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Théophile Gautier
LA COMÉDIE DE LA MORT
Ténèbres

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Taisez-vous, ô mon coeur! taisez-vous, ô mon âme!

Et n’allez plus chercher de querelles au sort;

Le néant vous appelle et l’oubli vous réclame.

Mon coeur, ne battez plus, puisque vous êtes mort;

Mon âme, repliez le reste de vos ailes,

Car vous avez tenté votre suprême effort.

Vos deux linceuls sont prêts, et vos fosses jumelles

Ouvrent leur bouche sombre au flanc de mon passé,

Comme au flanc d’un guerrier, deux blessures mortelles.

Couchez-vous tout du long dans votre lit glacé;

Puisse avec vos tombeaux, que va recouvrir l’herbe,

Votre souvenir être à jamais effacé!

Vous n’aurez pas de croix ni de marbre superbe,

Ni d’épitaphe d’or, où quelque saule en pleurs

Laisse les doigts du vent éparpiller sa gerbe.

Vous n’aurez ni blasons, ni chants, ni vers, ni fleurs;

On ne répandra pas les larmes argentées

Sur le funèbre drap, noir manteau des douleurs.

Votre convoi muet, comme ceux des athées,

Sur le triste chemin rampera dans la nuit:

Vos cendres sans honneur seront au vent jetées.

La pierre qui s’abîme en tombant fait son bruit;

Mais vous, vous tomberez sans que l’onde s’émeuve,

Dans ce gouffre sans fond où le remords nous suit.

Vous ne ferez pas même un seul rond sur le fleuve,

Nul ne s’apercevra que vous soyez absens,

Aucune âme ici-bas ne se sentira veuve.

Et le chaste secret du rêve de vos ans

Périra tout entier sous votre tombe obscure

Où rien n’attirera le regard des passants.

Que voulez-vous? hélas! notre mère nature,

Comme toute autre mère, a ses enfants gâtés,

Et pour les malvenus elle est avare et dure.

Aux uns tous les bonheurs et toutes les beautés!

L’occasion leur est toujours bonne et fidèle:

Ils trouvent au désert des palais enchantés;

Ils tettent librement la féconde mamelle;

La chimère à leur voix s’empresse d’accourir,

Et tout l’or du Pactole entre leurs doigts ruisselle;

Les autres moins aimés, ont beau tordre et pétrir

Avec leurs maigres mains la mamelle tarie,

Leur frère a bu le lait qui les devait nourrir.

S’il éclot quelque chose au milieu de leur vie,

Une petite fleur sous leur pâle gazon,

Le sabot du vacher l’aura bientôt flétrie,

Un rayon de soleil, brille à leur horizon:

Il fait beau dans leur âme; à coup sûr un nuage

Avec un flot de pluie éteindra le rayon.

L’espoir le mieux fondé, le projet le plus sage,

Rien ne leur réussit; tout les trompe et leur ment:

Ils se perdent en mer sans quitter le rivage.

L’aigle, pour le briser, du haut du firmament,

Sur leur front découvert lâchera la tortue,

Car ils doivent périr inévitablement.

L’aigle manque son coup; quelque vieille statue,

Sans tremblement de terre, on ne sait pas pourquoi,

Quitte son piédestal, les écrase et les tue.

Le coeur qu’ils ont choisi ne garde pas sa foi;

Leur chien même les mord et leur donne la rage;

Un ami jurera qu’ils ont trahi le roi.

Fils du Danube, ils vont se noyer dans le Tage,

D’un bout du monde à l’autre ils courent à leur mort:

Ils auraient pu du moins s’épargner le voyage.

Si dur qu’il soit, il faut qu’ils remplissent leur sort;

Nul n’y peut résister, et le genou d’Hercule,

Pour un pareil athlète est à peine assez fort.

Après la vie obscure une mort ridicule;

Après le dur grabat un cercueil sans repos

Au bord d’un carrefour où la foule circule.

Ils tombent inconnus de la mort des héros

Et quelque ambitieux, pour se hausser la taille,

Se fait effrontément un socle de leurs os.

Sur son trône d’airain, le destin qui s’en raille,

Imbibe leur éponge avec du fiel amer,

Et la nécessité les tord dans sa tenaille.


La comédie de la mort

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