Читать книгу Les mystifications de Caillot-Duval - Pierre Marie Louis de Boisgelin de Kerdu - Страница 4

AVANT-PROPOS

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Table des matières

Système de mystifications organisé par Fortia de Piles et de Boisgelin sous le pseudonyme Caillot-Duval.—Défilé comique de leurs victimes.—Dissimulations de l'édition originale.—Pourquoi il n'est donné ici qu'un choix des lettres.—Comment je fus à mon tour dupe d'une mystification de Paul Lacroix.—Anecdote curieuse montrant que l'invention était à ses yeux un mérite.

Les raffinés en bibliographie connaissent seuls Caillot-Duval, car sa Correspondance philosophique [1] est une rareté. Un autre titre la recommande à l'intérêt;—elle est vraiment comique.

Le nom de Caillot-Duval est un pseudonyme inventé par deux lieutenants de qualité, MM. Fortia de Piles et de Boisgelin, qui adoraient la mystification, passe-temps fort goûté en 1784, à Nancy, où ils tenaient garnison. Dans un journal de cette ville, ils avaient remarqué certaines pièces dues aux loisirs d'un procureur picard, et les lisaient avec l'âpre jouissance qui fait souvent dévorer d'un bout à l'autre les productions les plus nulles. Ce procureur, nommé Le Cat, était attaché au présidial d'Abbeville; ils envoyèrent à son adresse une lettre de félicitations ridicules.

Le Cat y fut pris. Sa joie de trouver des admirateurs à cent cinquante lieues l'empêche de voir ce qu'a de suspect le désir d'entrer en relations. Il s'abandonne aux délices d'un commerce aussi nouveau.

Les mystificateurs eux-mêmes en sont étonnés. Ce premier succès les enhardit; ils étendent leur cercle d'opérations, et ils s'attaquent à une fille d'Opéra.

Pareil gibier a le nez plus fin.—Le faux Caillot-Duval ne l'ignore pas; il change de tactique; il ne parle plus que d'argent.

Chambellan-factotum d'un prince russe prêt à visiter Paris et trop bien élevé pour s'y passer de maîtresse, il veut ménager cette bonne fortune à Mlle Saulnier, jeune rat de seize ans chaperonné par sa sœur qui évite de la compromettre en supportant le plus grand poids de la négociation. Caillot-Duval ne lui paraît pas trop digne de confiance, et cependant on ne sait jamais..... La Russie est si loin.... Elle tourne donc la chose en plaisanterie, tout en traitant sérieusement la question d'intérêt. Sans mordre à l'hameçon, elle reste à portée, et ne s'éloigne qu'au moment où la ruse devient par trop grossière.

Les autres correspondances sont plus brèves, mais non moins récréatives. C'est un tournoi de personnalités grotesques. Voici Soudé, le bottier de la rue Dauphine, qui n'ose s'avouer incapable de faire une paire de bottes sans couture. Il préfère, le vaniteux, alléguer que la clientèle de la maison du Roi absorbe tout son temps.—Voici respectable et discrète personne dame de Launay, entremetteuse de son métier, en la rue Croix-des-Petits-Champs. Avec les précautions requises par son genre de commerce, elle accepte l'offre de lancer deux nièces charmantes de Caillot, et comme celui-ci, indigné de voir qu'elle ne signe pas, l'invite à prendre un nom en l'air [2], comme celui de Copernic, elle signe majestueusement de Copernic, pour ne pas déroger!—Ce trait vaut un volume sur le délire particulaire qui n'a point cessé, hélas! de posséder les humains.

Et M. de la Roche, gouverneur de la ménagerie de Versailles, qui croit railler son railleur en lui confiant qu'en fait de génération, il se préoccupe peu de l'artificiel!—Et le perruquier Chaumont qui reçoit pour bonne la commande de six toupets destinés à protéger un crâne dénudé par les passions!—Et l'ornithologue Lheureux de Chanteloup qui accueille sans rire la nouvelle de l'accouplement d'une chouette et d'un loriot!—Et l'organiste Aubert qui se croit obligé de certifier la vertu de son épouse!—Et le confiseur Berthellemot qui défend l'innocuité de ses bonbons d'amour soupçonnés aphrodisiaques!—Et le lieutenant de police Urlon qui daigne faire rechercher une jeune fille dont le consciencieux Caillot envoie un signalement si complet que le genou n'est pas omis!—Et l'illuminé Lefort qui semble avoir perdu la tête à force d'enseigner hautbois, basson et flûte, et qui se déclare prêt à donner leçon, de par la permission divine!

On ne retrouvera pas ici toutes les lettres conservées par la Correspondance philosophique. Caillot-Duval n'abuse pas tout le monde; il voit quelques épîtres demeurer sans réponse ou lui attirer des répliques fort sèches, l'invitant à ne plus continuer. Si originale que soit sa prose en ces jours de défaite, elle n'est point à reproduire. Où le mystifié n'est pas, le mystificateur doit disparaître.

Nous avons dit qu'il y avait deux personnes en Caillot-Duval.—S'il fallait en croire la majorité des traités bibliographiques, ce pseudonyme cacherait M. Fortia de Piles seul. Nous nous rangeons à l'avis de la Biographie Michaud, qui lui adjoint un collaborateur, le cher de Boisgelin de Kerdu. Tous deux étaient officiers au régiment du Roi; tous deux collaboraient, en cette même année 1785,—date de la plupart des lettres de Caillot-Duval,—à une autre mystification par lettres contre le mesmérisme [3]. Enfin, n'oublions pas qu'un cousin de Fortia de Piles, le savant Mis de Fortia d'Urban, fut collaborateur de la Biographie Michaud; au double titre de parent et de contemporain, il n'eût pas manqué de rectifier toute erreur.

Nous ne ferons pas l'énumération des ouvrages plus sérieux de MM. de Fortia et de Boisgelin; elle est longue et facile à trouver. On peut seulement faire observer qu'elle montre l'étendue de leur savoir et de leur esprit d'observation.

Si on excepte quelques pièces données au théâtre de Nancy, par M. de Fortia, la Correspondance de Caillot-Duval fut le premier ouvrage de nos deux amis. Promu capitaine au 105e régiment le 1er avril 1791, Boisgelin émigra pour ne rentrer qu'en 1816, retraité comme lieutenant-colonel. Fortia ne paraît point avoir servi à l'Etranger; déjà, en 1788, un Etat particulier du régiment ne porte plus son nom. Rentré à Paris le premier, il réunit les textes de leur immense mystification en un volume dont le titre exact est au bas de cette page [4].

La préface des éditeurs de l'édition originale est une mystification de plus; elle annonce la mort de Caillot-Duval confiant, à son heure dernière, le soin d'éditer la fameuse correspondance au citoyen Michel, bien connu dans la république des lettres, demeurant à Nancy, rue Saint-Dizier, qui reste le dépositaire des originaux.

L'annonce du dépôt vaut celle de la mort. Le seul Michel qui se soit fait connaître n'habita jamais la rue Saint-Dizier. Le fait nous a été garanti en 1864, par une lettre de son fils, notaire à Nancy.

Le livre ne paraît pas non plus avoir été imprimé en cette ville. Le filigrane de son papier n'a jamais été vu par M. L. Wiener, qui les connaît tous, et M. Jules Favier, bibliothécaire de Nancy, ne voit pas le livre mentionné dans les publications locales du temps. En revanche, il a retrouvé dans le Moniteur du 22 prairial an 8, la curieuse lettre qu'on va lire; elle achève de montrer que le livre s'est fait à Paris:

Au Rédacteur,

J'ai toujours regardé, citoyens, le rire, non seulement comme un des premiers besoins de l'âme, mais encore comme le garant le plus certain de la santé du corps. Il entretient cet équilibre entre les facultés morales et physiques, sans lequel l'homme ne saurait être dans un juste aplomb, il est une des premières causes de cette sérénité dont la présence est indispensable au bonheur, et sans laquelle nous ne connaissons ni le véritable contentement, ni le bon appétit, ces deux antidotes de tous les malheurs de ce bas monde.

D'après ces principes, dont un peu de réflexion achèvera de vous démontrer l'évidence et la solidité, il est clair que tout ouvrage qui inspire cette joie franche et naturelle, première source et le plus sûr aliment du rire, mérite non seulement notre reconnaissance, mais doit être indiqué aux esprits mélancoliques comme d'habiles médecins, et aux autres comme de précieux conservateurs.

Je crois donc rendre un véritable service à vos nombreux lecteurs, en vous entretenant aujourd'hui d'une brochure qui vient de me tomber dans la main, et qui me paraît très éminemment mériter d'être rangée dans cette classe.

Elle est intitulée: Correspondance philosophique de Caillot-Duval et imprimée en 1795. Je m'étonnerais beaucoup qu'elle ne soit pas plus connue, si je ne savais que c'est un système depuis longtemps adopté par les libraires d'étouffer de tout leur pouvoir les ouvrages imprimés au compte des auteurs.

Celui-ci est un recueil de 120 lettres écrites sous le nom imaginaire de Caillot-Duval, par deux hommes de beaucoup d'esprit, à beaucoup de gens très connus à Paris, qui tous ont été la dupe de cette mystification, et ont bonnement répondu à cet être idéal.....

Il ne m'appartient point de décider du mérite littéraire de ce petit ouvrage, mais j'ose défier l'homme le plus atrabilaire d'en lire quatre pages de suite sans rire aux éclats, et cette gaîté soutenue sans efforts, sans prétention, sans boufonnerie, enfin sans mauvais goût, dans 232 pages, n'est pas une chose commune ni sans mérite. L'auteur de cette Correspondance a prouvé dans des ouvrages plus importants (entr'autres le Voyage de deux Français au nord de l'Europe) qu'il avait des droits bien acquis à l'estime publique: mais on peut dire qu'il a rendu un véritable service à ses concitoyens, en publiant une brochure extrêmement amusante et dont je ne saurais trop recommander la lecture à ceux qui pensent, ainsi que moi, que trois heures passées dans l'accès de la plus aimable gaîté ne sont pas une chose indifférente au bonheur de la vie.

La Correspondance philosophique de Caillot-Duval se trouve chez Batillot père, libraire, rue du Cimetière-Saint-André-des-Arts, no 15, qui la vend 2 fr., et franc de port, 3 fr.

J'ai l'honneur d'être, etc.

G. D. L. R. [5].

Notre première édition n'avait fait qu'un choix dans la Correspondance de Caillot-Duval; il s'est réduit encore ici de quatre lettres relativement insignifiantes et d'une cinquième où la mystification a été pour moi. Le fait est assez amusant pour être exposé.

Une réponse de l'abbé Aubert, rédacteur des Petites Affiches, à Caillot-Duval, avait été reproduite par moi en citant un feuilleton de Paul Lacroix [6] qui disait l'avoir retrouvée dans le journal de l'abbé. La garantie de son nom m'avait paru suffire.

Il s'est trouvé un chercheur très sérieux, très scrupuleux, qui n'a pas pris comme nous chat en poche, il a voulu être bien sûr que cette réponse de l'abbé était dans les Petites Affiches; il a eu l'incroyable patience de feuilleter le recueil, car la lettre n'était pas datée. Comme il n'a rien trouvé, il en a conclu que c'était une invention et que j'avais eu tort d'avoir confiance en Paul Lacroix. Ses conclusions portent que: «M. Larchey a fait preuve de légèreté là comme dans quelques-uns de ses travaux».

On n'écrase pas un moucheron avec plus d'autorité. Que dirait mon juge s'il lui restait assez de temps et de courage pour examiner à la loupe ce que j'ai noirci de papier depuis cinquante ans! Du premier coup, il m'a reporté aux notes trimestrielles du collège de Metz où, tout enfant, j'étais déjà flétri de la même épithète.

Léger!..... je vois encore le mot en vedette à la colonne des observations particulières. Léger!... je ne comprenais pas trop ce que cela voulait dire, mais l'œil attristé de mon père m'avertissait que la chose était grave, et je me sentais tout chagrin.

Il est temps de reconnaître aussi que la légèreté ne fut pas moins dans mon tempérament que l'amour de la mystification dans celui de Lacroix. Je m'en aperçus trop tard lorsque nous fûmes tous deux voisins de couloir sur les hauteurs de la bibliothèque de l'Arsenal où nous nous plaisions à deviser chaque matin, car il était homme enjoué.

Je le vois encore, griffonnant comme moi, le nez sur les petits carrés de papier qui constituaient sa correspondance. Béret rabattu en guise d'abat-jour, cache-nez à triple tour et remontant comme une haute cravate du Directoire sur un visage plein, coloré, toujours rasé de frais, avec des yeux dissimulés sous une paire de lunettes miroitant entre deux touffes de cheveux blancs comme neige, minutieusement bouclés au petit fer [7]. Tel il m'apparut quelques jours après la publication de mes Cahiers du capitaine Coignet. Dès que j'entrouvris la porte, il raffermit ses lunettes et croisa sur ses genoux les pans de sa robe de chambre, tandis que, perchés derrière lui sur un bâton de cage à perroquet, deux ouistitis, sentant le musc, suivaient ses mouvements et buvaient ses paroles avec l'attention la plus vive:

—Ah! mon cher ami, fit-il. Venez que je vous fasse mon compliment. Les cahiers de votre capitaine m'ont empoigné littéralement... Pardonnez-moi, mais je ne vous croyais pas de cette force... Non, réellement, c'est très fort.

—Fort comme la vérité. Mon introduction vous a montré que je n'y suis pour rien. J'ai fait mon métier de blanchisseur, de metteur en lumière, j'ai supprimé ça et là... mais je n'ai rien ajouté.

Je vis les yeux de Lacroix briller derrière ses lunettes, et il eut un rire silencieux:

—A d'autres! A d'autres!! mon bon ami... Regardez-moi en face!... Vous espérez me faire croire que votre homme a réellement écrit cela.

—Si réellement qu'il l'avait fait imprimer bien avant moi. Je n'ai fait qu'acheter et revoir son manuscrit original. Du reste, je vais immédiatement le placer sous vos yeux.

Je sors et je reviens au bout d'une minute.

—Voilà! Regardez à votre aise! Comparez l'original et l'imprimé... Vous verrez beaucoup de mots en moins. Pas un mot en plus... Vous sentez bien que je ne me serais pas donné le mal d'inventer un original défectueux pour le blanchir.

Pendant ce temps, Lacroix feuilletait à la diable, tapant du bout des doigts sur les feuillets. Puis, il ferma brusquement le manuscrit, et, me regardant nez à nez:

—Quand vous voudrez, dit-il, je connais une copiste qui vous en fera autant...

Jamais, je ne vins à bout de lui faire comprendre que je me mépriserais moi-même, si j'avais inventé.

Au contraire, l'invention était un ragoût nécessaire pour lui comme pour bien d'autres (on en pourrait nommer d'illustres) aux yeux desquels l'historien présentant la vérité toute nue semblait un indigent trop pauvre pour offrir une toilette.

D'excellentes communications m'ont été faites. Leur mérite, leur étendue, pour ne citer que celle de M. le marquis de Boisgelin, dépassaient malheureusement l'exiguité du cadre imposé. Avec une rectification essentielle de M. R. Alexandre, parvenue indirectement, le fraternel concours de MM. L. Blancard, Chapoutot, A. Chuquet, Couet, P. Cottin, J. Favier, Hennet, Monval, E. Mulle, Taphanel, a paré du moins à l'impossibilité d'aller me renseigner sur place. Je ne saurais trop leur témoigner de gratitude.

Menton, 18 avril 1901.

L. L.

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Les mystifications de Caillot-Duval

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