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NOTICE
SUR
LA VIE ET LES OUVRAGES
DE M. GINGUENÉ
ОглавлениеPierre-Louis Ginguené, né à Rennes, le 25 avril 1748, fit avec distinction ses études au collège de cette ville: il y était condisciple de Parny, au moment où les jésuites en furent expulsés 1. Mais c'était au sein de sa propre famille, peu riche et fort considérée, que Ginguené avait puisé le sentiment du véritable honneur et le goût des lettres.
Il devait aux lumières et aux soins de son père ses progrès rapides et la bonne direction de ses études. Ses autres maîtres lui avaient appris les langues grecque et latine: il acquit de lui-même des connaissances plus étendues et plus profondes; la littérature latine lui devint familière; et entre les chefs-d'œuvre modernes, il étudia surtout ceux de l'Italie et de la France. Il lut aussi de très-bonne heure et dans leur langue les meilleurs livres anglais, et avant 1772, son instruction embrassait déjà presque tous les genres que l'on a coutume de comprendre sous les noms de belles-lettres, d'histoire et de philosophie. Quand les goûts littéraires sont à la fois si vifs et si heureusement dirigés, ils prennent bientôt les caractères de la science et du talent. Ginguené, dans sa jeunesse, et avant de sortir de Rennes, était un homme éclairé, un littérateur habile, un écrivain exercé: il était de plus un très-savant musicien; car il avait porté dans l'étude de cet art, qu'il a toujours chéri, l'exactitude sévère qu'il donnait à ses autres travaux. Il aimait mieux ignorer que savoir mal; il voulait jouir de ses connaissances et non pas s'en glorifier.
C'est depuis long-temps en France un résultat fâcheux des circonstances ou des dispositions politiques, qu'un jeune homme d'un mérite éminent soit presque toujours attiré par ce mérite même dans la capitale, et qu'il y demeure fixé par ses succès. Ginguené arriva pour la première fois à Paris en 1772. Il avait composé à Rennes, entre autres pièces de vers, la Confession de Zulme; il la lut à quelques hommes de lettres, particulièrement à l'académicien Rochefort. Elle circula bientôt dans le monde; Pezai, Borde et un M. de la Fare se l'attribuèrent: on l'imprima défigurée en 1777, dans la Gazette des Deux-Ponts. «Cela me devint importun, dit Ginguené lui-même; je me déterminai à la publier enfin sous mon nom et avec les seules fautes qui étaient de moi. Elle parut dans l'Almanach des Muses de 1791. Je changeai tout le début, je corrigeai quelques négligences un peu trop fortes; il en restait encore plusieurs que j'ai tâché d'effacer depuis… On a vu plusieurs fois des plagiaires s'attribuer l'œuvre d'autrui, mais non pas, que je sache, attaquer le véritable auteur comme si c'était lui qui eût été le plagiaire. C'est ce que fit pourtant M. Mérard de Saint-Just. Quelques amis des vers s'en souviennent peut-être encore; les autres pourront trouver, dans le Journal de Paris de janvier 1779, les pièces de ce procès bizarre.»
Ailleurs Ginguené nous apprend que, fort jeune encore, et dans la première chaleur de son goût pour la poésie italienne, il entreprit de tirer de l'énorme Adonis de Marini, un poëme français en cinq chants. Le troisième, le quatrième et ce qu'il avait fait du dernier, lui ont été dérobés: il a publié les deux premiers dans un recueil de poésies où se retrouvent aussi plusieurs des pièces de vers qu'il a composées depuis 1773 jusqu'en 1789, et dont la plupart avaient été insérées dans des journaux littéraires ou dans les Almanachs des Muses. La Confession de Zulmé conserve, à tous égards, le premier rang parmi ces compositions; mais il y a de l'esprit, de la grâce, et un goût très-pur dans toutes les autres.
Dès 1775, il commença de publier dans les journaux des articles de littérature, genre de travail auquel il a consacré, jusques dans les dernières années de sa vie, les loisirs que lui laissaient de plus importantes occupations. Ce sont en général d'excellens morceaux de critique littéraire; et si l'on en formait un recueil bien choisi, comme Ginguené lui-même s'était promis de le faire un jour, ce serait un très-utile supplément aux meilleurs cours de littérature moderne; il offrirait le modèle d'une critique ingénieuse et sévère, quelquefois savante et profonde, souvent piquante et toujours décente. Durant plusieurs années, Ginguené a travaillé au Mercure de France, avec Marmontel, La Harpe, Chamfort, MM. Garat et Lacretelle aîné.
Le célèbre compositeur Piccini, arrivé à Paris à la fin de l'année 1776, parvint, non sans peine, à mettre sur le théâtre lyrique sa musique nouvelle du Roland de Quinault. Une guerre s'alluma entre les partisans de Piccini et ceux de Gluck, qui, depuis 1774, avait obtenu de brillans succès sur la même scène, par les opéras d'Iphigénie en Aulide, d'Alceste, d'Orphée, et d'Armide. Chacun des deux rivaux donna une Iphigénie en Tauride en 1779. Depuis long-temps aucune querelle littéraire ni même politique, n'avait pris en France un si violent caractère. A la tête du parti, ou, comme dit La Harpe, de la faction gluckiste, on distinguait Suard et l'abbé Arnauld, Marmontel, Chastellux, et La Harpe lui-même se donnaient pour les chefs des Piccinistes. Ginguené, qui embrassa vivement cette dernière cause, avait sur ceux qui la combattaient et encore plus sur ceux qui la défendaient, l'avantage de savoir parfaitement la musique. L'oubli profond où cette querelle alors si bruyante est aujourd'hui ensevelie, couvre tous les pamphlets qu'elle fit naître, y compris les lettres anonymes de Suard, et même les écrits publiés à cette époque par Ginguené 2; mais ce qu'ils contenaient de plus instructif se retrouve dans la notice qu'il a imprimée en 1801 3 sur la vie et les ouvrages de Piccini, qui venait de mourir en 1800 et dont il était resté l'intime ami.
En 1780, Ginguené obtint une place dans les bureaux du ministère des finances, alors appelé contrôle général: il avait besoin d'employer ainsi une partie de son temps pour être en état de consacrer l'autre à des travaux littéraires. La fonction de simple commis pouvait sembler fort au-dessous de ses talons: il la sut élever jusqu'à lui, en y portant les habitudes honorables qui lui étaient naturelles, une exactitude assidue, une probité inflexible, et un respect constant pour les plus minutieux devoirs. Il s'y faisait remarquer par la netteté de ses calculs et par une écriture élégante, qu'on a comparée à celle de Jean-Jacques Rousseau, et avec un peu plus de justesse ou d'apparence aux caractères de Baskerville. En acceptant cet emploi, Ginguené composa une pièce de vers intitulée dans le recueil de ses poëmes. Epître à mon ami, lors de mon entrée DANS LES BUREAUX du contrôle général. Quand la pièce parut en 1780, le titre portait: lors de mon entrée AU CONTRÔLE GÉNÉRAL; ce qui a donné lieu à quelques plaisanteries de Rivarol et de Champcenets.
Ginguené concourut sans succès, en 1787 et 1788, pour deux prix, l'un de poésie, l'autre d'éloquence, proposés par l'Académie française. Il s'agissait de célébrer en vers le dévouement du prince Léopold de Brunswick, qui s'était précipité dans l'Oder, en voulant sauver des malheureux. La pièce de Ginguené obtint d'autres suffrages que ceux des académiciens; il eut toujours de la prédilection pour ce poëme, qui, durant trois années, lui avait donné inutilement beaucoup de peine, et dont il ne se dissimulait pas les défauts: il l'a inséré, en 1814, dans le recueil de ses poésies diverses. Le sujet du prix d'éloquence était national: on demandait un éloge de Louis XII. Le concours fut nombreux, et Ginguené, déjà quadragénaire, se laissa entraîner dans cette lice par ses affections patriotiques; il avait besoin de louer un roi dont la mémoire était restée chère a tous les Français, et particulièrement aux Bretons. Son ouvrage, imprimé avec des notes, en 1788 4, est remarquable par une profonde connaissance du sujet, et par une expression franche des plus honorables sentimens; mais il est possible qu'au sein de l'Académie, l'auteur ait été reconnu par quelques-uns de ses juges, dont il avait été l'antagoniste dans la querelle musicale; et d'ailleurs, on doit convenir que cet éloge un peu long, et plus instructif qu'académique, n'est pas ce que Ginguené a écrit de mieux en prose; c'est néanmoins un fort bon discours, plein de raison et semé de traits ingénieux.
La conduite de Ginguené depuis 1789, au milieu des troubles civils, a été si noble et si pure qu'on ne peut avoir aucun motif de dissimuler ses opinions politiques. D'ailleurs on voudrait en vain s'en taire: ses écrits antérieurs à cette époque respiraient déjà l'amour de la liberté, et ceux qu'il composa depuis, tinrent toutes les promesses que l'auteur avait données jusqu'alors. Il célébra par une ode l'ouverture des états-généraux; et en même temps qu'il continuait d'insérer dans les journaux des articles de littérature, et qu'avec Framery, il publiait dans l'Encyclopédie méthodique, les premiers tomes du Dictionnaire de musique, il coopérait avec Cérutti et Rabaud Saint-Étienne, à la rédaction de la Feuille villageoise, destinée à répandre dans les campagnes des notions d'économie domestique et rurale, et la plus saine instruction civique. Les sages principes et le ton modéré de cette feuille, contrastaient avec la violence ou la feinte exaltation de la plupart des écrits périodiques du même temps. On attribue à Ginguené une brochure (de 156 pages in-8°.) imprimée en 1791, et intitulée de l'autorité de Rabelais dans la révolution présente; elle a eu, à cette époque beaucoup de succès: c'était un tissu d'extraits de ce facétieux écrivain, mais choisis avec goût, enchaînés avec art, et habilement traduits ou commentés quand ils avoient besoin de l'être. Un plus véritable ouvrage, publié sous le nom de Ginguené, en la même année, a pour titre: Lettres sur les confessions de J. – J. Rousseau (147 pages in-8°.). Ces lettres sont au nombre de quatre, et suivies de notes historiques: un éclatant et digne hommage y est rendu au génie et aux infortunes du citoyen de Genève. On y pourrait désirer un peu plus d'impartialité, et révoquer en doute les torts que Ginguené impute à D'Alembert et à quelques autres personnages. Pour ceux de Voltaire, ils sont publics; et ceux de Grimm, inexcusables: peut-être les uns et les autres ne sont-ils nulle part plus franchement exposés que dans ces lettres; mais il s'en faut que tous les soupçons de Jean-Jacques aient été aussi bien fondés que ceux-là; et il était possible d'examiner de plus près, de mieux éclaircir l'histoire des malheurs et des égaremens de cet illustre écrivain. Ce qu'on avouera du moins, en relisant ces quatre lettres, c'est qu'il y règne, malgré la douce élégance du style, une morale très-austère. La Harpe y a répondu avec plus de sécheresse que de logique, par des articles du Mercure de France, en 1792.
Ginguené, dans cet ouvrage et dans la Feuille villageoise, avait trop ouvertement professé l'amour de la justice, la haine du désordre et des violences, pour échapper aux fureurs de l'ignoble tyrannie qui régna sur la France en 1793 et 1794. Comme son ami Chamfort, comme la plupart des hommes éclairés et vertueux de cette époque, il fut calomnié, espionné, arrêté et jeté dans les cachots. Sa carrière allait finir, si le jour de la délivrance se fût fait un peu plus long-temps attendre. Il sortit de sa prison tel qu'il y était entré, ami des lettres, des lois et de la liberté: comme il n'avait jamais fait de dithyrambe en l'honneur de l'anarchie, il ne se crut pas tenu de redemander le despotisme; et n'ayant jamais porté de bonnet rouge, il n'avait ni à déposer, ni à prendre la livrée d'aucune faction. Il retrouvait une patrie: il continua de la servir, et ne sentit pas le besoin de se venger autrement des insensés qui l'avaient opprimé comme elle.
Chamfort ne survivait point à cet effroyable désastre: le premier soin de Ginguené fut d'honorer sa mémoire. Il recueillit et publia ses œuvres, en y joignant, sous le titre de notice, un tableau très-animé de sa vie, de ses travaux littéraires et de son caractère moral. Il l'a peint «excellent fils, ami sincère et dévoué, de la probité la plus intacte et du commerce le plus sûr; officieux et d'une délicatesse extrême dans la manière d'obliger, fier comme il faut l'être quand on est pauvre, mais aussi éloigné de l'orgueil que de la bassesse; désintéressé jusqu'à l'excès, et incapable de mettre un seul instant en balance ses avantages avec ceux de la vérité et de la justice.» Il appartient à ceux qui ont connu particulièrement Chamfort, de décider si ce portrait est fidèle; mais c'est bien sûrement celui de Ginguené lui-même.
On avait commencé, en 1791, la collection des Tableaux historiques de la révolution française, et Chamfort avait fourni le texte des treize premières livraisons; Ginguené a continué ce travail jusqu'à la vingt-cinquième, et n'a point coopéré aux quatre-vingt-huit suivantes. Le projet de la Décade philosophique remonte aussi aux derniers jours de la vie de Chamfort, en avril 1793; Ginguené a été l'un des principaux rédacteurs de ce journal littéraire depuis 1795 jusqu'en 1807.
Aussitôt après la chute de l'horrible décemvirat, la carrière des fonctions civiles s'ouvrit pour Ginguené: il devint membre de la commission exécutive d'instruction publique, et demeura le directeur général de cette branche d'administration, depuis le rétablissement du ministère de l'intérieur à la fin de 1795 jusqu'en 1797. On lui dut la réorganisation des écoles; et néanmoins, en remplissant des devoirs si graves avec tout le zèle qu'ils exigeaient, il trouvait encore des momens à consacrer à des compositions littéraires. Il a, dans cet intervalle, publié des observations sur l'un des ouvrages de Necker 5, et coopéré aux travaux de l'Institut. Au moment où se formait cette société savante, il avait été appelé à y prendre place dans la classe des sciences morales et politiques. Quelquefois il a rempli, au sein de cette classe, la fonction de secrétaire, qui alors n'était point perpétuelle, et il y a lu divers morceaux qui depuis ont été insérés soit dans ses propres ouvrages, soit en des recueils académiques. Nous trouvons par exemple dans le tome VII des Notices des manuscrits, les résultats des recherches qu'il avait faites sur un poëme italien que l'on croyait inédit, et qu'on attribuait à Fédérico Frezzi, l'auteur du Quadrireggio, mais qui n'était réellement qu'une mauvaise copie du Dittamondo, de Fazio degli Uberti, depuis long-temps imprimé. Les erreurs commises sur ce point par le père Labbe, par le Quadrio, par Tiraboschi, sont relevées dans cette courte dissertation, avec une clarté parfaite et une élégance peu commune en de telles discussions.
Ces deux années de la vie de Ginguené en ont été peut-être les plus heureuses; car il n'était distrait de ses études que par des fonctions publiques qui se rattachaient elles-mêmes aux sciences, aux lettres et aux arts. Vers la fin de 1797, il partit pour Turin en qualité de ministre plénipotentiaire de la France. S'il n'eût fallu, pour remplir cette mission difficile, que beaucoup de sagacité, d'urbanité et de franchise, il aurait pu s'y promettre des succès; mais s'il fallait de l'astuce et de la souplesse, c'étaient là des talens qui devaient lui manquer toujours et un art dont il n'avait pas fait l'apprentissage. Il ne passa que sept mois en Piémont, et à l'exception d'un voyage de quelques jours à Milan en 1798, il ne put exécuter le projet qu'il avait dès long-temps formé, de visiter toutes les parties de l'Italie. Il a exprimé ce regret en 1814 dans l'une des notes qui accompagnent ses poésies diverses. «Des travaux, dit-il, dont j'avais l'idée, et que j'ai publiés depuis, ont prouvé que ce n'était point une simple fantaisie de curieux que je voulais satisfaire. Des milliers de Français ont été envoyés dans cette Italie, dont la langue, les mœurs, la littérature, les arts leur étaient totalement étrangers: il était écrit que je n'aurais pas ce bonheur; et je mourrai probablement sans avoir vu le beau pays dont je me suis occupé toute ma vie.»
De retour à Paris et à sa campagne de St. – Prix, Ginguené avait repris le cours de ses travaux paisibles, lorsqu'à la fin de l'année 1799, il fut élu membre du tribunat. Le devoir qu'il avait à remplir en cette qualité était de résister aux entreprises d'un ambitieux qui venait de s'emparer à main armée d'une magistrature suprême, et qui aspirait à concentrer en lui seul tous les droits et tous les pouvoirs. On voyait trop que ce parvenu n'aurait assez ni de probité, ni de lumières, pour mettre de lui-même un terme à ses usurpations au dedans, ni à ses conquêtes au dehors; et, qu'abandonné à son audace aveugle, il allait courir de succès en succès à sa perte, et compromettre, avec sa propre fortune, des intérêts bien plus chers, la liberté publique, l'indépendance, et, s'il se pouvait, l'honneur même de la nation française. Il s'agissait de le contenir au moins dans les limites légales de l'autorité, déjà beaucoup trop étendue, dont il venait de s'investir. Ginguené s'est montré fidèle à cette obligation sacrée: son caractère, ses opinions, ses habitudes morales l'entraînèrent et le fixèrent dans les rangs périlleux de l'opposition. Inaccessible aux séductions et supérieur aux menaces, il ne laissa aucun espoir d'obtenir de lui de lâches complaisances. S'il avait pu être tenté d'en avoir, il en eût été assez détourné par l'ignominie des faveurs même qui les devaient récompenser. On s'abuserait néanmoins si l'on supposait que ses efforts et ceux de ses collègues tendissent alors à renverser un gouvernement qu'ils s'étaient engagés à maintenir. C'est une idée qui ne vient pas aux hommes qui ont une conscience: leur respect pour les devoirs qu'ils ont consenti à s'imposer est la plus sûre des fidélités. Les circonstances déplacent les intérêts et les vains hommages; la loyauté seule enchaîne. Le but auquel aspirait Ginguené en 1800, 1801 et 1802, au sein du tribunat, était de conserver ce qui subsistait encore de lois, d'ordre et de liberté en France. Voilà ce qu'il voulait inflexiblement, ce qu'il réclamait en toute occasion, avec une énergie que l'on trouva importune. Son discours contre l'établissement des tribunaux spéciaux, c'est-à-dire inconstitutionnels et tyranniques, excita l'une des plus violentes colères de cette époque, et provoqua, au lieu de réponse, une invective grossière qui, dans le Journal de Paris, fut attribuée au héros accoutumé à vaincre toutes les résistances et toutes les libertés. Peu de mois après on commença l'épuration du tribunat, et Ginguené fut compris parmi les vingt premiers éliminés. Le héros daigna garder contre lui des ressentimens qui depuis s'amortirent tant soit peu, et ne s'éteignirent jamais. Ginguené, dans les quatorze années suivantes de sa vie, n'est plus rentré dans la carrière politique; mais il s'est élevé à des rangs de plus en plus honorables dans la république des lettres.
Il commença, dans l'hiver de 1802 à 1803, au sein de l'Athénée de Paris, un cours de littérature italienne, qu'il reprit en 1805 et 1806, et qui attira toujours une grande affluence d'auditeurs. Beaucoup de littérateurs éclairés le suivaient assidûment, et y trouvaient, au milieu des plus agréables détails, cette exactitude sévère qui caractérise la véritable instruction, et dont les exemples avaient été jusqu'alors fort rares dans les chaires de littérature. Quelques-unes de ces leçons, celles qui se retrouvent dans une partie du premier volume de l'Histoire littéraire d'Italie, avaient été prononcées à l'Athénée, lorsqu'en 1803 un arrêté des consuls abrogea la loi qui avait organisé l'Institut, abolit la classe des sciences morales et politiques, et rétablit l'Académie française et l'Académie des inscriptions, sous les noms de classe de la langue et de la littérature française, et de classe d'histoire et de littérature ancienne. Peu de mois auparavant une commission avait été formée au sein de l'ancien Institut, pour rédiger un dictionnaire de la langue française; mais on feignit de trouver étrange que cette commission, dont Ginguené était membre, n'eût point achevé ce travail en une demi-année. On se plaignait sérieusement de cette lenteur, surtout dans le Journal de Paris, et on la présentait comme la plus décisive raison de ressusciter une académie française, qui serait bien plus diligente, et qui en effet n'a cessé, depuis 1803 jusqu'à ce jour, de préparer une édition nouvelle de ce dictionnaire. Lorsqu'on publia en 1803 la première liste de la classe de littérature française, plusieurs personnes croyaient y rencontrer le nom de Ginguené, se figurant qu'il y était assez appelé par le genre de ses talens, de ses études et de ses ouvrages; mais les rédacteurs de ces listes en avaient jugé autrement. On pourrait observer que parmi les membres de l'Institut, qui alors réglaient ainsi les rangs de leurs confrères, figuraient quelques-uns de ceux qui depuis ont été exclus de l'une et de l'autre de ces académies; mais remarquons seulement qu'ils avaient omis le nom de Ginguené même sur le tableau des membres de la classe d'histoire et de littérature ancienne, en sorte qu'il ne se retrouvait nulle part; exclusion qui eût été par trop honorable, puisqu'elle eût été l'unique 6. Ce n'était qu'une inadvertance, malgré le soin extrême qu'on avait apporté à cette classification. Il advint que David Leroi et l'ex-bénédictin Poirier, compris dans ce premier tableau, moururent fort peu de jours après sa publication, et laissèrent deux places vacantes. On remplit l'une par le nom de Ginguené, et M. Joseph Bonaparte fut appelé, par voie d'élection, à la seconde.
Ginguené, dès 1803, lut à la classe de littérature ancienne les premiers chapitres de son histoire littéraire d'Italie; il voulait profiter des lumières de ses collègues, surtout en ce qui concernait la littérature arabe dans le quatrième de ces chapitres; et il eût continué ces lectures, s'il n'eût craint de s'engager peut-être en d'inutiles controverses: plus tard, il a lu à cette compagnie savante les articles relatifs à Machiavel et à l'Alamanni, insérés depuis dans les tomes VIII et IX de son ouvrage. La classe de littérature ancienne avait aussi entendu la lecture de sa traduction en vers du poëme de Catulle sur les noces de Thétis et de Pélée, ainsi que la préface qui contient l'histoire critique de ce poëme. Tout ce travail a été publié en 1812 avec des corrections, des additions, des notes et le texte latin 7.
La Décade, continuée depuis 1805, sous le titre de Revue, fut supprimée en 1807, au grand regret de tous les amis des lettres et de la saine critique. Ginguené a coopéré depuis à quelques autres journaux littéraires; mais la classe de littérature ancienne le chargea, en cette même année 1807, de travaux plus importans. L'un consistait à rédiger chaque année l'analyse de tous les mémoires lus dans son sein; il a pendant sept ans rempli cette tâche. Il lisait ces exposés aux séances publiques annuelles, et leur donnait un peu plus d'étendue en les livrant à l'impression Réunis, ils offrent un précis historique des travaux de cette compagnie depuis 1807 jusqu'en 1813 8, et il serait superflu d'ajouter que la clarté de la diction et l'élégance des formes y conservent partout aux matières ce qu'elles ont d'importance et d'intérêt. En même temps, Ginguené avait été nommé membre de la commission établie pour continuer l'histoire littéraire de la France, dont il existait douze tomes in-4°., publiés par les Bénédictins. Les quatre derniers ne correspondaient encore qu'à la première moitié du douzième siècle; et pour atteindre l'année 1200, sans changer de méthode, il a fallu composer trois autres volumes qui ont paru en 1814, 1817 et 1820. Tous trois contiennent plusieurs morceaux de Ginguené; morceaux qui par la nature même de leurs sujets, tiennent de plus près que beaucoup d'autres aux annales de la littérature française proprement dite; car ils concernent les trouvères et les troubadours. Ginguené avait déjà rattaché l'histoire des poëtes provençaux à celle des poëtes italiens, dans le troisième chapitre de son grand ouvrage: il fait ici plus particulièrement connaître la vie et les productions d'environ quarante troubadours du douzième siècle, tels que Guillaume IX, comte de Poitou, Arnauld Daniel, Pierre Vidal, etc. Il a consacré dans ce même recueil de pareils articles aux trouvères, c'est-à-dire aux poëtes français ou anglo-normands de cette même époque, par exemple à Benoît de Sainte-Maure, Chrétien de Troyes, Lambert Li-Cors, Alexandre de Paris. Ajoutons que presque toutes les notices relatives à des poëtes latins dans ces trois volumes sont aussi de Ginguené; on y peut distinguer celles qui concernent Léonius, Pierre le Peintre, et Gautier, l'auteur de l'Alexandréide.
Pour se délasser d'études si sérieuses, Ginguené composait des fables qu'il a publiées au nombre de cinquante en 1810 9. Les sujets, presque tous empruntés d'auteurs italiens, Capaccio, Pignotti, Bertola, Casti, Gherardo de' Rossi, Giambattista Roberti, se sont revêtus, en passant dans notre langue, de formes aimables et piquantes. En ce genre difficile, la plus grande témérité est d'imiter Lafontaine; il est moins périlleux et plus modeste d'essayer de faire autrement que lui, et c'est ce qu'a tenté Ginguené, avec un succès peu éclatant, mais réel et supérieur peut-être à celui qu'il s'était promis; car il n'avait cherché que son propre amusement dans ces compositions ingénieuses. On s'aperçut du caractère épigrammatique de ces apologues; le journal de Paris en dénonça cinq ou six et accusa l'auteur d'avoir de l'humeur contre quelqu'un. Ginguené avait pourtant soumis son recueil de fables à la censure qui en avait supprimé six, et mutilé deux ou trois autres; il a depuis, en 1814, réparé ces altérations et ces omissions en publiant dix fables nouvelles 10 avec les poésies diverses ci-dessus indiquées.
Une édition des poëmes d'Ossian, traduits par Letourneur, parut en 1810, ayant pour préliminaire un mémoire de Ginguené sur l'état de la question relative à l'authenticité de ces productions; c'est un excellent morceau d'histoire littéraire 11 où tous les faits sont impartialement exposés, et dont la conclusion est que probablement ces poésies ont été composées en effet par un ancien barde. En 1811, il prit soin de l'édition des Œuvres du poëte Lebrun, et y attacha une notice historique, où se reconnaît le langage de la vérité et de la justice autant que celui de l'amitié. Les quatre premiers volumes de la Biographie universelle, publiés aussi en 1811, contenaient plusieurs articles de Ginguené, qui n'a pas cessé depuis de coopérer à ce recueil, le plus vaste, le plus riche, et le plus varié qui existe en ce genre. Les morceaux qu'il y a fournis se prolongent jusqu'au trente-quatrième volume, imprimé en 1823. Il est vrai que les sujets sont quelquefois les mêmes qu'en certaines parties de son histoire littéraire d'Italie; mais cette histoire finit avec le seizième siècle, et c'est fort souvent à des littérateurs italiens des trois siècles suivans que se rapportent les articles qu'il a insérés dans la Biographie 12. Réunis et disposés dans l'ordre chronologique, ils offriraient une esquisse des annales de la littérature italienne depuis l'an 1600 jusqu'à nos jours et formeraient une sorte de supplément au principal ouvrage de Ginguené.
Les trois premiers volumes de cet ouvrage ont paru en 1811; les deux suivans, en 1812; le sixième, en 1813 13; et les trois derniers, en 1819, après la mort de l'auteur. Le septième est tout entier de lui, à l'exception de quelques pages. Mais il n'y a guère qu'une moitié, tant du huitième que du neuvième, qui lui appartienne. L'autre moitié est de M. Salfi, qui, par ces supplémens, et par un tome dixième de sa composition, imprimé en 1823, a complété les annales littéraires de l'Italie jusqu'à la fin du seizième siècle. L'accueil honorable que l'ouvrage de Ginguené a reçu en France, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, les traductions qui en ont été faites, et la seconde édition qu'on en donne aujourd'hui, quatre ans après la publication des derniers tomes de la première, ne nous laissent rien à dire ici sur le mérite de ces neuf volumes. Il paraît que le public leur assigne un rang fort élevé parmi les livres composés en prose française au dix-neuvième siècle; qu'il y trouve un heureux choix de détails et de résultats, de faits historiques et d'observations littéraires. Tiraboschi, dans une bien plus volumineuse histoire, n'avait guère recueilli que des faits; Ginguené y a su joindre, en un bien moindre espace, des considérations neuves et des analyses profondes. Il s'était donné une très-riche matière: il l'a disposée avec méthode, et sans chercher à la parer, il s'est appliqué et il a réussi à lui conserver toute sa beauté naturelle.
Cependant lorsqu'après la publication et le succès des six premiers volumes, quelques-uns de ses amis, membres de l'Académie française, s'avisèrent de le porter à une place vacante dans cette compagnie, et lorsque, l'ayant fait consentir à cette candidature, ils croyaient avoir vaincu le plus grand obstacle, on ne le jugea pas digne encore d'un si grand honneur; et puisqu'il le faut avouer, il fut si peu sensible à ce déplaisir, que personne en vérité n'eut à regretter ni à se réjouir de le lui avoir donné: on l'avait, de tout temps, fort accoutumé à ces mésaventures. Présenté une fois par l'Institut, une autre fois par le Collége royal de France, pour remplir des chaires vacantes dans ce dernier établissement, il n'obtint ni l'une ni l'autre, quoiqu'il eût déjà montré à l'Athénée de Paris comment il savait remplir ce genre de fonctions. Quant aux pures faveurs, grandes ou petites, hautes ou vulgaires, il ne songeait point à les demander, et l'on s'abstenait de les lui offrir. Il n'était pas membre de la Légion-d'Honneur; mais enfin pourtant on l'inscrivit dans l'ordre demi-étranger de la Réunion; et cette distinction pouvait le flatter, comme moins prodiguée alors en France, et comme ayant quelque analogie avec ses ouvrages. On permit d'ailleurs aux académies de Turin et de la Crusca à Florence de le placer au nombre de leurs associés. En ses qualités de Breton, et de littérateur fort instruit, il était membre de l'académie celtique de Paris et de plusieurs autres.
Au milieu des bouleversemens politiques et des intrigues littéraires, il a joui d'un bonheur inaltérable qu'il trouvait dans ses travaux, dans ses livres, au sein de sa famille et dans la société de ses amis. Il s'était composé une très-bonne plutôt qu'une très-belle bibliothèque, qui embrassait tous les genres de ses études, et dont un tiers à peu près consistait en livres italiens, au nombre d'environ 1,700 articles ou 3,000 volumes. Floncel et d'autres particuliers avaient possédé des collections plus amples, beaucoup plus riches et réellement bien moins complètes. La bibliothèque entière de Ginguené a été vendue à un seul acquéreur, qui l'a transportée en Angleterre. Elle était, avec sa modeste habitation de Saint-Prix, à peu près toute sa fortune, acquise par quarante-quatre années de travaux assidus, et par une conduite constamment honorable. La liste des amis d'un homme tel que lui n'est jamais bien longue; mais il eut le droit et le bonheur d'y compter Chamfort, Piccini, Cabanis, Parny, Lebrun, Chénier, Ducis, Alphonse Leroi, Volney, pour ne parler que de ceux qui ne sont plus et qui ont laissé comme lui d'immortels souvenirs. Tous leurs succès étaient pour lui, plus que les siens propres, de vives jouissances: mais il survivait à la plupart d'entre eux, et ne s'en consolait que par les hommages qu'obtenait leur mémoire, et qu'en voyant renaître dans les générations nouvelles, des talens dignes de remplacer les leurs. Entre les littérateurs jeunes encore, lorsqu'il achevait sa carrière, et dont les essais lui inspiraient de hautes espérances, on ne se permettra de nommer ici que M. Victorin Fabre, qu'il voyait avancer d'un pas rapide et sûr dans la route des lumières, du vrai talent et de l'honneur.
Ginguené n'avait point d'enfans; mais depuis 1805, il était devenu le tuteur, le père d'un orphelin anglais. Ces soins, cette tendresse, et les progrès de l'élève qui s'en montrait digne, ont jeté de nouveaux charmes sur les onze dernières années de Ginguené. Le sort, qui l'avait trop souvent maltraité, lui devait cette indemnité, dit-il lui-même, dans l'une des trois épîtres en vers adressées par lui à James Parry: c'est le nom de cet excellent pupille, dont les vertus aujourd'hui viriles honorent et reproduisent celles de son bienfaiteur. Il lui disait encore dans cette épître:
Tu vis ton ami, sans faiblesse,
Subir un sort peu mérité,
Mais tu ne vis point sa fierté
Se soumettre à la vanité
Du pouvoir ou de la richesse;
Ni celle de qui la bonté,
L'esprit et l'amabilité
Sur mes jours répandent sans cesse
Une douce sérénité,
Flétrir, même par sa tristesse,
Notre honorable adversité.
Ginguené avait choisi, dans sa propre famille, l'épouse que ces derniers vers désignent, et à laquelle il n'a jamais cessé de rendre grâces de tout ce qu'il avait retrouvé de paix, de bonheur même, au sein des disgrâces et des infortunes.
On s'est borné, dans cette notice, à recueillir les faits dont on avait une connaissance immédiate, et surtout ceux que Ginguené atteste dans ses propres écrits. Trois de ses amis, MM. Garat, Amaury Duval et Salfi, ont déjà rendu de plus dignes hommages à sa mémoire: M. Garat, dans un morceau imprimé à la tête du catalogue de la bibliothèque de Ginguené 14; M. Amaury Duval, dans les préliminaires du tome XIV de l'Histoire littéraire de la France 15; M. Salfi, à la fin du tome X de l'Histoire littéraire d'Italie 16. On doit infiniment plus de confiance à ces trois notices qu'aux articles qui concernent Ginguené, soit dans les recueils biographiques, soit aussi dans certains mémoires particuliers; par exemple, dans les relations que lady Morgan a intitulées la France. Cette dame, en 1816, a visité Ginguené dans son village de Saint-Prix, qu'elle appelle Eaubonne. Elle rapporte que, pressé de composer des vers contre Bonaparte déchu, il répondit qu'il laissait ce soin à ceux qui l'avaient loué tout puissant; et il paraît certain qu'il fit en effet cette réponse: elle convenait à son esprit et à son caractère. Mais lady Morgan ajoute que dans les cercles de gens éclairés, on ne prononçait jamais son nom qu'en y ajoutant une épithète charmante, qu'on ne l'appelait que le bon Ginguené. Il était sans doute du nombre des meilleurs hommes, mais non pas tout-à-fait de ceux auxquels on attribue tant de bonhomie. Exempt de méchanceté, il ne manquait ni de fierté ni de malice, et ne tolérait jamais dans ses égaux, jamais surtout dans ceux qui se croyaient ses supérieurs, aucun oubli des égards qui lui étaient dus, et que de son côté il avait constamment pour eux; car personne ne portait plus loin cette politesse exquise et véritablement française, qui n'est au fond que la plus noble et la plus élégante expression de la bienveillance. On le disait fort susceptible, à prendre ce mot dans une acception devenue, on ne sait trop pourquoi, assez commune, et dans laquelle il l'a employé lui-même en parlant de Jean-Jacques Rousseau. Mais quoiqu'il ait excusé les soupçons et presque les visions de cet illustre infortuné, il n'avait assurément pas les mêmes travers, et ne s'offensait que des torts réels. Il ne souffrait aucun procédé équivoque, et voulait qu'on eût avec lui autant de loyauté, autant de franchise, qu'il en portait lui-même dans toutes les relations sociales. Il n'y avait là que de l'équité; mais c'était, il faut en convenir, se montrer fort exigeant, ou fort en arrière des progrès que la civitisation venait de faire, de 1800 à 1814.
Sa constitution physique, quoique très-saine, n'était peut-être point assez forte pour supporter sans relâche les travaux auxquels l'enchaînaient ses goûts et ses besoins. Sa santé avait paru s'altérer, peu après son retour de Turin. Un mal d'yeux en 1801 l'avait forcé d'interrompre ses études chéries; l'affaiblissement d'un organe dont il faisait un si grand usage, eût été pour lui un accablant revers: il dut à son ami Alphonse Leroi une guérison prompte et complète; mais il essuya en 1804 une maladie plus grave, et ne se rétablit qu'à Laon où il passa un mois chez l'un de ses frères. Il retomba neuf ans plus tard dans un état de dépérissement et de langueur dont il ne s'est point relevé, et qui laissait néanmoins à ses facultés intellectuelles et morales toute leur énergie et toute leur activité. Les événemens de 1814 le délivrèrent de son plus mortel chagrin, et le ranimèrent en lui inspirant de l'espoir. En 1815, il fit un voyage en Suisse, où il eût retrouvé la santé, si le mouvement, les distractions et les soins de l'amitié avaient pu la lui rendre. Il revint languissant, traversa pourtant encore un hiver, durant lequel il composa quelques-uns des derniers chapitres de son ouvrage. Au printemps de 1816, il revit sa délicieuse campagne, qui n'avait rien de romantique, quoi qu'en dise lady Morgan, mais dont l'heureuse position était, disait il, toujours nouvelle pour lui. Selon sa coutume, il y prolongea son séjour jusqu'au milieu de l'automne, et mourut à Paris, le 16 novembre 1816. Ses funérailles ont été célébrées le 18, et l'un de ses confrères a prononcé sur sa tombe le discours suivant:
«Messieurs, l'un des services que M. Ginguené a rendu aux lettres a été d'honorer la mémoire de plusieurs écrivains qui lui ressemblaient par l'étendue des lumières et par les grâces de l'esprit, et qui avaient, comme lui, consacré de longs travaux et de rares talens au maintien du bon goût et aux progrès des connaissances utiles. Je laisse à ses pareils le soin et l'honneur de le louer dignement; je voudrais seulement exprimer les regrets profonds qui amènent ici ses amis et ses confrères, et que vont partager en France, en Italie, tous les hommes de bien qui cultivent et chérissent les lettres. Le monument qu'il a élevé à la gloire de la littérature italienne enorgueillira aussi la nôtre, alors même qu'il n'aurait pas eu le temps d'en achever les dernières parties. Mais, quoique ce grand et bel ouvrage surpasse toutes ses autres productions, il ne les effacera point; elles auraient suffi pour assurer au nom de M. Ginguené un rang distingué parmi les noms des critiques judicieux, des poëtes aimables et des écrivains habiles. L'Académie dont il était membre sait quel intérêt il prenait aux recherches savantes dont elle s'occupe. Il en a, durant sept années, recueilli, rapproché, exposé les résultats. Ceux de ses confrères qui travaillaient avec lui à l'histoire littéraire de la France, n'oublieront jamais ce qu'il apportait dans leurs conférences, de lumières et d'aménité, de sagesse et de modestie. Un esprit délicat, une âme sensible, des affections douces tempéraient et n'altéraient point la franchise de son caractère. Des fonctions publiques remplies avec une probité sévère, des infortunes supportées sans faiblesse et sans ostentation, des amitiés persévérantes à travers tant de vicissitudes, toutes les épreuves et toutes les habitudes qui peuvent honorer la vie d'un homme de lettres, ont rempli la sienne; et la veille du jour qui l'a terminée, ses traits décolorés restaient empreints de la sérénité d'une conscience pure. Les restes de sa gaîté douce et ingénieuse animaient encore ses regards et ses discours. Mais on l'entendait surtout rendre grâces à sa respectable épouse de tout le bonheur qu'elle n'avait cessé de répandre sur sa vie, et qu'elle étendait sur ses derniers momens. Je dis le bonheur, car je pense, à l'honneur des lettres, de la probité, de l'amitié et des affections domestiques, que M. Ginguené a été heureux, quoique les occasions de ne pas l'être ne lui aient jamais manqué. Messieurs, nous déposons ici les restes de l'un des meilleurs hommes que la nature et l'étude aient formés pour la gloire de notre âge et pour l'instruction des âges futurs.»
Le tombeau de Ginguené, au jardin du père La Chaise, est placé près de ceux de Delille et de Parny; l'inscription qu'on y lit est celle qu'il avait composée lui-même et qui termine l'une de ses pièces de vers:
Celui dont la cendre est ici,
Ne sut, dans le cours de sa vie,
Qu'aimer ses amis, sa patrie,
Les arts, l'étude et sa Nancy 17.
1
V. son Épître à Parny.
Ton amitié m'est chère....
De ce doux sentiment, le germe précieux
Dès long-temps dans nos cœurs naquit sous d'autres cieux.
Ton enfance enlevée à ton île africaine
Vint aborder gaîment la rive armoricaine:
Tu parus au lycée, où, docile écolier,
J'avais vu sans regret le bon Duchatelier
Aux enfans de Jésus enlever la férule.
(Duchatelier avait été le premier principal du collège de Rennes après l'expulsion des jésuites.)
2
L'un des plus piquans est intitulé: Lettre de Mélophile. Naples (Paris, chez Valleyre), 1783, 26 pages in-8°. Ginguené a inséré plusieurs articles sur le même sujet dans le Mercure de France.
3
Paris, chez la veuve Panckoucke, an IX, in-8°., 146 pages, y compris les notes.
4
A Paris, chez Debray, 86 pages in-8°. – Dans la Biographie universelle (art. Louis XII), il est dit que «parmi les ouvrages envoyés au concours, on a imprimé ceux de MM. Noël, Barrère, Florian et Langloys». Il était décidé que celui de Ginguené n'obtiendrait de mention nulle part.
5
De M. Necker et de son livre, intitulé: De la Révolution française, par P.L. Ginguené, de l'Institut national de France. Paris, an V, in-8°., 94 pages extraites en grande partie de la Décade. Il y a dans cet écrit quelques idées qui se ressentent un peu trop de l'époque où il a été composé; mais la note au bas des pages 77 et 78 offre un exposé sincère de la conduite et des opinions politiques de Ginguené; et les pages suivantes contiennent une excellente critique littéraire du style, souvent fort étrange, de M. Necker.
6
On dit qu'un homme de cour alors puissant, était allé visiter dans les bureaux de l'intérieur la liste du nouvel institut, et en avait effacé le nom de Ginguené pour y mettre le sien propre.
7
A Paris, chez MM. Michaud, in-18, 252 pages.
8
Ces exposés analytiques ont été continués en 1814 et 1815 par le rédacteur de cette notice.
9
A Paris, chez MM. Michaud frères, in-18, 247 pages.
10
Ibid. in-18, 306 pages.
11
Il en a été tiré des exemplaires particuliers en 36 pages in-8°.
12
Tels sont les articles: L. Adimari, Alfieri, Algarotti… Bandini, Bianchini… Calogera, Casti, Chiari… Fabroni, Facciolato, Filangieri, Filicaia, Fontanini, Forcellini… Galiani, Goldoni… et un très-grand nombre d'autres. Ginguené a d'ailleurs fourni à ce recueil des articles étrangers à la littérature italienne, par exemple ceux de Chamfort et de Cabanis.
13
A cette époque, le vice roi d'Italie fit remettre à Ginguené une médaille d'or où sont gravés ces mots: Al Cavaliere P.L. Ginguené, dell' Istituto di Francia, ben merito dell' Italiana letteratura. Decretuta dal vice-ré d'Italia, il di 28 maggio 1813.
14
A Paris, chez Merlin, 1817, in-8°. Pages xxiv et 352.
15
A Paris, chez Firmin Didot, 1817, in-4°. Tous les exemplaires de ce volume ne contiennent pas la notice de M. Amaury Duval sur Ginguené.
16
P. 467-519.
17
Prénom de madame Ginguené.