Читать книгу Recherches de physiologie et de chimie pathologiques - Pierre-Hubert Nysten - Страница 3
PRÉFACE.
ОглавлениеLES propriétés vitales et les fonctions, considérées dans l’état sain, sont l’objet de la physiologie proprement dite; mais envisagées sous le point de vue des lésions auxquelles elles sont exposées, elles donnent lieu à deux ordres d’études, dont l’un constitue la nosographie, et l’autre la physiologie pathologique. La nosographie considère ces lésions dans leurs caractères extérieurs et leur marche: elle les range en groupes, d’après l’analogie ou les dissemblances qu’elles présentent entre elles. La physiologie pathologique envisage ces mêmes lésions sous le rapport des changemens qu’elles déterminent dans les actions organiques; et pour cela, elle considère les produits de ces actions, dans l’état de maladie, comparativement avec ces mêmes produits dans l’état de santé. Ainsi, elle examine l’influence des maladies sur le sang, sur l’air respiré, sur les urines, sur la bile, et sur les autres matières sécrétées ou exhalées.
On sait qu’il existe des substances qui, introduites immédiatement dans le système circulatoire, ou absorbées, soit par la peau, soit par les organes digestifs, ont une action particulière sur l’économie animale: les modifications qui en résultent dans les propriétés vitales et les fonctions sont du ressort de la physiologie pathologique.
Lorsqu’une sécrétion est supprimée ou considérablement diminuée, elle est quelquefois suppléée par une autre sécrétion dont les produits présentent dans ce cas plus ou moins d’analogie avec ceux qu’ils remplacent. Ces déviations de sécrétions appartiennent encore à la physiologie pathologique.
Cet ordre essentiel d’études médicales ne peut marcher sans le secours de la chimie qui, se trouvant par cela même appliquée aux maladies, prend alors le nom de Chimie pathologique. Fourcroy, qui concevoit combien cette branche de la chimie animale pouvoit éclairer l’histoire des maladies, avoit proposé , tant dans sa Médecine éclairée par les sciences physiques, que dans son Système des connoissances chimiques, la formation d’un établissement chimico-clinique, dans lequel on examineroit soigneusement les altérations que les maladies occasionnent dans les diverses sécrétions, et notamment dans celle de l’urine. Il seroit sans doute bien à désirer qu’il fût établi, dans un grand hôpital, un laboratoire de chimie exclusivement destiné aux recherches proposées par Fourcroy, et dont l’utilité est sentie par tous les médecins qui n’ont pas adopté ce préjugé créé par l’esprit de routine et d’apathie; savoir, que la Médecine n’a plus aucun progrès à faire. Quelques années d’un travail opiniâtre employées à analyser les produits des sécrétions dans les diverses maladies dont l’histoire auroit été bien recueillie, suffiroient sans doute à un observateur actif pour lui permettre de tirer de ses recherches des conclusions très-intéressantes. C’est de cette manière que la chimie peut être d’une utilité incontestable à la médecine; et le travail seul de MM. Fourcroy, Vauquelin et Thénard sur les calculs urinaires, permet de pressentir l’importance des services que la première de ces sciences peut rendre à la seconde. Il est, en effet, résulté de ce travail qu’on pouvoit espérer, 1° de dissoudre dans les voies urinaires, par l’usage d’une foible dissolution de carbonate de potasse, soit en boisson, soit en injection, les calculs formés d’acide urique ou d’urate d’ammoniaque qui sont les plus fréquens, et éviter ainsi la plus cruelle des opérations de chirurgie; 2° de prévenir, par la continuation du même moyen, la récidive de la maladie chez les personnes qui y sont disposées.
Pour concevoir la possibilité d’agir sur la composition des urines au moyen des liquides pris en boisson, il suffit de savoir qu’elles deviennent alcalines par l’usage des boissons alcalines, et qu’elles augmentent au contraire d’acidité par les boissons acides: or, ce fait n’est pas douteux, et l’on sait de plus que plusieurs substances de nature différente, introduites dans le système circulatoire au moyen de l’absorption, impriment à l’urine un caractère particulier. J’ai vu dernièrement un exemple assez remarquable de l’influence des boissons acides sur les urines. Un calculeux, qui avoit déjà été opéré de la taille par M. le professeur Dubois, et dans la vessie duquel un nouveau calcul s’étoit développé , prit pendant quelque temps une boisson acidulée avec l’acide nitrique, et fut ensuite taillé de nouveau. La pierre qu’on retira de la vessie étoit du volume d’une grosse noix, et présentoit, même dans ses couches les plus profondes, une teinte rosée: elle étoit presqu’en totalité composée d’acide urique: or, la teinte rosée avoit été évidemment imprimée à cet acide par l’acide nitrique pris en boisson, puisque ce changement constitue un des caractères de l’acide urique.
Fourcroy ne cessoit de témoigner, dans ses brillantes leçons, le désir que les médecins fissent des essais sur des malades affectés de calculs urinaires, d’après les inductions que donnoit l’analyse chimique de ces concrétions. Les médecins français se sont peu occupés de cet objet; mais, à Florence, Mascagni, qui étoit sujet à des douleurs néphrétiques périodiques, à la suite desquelles il rendoit avec ses urines des graviers d’acide urique, s’en est guéri par l’usage du carbonate de potasse en boisson ; à Leyde, le docteur Luscius a employé le même moyen avec succès dans sa pratique médicale ; et long-temps avant le travail des chimistes français? on étoit parvenu, en Angleterre, à dissoudre non-seulement des graviers, mais des calculs d’acide urique par la même boisson, sous le nom d’eau méphitique alcaline. L’ouvrage publié sur cette matière, par William Falconer, contient un grand nombre d’observations intéressantes, parmi lesquelles on peut citer celle d’Ingen-Housz, qui étoit sujet à une néphrite calculeuse, dont les symptômes n’ont plus reparu.
Relativement au sang, si Bordeu croyoit que les altérations dont ce liquide est susceptible dans les maladies ne pouvoient être saisies par l’analyse chimique, cette opinion provenoit évidemment de la prévention de l’auteur contre la chimie dont il s’étoit peu occupé : la lecture de son ouvrage ne laisse aucun doute à cet égard. A la vérité, l’analyse chimique ne fera peut-être jamais connoître les changemens que produit dans le sang la résorption d’une petite quantité de liqueur spermatique pour donner à tous les organes la consistance, la force et l’activité qui caractérisent la santé la plus vigoureuse; mais avec des soins, on parviendra à déterminer l’influence des maladies sur les proportions de sérosité, de fibrine, d’albumine, d’osmazome , etc., et les altérations dont ces matières sont susceptibles. Quelques essais entrepris il y a long-temps par MM. Parmentier et Deyeux, sur le sang de malades affectés de scorbut et de fièvre putride, comparativement avec ce même liquide dans les maladies inflammatoires, ne leur ont pas offert les résultats qu’on pouvoit en espérer; mais les malades qui ont servi à leurs expériences avoient, outre le scorbut ou la fièvre putride, une maladie inflammatoire bien prononcée, et l’on conçoit que cette complication devoit influer sur les résultats de l’analyse; car il est bien reconnu aujourd’hui par les observateurs que le sang prend toujours un caractère particulier dans les phlegmasies, et que Dehaen a eu tort d’avancer que la couenne inflammatoire ne s’observe pas plus fréquemment dans ces maladies que dans les autres affections. En 1809, je fus envoyé par le Gouvernement dans le département de l’Yonne, arrondissement de Joigny, pour diriger le traitement d’une épidémie grave qui y régnoit et dont le caractère avoit été méconnu: elle étoit éminemment inflammatoire et exigeoit les saignées; j’eus l’occasion d’en prescrire un très-grand nombre, et toujours il s’est formé à la surface du caillot une couenne plus ou moins épaisse, que je n’ai au contraire jamais rencontrée après des saignées prophylactiques.
Je ne doute nullement que, dans beaucoup de maladies non compliquées d’inflammations, le sang ne présente des différences très-marquées dans sa composition; j’ai déjà, à cet égard, obtenu quelques données que je ne puis encore publier, parce qu’avant d’être autorisé à tirer des conclusions générales, il est nécessaire de répéter un certain nombre de fois la même expérience, afin de ne pas s’exposer à attribuer à l’influence de la maladie des variétés purement accidentelles. Si je puis, d’ici à peu de temps, continuer ce genre de recherches, j’en ferai connoître les résultats dans des Élémens de Chimie expérimentale spécialement destinés aux étudians en médecine, ouvrage auquel je travaille de concert avec M. Barruel, chef des travaux chimiques de la Faculté de Médecine.
Lorsque les altérations des sécrétions seront mieux connues, elles devront faire partie de la Nosographie. Ainsi, la physiologie des maladies accompagnera nécessairement leur description, et pourra même quelquefois servir de base aux divisions. C’est ce qui a déjà été prévu par M. Récamier, médecin de l’Hôtel-Dieu, qui, dans ses cours de nosographie, fait une classe de maladies sous le titre de lésions de sécrétions.
On conçoit que la physiologie pathologique a de fréquens rapports avec l’anatomie pathologique; on ne peut pas cependant dire qu’elle est à cette dernière science ce que la physiologie est à l’anatomie; car, dans beaucoup de maladies, les tissus des organes sont dans leur état naturel: mais dans toutes les circonstances où un tissu quelconque est altéré , la lésion qu’il présente modifie l’action de l’organe; et c’est presque toujours le trouble qui en résulte dans les diverses fonctions qui rend la maladie mortelle. Après la mort, l’anatomie pathologique recherche les altérations organiques qui pouvoient constituer la maladie ou la compliquer; la physiologie pathologique examine les lésions que la maladie peut avoir déterminées dans les propriétés vitales.
Bichat avoit l’intention d’écrire sur la physiologie pathologique. Au lieu de donner une nouvelle édition de ses recherches sur la vie et la mort, il vouloit faire entrer la première partie de cet ouvrage dans un traité de physiologie proprement dite, auquel il travailloit; cette première partie auroit été remplacée par des considérations sur les altérations des fonctions dans les maladies. La seconde partie, celle qui contient des recherches sur la mort, et qui est pour ainsi dire toute expérimentale, auroit été modifiée, parce qu’elle présente quelques erreurs. Bichat devoit, dans ce but, faire une série de nouvelles expériences; et comme je lui avois communiqué le dessein que j’avois conçu d’en entreprendre sur les phénomènes chimiques de la respiration, il voulut bien me proposer de travailler en commun: nous étions convenus de commencer promptement nos recherches, et de prendre chacun dans les resultats ce qui pouvoit concourir à notre but respectif, lorsqu’il fut atteint de la maladie cruelle qui l’enleva à la science et à ses amis.
Le nouvel ouvrage de Bichat auroit été sans doute marqué au coin du génie, comme ceux qui avoient signalé le commencement de sa carrière. En annonçant les recherches que je publie aujourd’hui comme une suite à celles de ce physiologiste sur la vie et la mort, je n’ai pas la folle prétention de faire placer mon nom à côté du sien; je prévois trop les résultats fâcheux de la comparaison de ses ouvrages avec les miens pour concevoir jamais la pensée de la provoquer. Mais très-souvent, à la mort d’un grand homme, on continue des travaux scientifiques qu’il avoit commencés, ou on remplit ses intentions en exécutant des projets qu’il avoit formés; et si ces travaux sont inférieurs, sous le rapport de la création, à ceux de l’auteur lui-même, ils peuvent toujours, s’ils sont exacts, intéresser les amis de la vérité. D’un autre côté, les plus grands génies se trompent quelquefois, surtout dans les recherches expérimentales; et si on ne relève pas les erreurs dans lesquelles ils sont tombés, la science rétrograde au lieu de faire des progrès.
Les expériences sur les animaux vivans manqueroient souvent leur but, si celui qui les entreprend n’étoit secondé par des hommes instruits qui veuillent bien s’intéresser à leurs succès. Celles qui font l’objet de la première section de cet ouvrage exigeoient surtout les plus grands soins, et entraînoient la nécessité d’un certain nombre de collaborateurs. Je me félicite d’avoir été favorisé à cet égard par de vrais amis, tels que M. Barruel que j’ai cité plus haut, et MM. Heurtault, de Jaer et Cayol, docteurs en médecine; il m’est extrêmement agréable de trouver ici l’occasion de leur donner un témoignage public de ma reconnoissance.