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PROLOGUE PREMIÈRE PARTIE I II III IV V VI VII VIII IX X XI XII XIII XIV XV XVI XVII XVIII XIX XX DEUXIÈME PARTIE UN DRAME AU COUVENT I II III IV V VI VII VIII IX X XI XIII XIV XV PROLOGUE

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Table des matières

Le 25 mars 1851, un charmant aviso gréé en goélette quittait New- York, vers cinq heures de l'après-midi, et, poussé par une brise favorable, prenait la mer, toutes voiles dehors.

C'était l'Atalante, un des plus fins, voiliers de la marine.

La petite goélette faisait partie d'une escadre d'exploration qui, évoluait sur les côtes d'Amérique; elle avait reçu pour mission d'aller prendre à New-York les dépêches de France, et, après avoir mouillé quelques jours en vue du port, elle repartait, alerte et vive, pour rallier l'escadre et lui apporter les correspondances attendues.

Le temps était superbe, l'horizon très pur, quoique la brise fût un peu forte, l'Atalante n'avait pas diminué de toile.

Aussi filait-elle, coquettement inclinée sur tribord, et laissant derrière elle un long sillage d'écume auquel les rayons du soleil couchant imprimaient comme un reflet de pourpre.

Presque tous les matelots étaient montés sur le pont et le commandant lui-même venait de s'accouder aux bastingages pour embrasser d'un dernier regard le vaste panorama de New-York, qui allait tout à l'heure sombrer et disparaître dans les flots d'or de l'horizon.

Cela dura une heure à peu près, au bout de laquelle les premières brumes du soir commencèrent à flotter dans l'air, pendant que la brise se mettait à mollir.

L'Atalante se redressa aussitôt, et ne tarda pas à re-prendre une allure plus calme.

Le jeune lieutenant de vaisseau qui la commandait était un des officiers les plus distingué des ports de Brest et de Toulon. En peu d'années, son intelligence, son courage, son sang-froid avaient appelé sur lui l'attention de ses chefs et les vives sympathies de ses camarades. Il avait vingt-huit ans à peine et s'appelait Gaston de Pradelle: ses traits gardaient la vigoureuse empreinte du hâle de la mer, mais l'expression un peu rude de sa physionomie était tempérée par l'extrême douceur de deux yeux mélancoliques et noirs.

Pour ceux qui ne voyaient que la surface, Gaston de Pradelle était le favori de la fortune! partant, le plus heureux des hommes.

Mais pour les autres, il y avait comme un inconnu chez ce grand jeune homme, souvent taciturne, dont la lèvre s'égayait rarement d'un sourire et qui portait sur son front l'ombre de quelque amer souvenir.

Cependant Gaston de Pradelle était descendu dans sa chambre, et après avoir donné ses dernières instructions à son second, il s'était jeté sur sa couchette et s'était livré au sommeil.

Combien d'heures s'écoulèrent dès lors, jusqu'au moment où il se réveilla? — Il ne chercha même pas à s'en rendre compte.

Tout ce qu'il se rappela plus tard, c'est qu'il fut brusquement arraché au sommeil par un effroyable craquement qui sembla ouvrir la pauvre goélette jusque dans ses oeuvres vives, et qu'une secousse suivit immédiatement, qui coucha l'Atalante sur le flanc, à la faire chavirer.

Que se passait-il?

Jusque-là, il n'avait rien entendu. Comment la tempête avait-elle pu se déchaîner avec tant de violence et en si peu de temps? C'était à n'y rien comprendre.

Il se précipita vers le pont, à tâtons, au risque de se briser le crâne.

Le vent soufflait de l'arrière et la mer, venant de travers, occasionnait un roulis épouvantable; de plus, les lames, embarquant à chaque instant par paquets, avaient fini par éteindre les fanaux.

C'était la nuit sombre, impénétrable, sinistre.

À grand'peine, Gaston de Pradelle atteignit le pont.

— Est-ce vous, commandant? demanda alors une voix qu'il distingua à travers les bruits de la tempête.

C'était celle de son second, un jeune enseigne, Maxime de

Palonier.

— C'est moi, oui, répondit Gaston, qu'y a-t-il?

— Un cyclone — un typhon — quel nom donner à cet ouragan, répondit Maxime; jamais encore je n'ai rien vu de pareil.

— Où sommes-nous?

— Impossible de s'orienter par cette nuit noire, sans feux et sans étoiles.

— Et depuis combien de temps marchons-nous ainsi?

— Depuis une demi-heure au plus.

— C'est vous qui étiez de quart, lorsque la tempête a commencé?

— Oui, commandant, et nous étions alors à trente milles environ sud-sud-ouest de Terre-Neuve.

Ces quelques mots avaient été échangés à voix rapide, à travers le vacarme formidable de tous les éléments courroucés, et Gaston de Pradelle s'était aussitôt dirigé vers l'arrière, où il prit immédiatement possession de son poste.

Mais que pouvait-il en pareille occurrence?… Le mieux était encore de s'en remettre à l'Atalante, et c'est ce qu'il fit, attendant gravement une accalmie.

Du reste, la jolie goélette ne paraissait guère se douter du danger qu'elle courait; au milieu du désordre indescriptible des lames soulevées, fouettées, déchirées par les lanières sifflantes du vent, sans prendre souci de ces mille voix qui hurlaient autour d'elle, s'injuriant dans les ténèbres avec des intonations de catéchisme poissard, elle allait, inconsciente, tantôt s'abandonnant au roulis qui la berçait avec violence, tantôt trempant ses flancs, avides de caresses, dans les baignoires d'écume que le cyclone lui creusait entre deux vagues!

On eût dit qu'à chaque instant l'ouragan redoublait d'intensité et de furie, s'acharnant pour ainsi dire, contre le frêle et gracieux navire qui semblait narguer sa rage impuissante.

Gaston de Pradelle demeurait impassible, mesurant d'un oeil calme l'immensité du danger, donnant, de temps à autre, quelque ordre, en apparence insignifiant, mais qui avait pour effet salutaire de maintenir la communication entre l'équipage et le chef.

Les matelots savaient ainsi que le commandant était là, partageant le péril commun; et ce dernier s'assurait en même temps que ses hommes restaient à ses côtés, intrépides, dévoués, fidèles à l'honneur et au devoir jusqu'à la mort!

Cinq heures se passèrent de la sorte.

Cinq heures! pendant lesquelles le terrible ouragan n'accorda pas une seconde de trêve.

Le vent ne cessa pas de souffler avec la même violence, aucun rayon ne vint éclairer les sombres ténèbres qui enveloppaient l'Atalante comme d'un linceul, et les vagues irritées continuèrent de menacer de leurs étreintes mortelles la délicate ossature de la pauvre petite goélette.

Si cette situation s'était prolongée davantage; c'en était fait d'elle et de son vaillant équipage.

Mais Dieu veillait, et il ne voulut pas que cela fût.

Les marins croient encore à la Providence, et peut-être, en effet, fut-ce elle seule qui les arracha, sains et saufs, du plus épouvantable cyclone qui se soit déchaîné sur l'Océan.

La tempête avait commencé à minuit.

Vers cinq heures, Gaston de Pradelle était toujours debout, tenant lui-même la barre, aveuglé par la rafale, trempé par les paquets de mer, cherchant vainement à pénétrer ce mur de ténèbres qui s'interposait entre lui et l'infini.

Rien, jusque-là, n'avait entamé ni son énergie, ni son courage, son coeur ne battait pas plus vite; aucune pâleur n'était montée à son front.

Mais il est des limites à la force humaine; depuis quelques minutes, il sentait la fatigue envahir ses membres, et redoutait vaguement quelque défaillance. Il se raidissait cependant, bien résolu à mourir entier à son poste; mais déjà une sueur moite mouillait ses tempes; un voile glissait sur ses yeux; à deux ou trois reprises, ses doigts se crispèrent comme affolés sur le métal de la barre…

Il était perdu!

Tout à coup, un cri s'échappa de ses lèvres, un immense soupir de soulagement souleva sa poitrine, et ses regards, subitement illuminés de deux lueurs fulgurantes, s'attachèrent avec une fixité farouche vers un coin du ciel.

Le vacarme ne s'était point tu; pourtant, chose étrange, sur le pont, tout le monde avait entendu ce cri bizarre, et, mû par un même sentiment, chacun s'était tourné vers le commandant.

Sa silhouette vigoureuse se détachait de l'ombre, et on le vit diriger son bras vers l'horizon.

Qu'y avait-il de ce côté?

Un rien… qui était le salut!…

Une ligne, imperceptible encore, rayait le ciel, et mêlait aux dernières ombres de la nuit une teinte rose et claire qui était le signe certain de la fin de l'ouragan.

Du reste, et comme par enchantement, le vent perdit presque aussitôt son âpre violence; la houle sembla se calmer presque instantanément, et, au bout d'une demi-heure, quand le jour vint, il ne restait plus autour de l'Atalante que ces brumes légères du matin, qu'un rayon de soleil suffît à dissiper.

Gaston de Pradelle avait fait distribuer un quart de vin à ses matelots, pour les réconforter après le rude assaut qu'ils venaient d'essuyer, et au lieu de descendre pour se reposer lui- même dans sa chambre, il était demeuré sur le pont avec Maxime de Palonier.

Une dernière inquiétude lui restait: après la nuit qu'il venait de passer, il se demandait avec appréhension dans quels parages le cyclone pouvait bien les avoir poussés…

Et, armé de sa longue-vue, il interrogeait l'horizon, cherchant un point de repère qui pût le fixer.

— Tu ne vois rien? dit Maxime de Palonier, qui l'observait avec intérêt.

— Non, rien encore, répondit Gaston.

Il faisait maintenant grand jour… les nuages fuyaient au loin, chassés par les derniers efforts de la rafale; le regard embrassait sans obstacle toute l'immensité.

— Comment marchons-nous? dit alors le commandant.

— Nous filons six noeuds à l'heure, lui répondit Maxime.

— Et nous étions, vers minuit, à trente milles sud-sud-ouest de

Terre-Neuve?

— Précisément.

— C'est bizarre.

Il allait suspendre ses observations, quand, brusquement, il s'arrêta et se reprit à regarder avec une nouvelle attention.

— Ah! ah! fit Maxime… cette fois, il y a quelque chose.

— Je le crois.

— Qu'y a-t-il?

— Si je ne me trompe, sur la ligne extrême, vers l'ouest, je viens d'apercevoir…

— Quoi donc?

— Un phare!…

Maxime eut un geste enjoué:

— Ça, c'est ma partie! dit-il sur un ton qui rappelait de loin les intonations des boulevards parisiens. Tu sais que j'ai fait une étude spéciale des phares. Je crois connaître tous ceux qui existent, et j'aurai bien peu de chance si je ne mets pas du premier coup un nom sur celui qui s'offre à nos yeux.

En parlant de la sorte, le jeune enseigne prit la longue-vue des mains du commandant, et se mit à regarder à son tour dans la direction qu'il lui indiqua.

Quelques secondes se passèrent… puis une exclamation s'échappa des lèvres de Maxime.

— C'est bien un phare, n'est-ce pas? insista Gaston, de Pradelle.

— Le phare Saint-Laurent, répondit le jeune enseigne, sans cesser de tenir sa longue-vue braquée; un des plus remarquables qui aient été construits: 47 mètres 40 de hauteur, avec 13 mètres 70 de diamètre à sa base et 8 mètres 60 à son sommet. Il a été établi sur une chaîne de rochers qui affleure à marée basse et dont les pointes granitiques sont exceptionnellement dangereuses à marée haute.

— Alors, nous sommes sur les côtes du Canada?

— Précisément.

— Cela suffit, et je vais donner des ordres en conséquence.

Gaston allait, ainsi qu'il l'annonçait, commander la manoeuvre qui devait remettre la goélette dans la bonne route, quand Maxime lui fit un signe impérieux et bref.

— Que veux-tu? interrogea le commandant surpris.

— Attends encore… fit Maxime.

— Pourquoi!

— Plus j'observe, plus je suis frappé de certaines particularités insolites.

— Lesquelles?

— L'horizon est maintenant limpide; la galerie supérieure du phare se détache clairement sur le fond plus clair du ciel; on dirait que quelqu'un est là qui nous a vus et qui nous envoie des signaux.

— Quels signaux?

— C'est justement ce qui m'a semblé inexplicable car ils sont absolument inusités et incompréhensibles. Évidemment, c'est une main inexpérimentée qui les envoie — et à moins d'erreur que je n'admets pas, c'est un pavillon noir que l'on agite.

Gaston de Pradelle ne perdit pas de temps à réfléchir, et son parti fut vite pris.

D'un accent assuré et ferme, il donna aussitôt l'ordre de hisser toutes les voiles, et, reprenant la barre, il gouverna dans la direction du phare Saint-Laurent.

Ce ne fut pas long.

La goélette n'avait pas l'habitude de se faire prier, et elle obéissait au commandement avec une soumission et une précision qui l'avaient mise depuis longtemps hors de pair.

Le phare n'était plus qu'à dix milles environ: en une heure, le trajet s'accomplit, et l'on put apercevoir, enfin, la silhouette de l'imposante construction, qui avait, comme eût dit Michelet, la sublime simplicité d'une gigantesque plante de mer.

«Énorme, immobile, silencieuse, elle semble une sorte de défi jeté au démon des tempêtes par le génie de l'homme, et pendant qu'une mer incessamment déchaînée s'acharne à sa base et monte jusqu'à son sommet, impassible et immuable, elle indique aux navires l'entrée de la passe du fleuve, et les rochers sur lesquels ils iraient infailliblement se briser.»

Cependant, les signaux avaient continué à mesure que l'Atalante approchait, et maintenant on distinguait presque à l'oeil nu, le pavillon noir que l'on agitait de la galerie.

Quelque chose d'extraordinaire s'était évidemment passé, et l'on appelait au secours.

Gaston se tourna vers Maxime.

— Puisque tu as fait une étude spéciale des phares, dit-il à voix rapide, et que tu reconnais celui-ci, tu peux nous renseigner sur les abords de la côte.

— Oh! parfaitement, répondit le jeune enseigne, nous pouvons approcher encore d'un mille au moins. Les abords sont très dangereux, mais la marée est haute, et il y a plus de deux brasses sur les barres. Avec la chaloupe, pendant trois heures il n'y a aucun danger d'accoster.

— Que l'on mette donc le canot à la mer, ordonna Gaston, et j'irai moi-même au secours de ces malheureux.

Maxime ne fît pas d'objection et alla tout préparer. Dix minutes plus tard, le canot glissait le long du navire avec six hommes d'équipage et un quartier-maître, et quand il fut paré, Gaston y descendit à son tour, emmenant le petit Bob, un jeune mousse qui ne le quittait pas et qui avait fait toute la campagne avec lui.

— Pousse au large! commanda-t-il alors, en prenant place a l'arrière.

Les six avirons s'abattirent immédiatement, et la frêle embarcation fendit les flots avec rapidité.

Au bout d'un quart d'heure, ils rangeaient l'îlot de rochers sur lequel le phare est construit.

À ce moment, la base était complètement immergée, ainsi que l'avait prévu Maxime, et le flot venait battre les flancs de la tour.

Le canot alla s'engager dans une anse de sable; Gaston, Bob et deux matelots sautèrent à la mer, et, gagnant l'escalier ménagé dans le talus, ils commencèrent l'ascension.

Ce n'était pas facile.

Talus et escaliers étaient tapissés de varech, de fucus, et de petits limaçons de mer qui en rendaient la surface si glissante, que l'on ne pouvait s'y tenir debout, et Gaston commençait à s'étonner qu'on les eût appelés pour les laisser se morfondre ainsi sans indication sur la route à suivre, quand une échelle de cordes tomba tout à coup à ses pieds, en se déroulant du haut de la plate-forme.

En même temps une voix arriva jusqu'à lui.

— Attachez l'échelle aux deux montants de fer qui sont scellés dans le talus, dit cette voix, et hâtez-vous de monter, il y a des malheureux à sauver.

Gaston éprouva un moment de stupéfaction profonde; cette voix qui venait de se faire entendre n'avait rien de masculin, et c'était bien manifestement une voix de femme!…

Quel était ce mystère?

L'imprévu de la situation éveilla au dernier point la curiosité du jeune marin, et ce fut avec une sorte d'impétuosité fiévreuse qu'il s'engagea le premier sur l'échelle de corde, et parvint en quelques secondes à la balustrade de fer qui entourait la plate- forme.

Ses hommes le suivaient de près.

Une fois là, n'apercevant personne, il entra dans la cage du phare, et pénétra dans les couloirs.

Chose invraisemblable! il n'y trouva aucun être vivant!

C'était la tour enchantée des légendes de chevalerie.

Mais il n'était pas de nature patiente, et, après une courte attente, il se mit à frapper à une porte de bronze devant laquelle il s'était arrêté.

L'effet ne se fit pas longtemps désirer.

Presque aussitôt, la porte roula sur ses gonds, et à peine eut-il pénétré dans la chambre, un peu sombre, sur laquelle elle ouvrait, qu'il se trouva en présence d'une belle jeune femme, fort élégante, qui lui fit une révérence de l'air le plus naturel du monde.

Gaston ne put réprimer un geste de surprise.

L'aventure prenait des proportions de conte de fée! et il se demandait si vraiment il était bien éveillé.

La jeune femme sourit tristement:

— Pardon de vous avoir fait attendre, commandant, dit-elle avec un geste gracieux; — mais je n'ai pas voulu me présenter devant vous dans une toilette dont le désordre ne s'explique que par l'épouvantable drame qui s'est accompli ici cette nuit!… J'espère que vous ne me garderez pas rancune…

En parlant ainsi, la pauvre femme enveloppa Gaston d'un long regard dont la flamme noire pénétra jusqu'au coeur du jeune officier.

Jamais peut-être, en raison des circonstances exceptionnelles où il se trouvait, jamais il ne s'était senti si troublé.

La jeune femme qui était devant lui pouvait avoir trente ans au plus; elle était grande, élancée, élégante, et rien ne saurait rendre l'expression saisissante qui se dégageait par instants, de ses deux grands yeux bruns!

Elle portait une toilette à la mode, robe blanche avec des noeuds cerise, ample crinoline, des mitaines sur une main blanche et effilée; une fanchon en dentelles noires sur de magnifiques cheveux blonds.

Gaston la regardait et ne savait que penser de cette singulière apparition.

Toutefois, il se remit bientôt, et s'inclinant respectueusement:

— Pourquoi voulez-vous que je vous garde rancune? répliqua-t-il après un court silence. J'ai aperçu les signaux que l'on nous envoyait de loin; j'ai pensé qu'il y avait ici des malheureux à secourir, et je me suis empressé de venir à votre appel. Dites- moi, de grâce, ce qu'il faut que je fasse, et ce que vous attendez de moi?…

À cette question, un nuage assombrit le front de la jeune femme, et un soupir gonfla sa poitrine.

— Qu'avez-vous? Parlez! insista Gaston; ne disiez-vous pas qu'il s'est accompli cette nuit, ici, un drame terrible?

— En effet.

— De quoi s'agit-il?

— Venez! venez! Monsieur, répondit la jeune femme, et quand vous aurez vu, vous comprendrez mieux de quelle effroyable épreuve je sortais, quand j'ai appelé à mon secours.

Et saisissant avec autorité le bras de son interlocuteur, elle l'entraîna vers un endroit de la chambre qu'éclairait obliquement une meurtrière creusée dans l'énorme épaisseur du mur.

Instinctivement, Gaston se prit à frissonner.

Il y avait là une longue boîte posée sur deux escabeaux, et qui rappelait vaguement la forme d'un cercueil.

C'était sinistre.

— Qu'est-ce à dire? balbutia-t-il, la gorge serrée. Pour toute réponse, la jeune femme souleva, d'une main nerveuse, le couvercle du cercueil, et montra un cadavre dont le visage seul apparaissait sous le blanc suaire qui l'enveloppait.

— Grand Dieu!… fit Gaston — quel est ce malheureux?

— Mon père, répondit la jeune femme s'affaissant sur ses genoux.

Gaston prit sa tête entre ses doigts et garda le silence.

Tout un monde de sensations inconnues s'était emparé de son être; il osait à peine sonder le drame mystérieux qui ne lui était révélé que par son effroyable dénouement.

Il resta ainsi un long moment silencieux et morne, et ce ne fut qu'au bout de quelques minutes qu'il releva le front et se prit à regarder la jeune femme.

Celle-ci était toujours agenouillée, les mains jointes, l'oeil attaché au cercueil.

Il lui tendit la main, la releva et la fit asseoir à ses côtés.

— Je comprends ce que vous avez dû souffrir, dit-il alors en cherchant à l'éloigner de ce triste tableau. Y a-t-il longtemps que votre père était malade?

— Mon père est un ancien capitaine d'armes de la marine américaine, Monsieur, répondit la jeune femme; pendant de longues années, il ne s'est ressenti d'aucun malaise; mais le séjour de ce phare lui a été fatal.

— Son service ne devait pas être bien pénible?

— Non, sans doute… Mais songez quelle a dû être sa vie, depuis dix ans qu'il n'est pas descendu à terre.

Gaston fit un mouvement et eut un geste étonné.

— Dix ans, dites-vous! s'écria-t-il; il y a dix ans que votre père habite ici?

— Oui, Monsieur.

— Je croyais que les gardiens ne devaient, à l'État qu'un service intermittent.

— Cela est vrai, mais mon père avait demandé et obtenu la faveur de ne pas quitter le phare.

— Voilà une singulière vocation.

— Oh! il ne s'agit pas de vocation, Monsieur, répartit vivement la jeune femme d'un ton amer; car ce n'est pas le métier de gardien qu'il remplissait, mais bien celui de geôlier.

— De geôlier! fit Gaston. Et quel prisonnier pouvait-il garder dans cette tour?

— Sa fille, Monsieur…

Cette fois, le commandant se leva de son siège, en proie à un sentiment dont il ne put dissimuler la vivacité, et c'est avec une sorte d'intérêt douloureux qu'il se prit à regarder la jeune femme.

— Ainsi, dit-il, sans cesser de l'observer, voilà dix années que, vous-même, vous êtes enfermée dans ce phare?

— Oui, Monsieur.

— Vous ne l'avez jamais quitté?

— Jamais!

— Et c'est contre votre gré que l'on vous a…

— Sur l'âme de ma mère, sur la tête de mon enfant, oui. Monsieur!… J'ai été jetée ici de force, la nuit du 20 mars 1841, garrottée et bâillonnée, comme une voleuse ou une fille perdue… et depuis dix années… dix années, vous entendez bien!, … j'ai vécu entre ces murailles épaisses, avec ce même horizon implacable de granit et de bronze, sans un jour de répit, sans une heure, une seconde d'espoir… Ce que j'ai pleuré, ce que j'ai prié… un seul homme le sait… il est là, c'est mon père!… il a été impitoyable… Ah! Dieu m'est témoin que je ne désirais pas sa mort! Vingt fois, au contraire, la pensée m'est venue de me précipiter du haut de la lanterne, et d'aller me briser le crâne contre les rochers que la mer découvre à marée basse… mais quoi, j'ai reculé… j'avais dans la vie un devoir sacré à remplir… Il y a quelque part un être qui a peut-être besoin de moi et qui m'attend! et cela m'a arrêtée.

La jeune femme avait prononcé ces paroles d'un accent incisif et mordant, le sein gonflé, les ongles enfoncés dans les dentelles de sa fanchon.

Sur les derniers mots, elle parut se troubler. Une lueur sombre sillonna son regard, ses sourcils se contractèrent.

— Et puis, ajouta-t-elle en baissant la voix, cela ne pouvait durer toujours, n'est-ce pas? Il y a une loi de nature à laquelle toute créature humaine est fatalement soumise, et je savais bien qu'un jour la mort interviendrait! Mon père était déjà bien âgé quand il vint ici, et je n'avais qu'à attendre.

— Malheureuse! interrompit vivement Gaston! Ah! ne parlez pas ainsi, ne vous abandonnez pas de la sorte; je ne veux voir dans cette exaltation que l'effet de l'émotion cruelle…

La jeune femme fit entendre un ricanement qui amena un frisson à la peau de Gaston de Pradelle et lui communiqua un moment l'idée qu'elle pouvait bien être atteinte de folie.

La vie qu'elle avait menée depuis dix années, l'isolement, le chagrin, mille autres causes mystérieuses avaient pu ébranler son cerveau, et il n'était pas impossible que sa raison eût subi une secousse fatale.

Mais il ne garda pas longtemps cette illusion; la jeune femme s'était probablement douté de ce qui se passait en lui, elle venait de se rapprocher, et droite, calme, l'oeil limpide et clair, elle s'était prise à sourire d'un air à la fois ironique et doux.

— Non! non!… dit-elle d'un ton bien posé, je ne suis pas folle, quoique l'on ait tout fait pour que je le devinsse; et tenez, écoutez-moi, Monsieur: je n'ai aucune raison de vous cacher qui je suis, ni ce que je suis: de plus, j'aurai tout à l'heure à réclamer de vous un service que vous hésiteriez à rendre à une insensée. Prêtez-moi donc, je vous prie, quelques minutes d'attention, et je vous dirai, comme si je parlais à Dieu même, la faute qui est dans mon passé, et pour laquelle on m'a si durement punie!…

Il y eut un moment de silence. Gaston était allé à la meurtrière et avait jeté un regard au dehors.

La marée commençait à baisser; il ne pouvait plus songer à retourner à bord, et il avait six heures au moins à passer dans le phare.

Il donna quelques ordres à ses hommes, et revint vers la jeune femme.

Elle l'attendait et l'invita du geste à se rasseoir; ce qu'il fit.

Puis, quand elle vit qu'il était disposé à l'écouter, elle s'assit à son tour et reprit la parole.

— Je m'appelle Fanny Stevenson, et j'aurai vingt-huit ans dans quelques mois, dit-elle d'un ton ferme; ainsi que je vous l'ai dit, mon père était capitaine d'armes, et naviguait souvent. J'avais perdu ma mère avant que j'eusse pu la connaître, et j'avais été recueillie dans une famille catholique où je reçus une éducation complète dont je profitai de mon mieux.

Quoique bien jeune encore, j'avais compris que je ne devais rien attendre de l'homme qui m'avait donné le jour. Mon père était un marin grossier, imbu de préjugés enracinés, dont le coeur est toujours resté fermé à toutes les délicatesses, à toutes les aspirations d'une nature comme la mienne!

C'est à peine, si au retour de longs voyages, il consentait parfois à se rappeler qu'il avait une fille.

Je vécus donc seule, livrée à moi-même, presque sans contrôle, et exposée à des dangers dont je n'avais pas appris à démêler la gravité. C'est ainsi que j'atteignis ma quinzième année! Je m'étais développée très rapidement; j'étais grande et forte; on m'a dit souvent alors que j'étais belle, et je ne cacherai pas que le sentiment de cette beauté exceptionnelle m'avait communiqué une ambition fort au-dessus de ma condition. Ce fut mon malheur.

Dans la famille qui m'avait recueillie et qui était française, on recevait de loin en loin quelques jeunes gens qui venaient en Amérique chercher fortune ou courir les aventures.

C'était là des distractions auxquelles je ne pouvais me montrer indifférente, et il m'arriva bien souvent à, cette époque, de me laisser aller à des relations qui, sans dépasser les limites des plus rigoureuses convenances, n'étaient pas toujours d'une correction exempte de reproches.

J'étais vive, j'aimais le plaisir, et je ne tenais pas toujours assez de compte des observations bienveillantes que l'on m'adressait.

Pour tout dire, je commençais à supporter impatiemment les remontrances dont j'étais l'objet, et plus d'une fois, je fus sur le point de rompre brusquement avec mes hôtes, pour essayer d'une vie dont la séduction avait profondément ébranlé les honnêtes résolutions auxquelles je voulais rester attachée.

Les choses en étaient à ce point, quand il arriva dans la ville que nous habitions un étranger qui, dès le premier jour, parut devoir prendre un grand empire sur moi.

C'était un homme d'une trentaine d'années environ, d'un extérieur charmant, de tournure aristocratique, et qui manifestement était bien supérieur à tous les jeunes gens que j'avais rencontrés jusqu'alors.

Il s'appelait le comte de Simier, arrivait de Paris, et se rendait dans l'Amérique du Sud, où il allait, disait-il, diriger une importante exploitation.

À vrai dire, je ne m'intéressai que médiocrement à ce que le comte avait fait, non plus qu'à l'avenir qu'il rêvait.

Je ne vis que lui… et dans la situation où je me trouvais, sa présence exerça tout de suite une profonde impression sur mon esprit et sur mon coeur.

Je n'avais jamais aimé encore, et il ne lui fut pas difficile de s'apercevoir que je l'aimais…

D'ailleurs, je ne cherchais à rien cacher de ce qui se passait en moi… J'avais remarqué, de mon côté, que le comte était empressé et ému chaque fois qu'il me parlait, et il y a dans l'amour que l'on éprouve ou dans celui que l'on inspire, un rayonnement dont on tenterait en vain d'atténuer l'éclat.

Un mois s'était à peine écoulé, que j'étais sa maîtresse!

La jeune femme suspendit un moment son récit et prit sa tête dans ses mains, comme pour ne pas voir l'expression presque douloureuse qui vint se refléter dans les yeux de Gaston de Pradelle.

— Ah! je vous dis tout! poursuivit-elle d'un ton nerveux et contenu; je n'avais pas même demandé au comte ce qu'il comptait faire de moi; je m'étais donnée sans condition, sans réflexion, m'en remettant à lui du soin de sauver mon honneur, si tant est qu'il dut y penser jamais! Vous le voyez, Monsieur, la chute était complète… Et la seule chance de réhabilitation possible consistait en un semblant de mariage contracté un soir, sans témoins, dans quelque municipalité obscure, dont j'ai à peine conservé le nom! Que valait cette cérémonie? Rien, sans doute! Et que m'importait, d'ailleurs! Le rêve fut de si courte durée, que c'est à peine si, depuis dix ans, il m'en reste quelque souvenir au coeur. J'avais été heureuse plusieurs mois… Je m'étais endormie dans un amour que je croyais éternel, et je ne me rappelle plus, à cette heure, que le réveil terrible qui m'arracha à mon ivresse et me plaça brutalement en présence de la plus horrible des réalités…

— Pauvre femme! balbutia Gaston, ému.

— Le comte avait disparu… et je restais seule avec l'enfant à laquelle je venais de donner le jour.

— Que fîtes-vous?

La jeune femme mordit ses lèvres avec rage.

—Ah! je n'eus pas une seconde d'hésitation, Monsieur, je le jure, répondit-elle; quand je m'aperçus que le bonheur rêvé s'était effondré, que je n'avais plus rien à espérer du misérable qui m'avait si indignement trompée, il se fit en moi une révolution soudaine, inattendue… Le mépris remplaça l'amour presque instantanément, et à la place de l'amant disparu, je ne vis plus que l'enfant qui n'avait pas demandé à naître et à laquelle je résolus de consacrer ma vie tout entière!…

— Voilà qui était bien.

— Sans doute, et Dieu m'est témoin que je l'eusse fait comme je l'avais résolu; seulement, j'avais compté sans mon père!…

— Comment?

— Depuis quelques jours il était de retour; il avait demandé à quitter la marine pour entrer dans le service des arsenaux. Il ignorait ma honte; mais quelqu'un se chargea de l'en instruire, et alors…

— Qu'arriva-t-il?

— Une nuit… j'étais seule… mon enfant dormait près de moi, je travaillais avec acharnement pour gagner le pain de chaque jour… et, en même temps, pour amasser la petite somme qui devait me permettre de fuir et de me dérober à la colère de mon père; j'étais presque heureuse à cette perspective de me retrancher du monde, ne pouvant croire qu'aucun obstacle pût m'empêcher de mettre mon projet à exécution, quand tout à coup la porte de ma chambre s'ouvrit brusquement, et deux hommes en franchirent le seuil.

— Quels étaient ces hommes?

— L'un était mon père… l'autre un de ses anciens camarades, que j'avais déjà vu une fois ou deux et qui commandait le cutter de l'État qui fait le service de la côte. Je me levai, le coeur glacé, avec une subite appréhension du danger, et je me précipitai vers le berceau, pour défendre mon enfant, que je croyais surtout menacée! Mais mon père me prit brutalement par le bras, et, pendant qu'il me nouait un bâillon sur la bouche, son compagnon me garrottait énergiquement, de façon à rendre tout cri et tout mouvement impossibles.

Quelques heures plus tard le cutter de l'État me déposait au pied du phare où je pénétrais pour n'en plus sortir!…

— Mais votre enfant?…

— Je n'en ai pas eu de nouvelles.

— Quoi! votre père ne vous a pas dit…

— Pendant dix années, Monsieur, nous avons vécu ici, l'un près de l'autre, sans échanger une parole. J'ai pleuré, j'ai supplié, j'ai menacé. Cent fois, sous ses yeux, j'ai fait le mouvement de me précipiter sur les rochers du phare, et il est resté muet, plus terrible que s'il m'eût accablée de reproches ou tuée de sa main vengeresse.

— C'est terrible.

— N'est-ce pas?…

— Et pendant ces dix ans, il ne s'est produit aucun incident?

— Aucun.

— Personne n'a abordé le phare?

— Personne.

Il y eut un nouveau et long silence.

Gaston était fort troublé par le récit qu'il venait d'entendre, et une suprême pitié s'élevait de son coeur à la pensée des tortures que la malheureuse avait dû souffrir.

Elle avait été coupable, sans doute!… Mais comment excuser le raffinement que l'on avait déployé dans le châtiment.

Il lui prit la main, et la serra avec intérêt.

Le sentiment qu'il éprouvait était, il faut le dire, d'une nature exceptionnelle.

La jeune femme avait dû être fort belle, ainsi qu'elle l'avait dit elle-même, mais le chagrin avait profondément altéré ses traits, et elle ne conservait que de rares vestiges de sa beauté d'autrefois.

L'oeil seul avait encore tout son éclat et toute sa vivacité, et il s'en échappait par instants des effluves ardentes dont on subissait malgré soi l'impression pénétrante et forte.

— Dieu a eu pitié de votre situation lamentable, dit enfin Gaston; la liberté qui va vous être rendue vous permettra de vous livrer à des recherches qui vous ont été interdites jusqu'à ce jour.

— J'essaierai, en effet, répondit la jeune femme en remuant tristement la tête.

— Au moins, votre père vous laisse-t-il quelque aisance?

Un double éclair s'alluma à cette question dans les yeux de la fille du capitaine d'armes, et un sourire d'une expression mystérieuse releva le coin de sa lèvre.

— Sous ce rapport, dit-elle d'un ton ironique, le hasard aura déjoué les calculs de mon bourreau.

— Comment cela?

— Au moment où il vint habiter le phare, mon père avait réalisé presque toute sa fortune, qui consistait en vingt mille dollars environ… Je savais qu'il avait caché cette somme dans une des nombreuses caches que recèlent les murs épais de la tour, et pendant deux années, sans lui donner le soupçon de mes préoccupations, j'usai de mille stratagèmes pour découvrir l'endroit où il avait enfoui son trésor. Il y a huit jours seulement, et comme sa fin approchait, que je parvins enfin à mon but.

— Et vous avez cette somme?

— Il y avait à peine dix minutes qu'il avait cessé de vivre, qu'elle était en ma possession.

Gaston baissa le front sans répondre.

Décidément, tout ce qu'il voyait ou entendait depuis un moment, le rejetait dans un monde de sensations excessives, où toutes les lois de la conscience humaine semblaient être singulièrement méconnues!

Au surplus, on ne lui laissa pas le temps de s'abandonner à des réflexions ni de discuter ses impressions.

La jeune femme s'était levée, et, à voir l'air de résolution qui se manifesta sur ses traits, on pouvait croire qu'elle en avait fini avec les émotions violentes qu'un moment le souvenir du passé avait éveillées en elle.

— Maintenant, dit-elle, vous me connaissez tout entière, Monsieur, et j'espère que vous voudrez bien me rendre le service que j'ai à vous demander, puisque vous êtes certain que votre intérêt ne s'égarera pas sur une créature indigne.

— Qu'attendez-vous de moi? interrogea Gaston, repris de nouveau par sa curiosité.

— Peu de chose, en réalité; mais de votre concours dépend peut- être le succès des recherches auxquelles je vais me livrer.

— Parlez en toute confiance, et si je puis vous être utile.

— En premier lieu, continua la jeune femme, vous m'aiderez à abréger toutes les formalités que je vais avoir à subir au sortir de cette prison! Il s'agit, d'abord, d'emporter d'ici le corps de mon père, et de le déposer dans le cimetière du bourg le plus voisin.

— Cela sera fait comme vous le souhaitez: dans une heure, la chaloupe viendra prendre le cercueil, et dès demain, il sera enseveli dans le lieu que vous aurez désigné vous-même. J'ajoute que l'équipage de l'Atalante l'accompagnera à sa demeure dernière.

— Merci.

— Ce n'est pas tout ce que vous désirez?

— Non, Monsieur.

— Qu'y a-t-il encore?

La jeune femme parut hésiter une dernière fois; mais elle fit aussitôt un effort sur elle-même, et leva son regard assuré sur Gaston.

— Vous êtes jeune, Monsieur, dit-elle d'une voix ferme; pendant les courts instants que je viens de passer avec vous, j'ai pu m'assurer que vous êtes sensible et bon, et je me suis persuadé qu'une femme ne s'adressera pas en vain à votre loyauté.

— Je ne vous comprends pas.

— Je vais m'expliquer. Votre temps est précieux, je n'en doute pas, et je comprends que vous ayez hâte de reprendre la mer.

— Sans doute.

— Cependant si je vous priais de ne pas vous éloigner tout de suite, de m'accorder un jour ou deux, pour m'aider dans certaines démarches que je ne puis faire seule ou qui, du moins, acquerraient une grande autorité si je les faisais appuyée à votre bras et recommandée de votre nom.

— Que voulez-vous dire?

— Est-ce trop demander à votre courtoisie?

— Ce n'est malheureusement pas de courtoisie qu'il s'agit, Madame, mais de mon devoir qui m'oblige à reprendre la mer le plus tôt possible.

— Alors vous comptez repartir demain.

— Demain, à l'issue de la cérémonie funèbre.

La jeune femme réprima un mouvement de contrariété, et son regard plongea dans celui du commandant.

— Soit! dit-elle d'un ton nerveux, j'espérais mieux, mais je n'insiste pas. Seulement, dans les délais que vous venez d'indiquer vous-même, pourrai-je compter sur vous?

— Assurément.

— Vous voudrez bien m'accorder votre appui et votre bras?

— Sans doute.

— Ce que je vous demande-là, songez-y, Monsieur, je ne puis le demander à personne autre. Désormais, je suis seule au monde, et si vous me refusiez…

— Mais, par grâce, dites-moi…

— Voici: je vous ai raconté tout à l'heure, que pour le rapt odieux accompli sur ma personne, mon père s'était fait aider par un sien ami, commandant d'un cutter de l'État.

— Eh bien!

— Eh bien… cet homme, je veux le voir!

— Vous savez donc où il est.

— Il habite à quelques milles de la côte, où il vit misérablement! L'infâme action qu'il a commise ne lui a pas profité, et une lettre récente qu'il a écrite à mon père, et que j'ai pu intercepter, témoigne de quelques remords. Peut-être le moment est-il favorable: il doit connaître bien des choses du passé, et qui sait si je ne parviendrai pas à lui arracher quelques aveux. Vous comprenez.

— Parfaitement.

— Et vous consentez à m'accompagner?

— Nous partirons quand vous voudrez.

Par un mouvement plus prompt que la pensée même, la jeune femme s'empara des mains de Gaston et les baisa avec un transport de joie folle.

— Ah! c'est bien, cela! dit-elle en cherchant à réagir contre sa propre émotion, vous êtes généreux, et Dieu vous récompensera. Si ma fille m'est rendue, c'est à vous peut-être que je le devrai…

Puis elle passa dans une pièce voisine, jeta à la hâte une mante sur ses épaules, un voile épais sur ses cheveux, et revint peu après vers le jeune commandant qui attendait.

— Partons! partons! dit-elle, ne perdons pas une seconde… nous n'avons plus que quelques heures de jour; et la nuit, nous pouvons être arrêtés par bien des obstacles… Venez!…

Ils descendirent d'un pas rapide vers l'embarcation qui fut immédiatement poussée à la mer, et quelques minutes après, elle filait vers la côte, emportant le commandant, la jeune femme et Bob, le petit mousse.

Quand ils atteignirent la côte, il était cinq heures environ.

La bourrasque s'était tout à fait calmée; la mer était unie comme un lac; de chaque côté de l'embarcation, le regard plongeait en des profondeurs limpides, où l'on distinguait une végétation vigoureuse, aux tons colorés, où se mêlaient les fougères hérissées, de véritables parterres émaillés de pépites azurées, ou encore de longs rubans de lianes globuleuses ou tubulées. C'était comme une fête des yeux; de temps à autre, s'élançaient du flanc des rochers aigus et noirs des arbres gigantesques dont les branches chargées de fleurs éclatantes se balançaient mollement au mouvement du flux et du reflux.

Gaston de Pradelle avait rarement observé un pareil spectacle, et s'abandonnait à l'admiration qu'il éveillait en lui.

Quant à miss Fanny Stevenson, elle semblait indifférente à tout, absorbée dans une pensée unique, ne songeant qu'à son but.

Elle s'était rejetée à l'arrière de l'embarcation, avait serré fortement sa mante autour de sa taille, son voile épais sur ses cheveux.

Ainsi accotée, elle gardait le silence, et pendant tout le temps elle ne proféra pas une parole.

Seulement, quand on approcha de terre, elle parut éprouver comme une secousse nerveuse, se dressa sur son séant, et, écartant brusquement son voile, elle jeta un regard plein de flamme sur la rive.

— Qu'avez-vous? interrogea Gaston, rappelé par ce mouvement à la réalité de la situation.

— Nous approchons! fit la jeune femme.

— Vous reconnaissez la côte?

Un sourire amer crispa la lèvre de miss Stevenson, pendant qu'un frisson secouait ses épaules.

— Depuis dix années, répondit-elle, tout cela a bien changé; la nature ne vieillit pas, et l'âge ne fait que l'embellir. Ce bourg, que vous apercevez maintenant derrière ces bouquets d'arbres, n'était autrefois qu'un pauvre petit refuge de pêcheurs; maintenant c'est presque une ville.

— Est-ce là que vous habitiez?

Miss Stevenson étendit la main vers un point de la rive.

— Tenez, dit-elle avec un sanglot mal étouffé, vous voyez cette petite maison blanche, à moitié cachée aujourd'hui par un épais rideau de peupliers et de tamaris, il y a dix ans, elle était humble et pauvre, et le sol, autour d'elle, était pelé et nu. C'est là que j'ai passé les plus doux instants de ma vie, assise auprès du berceau de ma fille. C'est de là aussi que j'ai été violemment arrachée, pour être jetée dans cette prison où vous m'avez trouvée.

— Est-ce de ce côté qu'il faut gouverner? demanda Gaston.

— Si vous le voulez bien, répondit miss Stevenson.

La côte n'était plus qu'à une faible distance, il y avait là une petite crique de sable fin, au-dessus de laquelle le bourg s'élevait en amphithéâtre. Gaston y dirigea l'embarcation, et peu après, il sautait à terre et aidait la jeune femme à en faire autant.

Celle-ci avait repris toute son énergie; dès qu'elle eut senti le sol sous ses pieds, elle prit résolument le bras du commandant, et l'entraîna vers la maison qu'elle avait désignée.

Une fois qu'elle en eut atteint le seuil, elle abandonna brusquement le jeune marin et ne tarda pas à disparaître dans le jardin.

Elle resta absente quelques minutes.

Quand elle revint, Gaston remarqua qu'elle était plus pâle encore et qu'elle semblait plus oppressée et plus sombre.

— Eh bien? fit-il avec un vif intérêt.

— Rien, répondit miss Stevenson, les gens que je viens d'interroger n'habitent le pays que depuis peu de temps. Ils ne savent rien du passé, et ont ouvert de grands yeux quand j'ai prononcé le nom que je portais autrefois.

— Alors, vous n'avez obtenu aucun renseignement?

— Ils ignorent ce qu'est devenue mon enfant; mais ils m'ont donné l'adresse d'un colon qui, peut-être, me le dira.

— L'ami de votre père?

— Oui, Monsieur, Georges-Adam Palmer est très connu, paraît-il, dans le bourg de Smeaton. Ah! il n'a pas changé, celui-là, et les références que j'ai recueillies sont peu flatteuses. Sensuel, brutal, ivrogne et voleur, on l'a, pour ainsi dire, mis en quarantaine depuis quelques années, et il habite dans un enclos situé à l'extrémité nord, vivant de rapines, adonné à toutes les débauches.

— Et vous ne craignez pas d'affronter un pareil homme? objecta

Gaston en fronçant les sourcils.

— Je ne crains rien, puisque vous m'avez promis de m'accompagner.

Le jeune officier approuva du geste.

— Vous avez raison, dit-il, je suis à vos ordres. Seulement, c'est moi, maintenant, qui vous prierai de vous hâter, car la nuit vient vite, et nous avons à peine une heure devant nous.

Ils s'éloignèrent et se mirent à gravir la rampe par laquelle on montait sur les hauteurs du bourg de Smeaton.

À quelques pas derrière marchait lentement le petit Bob.

À mesure qu'ils avançaient, les habitations devenaient plus rares et le sentier plus étroit… C'était, à droite et à gauche, des terrains vagues, où l'on ne remarquait aucune trace de travail humain. De loin en loin seulement, quelques mauvaises cabanes évidemment abandonnées, ou de sinistres bouges dont l'aspect seul donnait le frisson.

Enfin, au tournant du sentier qu'ils suivaient depuis un quart d'heure, miss Stevenson s'arrêta tout à coup et montra à Gaston une misérable chaumière qui s'élevait au milieu d'un vaste enclos et dont le toit s'était depuis longtemps à moitié effondré sous les efforts combinés de la pluie et du vent.

— C'est ici? dit-elle d'une voix stridente.

Et elle continua de marcher jusqu'à ce qu'elle eût atteint l'habitation où elle espérait trouver l'homme qu'elle cherchait.

Arrivée près de la porte, elle frappa plusieurs coups sonores, et appliqua aussitôt son oeil contre les ais mal joints.

— Je le vois, balbutia-t-elle, en proie à une violente émotion.

À l'appel énergique venu du dehors, quelqu'un avait remué à l'intérieur et des pas s'étaient rapprochés du seuil.

— Qui est là? demanda alors une voix fortement éraillée par l'abus du gin.

— C'est moi… ouvrez, répondit la jeune femme.

— Vous!… Qui vous?

— Avez-vous peur d'une femme?

— Votre nom!… mille diables… à qui en avez-vous?

— Eh bien… je suis miss Fanny Stevenson et je veux parler au capitaine Georges-Adam Palmer.

Ce fut un coup de théâtre.

La porte s'ouvrit aussitôt, et le capitaine Palmer apparut sur le seuil, éclairé par la lampe qui brûlait sur la table.

C'était un homme de taille moyenne, aux robustes épaules, à l'aspect repoussant et rude.

D'un premier regard, il toisa miss Fanny, comme pour s'assurer qu'on ne l'avait pas trompé, et que c'était bien la fille de Stevenson qui était devant lui.

Quand tout doute eut disparu de son esprit, il laissa voir un profond étonnement.

Il n'apercevait du reste que la jeune femme, Gaston de Pradelle se tenant dans l'ombre du dehors, il put croire qu'elle était seule.

Un étrange sourire éclaira sa face ignoble.

Évidemment, il venait de se livrer à des libations copieuses. Ses yeux, ses lèvres, ses joues, toute sa physionomie exsudait le gin, et de singulières pensées flottaient dans son cerveau.

Il fît mine de s'incliner.

— Ah! ah! c'est vous, dit-il; en effet, je vous reconnais. Entrez donc.

Miss Stevenson fit quelques pas et avança jusqu'à la table où brûlait la lampe.

Palmer ne s'occupait que de la jeune femme; une lueur douteuse régnait dans la chambre, on y voyait à peine.

L'ancien capitaine ne remarquait pas la présence du commandant.

D'ailleurs, d'autres sentiments s'étaient emparés de lui, et l'ivresse lui enlevait une partie de sa présence d'esprit.

— Ah çà! dit-il au bout d'un moment, comme poursuivant une pensée obstinée, vous vous êtes donc échappée de votre prison.

— Vous le voyez!

— Ce n'est pas le père qui vous a autorisée?

— Mon père n'a plus aucun pouvoir sur moi!

— Il est parti?…

— Il est mort!

Palmer fit un soubresaut.

— Mort! mort! répéta-t-il. Dieu me damne, voilà une nouvelle à laquelle j'étais loin de m'attendre, et je m'étonne qu'il ne m'ait pas fait prévenir.

— Il n'en a pas eu le temps.

— Quand est-il mort?

— La nuit dernière.

— Subitement, alors?

— Oui, subitement… comme vous dites.

Palmer ne répondit pas. Il était troublé. Quelque chose d'extraordinaire se passait en lui.

Il regardait la jeune femme et la trouvait belle.

Machinalement, il lui offrit la seule chaise qui fût dans la pièce; miss Stevenson s'y laissa tomber.

Sans se rendre compte de ce qu'elle éprouvait, elle se sentait gênée par les regards ardents dont Palmer l'enveloppait.

— Ainsi, reprit bientôt ce dernier, vous voilà libre.

— Oui, libre! libre! fit la jeune femme.

— Et vous êtes venue vers moi!

— Vous seul, dans la circonstance pénible où je vais me trouver, pouvez me donner les renseignements dont j'ai besoin.

— Quels renseignements?

— Ne devinez-vous pas?

— Expliquez-vous.

— Quand vous m'avez arrachée de cette localité, pour me conduire au phare Saint-Laurent, j'avais près de moi l'enfant à laquelle j'avais résolu de consacrer ma vie.

— Je me rappelle cela!… une belle et charmante petite fille…

— À mains jointes, les joues baignées de larmes, je vous ai suppliée alors de me laisser ma fille.

— Votre père l'avait défendu.

— Mais aujourd'hui qu'il est mort, vous n'avez plus aucune raison de me cacher ce qu'elle est devenue.

Palmer fit entendre un ricanement.

— Peut être, répondit-il sur un ton vague… quant à ce qui est de ça, c'est à voir!

— Que voulez-vous dire? interrogea miss Fanny, en se levant à demi.

L'ancien capitaine haussa les épaules et se baissa vers la jeune femme.

— Bon! dit-il d'un singulier accent, cela dépend.

— De qui?

— De vous.

— Comment?

— C'est bien clair, pourtant. Vous êtes jeune et toujours fort belle. Qu'allez-vous faire de la liberté que vous venez de reconquérir?

— Que vous importe.

— Il m'importe beaucoup.

— Je ne comprends pas…

— C'est que vous n'avez jamais rien su de ce qui s'était passé au lendemain du jour où le comte de Simier vous avait abandonnée.

— Que s'était-il donc passé?

— Votre père, lui, qui ne plaisantait pas sur les choses de l'honneur, avait résolu tout simplement de vous jeter à la mer avec votre enfant, et d'anéantir ainsi les preuves vivantes de la honte que vous aviez imposée à sa vieillesse.

— Ah! pourquoi ne l'a-t-il pas fait, alors!

— Il ne l'a pas fait, parce que je l'en ai empêché.

— Vous!

— Moi-même.

— Pourquoi?

— J'avais un but.

— Lequel?

Les traits de Palmer se couvrirent d'une expression cynique.

— Eh! mon Dieu! répliqua-t-il, nous n'avions pas très heureusement la même manière de voir… car moi après votre chute, je ne vous trouvais ni moins belle, ni moins désirable.

— Infamie!…

— Non! j'avais eu pitié, voilà tout; et je proposai un moyen acceptable de donner un époux à la jeune fille séduite et un père à l'enfant abandonnée…

— Et mon père a refusé?

— C'est de là qu'est venu tout le mal.

— Ah! je ne me doutais pas qu'un jour viendrait où j'aurais à témoigner quelque reconnaissance à celui qui fut mon bourreau!…

Palmer fit une grimace ironique.

— Ce n'est guère gentil pour moi, ce que vous dites-là, répondit- il; mais je n'aurais garde de m'offenser pour si peu. D'ailleurs, tout vient à point à qui sait attendre, comme disent nos amis d'Europe, et le hasard me sert mieux que je ne l'espérais.

Miss Fanny eût peut-être hésité à comprendre le sens de ces dernières paroles, mais Palmer les accompagna d'un regard et d'un geste qui ne pouvaient laisser place à aucune ambiguïté.

Elle fut envahie par un commencement de frayeur et voulut se lever.

La main du capitaine, qui s'appuya sur son épaule, l'obligea brutalement à se rasseoir.

— Ah çà!… dit-il avec un froncement menaçant des sourcils, me prenez-vous par hasard pour un novice, et croyez-vous que l'on se moque ainsi du plus vieux capitaine de la libre Amérique?

— Monsieur!

— Appelez-moi monsieur, si cela vous plaît, la belle! je n'y attache pas d'importance, mais vous êtes venue chez moi la nuit… seule… Il y a longtemps que je vous désire… et Dieu damne, vous pouvez être assurée que vous ne sortirez pas d'ici comme vous y êtes entrée.

— Ah! misérable! balbutia miss Stevenson, au comble de la terreur.

Déjà Palmer l'avait entourée de ses deux bras énergiques, et, la pupille dilatée, la poitrine sifflante, il cherchait sa bouche de ses deux lèvres avides.

— À moi! à l'aide! cria la jeune femme affolée.

Le capitaine commença un rire aigu et strident… qui s'éteignit presque aussitôt en une imprécation à demi étranglée.

Gaston venait de se précipiter au secours de la victime, et avait enfoncé ses dix doigts dans la gorge du misérable.

Ce dernier lâcha prise aussitôt, et sauta sur un revolver qui se trouvait sur la table près de la lampe.

Mais au moment où il en dirigeait les canons sur Gaston, il s'arrêta stupéfait comme frappé d'une émotion inattendue.

Gaston portait le costume de lieutenant de la marine française. Le vieux marin avait été habitué de longue date à saluer ces insignes respectés. Un moment le sentiment de la discipline fut plus fort que son emportement même, et il recula de deux pas, prêt à s'incliner devant cette croix d'honneur que le jeune commandant portait sur sa poitrine.

— Que veut dire ceci et que voulez-vous? balbutia-t-il en cherchant à se remettre; pourquoi vous mêlez-vous de choses où vous n'avez que faire? Est-ce que je vous connais, moi? Vraiment, je me demande de quel droit…

Tout en parlant, Palmer revenait à un examen plus net de la situation; une sourde révolte se faisait jour à travers la surprise qu'il avait éprouvée, et il était presque humilié de sa défaillance d'un moment.

D'un geste prompt et brusque, il saisit un gobelet plein de gin qui était sur la table, et en avala le contenu d'un trait.

— J'use ici d'un droit que m'a donné miss Stevenson, répondit Gaston avec calme, et ce droit, je l'aurais pris d'ailleurs de moi-même, en présence des brutalités auxquelles vous vous abandonnez.

— Eh bien!… cela me déplaît!… répliqua Palmer, dont la main continuait de tourmenter la poignée de son revolver. Je suis ici chez moi, et j'entends…

— Vous voulez que je me retire.

— À l'instant même.

Gaston offrit son bras à la jeune femme, qui s'y appuya plus morte que vive.

La Recluse

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