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CHAPITRE III.

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Table des matières

Du second Voyage de l'Auteur, & de son Naufrage sur une Côte inconnuë.

Je trouvai l'occasion d'entrer dans un Vaisseau Portugais, qui devoit aller aux Indes Orientales, en compagnie de trois autres Navires. Celui qui le commandoit avoit nom Dom Pedro. Il ne montoit que vingt piéces de Canon, mais l'Equipage étoit de cent quarante-sept hommes, entre lesquels il y avoit beaucoup de François, qui entendoient pourtant tous la Langue Portugaise. Toutes choses étant prêtes, nous mîmes à la voile le cinquième de Juin 1644. ayant le tems fort favorable. La premiére disgrace qui nous arriva, fut en la personne de notre Capitaine. Il passoit à la vérité pour un homme d'une expérience consommée, mais il étoit brutal & débauché. Le dixiéme jour après notre départ, qu'il avoit à son ordinaire pris une bonne portion d'eau-de-vie, il s'emporta tellement contre un de nos Matelots, que des menaces, il voulut en venir aux coups. Le Marinier qui étoit volage, se prit à rire, & à s'enfuïr: Don Pedro irrité, le poursuivit avec un levier à la main, dont il le donna au Diable qu'il va lui rompre le cou: en courant ainsi l'un après l'autre, notre Officier broncha, & après avoir fait quelques pirouettes, s'en alla tomber avec tant de roideur contre le Cabestan, qu'il se rompit le bras gauche, à trois doigts au-dessus du coude. Là-dessus on m'apelle, j'examine la blessure, & je trouvai que l'os étoit entiérement fracassé: après une meûre délibération, j'étois absolument d'avis qu'il faloit se servir de la foie. Malgré tout ce que je fus capable de représenter au Patient, il n'y eût pas moyen de le porter à souffrir cette opération, & il jura qu'il aimeroit beaucoup mieux mourir que d'en venir à une extrémité si fâcheuse. Il falut, malgré moi, se résoudre à le traiter comme il le voulut: mais ce que j'avois prévû arriva deux jours après: la playe s'enflamma, la cangréne y vint, & mon homme fut confisqué le cinquiéme jour après sa chute.

L'Equipage fut extrêmement alarmé de cette perte, qui sembloit nous présager quelque chose de mauvais: il fallut pourtant s'en consoler; on rendit les honneurs à son corps, puis on le coula en mer au bruit du Canon. Nous ne laissions pas cependant d'avancer chemin; de tems à autre il survenoit de petites bourasques, mais qui n'étoient pas dangereuses. Le plus grand mal qui nous en arriva, fut que cela nous écarta de nos autres Vaisseaux, de forte que nous n'en entendîmes plus parler. Etant parvenus à l'Isle de Ascension, nous nous aperçûmes que nos eaux étoient fort corrompuës, ainsi il fut résolu que nous irions faire aiguade à Sainte Héléne, craignant que le nombre de nos malades, qui étoit considérable, n'augmentât sensiblement, si nous différions de relâcher jusques à ce que nous fussions parvenus au Cap de Bonne-espérance.

Mais comme déja nous découvrions cette Isle de loin, & que nous nous en félicitions réciproguement, nous avisâmes un trombe, qui nous paroissoit de la grosseur d'un grand tonneau, à la portée du Canon de notre Navire. N'en ayant jamais vû qu'en peinture, & dans les Traitez des Voyageurs, je considérai ce phénoméne avec toute l'aplication dont je fus capable, & je conclus que ce doit être proprement l'effet d'une partie d'air agité, & poussé avec véhémence dans la vaste étenduë de notre atmosphére, qui venant à rencontrer une autre espéce de tourbillon, mû de la partie contraire, réfléchit en tournoyant vers le bas, & forme ainsi un cylindre, qui s'alonge dans un instant jusques-à ce qu'il parvienne sur la superficie de l'eau. La Mer étant alors par tout pressée, hormis en cet endroit-là, il est nécessaire que ni plus ni moins, que ce que nous voyons au sujet des pompes, des seringues & des ventouses, la matiére qui correspond au milieu de cette colomne, monte: ce qui se fait aussi avec tant de rapidité & de force, jusqu'à enlever de gros poissons, que nous fûmes tout étonnez de voir le Ciel, de serein qu'il étoit, se couvrir de nuages épais, qui obscurcirent l'air dans un moment. Les vents commencérent horriblement à soufler, la Mer s'émût, les vagues s'enflérent, & l'on eût dit que la Nature en courroux, menaçoit de nous engloutir. Les Matelots n'eurent plus grande hâte que de ferler au plûtôt les voiles, hormis seulement le pacsis de borcet; & ayant mis à cape, nous plongeâmes pendant un assez long-tems. Cependant le Vaisseau étoit emporté avec une telle violence, qu'il fallut encore caller la grande voile, de peur d'être poussez sur quelques malheureux brisans. Je ne sçaurois me résoudre à décrire ici par le menu, & suivant le Journal que j'en avois fait, tout ce qui nous arriva pendant cette épouventable tempête, qui dura vingt-deux jours; cela demanderoit plusieurs feuilles de papier, & n'aporteroit au Lecteur que de la compassion & de la tristesse. Ce n'étoient pas seulement quelques femmes & enfans, que nous avions dans notre Bord, qui faisoient des hurlemens capables d'attendrir des cœurs de rocher: la plûpart des hommes étoient saisis de frayeur jusqu'à l'ame. Pas un jour ne se passa que nous n'eussions au moins un mort. Nous perdîmes même notre Pilote & notre Contre-Maître; il ne restoit que le Maître de Navire, qui fut capable de bien gouverner le Vaisseau, & encore se portoit-il assez mal. Pendant ce cruel orage, nous fûmes contraints de jetter en mer, à diverses fois, douze piéces de notre Canon, & tout ce que nous crûmes nous être à charge: nous perdîmes aussi la plupart de nos ancres, & nous voguâmes long-tems à la merci des vents & des courans, sans savoir non plus où nous allions, que si nous avions été au fond de l'Océan. Enfin, Dieu voulût, par une bonté toute particuliére, que le vingt-troisiéme jour, autant doux que des autres avoient été cruels, nous vinsions échouer sur un rivage qui nous étoit tout-à-fait inconnu, où après avoir pris hauteur à midi, examiné les horloges, corrigé l'estime autant qu'il nous étoit possible, nous trouvâmes que nous étions aux environs du soixantiéme degré de longitude, & du quarante-quatriéme de latitude australe: c'est-à-dire à mille ou douze cens lieuës de Sainte Héléne. Comme la plus grande de nos Chaloupes avoit été emportée par les vagues, qui avoient passé mille fois par dessus nous, on fut bien aise d'avoir conservé la petite: d'abord on la mit en mer, & après avoir rendu graces à Dieu, de ce qu'il nous avoit conservez en vie, on commença à décharger les meilleures nipes, & ce qui nous devoit être le plus nécessaire à terre. Nous nous servîmes de quelques chétives voiles pour faire, deux Tentes: les autres coupérent des branches d'arbres, dont ils construisirent des Baraques, où le reste de notre Equipage, qui consistoit en quatre-vingt-cinq personnes, se logérent.

Nous étions bien une quarantaine qui nous portions autant bien que la conjoncture le permettoit. Une partie avoit soin du Vaisseau, l'autre alloit à marode. Jamais les armes à feu, la poudre & le plomb, ne nous avoient été d'une plus grande utilité. Il y avoit de toute sorte de gibier en abondance, & entr'autres, de grosses Poules, plus pesantes que des Coqs-d'indes, y qui étoient grasses & très-suculentes. Le poisson ne nous manquoit point du tout non plus; parce que nous avions bonne provision de filets, d'hameçons & d'autres instrumens propres à la pêche. Les Tortuës y étoient rares, mais elles étoient belles & bonnes. Nous en prîmes quelques-unes, qui pesoient assurément autour de quatre à cinq cens livres, & qui nous donnérent suffisamment à manger à tous. La chair nous paraissoit excellente, & la graisse surpassoit en délicatesse les mets du monde les plus précieux: elle nous servoit à toutes choses, aux sausses, sur le Pain, à brûler, & généralement à tout ce que nous en pouvions avoir besoin. Nous trouvâmes aussi une Riviére à deux bonne heures de-là, du côté de l'Est, qui nous fournissoit de fort bonne eau. Nonobstant ces rafraîchissemens, il y eut encore deux de nos gens qui moururent: les autres ne furent pas long-tems à se rétablir.

Cependant, notre Vaisseau se trouva enfin si déchargé, qu'on remarqua qu'il flotoit; de forte que nous le remorquâmes jusques la Riviére dont je viens de parler. Aussi tôt qu'il fût à terre, les Charpentiers l'examinérent de fort près, on trouva qu'il n'y avoit aucune aparence de le remettre en état de nous servir à continuer notre route: la tempête l'avoit entiérement délabré. Ainsi il fut résolu d'un commun accord, qu'on achéveroit de le mettre en piéces, & que des meilleurs morceaux on en bâtiroit un plus petit, dont on repasseroit en Afrique. Le Capitaine nous vouloit tous alternativement faire mettre la main à la besongne; mais nous lui représentâmes si-bien que nous n'étions pas tous également propres à cela, & qu'aussi-bien il faloit qu'il y eut quelqu'un qui pourvût la cuisine des vivres nécessaires pour l'entretien de tant de gens, que nous fûmes constituez dix pour cela. Les neuf qui me furent joints, étoient adroits, une partie étoient, pour ainsi dire, Chaffeurs, & l'autre Pêcheurs de profession: ainsi l'on peut aisément croire que nous n'avions pas beaucoup de peine, dans un Païs comme celui-là, à trouver de quoi donner à manger à notre Compagnie. Ces agréables occupations, dont un autre se seroit fait un très-grand plaisir, ne me charmérent que pendant peu de jours; je me lassai bien-tôt de ce métier-là. Le desir que je conçus de pénétrer dans un Païs où il ne me paroissoit point qu'il y eut jamais eu personne, me fit prendre la résolution d'abandonner mes Camarades: je ne voulois pourtant pas seul exécuter ce téméraire dessein. Les deux de la Troupe qui me paroissoient des plus résolus, ausquels je le communiquai, furent ravis de ma proposition; ils m'avouérent qu'ils avoient eu chacun en particulier la-même pensée, mais qu'ils n'avoient osé la confier à un tiers: ainsi l'affaire fut concluë, avec serment de n'en point révéler le secret, & nous étant promis de part & d'autre une amitié & une fidélité mutuelle & sincére, nous allâmes nous reposer, dans la vûë de déloger au plus vîte.

Voyages et Avantures de Jaques Massé

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