Читать книгу La vie de Rossini, tome II - Стендаль (Мари-Анри Бейль), Stendhal - Страница 2

CHAPITRE XXI
VELLUTI

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Jai à faire une communication pénible à la partie la plus bienveillante du public que la présente biographie peut espérer. Il m'en coûte infiniment; je sens tout ce que je hasarde: plusieurs opinions singulières à Paris, qu'on voulait bien me passer jusqu'ici comme des écarts sans conséquence, vont se changer tout à coup en paradoxes intolérables, peut-être odieux, et surtout amenés sans à-propos. Mais enfin, l'auteur ayant fait le vœu singulier de dire, sur tout, ce qui lui semble la vérité, au risque de déplaire, et au seul public qui puisse le lire, et au grand artiste dont il écrit la vie, il faut bien continuer ainsi qu'on a commencé. Un homme du monde qui est allé deux cents fois en sa vie aux Bouffes, qui commence à ne plus aimer l'Académie royale de musique que pour les ballets, et qui néglige Feydeau, est assurément le lecteur le plus éclairé et le plus bienveillant que je puisse espérer. Cet homme du monde se souvient peut-être d'avoir vu jadis, quand la censure était indulgente, la brillante comédie du Mariage de Figaro. Figaro se vante de savoir le fond de la langue anglaise: il sait goddam. Eh bien! puisqu'il faut risquer de me perdre par un seul mot, voilà justement le point où en est un amateur de Paris, à l'égard d'une des parties principales du chant, les fioriture ou agréments. Il faudrait que cet amateur eût entendu pendant six mois Velluti ou Davide, pour avoir quelque idée de cette région de la musique, entièrement neuve pour des oreilles parisiennes. En arrivant dans un pays nouveau, après le premier coup d'œil, qui n'est pas sans agréments, on est bien vite choqué du grand nombre de choses étranges et insolites qui vous assiègent de toutes parts. Le voyageur le plus bienveillant et le moins sujet à l'humeur, a grande peine à se défendre de certains mouvements d'impatience. Tel serait l'effet que la délicieuse méthode de Velluti produirait d'abord sur l'amateur de Paris. Je propose à cet amateur d'entendre, le plus tôt qu'il pourra, la romance de l'Isolina chantée par Velluti15.

Une femme jolie, et surtout remarquable par une taille superbe, qui se promène à la terrasse des Feuillants, enveloppée dans sa fourrure, par un beau soleil du mois de décembre, est un objet fort agréable aux yeux; mais si un instant après cette femme entre dans un joli salon garni de fleurs, et où des bouches de chaleur artistement ménagées font régner une température douce et égale, elle quitte sa fourrure et paraît dans toute la fraîcheur brillante d'une toilette de printemps. Faites venir d'Italie la romance de l'Isolina, entendez-la chanter par une jolie voix de ténor, vous verrez apparaître la jeune femme de la terrasse des Feuillants, mais vous ne pourrez guère juger que de l'élégance des mouvements et des formes; la fraîcheur et le fini des contours seront invisibles pour vous. Que ce soit au contraire la délicieuse voix de Velluti qui chante sa romance favorite, vos yeux seront déssillés, et bientôt ravis à la vue des contours délicats dont le charme voluptueux viendra les séduire.

Le ténor a chanté trois mesures; ce sont des prières adressées par un amant à sa maîtresse irritée. Ce petit morceau finit par un éclat de voix: l'amant, maltraité par ce qu'il aime, implore son pardon au nom du souvenir charmant des premiers temps de leur bonheur. Velluti remplit les deux premières mesures de fioriture, exprimant d'abord l'extrême timidité, et bientôt le profond découragement; il prodigue les gammes descendantes par demi-tons, les scale trillate, et part tout à coup à la troisième mesure par un éclat de voix simple, fort, soutenu, et, les jours où il jouit de tous ses moyens, abandonné. Il est impossible qu'une femme qui aime résiste à ce cri du cœur.

Ce style peut sembler trop efféminé, et ne pas plaire d'abord; mais tout amateur français de bonne foi conviendra que cette manière de chanter est pour lui une région inconnue, une terre étrangère, dont les chants de Paris ne lui avaient donné aucune idée. Nous avons bien ici des gens qui font des ornements et qui les exécutent avec justesse, mais les sons de cette voix ne sont pas agréables en eux-mêmes et indépendamment de la place qu'ils occupent. Ensuite cette voix est antimusicale, elle met sans cesse ensemble des choses qui ne vont pas à côté l'une de l'autre et qui se nuisent par leur voisinage. Sans se rendre compte du pourquoi, un homme né pour les arts, et qui a fait l'éducation de son oreille par deux cents représentations des Bouffes, sent confusément que les agréments qu'on lui étale manquent de charme; sa raison approuve tristement, mais son cœur reste froid. C'est la sensation contraire, accompagnée d'un plaisir croissant tous les jours, qu'il trouvera en entendant Velluti dans les soirées où cet excellent chanteur jouit de la plénitude de ses moyens. Un castrat, attaché à la chapelle de Sa Majesté le roi de Saxe, le célèbre Sassarini, donnait le même plaisir dans des chants d'église. Davide approche de ces sensations délicieuses autant que peut le faire une simple voix de ténor. Je ne nommerai pas ici quelques autres belles voix, qui rappelleraient les sensations angéliques que l'on doit à Velluti, si le hasard avait placé un cœur sensible dans le voisinage de ces gosiers flexibles. Ces belles voix, que le vulgaire admire et auxquelles rien ne manque à ses yeux, exécutent au hasard et souvent fort bien une foule d'agréments de significations, de couleurs, de natures opposées. Supposez Talma agité par un cauchemar pénible, et récitant de suite et pêle-mêle, mais toujours avec son rare talent, deux ou trois vers de ses plus beaux rôles. A quatre vers de fureur d'amour, appartenant à l'Oreste d'Andromaque, succèdent deux vers de raisonnements élevés et sublimes, pris dans le rôle de Sévère, de Polyeucte; ils sont immédiatement suivis de deux vers peignant un tyran qui contient à peine sa soif pour le sang, et l'on reconnaît Néron. Le vulgaire, qui n'a point d'âme et qui ne comprend rien à tout cela, trouve tous ces vers fort bien déclamés et applaudit. Voilà ce que font la plupart des grands chanteurs, M. Martin par exemple.

Velluti au contraire déclame bien une suite de vers qui appartiennent tous au même rôle.

15

En septembre 1823, Velluti chante à Livourne l'opéra de Morlacchi, intitulé Tebaldo e Isolina, où se trouve la célèbre romance.

La vie de Rossini, tome II

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