Читать книгу La Comédie de la mort - Theophile Gautier - Страница 26

VI.

Оглавление

Table des matières

La spirale sans fin dans le vide s'enfonce;

Tout autour, n'attendant qu'une fausse réponse

Pour vous pomper le sang,

Sur leurs grands piédestaux semés d'hiéroglyphes,

Des Sphinx aux seins pointus, aux doigts armés de griffes,

Roulent leur oeil luisant.

En passant devant eux, à chaque pas l'on cogne

Des os demi rongés, des restes de charogne,

Des crânes sonnant creux.

On voit de chaque trou sortir des jambes raides,

Des apparitions monstrueusement laides

Fendent l'air ténébreux.

C'est ici que l'énigme est encor sans Oedipe,

Et qu'on attend toujours le rayon qui dissipe

L'antique obscurité.

C'est ici que la mort propose son problème,

Et que le voyageur, devant sa face blême

Recule épouvanté.

Ah que de nobles coeurs et que d'âmes choisies,

Vainement, à travers toutes les poésies,

Toutes les passions,

Ont poursuivi le mot de la page fatale

Dont les os gisent là sans pierre sépulcrale

Et sans inscriptions!

Combien, don Juans obscurs, ont leurs listes remplies

Et qui cherchent encor! Que de lèvres pâlies

Sous les plus doux baisers,

Et qui n'ont jamais pu se joindre à leur chimère!

Que de désirs au ciel sont remontés de terre

Toujours inapaisés!

Il est des écoliers qui voudraient tout connaître,

Et qui ne trouvent pas pour valet et pour maître

De Méphistophélès.

Dans les greniers, il est des Faust sans Marguerite

Dont l'enfer ne veut pas et que Dieu déshérite;

Tous ceux-là, plaignez-les!

Car ils souffrent un mal, hélas! inguérissable;

Ils mêlent une larme à chaque grain de sable

Que le temps laisse choir.

Leur coeur, comme un orfraie au fond d'une ruine,

Râle piteusement dans leur maigre poitrine

L'hymne du désespoir.

Leur vie est comme un bois à la fin de l'automne,

Chaque souffle qui passe arrache à leur couronne

Quelque reste de vert.

Et leurs rêves en pleurs s'en vont fendant les nues,

Silencieux, pareils à des files de grues

Quand approche l'hiver.

Leurs tourments ne sont point redits par le poète;

Martyrs de la pensée, ils n'ont pas sur leur tête

L'auréole qui luit;

Par les chemins du monde ils marchent sans cortége,

Et sur le sol glacé tombent comme la neige

Qui descend dans la nuit.

Comme je m'en allais, ruminant ma pensée,

Triste, sans dire mot, sous la voûte glacée,

Par le sentier étroit;

S'arrêtant tout à coup, ma compagne blafarde

Me dit en étendant sa main frêle: Regarde

Du côté de mon doigt.

C'était un cavalier avec un grand panache,

De longs cheveux bouclés, une noire moustache

Et des éperons d'or;

Il avait le manteau, la rapière et la fraise,

Ainsi qu'un raffiné du temps de Louis treize,

Et semblait jeune encor.

Mais en regardant bien, je vis que sa perruque

Sous ses faux cheveux bruns laissait près de sa nuque

Passer des cheveux blancs;

Son front, pareil au front de la mer soucieuse,

Se ridait à longs plis; sa joue était si creuse

Que l'on comptait ses dents.

Malgré le fard épais dont elle était plâtrée,

Comme un marbre couvert d'une gaze pourprée

Sa pâleur transperçait;

A travers le carmin qui colorait sa lèvre,

Sous son rire d'emprunt on voyait que la fièvre

Chaque nuit le baisait.

Ses yeux sans mouvement semblaient des yeux de verre

Ils n'avaient rien des yeux d'un enfant de la terre,

Ni larmes ni regard.

Diamant enchâssé dans sa morne prunelle

Brillait d'un éclat fixe, une froide étincelle.

C'était bien un vieillard!

Comme l'arche d'un pont son dos faisait la voûte,

Ses pieds endoloris, tout gonflés par la goutte.

Chancelaient sous son poids.

Ses mains pâles tremblaient; ainsi tremblent les vagues,

Sous les baisers du Nord, et laissaient fuir leurs bagues

Trop larges pour ses doigts.

Tout ce luxe, ce fard sur cette face creuse,

Formait une alliance étrange et monstrueuse.

C'était plus triste à voir

Et plus laid, qu'un cercueil chez des filles de joie,

Qu'un squelette paré d'une robe de soie,

Qu'une vieille au miroir.

Confiant à la nuit son amoureuse plainte,

Il attendait devant une fenêtre éteinte,

Sous un balcon désert.

Nul front blanc ne venait s'appuyer au vitrage,

Nul soleil de beauté ne montrait son visage

Au fond du ciel ouvert.

Dis, que fais-tu donc là, vieillard, dans les ténèbres,

Par une de ces nuits où les essaims funèbres

S'envolent des tombeaux?

Que vas-tu donc chercher si loin, si tard, à l'heure

Où l'Ange de minuit au beffroi chante et pleure

Sans page et sans flambeaux?

Tu n'as plus l'âge où tout vous rit et vous accueille,

Où la vierge répand à vos pieds, feuille à feuille,

La fleur de sa beauté.

Et ce n'est plus pour toi que s'ouvrent les fenêtres;

Tu n'es bon qu'à dormir auprès de tes ancêtres

Sous un marbre sculpté.

Entends-tu le hibou qui jette ses cris aigres?

Entends-tu dans les bois hurler les grands loups maigres?

O vieillard sans raison!

Rentre, c'est le moment où la lune réveille

Le vampire blafard sur sa couche vermeille;

Rentre dans ta maison.

Le vent moqueur a pris ta chanson sur son aile,

Personne ne t'écoute, et ta cape ruisselle

Des pleurs de l'ouragan…

Il ne me répond rien; dites quel est cet homme

O mort, et savez-vous le nom dont on le nomme!

Cet homme, c'est don Juan.

La Comédie de la mort

Подняться наверх