Читать книгу J. Ogier de Gombauld, 1570-1666 étude biographique et littéraire sur sa vie et ses ouvrages - René Pocard du Cosquer de Kerviler - Страница 3
I
ОглавлениеJEUNESSE ET DÉBUTS LITTÉRAIRES DE GOMBAULD.—MARIE DE MÉDICIS.—LES BALLETS DE LA COUR ET L'HÔTEL DE RAMBOUILLET.—SONNETS (1570-1620).
«Jean Ogier de Gombauld,» dit Conrart dans l'Éloge qu'il lui a consacré en tête de ses Traités et Lettres posthumes sur la religion, «étoit gentilhomme de Xaintonge, et cadet d'un quatrième mariage, comme il avoit coutume de le dire lui-même par raillerie, pour s'excuser de ce qu'il n'étoit pas riche». On est à peu près certain qu'il naquit à St-Just-de-Lussac, en Brouage[3]; car son compatriote Tallemant et tous les biographes sont d'accord sur ce point. Mais ce que personne n'a pu encore fixer, c'est la date de sa naissance; et les écarts que l'on rencontre à ce sujet dans les divers témoignages qui nous restent de cette époque sont si considérables, qu'il est fort difficile de décider la question. Le seul document complet qui soit parvenu jusqu'à nous est l'Éloge de Conrart, qui connaissait Gombauld particulièrement. Or, cet Éloge, que l'abbé d'Olivet et presque tous les biographes se sont bornés à reproduire, offre malheureusement des passages tout à fait contradictoires. Ainsi, d'après son auteur, Gombauld serait venu à Paris vers la fin du règne de Henri IV, après avoir achevé ses études à Bordeaux: cela ne permet guère d'assigner à la naissance du jeune homme une date antérieure à 1580, puisqu'en l'admettant, il aurait eu trente ans révolus à l'époque de la mort du roi. D'un autre côté, «la vie de Gombauld, dit encore Conrart, a duré près d'un siècle, si une date écrite de sa main dans un des livres de son cabinet étoit le temps véritable de sa naissance, comme il l'avoit dit en confidence à quelqu'un qui n'en a parlé qu'après sa mort…» Il est vrai qu'il y a un si: mais on a toujours dit et répété que Gombauld était mort âgé de près de cent ans, et les Dictionnaires de Bayle et de Moréri lui donnent cet âge, catégoriquement et sans hésitation. On sait cependant que Gombauld est mort en 1666, et cela reporterait sa naissance vers 1566: il avait donc, d'après cette hypothèse, au moins quarante ans lors de son arrivée à Paris; il aurait mis du temps à faire ses études.
[3] Cette paroisse est aujourd'hui une commune des canton et arrondissement de Marennes (Charente-Inférieure).—Nos recherches pour retrouver les anciens registres paroissiaux de St-Just n'ont pas été couronnées de succès: c'est pourquoi il nous est impossible de rien affirmer catégoriquement sur la naissance du poëte. Du reste, son père était protestant, et l'acte de naissance est par conséquent assez difficile à retrouver.
Une des assertions de Conrart doit par conséquent se trouver fausse, et nous pensons que ce doit être celle de la jeunesse de Gombauld, lors de son apparition à la cour de Henri IV; à moins que le poëte ne soit arrivé à Paris tout au commencement du règne du bon Roi. Les témoignages qui le déclarent centenaire en 1666 sont en effet fort nombreux, et Tallemant des Réaux dit positivement: «Il a confessé en mourant qu'il avoit quatre-vingt-seize ans;» ce qui fixerait la date de sa naissance à l'année 1570.
L'abbé Joly, dans ses Notes au Dictionnaire de Bayle, discute cette question et conclut pour le centenaire. On objecte, dit-il, que Gombauld a toujours fait un mystère de son grand âge; mais cela est fort naturel: «Gombauld n'étoit point un rimailleur, ou un versificateur; c'étoit un poëte excellent, et qui s'étoit fait estimer dans le monde. Il avoit été fort assidu aux ruelles et aux cercles; et par conséquent il avoit l'habitude des conversations galantes. S'il se trouvoit avec des femmes, il se souvenoit du style de sa jeunesse, il les louoit, il les encensoit. Le rôle de bel esprit et de galant homme étoit encore son partage. Mais pour le soutenir avec plus de bienséance, il avoit besoin que l'on ignorât sa vieillesse. Il fit imprimer un gros recueil d'Épigrammes en 1657. N'avoit-il pas à craindre que si l'on venoit à savoir qu'il étoit âgé de 90 ans, l'on ne trouvât fort étrange qu'il demandât un Privilége pour un tel livre, et qu'il fît ses présens d'Auteur? N'avoit-il pas à craindre que M. Daillé et les autres ministres de Paris ne le censurassent de vaquer encore à de semblables productions dans un âge si avancé?…» Sans discuter ici les motifs allégués par le savant chanoine de Dijon, il nous paraît probable que Chapelain a eu raison d'écrire en 1663: «M. Gombauld est le plus ancien des écrivains françois vivants,» et nous admettrons avec Tallemant des Réaux la date de 1570 pour celle de sa naissance.
Qu'on nous pardonne ces longs détails; nous les considérons comme très-importants, parce que les premières productions de Gombauld ne virent le jour que sous la régence de Marie de Médicis, et l'on ne pourra plus dire que ce furent des ouvrages de jeunesse, puisque le poëte avait alors plus de quarante ans. Adrien Baillet appelle son roman d'Endymion, composé au plus tôt vers 1615 et publié seulement en 1624, «un fruit du premier âge»; à moins que notre poëte ne fût doué d'une éternelle jeunesse, le jugement de Baillet nous paraît très-légèrement avancé.
Revenons au véritable premier âge de Gombauld. Son père était «d'honneste naissance, dit Tallemant. Il vivoit de ses rentes, et il en vivoit si bien qu'il les mangeoit. Il ne faisoit que chasser et faire bonne chère; enfin il s'acheva de ruiner en procez». Cet exemple devait nécessairement influer sur l'éducation d'un enfant. Et si la famille de Gombauld, dont nous n'avons pu retrouver les armoiries, avait des liens de parenté avec celle des Gombauld de Plassac et de Méré[4], le jeune Jean Ogier put faire, en portant ses regards sur la situation de ses proches, des comparaisons peu favorables à son père. Ce père, chargé de famille et peu soucieux de son avenir, consentit, bien qu'il fût protestant, à ce que «celuy-cy (Jean Ogier) fust instruit dans la religion catholique à Bordeaux, afin de le faire d'Église[5],» exemple d'indifférence religieuse, qui devait encore contribuer à jeter le trouble dans les jeunes idées du futur poëte. Mais il paraît, si l'on en croit Tallemant, que le sang huguenot avait été vigoureusement projeté dans les veines de Jean Ogier de Gombauld. «Il m'a dit, raconte le chroniqueur, car il est huguenot à brusler, que naturellement il avoit de l'aversion pour la religion catholique, et que dez seize ans il cessa de luy-mesme d'aller à la Messe, et revint à nous[6], sans pourtant faire d'abjuration ny de reconnoissance: car il ne prétendoit pas nous avoir quittez, et choisissoit plutôt une religion qu'il n'en changeoit.» Il est vrai qu'on peut accuser un coreligionnaire d'un peu de partialité: aussi ne rapportons-nous ce témoignage que sous toutes réserves. Ce qu'il y a de certain, c'est que Gombauld, pendant les soixante ans environ qu'il passa à Paris, fut toujours attaché au protestantisme: il laissa même des Traités religieux et des Controverses que son ami Conrart, protestant comme lui, publia quelque temps après sa mort.
[4] Nous n'insisterons pas ici sur cette parenté. Après les nombreux et intéressants articles publiés depuis dix ans par plusieurs travailleurs intrépides pour retrouver la généalogie exacte et complète du chevalier de Méré, qui appartenait à la nombreuse famille des de Gombauld de Plassac, il serait étrange que le nom du poëte n'eût pas été rencontré par l'un d'entre eux, si Jean Ogier avait été parent rapproché des auteurs des Lettres. M. le comte de Brémond d'Ars nous assure, du reste, que le nom de Gombauld est très-commun en Saintonge, et si le père du poëte ne fait pas partie d'un rameau se rattachant de longue date au tronc commun des Gombauld de Plassac, il est fort difficile, en l'absence de tout document positif, de préciser son origine. Pellisson écrit Ogier de Gombauld comme un nom de famille. Ogier ne serait-il pas aussi bien un simple nom propre?… Autant de problèmes que, seuls, des actes authentiques pourraient résoudre.
[5] Balzac, dans ses Lettres à Chapelain, publiées en 1873 par M. Tamizey de Larroque (Paris, Impr. nat., in-4o), parle souvent, vers 1644, de deux frères Gombauld, l'un, chantre de l'église de Saintes, l'autre, jésuite, recteur de la Maison d'Angoulême. M. Tamizey les donne, dans ses Notes, comme parents de notre poëte, et, dans la Table, comme ses frères.
[6] Tallemant était aussi de la religion protestante.
Gombauld passa donc sa jeunesse à Bordeaux, où il acheva toutes ses études, «en la pluspart des sciences, dit Conrart, et sous les plus excellents maîtres de son temps». Malheureusement, son bagage scientifique et littéraire ne suffisait pas pour lui assurer le pain quotidien. Son père était mort ruiné, comme on sait; le pauvre garçon fut en outre maltraité par ses cohéritiers, rapporte Tallemant, «et, faute d'avoir de quoy poursuivre, il n'en eut jamais raison». Sa bourse était donc trop maigre pour qu'il pût vivre en gentilhomme. Il est probable qu'il végéta quelque temps à Bordeaux, ou en Saintonge, et qu'en désespoir de cause, ne trouvant pas dans sa province l'occasion de développer des talents qu'il se sentait posséder, il partit pour Paris, le refuge, alors comme aujourd'hui, de tous ceux qui ne peuvent ou ne savent pas tirer parti, chez eux, des ressources d'esprit que leur a départies la Providence.
Gombauld dut arriver dans la capitale vers 1605: il était âgé de trente-cinq ans environ, et n'avait plus par conséquent cette fleur de jeunesse que veulent bien lui attribuer ses amis Conrart et Tallemant, lorsqu'ils le représentent faisant son entrée dans la trop galante cour du roi Henri IV.
Pour se produire avantageusement, il fallait des protecteurs: «Gombauld, raconte Tallemant, fit d'abord connoissance avec le marquis d'Uxelles le Rousseau. Cet homme avoit assez d'habitudes, et, ne pouvant bien faire les lettres dont il avoit besoin dans les desseins de mariage ou de galanterie qu'il pouvoit avoir, il se servoit de Gombauld pour cela, et luy entretenoit un cheval et un laquais.»
En dépit du cheval et du laquais, ce sont là d'humbles débuts pour un futur académicien; et cependant, notre provincial était «grand, bien fait, de bonne mine et sentant son homme de qualité… il avait le cœur aussi noble que le corps… l'âme droite… l'esprit élevé…»; malgré tous ces précieux avantages, il devait, sans murmurer, faire en règle son apprentissage de courtisan.
La cour était alors inondée de petits et de grands vers que les poëteraux, impuissants à saisir le souffle de Malherbe, déposaient aux pieds des déesses du jour.
La cour de Marguerite, surtout, leur offrait un asile accessible, et c'est là que le poëte Maynard, plus tard célèbre, avait commencé sa réputation par ses Désespoirs amoureux. Gombauld prit modèle sur Maynard, comme lui fraîchement débarqué; et, pour mieux imiter le jeune Toulousain, avant de chercher la célébrité dans l'épigramme et le sonnet, il essaya sa verve poétique dans les petites pièces de circonstance… «Il fit assez de vers pour Henri IV, rapporte Tallemant, et il dit que le Roy lui donnoit pension.» Conrart ne se contente pas d'avancer que son ami donna carrière à sa muse, il ajoute que Gombauld «ne tarda pas à être connu et estimé».—«Henri IV, dit-il, ayant été malheureusement assassiné, tous les François le pleurèrent comme le Père de la patrie, et tous les poëtes semèrent son tombeau de fleurs funèbres, qu'ils avoient cueillies sur le Parnasse. M. de Gombauld, quoique jeune, ne fut ni des derniers ni des moindres…»
Nous ne reviendrons plus sur cette épithète de Jeune attribuée, en 1610, à un homme qui, d'après le même auteur, était centenaire en 1666! Mais nous remarquerons, avec l'abbé Goujet, que Conrart doit faire ici une seconde erreur de mémoire. En effet, dans le Recueil de diverses poésies sur le trépas de Henri le Grand, publié in-4o à Paris en 1611, par Guillaume Peyrat, on ne rencontre aucune pièce de Gombauld. On en chercherait même en vain, sur ce sujet, dans les ouvrages poétiques de notre auteur, qu'il rassembla lui-même et qu'il publia en 1646. La plus ancienne des pièces qui soient dans ce Recueil porte la date de 1611, et fut composée sur la mort du duc d'Orléans, fils de Henri IV et frère de Louis XIII. Nous pensons, avec l'abbé Goujet, que si Gombauld avait chanté la mort du roi dans des vers dignes d'être loués par Conrart, il les eût insérés dans son livre. Cependant Tallemant, après avoir dit qu'il «fit assez de vers pour Henri IV», ajoute «qu'il ne les a jamais montrez». Si ce détail est vrai, cela est regrettable, car ils ne nous sont pas parvenus dans ses papiers, et nous aurions pu y rechercher de quelle façon Gombauld essaya de gravir les premiers degrés du Parnasse.
C'est à l'époque de la minorité de Louis XIII, et dès les premiers temps de la régence de Marie de Médicis, que commence la véritable carrière littéraire de Gombauld; c'est aussi la date de sa fortune. Songeons bien qu'il devait avoir déjà près de quarante ans, et voyons-le à l'œuvre. Aussi bien, les documents biographiques à son sujet n'offrent une certitude à peu près absolue qu'à partir de ce moment.
L'occasion qui fit naître la fortune de Gombauld est assez singulière. On croirait plutôt lire une page de roman détachée des Trois Mousquetaires ou des Mille et une nuits. Mais cette aventure, s'il faut en croire Tallemant, est revêtue de tous les caractères de l'authenticité.—La scène se passe à Reims, le dimanche 17 octobre 1610, pendant le sacre de Louis XIII, et toute la Cour est réunie dans le plus pompeux appareil, autour du cardinal de Joyeuse, qui impose les mains sur la tête du Roi… Le moment, on le voit, est solennel, et la situation prête aux incidents dramatiques. La Régente Marie de Médicis, que la longueur du cérémonial a fatiguée, promène, pour se distraire, ses regards allanguis sur la nombreuse et brillante assemblée, qui, frémissante d'enthousiasme, va, de ses vivats, acclamer le successeur du bon Henri. Tout à coup, un vif tressaillement vient animer les traits de l'Italienne, et, pendant tout le reste du sacre, un souvenir lointain semble la préoccuper: au milieu de la foule, elle a cru reconnaître le portrait vivant d'un homme qu'elle avait autrefois favorisé à Florence… et ce portrait vivant n'est autre que l'élégant Gombauld, qui assiste à la fête à côté de son protecteur et maître, le marquis d'Uxelles, aux cheveux roux.
Mais laissons la parole au naïf et malicieux Tallemant:
«La Reyne-Mère estant régente, regarda fort Gombauld, à ce qu'il dit, au sacre du feu Roy, où il estoit avec son rousseau. Mademoiselle Catherine, femme de chambre de la Reyne, eut ordre de sçavoir de M. d'Uxelles qui il estoit. Catherine prit un autre rousseau pour M. d'Uxelles, et alla dire à la Reyne:—Il dit qu'il ne le connoit point.—Cela ne se peut, respondit la Reyne, vous avez pris un rousseau pour l'autre.—Enfin, elle en parla elle-mesme à M. d'Uxelles, et voulut voir des ouvrages de nostre homme.
»A quelque temps de là, d'Uxelles avertit Gombauld qu'on alloit faire l'estat de la maison du Roy, et que c'estoit la Reyne elle-mesme qui le faisoit.—Si cela est, dit Gombauld, je ne m'en veux point inquietter, il en arrivera ce qu'il plaira à Dieu.—Il y fut mis pour douze cens escus. Uxelles le luy vint dire, et ajousta ces mots:—Vous aviez raison de ne vous pas tourmenter, la Reyne a assez de soin de vous: je voudrois être aussi bien avec elle.—La Reyne le cherchoit partout des yeux. La princesse de Conty luy dit qu'il estoit vray que la Reyne avoit de l'affection pour luy.»
Et voilà comment, en quelques heures, le pauvre gentilhomme de Xaintonge devint en grande faveur à la Cour de la Régente, où il eut pendant longtemps ses petites entrées; témoin certain passage des Historiettes que nous renonçons à transcrire ici, mais auquel nous renvoyons ceux qui voudront le lire dans le style imagé de Tallemant… «Il nie cependant, ajoute des Réaux, avoir jamais été amoureux de la Reyne, mais bien d'une autre personne de grande qualité qu'il appelle aussi Philis dans ses poésies; l'une est la grande, l'autre la petite.» Au moins convient-il «que Catherine luy avoit avoué que la Reyne ne l'avoit jamais veû sans esmotion, parce qu'il ressembloit à un homme qu'elle avoit aimé à Florence…»
Le grave Conrart, dans l'Éloge qu'il a fait de son ami, n'est pas aussi cru que Tallemant, mais il parle assez longuement de la faveur de Gombauld, près de la Régente, et ce témoignage vient en quelque sorte confirmer les malicieux récits de l'auteur des Historiettes. «Sous la minorité de Louis le Juste, dit Conrart, et sous la Régence de Marie de Médicis, sa mère, M. de Gombauld fut des plus considérés de cette grande et magnifique princesse; et il n'y avoit point d'homme de sa condition qui eût l'entrée plus libre chez elle ni qui en fût vu de meilleur œil. Comme elle était d'humeur libérale, et qu'elle aimoit à l'exercer envers ceux qu'elle en jugeoit dignes, elle donnoit des pensions considérables à beaucoup d'hommes de savoir et d'esprit. Celle de M. de Gombauld étoit de douze cens escus, ce qui lui donnoit moyen de paroître en fort bon équipage à la cour, soit à Paris ou dans les voyages qui étoient fréquens en ce temps-là. Et comme il étoit autant ennemi des dépenses superflues qu'exact à faire honnêtement les nécessaires, il fit un fonds assez considérable de l'épargne de ces années d'abondance: ce qui lui vint bien à propos pour celles de stérilité qui y succédèrent, quand les guerres civiles et étrangères eurent diminué, et enfin tari les sources d'où les premières avaient coulé.»
L'abbé Goujet semble vouloir révoquer en doute l'assertion précise de Conrart, sous prétexte que dans la liste des pensions payées en 1621 par la Cour, on ne trouve ni un poëte ni un homme de lettres. On sait cependant que Marie de Médicis donna une pension de cinq cents écus à Malherbe après la mort de Henri IV, et l'on doit se rappeler que la Reine fut en disgrâce, puis en fuite, puis en guerre contre son fils depuis 1617 jusqu'en 1620: la disgrâce de la Régente entraîna naturellement tout d'abord celle de ses protégés. Tallemant, du reste, nous donne des renseignements précieux que ne connaissait pas l'abbé Goujet. Outre sa pension, Gombauld recevait souvent des sommes d'argent importantes, surtout à l'occasion des voyages dont parle Conrart, et que ce favori en miniature faisait à la suite de la Cour: car, pendant les sept années de la régence réelle de Marie de Médicis, il fut de toutes les promenades royales. Donc, raconte l'intarissable des Réaux, «en une rencontre de voyage, Gombauld dit à la Reyne qu'il ne pouvoit suivre sans argent. La Reyne luy dit:—Allez chez le trésorier, luy dire de ma part que j'entends que vous soyez payé. Le trésorier dit:—Monsieur, tout le monde dit de mesme. Je demanderay ce soir à la Reyne ce qu'elle veut que je fasse; venez demain matin.—Il y alla.—Elle en a marqué deux, dit le trésorier, vous en estes l'un.—Il fut payé. Il dit que cela dura dix-huit mois, et que s'il y eust eu des amys, on ne luy eust rien refusé: mais, depuis, la religion lui nuisit.» Sa profession de huguenot déclaré fut donc une des causes de sa future disette d'argent; et ce fut elle aussi, probablement, qui fit abaisser de douze cents écus à huit cents, comme le raconte Conrart, le chiffre de sa pension.
Quoi qu'il en soit, les années de la régence, et surtout les premières, furent d'heureuses années pour Gombauld. Se voyant en faveur, il conçut plus d'audace littéraire, et se lança résolument dans la carrière poétique. Il fit connaissance avec Malherbe et Racan; il fréquenta les poëtes en renom, et prenant souvent conseil du réformateur du Parnasse, il garda si bon souvenir de ses leçons, que, vingt ans plus tard, il le défendait intrépidement avec Gomberville contre les critiques de l'Académie.
Les premiers essais poétiques de Gombauld ne sont pas à la hauteur de ses modèles. On y rencontre cependant certains traits qui annoncent l'auteur des Sonnets et des Épigrammes, et qui justifient ce passage de l'Éloge de Conrart, où il dit que son ami avait l'esprit «moins fécond que judicieux». Ces premières poésies se composent de stances, de quelques élégies et de vers destinés à des ballets ou à des divertissements, comme on en faisait tant à cette époque, et qu'on peut lire dans le volume des Œuvres poétiques publié par l'auteur en 1646. Aucune de ces petites pièces n'est restée dans la mémoire de la postérité: les contemporains ne les ont cependant pas dédaignées, et le savant Ménage en cite des fragments avec éloge dans ses Observations sur Malherbe.
Voici, par exemple, des vers commandés expressément par Marie de Médicis, pour le Ballet des Déesses, dont Scipion de Gramont avait réglé la marche, tirée de la fable de Psyché. La musique était de l'organiste de La Barre:
POUR LA REYNE REPRÉSENTANT JUNON.
Celuy qui d'un clin d'euil fait trembler l'univers
Ne voyant rien d'esgal à mes appas divers,
Par son royal hymen les rendit plus augustes.
Peut-on rien désormais à ma gloire adjouster?
Qu'en dites-vous, mortels! lesquels sont les plus justes,
Ou les yeux de Pâris, ou ceux de Jupiter?
THÉMIS.
France, à qui tous les dieux amis
Parlent aujourd'huy par Thémis,
Escoute mes devins oracles:
C'est un bruit connu dans les cieux
Que ton Roy fera des miracles
Et ta Reyne des demi-dieux.
CÉRÈS.
Ne vous flattez point d'espérance,
Amans, vostre persévérance,
Ne gaigne rien de m'assaillir;
Qu'est-ce qu'un dessein trop superbe
Vous feroit enfin recueillir?
Votre moisson serait en herbe.
FLORE.
Dessous mes pas naissent les roses;
Mon lustre efface toutes choses,
Et mes yeux font le ciel plus doux.
Mon sort, par dessus les plus belles,
Me donnant un dieu pour époux,
M'a mise au rang des immortelles[7].
[7] Discours du Ballet de la Reyne. Paris, Jean Sara, 1619, in-8o.—Reproduit dans les Œuvres poétiques de Gombauld, 1646, et dans la Collection des Ballets et Mascarades, de M. Paul Lacroix. Genève, Gay, 1868, II (207-211).
Ces strophes sont très-variées: il y en a de tous les styles, depuis le plus majestueux jusqu'au plus léger (témoin le couplet de Pomonne que nous n'osons point citer), en passant par l'épigrammatique et par le gracieux.
Ménage, qui loue beaucoup les vers de Junon, trouve la dernière rime vicieuse en principe; on ne doit jamais, dit-il, en employer de cette sorte, «si ce n'est, comme a fait Gombauld, pour ne pas perdre une belle pensée…» Ménage était déjà loin de la régence lorsqu'il écrivait ses Observations. Théophile, au contraire, venait de la voir disparaître quand il disait, dans sa Prière aux poëtes de ce temps:
Saint-Amand sçait polir la rime,
Avec une si douce lime
Que son luth n'est pas plus mignard,
Ny Gombauld dans une élégie,
Ny l'épigramme de Maynard,
Qui semble avoir de la magie[8].
[8] Théophile.—Œuvres, édit. 1636, 3e part., p. 42.
Voici, du reste, un sonnet qui doit dater de cette période, car il est adressé à Philis, probablement à celle dont parle Tallemant des Réaux:
Une effroyable horreur couvrait la terre et l'onde;
Et desjà les desmons menoient par l'univers
Les funestes oyseaux, les fantosmes divers,
Et des songes divers la troupe vagabonde,
Quand Morphée emprunta la chevelure blonde,
Les roses et les lys, qui n'ont jamais d'hyvers,
Et mille autres appas d'un long crespe couverts,
Dont aujourd'hui Philis estonne tout le monde.
Et d'un pas languissant, tesmoin de ses douleurs,
Il me la vint monstrer, les yeux noyez de pleurs,
Et la bouche aux sourirs incessamment ouverte.
Qu'allez-vous entreprendre? ô dieux trop irritez!
Si Philis doit pleurer, qu'elle pleure ma perte,
Et que vostre colère épargne ses beautés[9].
[9] Poésies de Gombauld, édit. 1646.
M. Paul de Musset pense que le suivant fut composé pour Marie de Médicis elle-même; l'allusion est, en effet, assez transparente:
S'il est vrai que Philis ne regarde personne
Lorsqu'elle ne voit point l'objet de son amour,
S'il est vrai qu'elle est seule au milieu de sa cour
Et ne s'aperçoit pas de ce qui l'environne;
Amant, heureux amant, digne d'une couronne,
Dont ses augustes yeux demandent le retour,
Qui retarde tes pas? quel aimable séjour,
Quel pouvoir te retient? quelle main t'emprisonne?
Non, tu ne manques pas ni d'amour ni de foi;
Tu sais bien que Philis n'a des yeux que pour toi,
Et que chacun se plaint de son indifférence.
Mais un secret effroi cause tes déplaisirs:
Tu sens que son amour n'a rien que l'apparence;
Que son cœur est contraire à ses propres désirs.
Ce sont là des sonnets de grand style; celui-ci est beaucoup plus délicat, et la chute en devait plaire aux dames et damoiselles de la brillante cour de Marie:
Amour, dispense-moy de servir davantage;
Il est temps désormais de vivre en liberté.
Veux-tu qu'en ce dédale où je suis escarté,
Je rende à ton empire un éternel hommage?
Va, triomphe à ton gré de la fleur de mon âge,
Et riche du butin que tu m'as emporté,
Laisse à la fin mon cœur comme un lieu déserté,
Dont tu ne peux tirer ny profit ny dommage.
Ainsi, Daphnis, outré de peine et de soucy,
Consultait ce tyran qui respondit ainsi:
—Si ton sort te desplaît cherche qui te délivre.
Esteindrois-je le feu qui te donne le jour?
Quand on cesse d'aimer, il faut cesser de vivre,
Et la vie a son terme en celuy de l'amour.
On n'était pas habitué, vers 1613, à lire beaucoup de petites pièces aussi remarquables, et d'une versification aussi noble et aussi soutenue. Malherbe seul et ses deux meilleurs élèves, Maynard et Racan, étaient capables d'en produire de pareils. C'est pourquoi la réputation de Gombauld, comme poëte et comme courtisan, grandissant peu à peu, il fut bientôt admis dans les cercles les plus illustres, et les ruelles s'honorèrent de l'avoir pour habitué. Nous ne connaissons pas d'une manière assez précise la date de son entrée à l'hôtel de Rambouillet, pour trancher la question de savoir s'il y fut admis avant 1617, époque de la disgrâce de sa protectrice, ou vers 1620, époque du retour de Marie de Médicis, après ses quatre années de retraite et de guerres. Que fit même Gombauld pendant ces quatre années, et quel fut son asile? Nous ne pourrions le dire exactement: ce qu'il y a de certain, c'est que notre poëte fut, avec Malherbe et Racan, l'un des premiers visiteurs lettrés de l'hôtel de Rambouillet.
Catherine de Vivonne avait quitté la cour en 1608 pour se consacrer tout entière aux soins de sa famille. Le spectacle de la licence des habitués du Louvre était peu fait pour séduire cette femme aimable, chez qui le sentiment de la dignité personnelle était aussi vif que celui des convenances morales. Mais, en même temps qu'elle se séparait de la cour, elle n'entendait point se séparer du monde, pourvu que ce fût un monde à elle, poli, distingué, élégant, lettré. Son hôtel, qu'elle habitait en 1612, devint bientôt le rendez-vous d'une société nombreuse, que le charme de sa conversation et de son caractère attirait à sa petite cour, et qui «se dédommageait de ne la plus recevoir, dit M. Livet, en courant auprès d'elle[10]». Ce fut, à proprement parler, le rendez-vous de la bonne compagnie; «l'esprit de conversation, dit encore M. Livet, y naquit, s'y développa et s'y maintint. Les grands seigneurs apprirent à respecter les écrivains et à les fréquenter sur un pied d'égalité»; et M. Cousin a parfaitement fait ressortir ce point caractéristique quand il a dit: «A l'hôtel de Rambouillet, tous les gens d'esprit étaient reçus, quelle que fût leur condition: on ne leur demandait que d'avoir de bonnes manières; mais le ton aristocratique s'y était établi sans nul effort, la plupart des hôtes de la maison étant de fort grands seigneurs, et la maîtresse étant à la fois Rambouillet et Vivonne[11].»
[10] Livet.—Précieux et Précieuses.
[11] V. Cousin.—Madame de Sablé.
Gentilhomme et poëte comme Malherbe et Racan, Gombauld, qui professa toujours un culte véritable pour la société élégante et polie, ne pouvait manquer de devenir, comme eux, un hôte assidu du salon de la célèbre marquise. Malherbe visitait déjà Mme de Rambouillet dès 1613, comme nous l'apprend une de ses Lettres à Peiresc, dans laquelle il raconte au savant Provençal ce qui s'est passé dans une réunion à laquelle il venait d'assister. Il est fort possible que Gombauld ait été admis à l'hôtel vers cette époque, alors que sa faveur près de la Régente et ses vers pour les ballets le mettaient en relief parmi les courtisans. Nous pouvons, du moins, affirmer que fort peu de temps après la rentrée en grâce de Marie de Médicis, c'est-à-dire vers 1622, il était l'un des visiteurs les plus aimés de Mme de Rambouillet, qui le menait avec elle chez Mme de Clermont d'Entraigues, chez M. de Montlouet, chez tous ceux de ses amis, en un mot, dont les salons formaient comme des succursales de celui de son hôtel. Voiture, Chapelain, Conrart et Godeau n'étaient pas encore, à cette époque, les familiers du cénacle; et les trois gentilshommes poëtes, Gombauld, Malherbe et Racan, y représentaient presque seuls, à l'origine, l'élément littéraire.