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PRÉFACE
ОглавлениеJe dirai peu de mots sur la vie de Sapho. Elle naquit à Mitylène, dans l'île de Lesbos, et vécut dans le sixième siècle avant l'ère vulgaire. Je ne rechercherai point quels furent ses parents. A toutes les destinées des grands noms de l'antiquité, il se mêle toujours quelque événement merveilleux, le plus souvent absurde ou ridicule; nous sommes dans un siècle un peu plus positif.
Sapho n'a point échappé à la loi fatale. Comme si ce n'était pas assez d'être un grand poëte, un génie sublime, certains esprits semblent avoir pris à tâche de rapetisser une si belle gloire en faisant des suppositions fantastiques, qui n'ont pas même la vraisemblance pour excuse.
Nous sommes en droit de repousser toutes ces anecdotes d'une vie ignorée, comme autant de récits controuvés; ce que l'un affirme, l'autre le dément. Ce qu'il y a de certain, c'est que les écrivains contemporains de Sapho ne nous ont transmis, sur les circonstances de sa vie, rien de positif qui puisse nous servir de guide.
Tout ce qui a été recueilli de ce génie nous vient d'auteurs bien postérieurs, qui n'indiquent nullement les sources où ils ont puisé. Nous pouvons donc ne pas ajouter une foi aveugle à tout ce que disent sur Sapho Horace et Ovide, qui peuvent faire autorité assurément en fait de goût, mais dont il est permis de contester les allégations un peu hasardées.
Ainsi je passerai sous silence l'opinion d'une passion monstrueuse qui lui a été calomnieusement imputée par des esprits assez mal faits pour ne pas comprendre toute l'exaltation d'un cœur aimant. L'amitié, dans ses transports, peut aussi devenir une passion, surtout dans une âme de poëte.
Comment accorder cette passion désordonnée avec l'amour insensé pour Phaon? Il faut être conséquent: l'âme ne peut brûler à la fois de deux feux qui s'excluent.
Cette pensée seule condamne les détracteurs de Sapho.
Quant à son amour pour Phaon, il est bien prouvé aujourd'hui que c'est par erreur que quelques auteurs l'ont attribué à Sapho de Mitylène, au lieu d'une autre Sapho d'Érèse, qui éprouva un violent amour pour Phaon. Nous devons ces éclaircissements au savant Visconti, qui, dans son Iconographie grecque, l'a victorieusement démontré.
Ainsi disparaît le désespoir de notre Sapho, qui, ne pouvant supporter les mépris de Phaon, se serait précipitée dans la mer du haut du rocher de Leucade, afin de guérir de son amour.
Parce que Sapho était une femme aimable, on s'est imaginé qu'elle devait avoir les défauts d'une femme galante. Sapho était au contraire sévère sur les mœurs: nous en avons une preuve incontestable; Hérodote nous la fournit. Elle avait un frère qui était devenu éperdument amoureux d'une courtisane nommée Rhodope. Sapho combattit cette passion avec toutes les armes dont elle pouvait disposer. Elle employa les conseils, les supplications pour lui faire abandonner cette maîtresse qui portait le déshonneur dans sa famille; enfin, elle fit des vers contre lui, dans lesquels elle le couvrait de honte.
Aurait-elle jamais poussé l'audace et l'effronterie à ce point, si elle-même, par sa conduite et ses sentiments, eût mérité le moindre reproche?
Il est évident que la jalousie et la calomnie ont tâché de la noircir.
Je ne m'étendrai pas davantage sur sa prétendue liaison avec Anacréon, qui vécut un demi-siècle après elle, ni même sur son contemporain Alcée, qui était âgé de cinquante ans de plus qu'elle. Je ne dirai rien de la conspiration dans laquelle elle entra contre Pittacus, et qui, dit-on, lui valut l'exil. Un poëte peut ne pas se rencontrer dans les mêmes idées avec un tyran, mais il ne conspire pas. Un grand poëte a toujours sa place marquée sous tous les gouvernements, en dépit même des carrières d'Hiéron. Il n'y a que les gouvernements de terreur qui les déciment, parce qu'il est passé le temps où les bêtes féroces s'apprivoisaient au son de la lyre.
Il est un point délicat qui mérite d'être éclairci; je veux parler des avantages de la figure. On ne sait sur quelles preuves Sapho a été dépeinte comme peu favorisée de la nature; sous le rapport des dons physiques, elle était, dit-on, petite et brune. Rien n'est plus vague que ce portrait. Quoi qu'il en soit, pour la première qualification, il est facile de démontrer qu'elle est hasardée, par la présomption fondée sur la nature non équivoque de certains faits: quant à la seconde qualification, le teint n'est pas une cause exclusive de la beauté. Il y a des blondes charmantes; il y a de belles brunes, des brunes piquantes.
On veut bien nous accorder qu'elle avait de beaux yeux. Quant à sa taille, les statues qui la représentent nous la montrent sous des formes qui font juger qu'elle était élégante. Est-ce flatterie de l'artiste? Pourquoi ne pas ajouter foi à son œuvre? Cette qualité ne se rencontre guère que chez les femmes d'une stature avantageuse.
Il me semble qu'en réunissant tous ces dons, on peut se représenter une assez jolie femme. Pourquoi d'ailleurs ne serions-nous pas de l'avis de Socrate qui la qualifie de belle? Son jugement en vaut bien un autre.
Chez les Grecs, la beauté était une qualité à laquelle on attachait un grand prix; elle exerçait sur les poëtes et sur les artistes un empire absolu et enflammait leur imagination. Voyez ces statues de femmes que le temps a respectées: toutes sont dignes du ciseau des artistes qui nous ont transmis leurs traits; elles sont toutes belles. Je me plais à me la représenter ainsi et par ses grâces et par son élégance. Mais laissons le domaine des puérilités, pour celui des considérations plus sérieuses.
Si je m'abuse sur sa beauté, je ne me trompe point sur son génie, en le proclamant un des plus beaux de la Grèce.
L'admiration que son génie inspira lui fit donner le surnom de dixième Muse. La postérité a confirmé ce jugement.
Sapho était une femme spirituelle et aimable.
A ces titres, sa maison devait être, de son temps, le rendez-vous de tout ce qu'il y avait de distingué dans les lettres et dans les arts; par l'élégance de son esprit, par ses succès en poésie, ses arrêts, sous le rapport du goût, étaient des lois. Elle contribua en grande partie à la gloire de sa patrie par ses écrits, car elle n'avait point de rivaux en son genre. Quoique Homère eût paru trois cents ans avant elle, dans l'intervalle qui les sépare il y eut disette de poëtes, et elle se présente la première comme un astre resplendissant. Arion s'était éteint, et Alcée pâlissait.