Читать книгу Romans et contes - Theophile Gautier - Страница 9
Оглавление«Vous trouvez-vous mieux à présent? Vos poumons, habitués aux brises de la Baltique qui arrivent toutes froides encore de s’être roulées sur les neiges centenaires du pôle, devaient haleter comme des soufflets de forge à cet air brûlant, où cependant je grelotte, moi, cuit, recuit et comme calciné aux fournaises du soleil.»
Le comte Olaf Labinski fit un signe pour témoigner qu’il ne souffrait plus de la haute température de l’appartement.
«Eh bien, dit le docteur avec un accent de bonhomie, vous avez entendu parler sans doute de mes tours de passe-passe, et vous voulez avoir un échantillon de mon savoir-faire; oh! je suis plus fort que Comus, Comte ou Bosco.
—Ma curiosité n’est pas si frivole, répondit le comte, et j’ai plus de respect pour un des princes de la science.
—Je ne suis pas un savant dans l’acception qu’on donne à ce mot; mais au contraire, en étudiant certaines choses que la science dédaigne, je me suis rendu maître de forces occultes inemployées, et je produis des effets qui semblent merveilleux, quoique naturels. A force de la guetter, j’ai quelquefois surpris l’âme,—elle m’a fait des confidences dont j’ai profité et dit des mots que j’ai retenus. L’esprit est tout, la matière n’existe qu’en apparence; l’univers n’est peut-être qu’un rêve de Dieu ou qu’une irradiation du Verbe dans l’immensité. Je chiffonne à mon gré la guenille du corps, j’arrête ou je précipite la vie, je déplace les sens, je supprime l’espace, j’anéantis la douleur sans avoir besoin de chloroforme, d’éther ou de toute autre drogue anesthésique. Armé de la volonté, cette électricité intellectuelle, je vivifie ou je foudroie. Rien n’est plus opaque pour mes yeux; mon regard traverse tout; je vois distinctement les rayons de la pensée, et comme on projette les spectres solaires sur un écran, je peux les faire passer par mon prisme invisible et les forcer à se réfléchir sur la toile blanche de mon cerveau. Mais tout cela est peu de chose à côté des prodiges qu’accomplissent certains yoghis de l’Inde, arrivés au plus sublime degré d’ascétisme. Nous autres Européens, nous sommes trop légers, trop distraits, trop futiles, trop amoureux de notre prison d’argile pour y ouvrir de bien larges fenêtres sur l’éternité et sur l’infini. Cependant j’ai obtenu quelques résultats assez étranges, et vous allez en juger, dit le docteur Balthazar Cherbonneau en faisant glisser sur leur tringle les anneaux d’une lourde portière qui masquait une sorte d’alcôve pratiquée dans le fond de la salle.»
A la clarté d’une flamme d’esprit-de-vin qui oscillait sur un trépied de bronze, le comte Olaf Labinski aperçut un spectacle effrayant qui le fit frissonner malgré sa bravoure. Une table de marbre noir supportait le corps d’un jeune homme nu jusqu’à la ceinture et gardant une immobilité cadavérique; de son torse hérissé de flèches comme celui de saint Sébastien, il ne coulait pas une goutte de sang; on l’eût pris pour une image de martyr coloriée, où l’on aurait oublié de teindre de cinabre les lèvres des blessures.
«Cet étrange médecin, dit en lui-même Olaf, est peut-être un adorateur de Shiva, et il aura sacrifié cette victime à son idole.»
«Oh! il ne souffre pas du tout; piquez-le sans crainte, pas un muscle de sa face ne bougera;» et le docteur lui enlevait les flèches du corps, comme l’on retire les épingles d’une pelote.
Quelques mouvements rapides de mains dégagèrent le patient du réseau d’effluves qui l’emprisonnait, et il s’éveilla le sourire de l’extase sur les lèvres comme sortant d’un rêve bienheureux. M. Balthazar Cherbonneau le congédia du geste, et il se retira par une petite porte coupée dans la boiserie dont l’alcôve était revêtue.
«J’aurais pu lui couper une jambe ou un bras sans qu’il s’en aperçût, dit le docteur en plissant ses rides en façon de sourire; je ne l’ai pas fait parce que je ne crée pas encore, et que l’homme, inférieur au lézard en cela, n’a pas une séve assez puissante pour reformer les membres qu’on lui retranche. Mais si je ne crée pas, en revanche je rajeunis. Et il enleva le voile qui recouvrait une femme âgée magnétiquement endormie sur un fauteuil, non loin de la table de marbre noir; ses traits, qui avaient pu être beaux, étaient flétris, et les ravages du temps se lisaient sur les contours amaigris de ses bras, de ses épaules et de sa poitrine. Le docteur fixa sur elle pendant quelques minutes, avec une intensité opiniâtre, les regards de ses prunelles bleues; les lignes altérées se raffermirent, le galbe du sein reprit sa pureté virginale, une chair blanche et satinée remplit les maigreurs du col; les joues s’arrondirent et se veloutèrent comme des pêches de toute la fraîcheur de la jeunesse; les yeux s’ouvrirent scintillants dans un fluide vivace; le masque de vieillesse, enlevé comme par magie, laissait voir la belle jeune femme disparue depuis longtemps.
«Croyez-vous que la fontaine de Jouvence ait versé quelque part ses eaux miraculeuses? dit le docteur au comte stupéfait de cette transformation. Je le crois, moi, car l’homme n’invente rien, et chacun de ses rêves est une divination ou un souvenir.—Mais abandonnons cette forme un instant repétrie par ma volonté, et consultons cette jeune fille qui dort tranquillement dans ce coin. Interrogez-la, elle en sait plus long que les pythies et les sibylles. Vous pouvez l’envoyer dans un de vos sept châteaux de Bohême, lui demander ce que renferme le plus secret de vos tiroirs, elle vous le dira, car il ne faudra pas à son âme plus d’une seconde pour faire le voyage; chose, après tout, peu surprenante, puisque l’électricité parcourt soixante-dix mille lieues dans le même espace de temps, et l’électricité est à la pensée ce qu’est le fiacre au wagon. Donnez-lui la main pour vous mettre en rapport avec elle; vous n’aurez pas besoin de formuler votre question, elle la lira dans votre esprit.»
La jeune fille, d’une voix atone comme celle d’une ombre, répondit à l’interrogation mentale du comte:
«Dans le coffret de cèdre il y a un morceau de terre saupoudrée de sable fin sur lequel se voit l’empreinte d’un petit pied.»
—A-t-elle deviné juste?» dit le docteur négligemment et comme sûr de l’infaillibilité de sa somnambule.
Une éclatante rougeur couvrit les joues du comte. Il avait en effet, au premier temps de leurs amours, enlevé dans une allée d’un parc l’empreinte d’un pas de Prascovie, et il la gardait comme une relique au fond d’une boîte incrustée de nacre et d’argent, du plus précieux travail, dont il portait la clef microscopique suspendue à son cou par un jaseron de Venise.
M. Balthazar Cherbonneau, qui était un homme de bonne compagnie, voyant l’embarras du comte, n’insista pas et le conduisit à une table sur laquelle était posée une eau aussi claire que le diamant.
«Vous avez sans doute entendu parler du miroir magique où Méphistophélès fait voir à Faust l’image d’Hélène; sans avoir un pied de cheval dans mon bas de soie et deux plumes de coq à mon chapeau, je puis vous régaler de cet innocent prodige. Penchez-vous sur cette coupe et pensez fixement à la personne que vous désirez faire apparaître; vivante ou morte, lointaine ou rapprochée, elle viendra à votre appel, du bout du monde ou des profondeurs de l’histoire.»
Le comte s’inclina sur la coupe, dont l’eau se troubla bientôt sous son regard et prit des teintes opalines, comme si l’on y eût versé une goutte d’essence; un cercle irisé des couleurs du prisme couronna les bords du vase, encadrant le tableau qui s’ébauchait déjà sous le nuage blanchâtre.
Le brouillard se dissipa.—Une jeune femme en peignoir de dentelles, aux yeux vert de mer, aux cheveux d’or crespelés, laissant errer comme des papillons blancs ses belles mains distraites sur l’ivoire du clavier, se dessina ainsi que sous une glace au fond de l’eau redevenue transparente, avec une perfection si merveilleuse qu’elle eût fait mourir tous les peintres de désespoir:—c’était Prascovie Labinska, qui, sans le savoir, obéissait à l’évocation passionnée du comte.
«Et maintenant passons à quelque chose de plus curieux,» dit le docteur en prenant la main du comte et en la posant sur une des tiges de fer du baquet mesmérique. Olaf n’eut pas plutôt touché le métal chargé d’un magnétisme fulgurant, qu’il tomba comme foudroyé.
Le docteur le prit dans ses bras, l’enleva comme une plume, le posa sur un divan, sonna, et dit au domestique qui parut au seuil de la porte:
«Allez chercher M. Octave de Saville.»