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 Chapitre II

Quand on vit dans un lieu pour longtemps,

on devient aveugle parce qu’on n’observe rien

Cit. Josef Koudelka

Les jours qui suivirent furent intenses professionnellement, je me sentais terriblement fatigué et j’étais impatient de faire une pause. Mon responsable venait d’engager deux jeunes à former. Mais ils avaient provoqué le chaos. On découvrit un peu plus tard qu’ils étaient des parents du responsable, ses petits-enfants pour être précis. Ils se comportaient maladroitement en cuisine, cassaient des assiettes, décongelaient de la nourriture pour avoir oublié de refermer les chambres froides, faisaient tomber des aliments déjà prêts par terre, se trompaient dans les commandes et nettoyaient très mal la salle. Mon responsable semblait passer outre leurs dégâts et la confusion qu’ils créaient, chose qui rendait furieux tous les autres employés, moi y compris. Mais je pourrais tout laisser derrière moi au moins une journée. C’était en effet mon jour de libre et je le passerais au Manoir de Mondello avec un vieil ami. Ces derniers jours, j’avais évité de me poser des questions sur le baiser d’Angelo, mais maintenant, l’idée qu’il allait passer me prendre commençait à me stresser.

Je me regardai dans le miroir pour la énième fois : je portais un jean, un tee-shirt blanc et des chaussures de sport. La sonnette de la porte retentit à cet instant. Je me regardai à nouveau : j’étais bien habillé de cette façon. En m’approchant de la porte, je compris que ce n’étaient pas les vêtements qui m’inquiétaient. Non, ce qui me préoccupait était le souvenir de ce baiser, de ces lèvres chaudes, de ce souffle lourd et de ces yeux pleins de désir.

Je pris une longue respiration et ouvris la porte. Angelo sourit et entra. Il me regarda de la tête aux pieds, puis fit quelques pas dans la maison. Il était très beau, encore plus attirant même avec son jean et son tee-shirt bleu, tous deux moulants, qui mettaient en évidence la silhouette de son corps.

Nous nous regardâmes un instant. Les yeux noisette d’Angelo étincelèrent, puis il sourit. Un sourire léger qui se faisait plus ouvert alors qu’il s’approchait. Je me surpris à l’attendre, le souffle coupé, alors qu’il me prenait la taille d’un bras.

« Tu sais, murmura-t-il en souriant, tout ceci est très stupide. » Il me serra contre lui au point que nos lèvres s’effleurèrent presque. J’étais intensément conscient du contact de ce corps, de ces cuisses musclées qui dégageaient une chaleur au contact des miennes, de l’étreinte de ces mains, de la chaude profondeur de son regard.

« Qu’est-ce qui est stupide ? » je murmurai, captivé par la chaleur qui m’enveloppait, tandis que ses mains glissaient le long de mon dos et m’attiraient davantage à lui, de façon à ce que chaque partie de notre corps se touche. Sa respiration se fit plus rapide, je le regardai dans les yeux, et vis son visage devenir plus sérieux.

« Je crois - je pouvais sentir son souffle sur mes lèvres - je crois que nous sommes prêts pour tout ça depuis très, vraiment très longtemps. »

Il baissa la tête et m’embrassa dans le cou, s’arrêta, la joue posée contre la mienne. Je le serrai contre moi en lui passant les bras autour du cou, désireux de sentir la chaleur de son corps partout.

« Et c’est stupide de faire semblant - il m’embrassa doucement sur les lèvres et poursuivit - de faire semblant que ça n’existe pas. »

Nos regards fusionnèrent un moment, emplis de désir, alors qu’il approchait à nouveau ses lèvres des miennes. Nous soupirâmes tous deux de plaisir au contact de nos bouches, les ouvrant et explorant celle de l’autre de la langue. Mes doigts caressèrent ses cheveux, et ceux d’Angelo descendirent le long de mon dos jusqu’à ma taille, pour trouver la chaleur de ma peau sous mon tee-shirt. Ce contact, à peine effleuré, fut incroyablement excitant et dissipa toute protestation de ma part, allumant mon désir.

Je tendis les mains jusqu’à toucher ses fesses, fermes et contractées sous mes doigts. Je sentais sa verge dure presser sous son jean et rencontrer la mienne. Instinctivement, nous commençâmes à mouvoir nos hanches, frottant notre sexe l’un contre l’autre. Nous faisions l’amour, mais sans nous déshabiller. Lorsqu’il tendit la main pour défaire ma ceinture, il s’empara de ma verge et je gémis de désir. Il se pencha et approcha son visage de mon pubis. Je pouvais sentir la chaleur de son souffle sur mon ventre tandis qu’il me libérait de l’étau de mon boxer gris. Il lécha la pointe de mon membre, rapidement en l’effleurant à peine de la langue, puis remonta en embrassant mon torse et mon cou. J’attrapai son visage de mes mains et l’embrassai passionnément. Je ne rouvris les yeux qu’un instant mais assez pour voir notre image reflétée dans le miroir. Je me sentis soudain ridicule et déplacé. Je me raidis et il dut le remarquer car il me murmura : « Johnny, après tellement de temps. Il leva la tête et me regarda, la profondeur de son regard exprimait la décision. Tu sais, je ne sais même pas si tu sors avec quelqu’un. Je vais peut-être trop vite et ça pourrait être un problème pour toi, peut-être. » Ses yeux brillèrent.

« Tu pourrais ne pas vouloir ce que je moi je désire » ajouta-t-il doucement.

Je souris. Il était difficile d’imaginer vouloir quelqu’un d’autre en ce moment. Mais c’était un homme, un vieil ami, et je me souvins de Federica.

« Et bien…, j’hésitai. Vraiment je… Je m’interrompis et le vis élargir les lèvres en un sourire candide et innocent.

— J’ai peut-être été trop présomptueux. Tu n’as peut-être pas envie d’en parler, dit-il en haussant les sourcils.

Je secouai la tête.

— Non, pas de problème. Mais je vois quelqu’un ces derniers jours.

Il m’étreignit encore plus fort.

— Elle te plaît ?

— Je pense que oui.

— Tu crois vraiment que si c’était le cas, tu arriverais à rester dans mes bras comme ça ? » Ses mains et ses propos continuaient à me transmettre de la chaleur.

Je le regardai droit dans les yeux et alors que nous commencions tous deux à sourire, je dis : « C’est possible.

Angelo m’embrassa sur les lèvres :

— Ne nous créons pas de problèmes. C’est tellement bon de pouvoir te tenir contre moi après tout ce temps que ce serait vraiment idiot de se poser des problèmes pour ça.

— Je suis d’accord, mais allons-y doucement. Je ris en reprenant contenance.

— Juste une chose cependant, ajouta Angelo avec une lueur malicieuse dans le regard tandis qu’il remontait mon jean.

— Quoi ?

— Tu devras me dire tout ce que tu sais sur cette fille.

Je levai la tête pour rencontrer de nouveau ses yeux.

— Pourquoi je devrais le faire ?

Il sourit et répondit :

— Parce que j’aurai plus de possibilités de gagner en connaissant l’adversaire.

Je ris de bon cœur.

— Je suis flatté, mais tu fais passer ça pour un étrange défi. Ce n’est pas un match de foot.

— Non, c’est absolument beaucoup plus important qu’un match. Mais sérieusement, le temps est passé et je ne sais plus quel type de femme t’attire. Il sourit et me passa un doigt sur le nez. Si je me souviens bien, nous avions des goûts très différents tous les deux.

— Évidemment. Tu les aimais belles et stupides ! dis-je en souriant avec sarcasme.

— Peut-être, répondit-il en me regardant fermer ma ceinture. Mais je les aimais.

— Mais bien sûr ! Tu ne les aimais pas du tout ! Tu aimais leur décolleté et tu aurais dit vouloir les épouser toutes juste pour avoir le triangle magique qu’elles tenaient caché entre leurs jambes. »

Nous explosâmes d’un rire retentissant, puis il se fit sérieux et s’approcha : « Et puis je t’en parlais et tu gâchais tout. C’est toi qui m’empêchais d’être sérieux avec les femmes. Je n’arrivais pas à penser à elles quand j’étais avec toi.

— Mais pas avec Agata, je répondis dans un sarcasme doux et voilé.

— Non, pas avec elle. »

Nous nous fixâmes en silence et je me demandai si l’attirance entre nous avait toujours été aussi forte, quoique réprimée et ignorée, et si les émotions et les pensées avaient toujours été celles que nous éprouvions à l’instant.

« Je crois que nous devrions y aller, il est temps de se remuer, dit-il soudain. Ses yeux étaient pénétrants alors qu’il s’approchait de nouveau. Ou bien on peut rester ici, toi et moi, et passer la journée ensemble.

— Ce serait trop facile, tu ne crois pas ? Je ne suis pas une jeune fille aux mœurs légères moi ! » Je le dis en imitant une voix féminine et mimant des gestes qui me rendaient gentiment efféminé.

Il sourit, mais son regard se fit sombre et triste : « Honnêtement, je ne sais pas si ça a été si facile de t’embrasser. Ça nous a pris toute une vie. Et je suis encore moins sûr que ce soit facile de te faire mien. Il fit une courte pause. Tant d’années sont passées. »

Je détournai les yeux des siens, ils étaient trop dangereux.

« Bien, je prends deux-trois affaires et je suis prêt. Allons-y. »

Je m’emparai d’un petit sac dans lequel j’avais mis quelque chose à manger. Nous sortîmes quelques minutes plus tard et, avec la voiture d’Angelo, une Saab rouge, prîmes l’autoroute qui menait à l’échangeur de Mondello.

Le voyage fut agréable. L’air de mai était doux et empreint du parfum des arbres, d’agrumes et de sel.

Alors que la voiture s’engageait dans le premier tunnel, à la hauteur d’Isola Delle Femmine, Angelo lança : « C’est mieux que tu te prépares.

— Me préparer à quoi, Angelo ? Tu sais à quel point je suis curieux.

Angelo secoua la tête.

— Parce que le Manoir de Mondello pourrait t’apparaître bien différent que dans ton souvenir. Tu n’y vas plus depuis combien de temps ?

— Oh mon Dieu, bonne question ! Laisse-moi réfléchir. Au moins douze ans, j’étais dans ma dernière année de lycée. Nous sommes allés y trouver mon grand-père avec mes parents cet été-là. C’est l’année où il nous a dit qu’il vendrait le domaine et qu’il avait déjà une offre d’un acquéreur potentiel. Il disait qu’il observerait la plus grande discrétion parce qu’il s’agissait d’un footballeur de l’unione sportiva Città di Palermo. Je fis une pause et regardai Angelo. Je me demande pourquoi il n’a jamais rien dit. Pourquoi garder secrète la propriété du Manoir de Mondello, tu le sais ?

Angelo esquissa un demi sourire :

— Giovanni aimait s’entourer de secrets. Mais je ne sais que ce que tu as lu dans son testament. Il ne l’a pas vendu à cause du décès de tes parents.

— Mais pourquoi garder le secret ? Pourquoi faire semblant de l’avoir vendu ?

Angelo me regarda un instant seulement, le regard fuyant de celui qui sait quelque chose et rit sous cape. Puis il soupira face à mon insistance et lâcha :

— Je ne sais pas si je dois et si je peux te le dire, vraiment.

— Tu te moques de moi ? J’étais furieux.

— Non, mais c’est une confidence que m’a faite Giovanni. N’oublie pas que j’étais son avocat et que j’ai été proche de lui jusqu’à sa mort.

— Et toi, n’oublie pas que je suis son petit-fils et que j’ai le droit de savoir.

— Laissons courir pour le moment, dit-il enfin calmement. Tu dois comprendre que ce qui se dit entre un avocat et son client est strictement confidentiel, ça s’appelle le secret professionnel.

— Tu veux vraiment parler de secret professionnel avec moi, Angelo ?

— Excuse-moi, je ne veux pas te mettre en colère. Sérieusement, viens ici ! Il tendit le bras et m’attira à lui, appuyant mon visage sur son épaule.

— Excuse-moi si j’ai insisté, dis-je enfin.

— Toi, excuse-moi si je risque parfois de ressembler à quelqu’un que tu as déjà connu et qui aimait te cacher des choses, dit-il doucement en faisant subrepticement référence à mon ex-femme, Marianna.

— Je ne pense pas t’avoir dit quoi que ce soit de tel, je répondis en levant la tête de son épaule.

— Je sais, Johnny, mais il n’est pas nécessaire que tu le dises. Je le sens. J’ai senti ta désapprobation à partir du moment où j’ai décidé de devenir avocat. Comme si c’était une folie pour toi.

— Oh, allez, Angelo ! Ne sois pas ridicule.

— C’est possible que j’exagère, peut-être, mais admets-le. Tu ne t’attendais pas à ce que je finisse en veste et cravate, et encore maintenant je sais que ça te dérange.

Je soupirai :

— D’accord, je l’admets. Mais seulement parce que tu détestais les multinationales. Tu étais un activiste de Greenpeace ! Tu aimais la nature, les raids nocturnes, le ski et tu te battais pour que chaque chiot de la ville trouve un foyer. Qu’est-ce qui t’a tant fait changer ?

— La vie, Johnny, la vie. Le mariage, les factures. Je n’aurais jamais pu entretenir ma femme en allant sauver les baleines sur un navire en Mer du Japon. »

Il me regarda, comme résigné, puis nous prîmes subitement la sortie “Mondello”, et il m’indiqua d’un signe de la tête une montagne en face de l’usine Elenka.

« Même si les montagnes de ce genre sont tellement dangereuses qu’il faudrait être payé pour les escalader. »

Je regardai la montagne qui tombait en surplomb sur la route. La vue me coupa le souffle. Les flancs escarpés étaient très raides, parfois rocheux, parfois couverts d’une végétation dense et luxuriante. Un étrange spectacle de la nature entouré d’une ligne enchevêtrée d’asphalte routier. J’eus le sentiment de ne l’avoir jamais vu avant. Chaque fois que je passais là, l’odeur de la glace de Sicile à peine faite qui provenait d’Elenka attirait tellement mes sens que je fermais les yeux pour la savourer, au point de presque en sentir la saveur sur mes papilles gustatives.

« La dernière fois que je suis venu ici, avec mes parents, j’étais tellement furieux de devoir partir avec eux au lieu de sortir avec mes amis que j’ai complètement ignoré la chance que j’avais de les avoir encore avec moi, devant ces coins de nature. Je continuais juste à râler.

Angelo sourit, ému.

— Je faisais pareil avec mes parents, mais Mondello est difficile à ignorer, même en le voulant.

— Bien, annonçai-je, dans ce cas aujourd’hui, je me baladerai sur les sentiers qui vont de la mer au Monte Pellegrino et tu pourras faire une petite ascension le long des pentes !

Il secoua la tête en signe de désaccord.

— Pas moi ! Je devrais être fou pour recommencer l’escalade improvisée après autant d’années sans entraînement. » Ensuite, il me regarda et ajouta : « Au-delà du fait que je désire davantage rester en ta compagnie. »

Je fondis dans le plus sincère et satisfait des sourires, tandis que la voiture s’engageait dans un chemin de terre qui menait à l’entrée du Manoir de Mondello.

Le Manoir De Mondello

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