble… Le voilà qui descend… Ferme!.. ayons l'air de quereller bien fort. (Elle pose le bouquet sur la table.)

FIGARO, élevant la voix

Moi, je ne le veux pas. Que je t'y prenne une autre fois!..

SUSANNE, élevant la voix

Certes!.. oui, je te crains beaucoup!

FIGARO, feignant de lui donner un soufflet

Ah! tu me crains!.. Tiens, insolente!

SUSANNE, feignant de l'avoir reçu

Des coups à moi… chez ma maîtresse?

SCÈNE III

LE MAJOR BÉGEARSS, FIGARO, SUSANNE

BÉGEARSS, en uniforme, un crêpe noir au bras

EH! mais quel bruit! Depuis une heure j'entends disputer de chez moi…

FIGARO, à part

Depuis une heure!

BÉGEARSS

Je sors, je trouve une femme éplorée…

SUSANNE, feignant de pleurer

Le malheureux lève la main sur moi!

BÉGEARSS

Ah l'horreur! monsieur Figaro! Un galant homme a-t-il jamais frappé une personne de l'autre sexe?

FIGARO, brusquement

Eh morbleu! Monsieur, laissez-nous! Je ne suis point un galant homme; et cette femme n'est point une personne de l'autre sexe: elle est ma femme; une insolente, qui se mêle dans des intrigues, et qui croit pouvoir me braver, parce qu'elle a ici des gens qui la soutiennent. Ah! j'entends la morigéner…

BÉGEARSS

Est-on brutal à cet excès?

FIGARO

Monsieur, si je prends un arbitre de mes procédés envers elle, ce sera moins vous que tout autre; et vous savez trop bien pourquoi!

BÉGEARSS

Vous me manquez, Monsieur; je vais m'en plaindre à votre maître.

FIGARO, raillant

Vous manquer! moi? c'est impossible.

(Il sort.)

SCÈNE IV

BÉGEARSS, SUSANNE

BÉGEARSS

MON enfant, je n'en reviens point. Quel est donc le sujet de son emportement?

SUSANNE

Il m'est venu chercher querelle; il m'a dit cent horreurs de vous. Il me défendait de vous voir, de jamais oser vous parler. J'ai pris votre parti; la dispute s'est échauffée; elle a fini par un soufflet… Voilà le premier de sa vie; mais moi, je veux me séparer; vous l'avez vu…

BÉGEARSS

Laissons cela. – Quelque léger nuage altérait ma confiance en toi; mais ce débat l'a dissipé.

SUSANNE

Sont-ce là vos consolations?

BÉGEARSS

Vas! c'est moi qui t'en vengerai! il est bien tems que je m'acquitte envers toi, ma pauvre Susanne! Pour commencer, apprends un grand secret… Mais sommes-nous bien sûrs que la porte est fermée? (Susanne y va voir.) (Il dit à part) Ah! si je puis avoir seulement trois minutes l'écrin au double fonds que j'ai fait faire à la Comtesse, où sont ces importantes lettres…

SUSANNE revient

Eh bien! ce grand secret?

BÉGEARSS

Sers ton ami; ton sort devient superbe. – J'épouse Florestine; c'est un point arrêté; son père le veut absolument.

SUSANNE

Qui, son père?

BÉGEARSS, en riant

Et d'où sors-tu donc? Règle certaine, mon enfant; lorsque telle orpheline arrive chez quelqu'un, comme pupille, ou bien comme filleule, elle est toujours la fille du mari. (D'un ton sérieux.) Bref, je puis l'épouser… si tu me la rends favorable.

SUSANNE

Oh! mais Léon en est très amoureux.

BÉGEARSS

Leur fils? (froidement) je l'en détacherai.

SUSANNE, étonnée

Ha!.. Elle aussi, elle est fort éprise!

BÉGEARSS

De lui?..

SUSANNE

Oui.

BÉGEARSS, froidement

Je l'en guérirai.

SUSANNE, plus surprise

Ha ha!.. Madame qui le sait, donne les mains à leur union!

BÉGEARSS, froidement

Nous la ferons changer d'avis.

SUSANNE, stupéfaite

Aussi?.. Mais Figaro, si je vois bien, est le confident du jeune homme!

BÉGEARSS

C'est le moindre de mes soucis. Ne serais-tu pas aise d'en être délivrée?

SUSANNE

S'il ne lui arrive aucun mal?..

BÉGEARSS

Fi donc! la seule idée flétrit l'austère probité. Mieux instruits sur leurs intérêts, ce sont eux-mêmes qui changeront d'avis.

SUSANNE, incrédule

Si vous faites cela, Monsieur…

BÉGEARSS, appuyant

Je le ferai. – Tu sens que l'amour n'est pour rien dans un pareil arrangement. (L'air caressant.) Je n'ai jamais vraiment aimé que toi.

SUSANNE, incrédule

Ah! si Madame avait voulu…

BÉGEARSS

Je l'aurais consolée sans doute; mais elle a dédaigné mes vœux!.. Suivant le plan que le Comte a formé, la Comtesse va au couvent.

SUSANNE, vivement

Je ne me prête à rien contre elle.

BÉGEARSS

Que diable! il la sert dans ses goûts! Je t'entends toujours dire: Ah! c'est un ange sur la terre!

SUSANNE, en colère

Eh bien! faut-il la tourmenter?

BÉGEARSS, riant

Non; mais du moins la rapprocher de ce Ciel, la patrie des anges, dont elle est un moment tombée!.. Et puisque, dans ces nouvelles et merveilleuses lois, le divorce s'est établi…

SUSANNE, vivement

Le Comte veut s'en séparer?

BÉGEARSS

S'il peut.

SUSANNE, en colère

Ah! les scélérats d'hommes! quand on les étranglerait tous!..

BÉGEARSS, riant

J'aime à croire que tu m'en exceptes?

SUSANNE

Ma foi!.. pas trop.

BÉGEARSS, riant

J'adore ta franche colère: elle met à jour ton bon cœur! Quant à l'amoureux chevalier; il le destine à voyager… long-temps. – Le Figaro, homme expérimenté, sera son discret conducteur. (Il lui prend la main.) Et voici ce qui nous concerne: Le Comte, Florestine et moi, habiterons le même hôtel: et la chère Susanne à nous, chargée de toute la confiance, sera notre surintendant, commandera la domesticité, aura la grande main sur tout. Plus de mari, plus de soufflets, plus de brutal contradicteur; des jours filés d'or et de soie, et la vie la plus fortunée!..

SUSANNE

A vos cajoleries, je vois que vous voulez que je vous serve auprès de Florestine?

BÉGEARSS, caressant

A dire vrai, j'ai compté sur tes soins. Tu fus toujours une excellente femme! J'ai tout le reste dans ma main; ce point seul est entre les tiennes. (Vivement.) Par exemple, aujourd'hui tu peux nous rendre un signalé…

SUSANNE l'examine

BÉGEARSS se reprend

Je dis un signalé, par l'importance qu'il y met. (Froidement.) Car, ma foi! c'est bien peu de chose! Le Comte aurait la fantaisie… de donner à sa fille, en signant le contrat, une parure absolument semblable aux diamans de la Comtesse. Il ne voudrait pas qu'on le sût.

SUSANNE, surprise

Ha ha!..

BÉGEARSS

Ce n'est pas trop mal vu! De beaux diamans terminent bien des choses! Peut-être il va te demander d'apporter l'écrin de sa femme, pour en confronter les dessins avec ceux de son joaillier…

SUSANNE

Pourquoi, comme ceux de Madame? C'est une idée assez bisarre!

BÉGEARSS

Il prétend qu'ils soient aussi beaux… Tu sens, pour moi, combien c'était égal! Tiens, vois-tu? le voici qui vient.

SCÈNE V

LE COMTE, SUSANNE, BÉGEARSS

LE COMTE

MONSIEUR Bégearss, je vous cherchais.

BÉGEARSS

Avant d'entrer chez vous, Monsieur, je venais prévenir Susanne; que vous avez dessein de lui demander cet écrin…

SUSANNE

Au moins, Monseigneur, vous sentez…

LE COMTE

Eh! laisse-là ton Monseigneur! N'ai-je pas ordonné, en passant dans ce pays-ci?..

SUSANNE

Je trouve, Monseigneur, que cela nous amoindrit.

LE COMTE

C'est que tu t'entends mieux en vanité qu'en vraie fierté. Quand on veut vivre dans un pays, il n'en faut point heurter les préjugés.

SUSANNE

Eh bien! Monsieur, du moins vous me donnez votre parole…

LE COMTE, fièrement

Depuis quand suis-je méconnu?

SUSANNE

Je vais donc vous l'aller chercher. (A part.) Dame! Figaro m'a dit de ne rien refuser!..

SCÈNE VI

LE COMTE, BÉGEARSS

LE COMTE

J'AI tranché sur le point qui paraissait l'inquiéter.

BÉGEARSS

Il en est un, Monsieur, qui m'inquiète beaucoup plus; je vous trouve un air accablé…

LE COMTE

Te le dirai-je, Ami! la perte de mon fils me semblait le plus grand malheur. Un chagrin plus poignant fait saigner ma blessure, et rend ma vie insupportable.

BÉGEARSS

Si vous ne m'aviez pas interdit de vous contrarier là-dessus, je vous dirais que votre second fils…

LE COMTE, vivement

Mon second fils! je n'en ai point!

BÉGEARSS

Calmez-vous, Monsieur; raisonnons. La perte d'un enfant chéri peut vous rendre injuste envers l'autre; envers votre épouse, envers vous. Est-ce donc sur des conjectures qu'il faut juger de pareils faits?

LE COMTE

Des conjectures? Ah! j'en suis trop certain! Mon grand chagrin est de manquer de preuves. – Tant que mon pauvre fils vécut, j'y mettais fort peu d'importance. Héritier de mon nom, de mes places, de ma fortune… que me fesait cet autre individu? Mon froid dédain, un nom de terre, une croix de Malthe, une pension, m'auraient vengé de sa mère et de lui! Mais, conçois-tu mon désespoir, en perdant un fils adoré, de voir un étranger succéder à ce rang, à ces titres; et, pour irriter ma douleur, venir tous les jours me donner le nom odieux de son père?

BÉGEARSS

Monsieur, je crains de vous aigrir, en cherchant à vous appaiser; mais la vertu de votre épouse…

LE COMTE, avec colère

Ah! ce n'est qu'un crime de plus. Couvrir d'une vie exemplaire un affront tel que celui-là! Commander vingt ans par ses mœurs et la piété la plus sévère, l'estime et le respect du monde; et verser sur moi seul, par cette conduire affectée, tous les torts qu'entraîne après soi ma prétendue bisarrerie!.. Ma haine pour eux s'en augmente.

BÉGEARSS

Que vouliez-vous donc qu'elle fît; même en la supposant coupable? Est-il au monde quelque faute qu'un repentir de vingt années ne doive effacer à la fin? Fûtes vous sans reproche vous-même? Et cette jeune Florestine, que vous nommez votre pupille, et qui vous touche de plus près…

LE COMTE

Qu'elle assure donc ma vengeance! Je dénaturerai mes biens, et les lui ferai tous passer. Déjà trois millions d'or, arrivés de la Vera Crux, vont lui servir de dot; et c'est à toi que je les donne. Aide-moi seulement à jeter sur ce don un voile impénétrable. En acceptant mon porte-feuille, et te présentant comme époux, suppose un héritage, un legs de quelque parent éloigné…

BÉGEARSS, montrant le crêpe de son bras

Voyez que, pour vous obéir, je me suis déjà mis en deuil.

LE COMTE

Quand j'aurai l'agrément du Roi pour l'échange entammé de toutes mes terres d'Espagne contre des biens dans ce pays, je trouverai moyen de vous en assurer la possession à tous deux.

BÉGEARSS, vivement

Et moi, je n'en veux point. Croyez-vous que, sur des soupçons… peut-être encor très peu fondés, j'irai me rendre le complice de la spoliation entière de l'héritier de votre nom? d'un jeune homme plein de mérite; car il faut avouer qu'il en a…

LE COMTE, impatienté

Plus que mon fils, voulez-vous dire? Chacun le pense comme vous; cela m'irrite contre lui!..

BÉGEARSS

Si votre pupille m'accepte; et si, sur vos grands biens, vous prélevez, pour la doter, ces trois millions d'or, du Mexique, je ne supporte point l'idée d'en devenir propriétaire, et ne les recevrai qu'autant que le contrat en contiendra la donation que mon amour sera censé lui faire.

LE COMTE le serre dans ses bras

Loyal et franc ami! quel époux je donne à ma fille!..

SCÈNE VII

SUSANNE, LE COMTE, BÉGEARSS

SUSANNE

MONSIEUR, voilà le coffre aux diamans; ne le gardés pas trop long-temps; que je puisse le remettre en place avant qu'il soit jour chez madame!

LE COMTE

Susanne, en t'en allant, défends qu'on entre, à moins que je ne sonne.

SUSANNE, à part

Avertissons Figaro de ceci. (Elle sort.)

SCÈNE VIII

LE COMTE, BÉGEARSS

BÉGEARSS

QUEL est votre projet sur l'examen de cet écrin?

LE COMTE tire de sa poche un bracelet entouré de brillans

Je ne veux plus te déguiser tous les détails de mon affront; écoute. Un certain Léon d'Astorga, qui fut jadis mon page, et que l'on nommait Chérubin

BÉGEARSS

Je l'ai connu; nous servions dans le régiment dont je vous dois d'être major. Mais il y a vingt ans qu'il n'est plus.

LE COMTE

C'est ce qui fonde mon soupçon. Il eut l'audace de l'aimer. Je la crus éprise de lui; je l'éloignai d'Andalousie, par un emploi dans ma légion. – Un an après la naissance du fils… qu'un combat détesté m'enlève. (Il met la main à ses yeux.) Lorsque je m'embarquai vice-roi du Mexique; au lieu de rester à Madrid, ou dans mon palais à Séville, ou d'habiter Aguas frescas, qui est un superbe séjour; quelle retraite, Ami, crois-tu que ma femme choisit? Le vilain château d'Astorga, chef-lieu d'une méchante terre, que j'avais achetée des parens de ce page. C'est-là qu'elle a voulu passer les trois années de mon absence; qu'elle y a mis au monde… (après neuf ou dix mois, que sais-je?) ce misérable enfant, qui porte les traits d'un perfide! Jadis, lorsqu'on m'avait peint pour le bracelet de la Comtesse, le peintre ayant trouvé ce page fort joli, desira d'en faire une étude; c'est un des beaux tableaux de mon cabinet…

BÉGEARSS

Oui… (Il baisse les yeux.) à telles enseignes que votre épouse…

LE COMTE, vivement

Ne veut jamais le regarder? Eh bien! sur ce portrait, j'ai fait faire celui-ci, dans ce bracelet, pareil en tout au sien, fait par le même jouaillier qui monta tous ses diamans; je vais le substituer à la place du mien. Si elle en garde le silence; vous sentez que ma preuve est faite. Sous quelque forme qu'elle en parle, une explication sévère éclaircit ma honte à l'instant.

BÉGEARSS

Si vous demandez mon avis, Monsieur, je blâme un tel projet.

LE COMTE

Pourquoi?

BÉGEARSS

L'honneur répugne à de pareils moyens. Si quelque hasard, heureux ou malheureux, vous eût présenté certains faits, je vous excuserais de les approfondir. Mais tendre un piége! des surprises! Eh! quel homme, un peu délicat, voudrait prendre un tel avantage sur son plus mortel ennemi?

LE COMTE

Il est trop tard pour reculer; le bracelet est fait, le portrait du page est dedans…

BÉGEARSS prend l'écrin

Monsieur, au nom du véritable honneur…

LE COMTE a enlevé le bracelet de l'écrin

Ah! mon cher portrait, je te tiens! J'aurai du moins la joie d'en orner le bras de ma fille, cent fois plus digne de le porter!.. (Il y substitue l'autre.)

BÉGEARSS feint de s'y opposer. Ils tirent chacun l'écrin de leur côté; Bégearss fait ouvrir adroitement le double fond, et dit avec colère:

Ah! voilà la boîte brisée!

LE COMTE regarde

Non; ce n'est qu'un secret que le débat a fait ouvrir. Ce double fond renferme des papiers!

BÉGEARSS, s'y opposant

Je me flatte, Monsieur, que vous n'abuserez point…

LE COMTE, impatient

«Si quelque heureux hasard vous eût présenté certains faits, me disais-tu dans le moment, je vous excuserais de les approfondir»… Le hasard me les offre, et je vais suivre ton conseil. (Il arrache les papiers.)

BÉGEARSS, avec chaleur

Pour l'espoir de ma vie entière, je ne voudrais pas devenir complice d'un tel attentat! Remettez ces papiers, Monsieur, ou souffrez que je me retire. (Il s'éloigne.)

LE COMTE tient des papiers et lit

BÉGEARSS le regarde en dessous, et s'applaudit secrètement

LE COMTE, avec fureur

Je n'en veux pas apprendre davantage; renferme tous les autres, et moi je garde celui-ci.

BÉGEARSS

Non; quel qu'il soit, vous avez trop d'honneur pour commettre une…

LE COMTE, fièrement

Une?.. Achevez; tranchez le mot, je puis l'entendre.

BÉGEARSS, se courbant

Pardon, Monsieur, mon bienfaiteur! et n'imputez qu'à ma douleur l'indécence de mon reproche.

LE COMTE

Loin de t'en savoir mauvais gré, je t'en estime davantage. (Il se jette sur un fauteuil.

L'autre Tartuffe, ou La mère coupable

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