Читать книгу De la régénération de l'espèce chevaline en France - Étienne Gilbert de Drée - Страница 3
Introduction.
ОглавлениеAppelé, dès mon jeune âge, à prendre part à l’administration des pays d’États, la Bourgogne et le Mâconnais; nommé membre de l’Administration provinciale du Beaujolais; observateur calme des divers systèmes administratifs qui se sont succédé pendant la révolution; enfin, membre du conseil général de Saône-et-Loire depuis sa création, mes goûts, comme ce genre de fonctions, ont toujours dirigé mes études sur toutes les branches de la haute administration. A la vérité, je n’ai pas exercé long-temps; mais mes fonctions, en me rendant l’observateur, le contrôleur des actes administratifs, ont formé en moi l’esprit de l’administration. Constamment occupé d’en saisir les principes, les vues, rien ne m’a échappé des variantes que ces Administrations ont successivement éprouvées, et cette continuelle étude m’a pleinement convaincu que, dans tous les cas, elles ne pouvaient avoir d’autres bases que l’intérêt national, la vérité, l’impartiale justice, la franche loyauté, l’énergie, l’ordre et l’économie.
Cependant, je dois le dire, en examinant nos grandes Administrations dans leur objet, leur direction et leur marche, j’en ai peu trouvé dans lesquelles les principes que je viens de citer soient ressortis brillans de toute la pureté de leur éclat, et cet examen m’a conduit à une autre remarque coïncidente, c’est que leurs effets et leurs résultats devenaient moins favorables, en raison de ce qu’elles s’étaient éloignées de ces vrais principes: le système outrageant des places pour les hommes a trop prévalu sur celui des hommes pour les places, pour que les Administrations aient pu atteindre le but de leur institution.
C’est surtout lorsque, par le sentiment du besoin d’une industrie applicable à mon département, j’ai porté mes regards sur la situation de l’espèce chevaline en France, et sur les résultats produits par l’Administration des haras, que j’ai été frappé de l’état de dégénération de nos classes de chevaux, et de la pénurie qui nous rend tributaires de l’étranger, que j’ai été frappé en voyant cette situation déplorable se perpétuer depuis la restauration sans une amélioration notable, au sein de la paix, dans un temps où toutes les branches d’industrie se sont élevées rapidement à la prospérité et à l’époque où la restauration de l’espèce chevaline était confiée à une Administration bien dotée, créée ad hoc, pour ce seul objet.
De quelle sensation pénible ne devais-je pas être pénétré en envisageant cette stagnation inconcevable dans une industrie aussi précieuse pour tous les intérêts de la France? C’est par l’inspiration de ce sentiment, que je me suis livré à ce travail, pour la régénération de nos chevaux, dans l’espoir qu’il pourrait être utile. Mon investigation n’a eu d’autre objet que la connaissance de la vérité ; mes combinaisons se sont étendues à tous les moyens que j’ai crus propres à opérer cette régénération, et les pensées que je soumets aux hommes éclairés sont celles d’un Français qui, ami dévoué de sa patrie, n’a jamais eu d’autre ambition que la prospérité et la gloire de la France.
De toutes les parties de la France la voix de la critique s’est élevée contre l’Administration des haras, cette même voix s’est fait entendre plusieurs fois à la Tribune dans les deux Chambres, et cette critique se retrouve encore dans les écrits d’hommes aussi éclairés qu’amis de leur pays.
L’ensemble des reproches se dirige, en général, sur la médiocrité de la somme employée chaque année pour l’achat des étalons, comparée avec le montant de la dotation annuelle de l’Administration;
Sur ce que les étalons distribués dans les départemens sont, en général, mal assortis aux jumens indigènes;
Sur ce que la persévérance pour la conservation des étalons mauvais ou affaiblis rend, en général, la reproduction très faible: elle n’est évaluée qu’à un quart des saillies, tandis que la reproduction naturelle s’élève aux deux tiers;
Sur la diminution considérable qu’opèrent sur la dotation générale de l’Administration les traitemens d’un état-major relativement trop nombreux;
Sur ce que, depuis la réorganisation des haras du Gouvernement au commencement du siècle, aucun résultat n’a encore donné à la France l’espoir d’une race de chevaux de perfection;
Enfin, sur le défaut d’un système prononcé, soit pour s’élever à la hauteur des vues et des mesures nécessaires pour satisfaire aux besoins de la France, soit pour la direction et l’application de ces mesures.
De son côté, l’Administration repousse tous ces reproches, en attribuant la faiblesse de ses résultats aux circonstances et à l’insuffisance de sa dotation; elle motive sa défense par des observations dont voici le résumé :
L’extinction presque totale des belles races françaises pendant la révolution, et par son effet:
La dégénération des variétés de chevaux d’agriculture et d’industrie sur une grande partie du sol français, dégénération qui s’est surtout opérée par les fréquentes réquisitions jusqu’en 1806;
Le découragement complet et général pour toute industrie chevaline, trop bien motivé par l’instabilité des choses et le système des réquisitions;
La diminution de son allocation depuis 1810, époque où, en outre d’une dotation de beaucoup d’étalons et de jumens, cette allocation était de deux millions de francs.
Enfin, elle prétend écarter le reproche de défaut de système, en disant que la faiblesse de son allocation prouve que son institution était d’améliorer et non de multiplier: sans donner à cette expression multiplier une acception précise, elle s’appuie sur l’insuffisance de l’effet de douze cents étalons pour un million de jumens et pour une consommation annuelle de cent vingt mille chevaux.
Elle fait aussi valoir les divers moyens d’encouragément qu’elle a employés pour stimuler le goût de l’industrie chevaline, tout en déplorant leur peu d’efficacité jusqu’à ce moment.
Si je rappelle ici les griefs soulevés par la voix publique et la défense que l’Administration y oppose, c’est parce que, de cette défense comme de l’attaque, il demeure démontré que les résultats obtenus par l’Administration ne sont nullement complets, et que les besoins de la France sont toujours les mêmes; c’est encore parce que la connaissance des antécédens est le flambeau qui doit nous guider dans l’avenir.
Mon intention n’est point de me placer au nombre des détracteurs de l’Administration; mais je suis également éloigné de m’en rendre le défenseur: j’établirai seulement les faits et les résultats dans toute leur vérité ; ils parleront d’eux-mêmes, et chacun pourra, suivant sa conviction, apprécier le bien et le mal, et distribuer la louange ou le blâme.
Néanmoins, je dois placer ici, pour compléter le tableau du pour et du contre dans ce conflit, une remarque, applicable aux entreprises de tout genre, que beaucoup de personnes ont faite comme moi à l’égard des jugemens portés sur nombre d’entreprises particulières demeurées sans succès. On a remarqué que, tandis que le public cherchait et voulait souvent trouver les causes de l’insuccès de l’entreprise dans ses principes, ses statuts ou ses actes patens, des observateurs plus soigneux dans la recherche du vrai apercevaient la véritable cause du mal, soit dans l’incurie et la présomption des chefs, soit dans le manque de système, de direction fixe ou de méthode, soit dans le défaut d’économie sévère, d’énergie ou d’activité, soit dans tout autre de ces vices de gestion qui portent le mécontentement ou le découragement parmi tous les employés et frappent l’Administration entière de paralysie, ou d’un laissez-aller qui amène naturellement sa ruine. Cette remarque n’est peut-être pas hors de notre sujet.
J’abandonne cette controverse pour diriger les regards sur les documens qui ont fixé l’opinion publique sur la situation de l’espèce chevaline, et sur les résultats obtenus par l’Administration des haras.
Plusieurs de mes honorables collègues ont, par des opinions aussi lumineuses que bien motivées, fait sentir la situation de pénurie et de dégénération dans laquelle se trouvait l’espèce chevaline en France, et la nécessité urgente de prendre des mesures nouvelles et efficaces en tout genre pour assurer enfin la restauration des races chevalines. Un ouvrage sur la cavalerie, par un noble pair, fait aussi ressortir, d’une manière évidente, combien, en France, est petit le nombre de chevaux convenables à nos remontes, combien sont dépourvus de qualités la plupart de ceux qu’on y admet; combien ont été fautives jusqu’à ce moment toutes les mesures prises à l’égard de cet important service public, et combien l’intérêt et l’honneur national se trouvent blessés de n’être pas encore affranchis du tribut onéreux payé à l’étranger pour notre importation de chevaux.
Les rapports et les comptes annuels de l’Administration des haras nous ont également fourni des documens propres à nous éclairer sur le nombre des extraits obtenus chaque année dans ses haras, et sur celui des extraits produits par ses étalons nomades. On y trouve aussi le moyen d’apprécier le mérite des mesures et des méthodes de cette Administration, ainsi que les données qui peuvent faire juger l’étendue des progrès d’amélioration qu’elle a fait faire à l’espèce chevaline en général, et des progrès que son influence morale et d’encouragement a opérés sur la propagation de l’élève des chevaux. Il est malheureux de ne trouver, dans le peu d’étendue de ces progrès, qu’un motif de plus pour entrer dans une nouvelle route.
La situation misérable de l’espèce chevaline est donc bien mise à jour: tout le monde la connaît; et la question de savoir si l’on doit à l’avenir se traîner sur les mêmes moyens, ou embrasser un nouveau système, est non seulement bien éclairée, mais elle est à peu près unanimement décidée; car il n’est pas un homme instruit qui ne proclame la nécessité et même l’urgence de donner un tout autre développement aux institutions chevalines, comme le seul moyen de relever cette branche de l’industrie et de la richesse nationales.
Quelle défense pourrait invoquer l’Administration à cet égard, lorsqu’aux autres reproches qui lui sont adressés on ajoute celui de son insouciance pendant longues années, pour rétablir nos remontes militaires sur le sol français: imprévoyance impardonnable, qui, outre ses effets funestes sur notre industrie, aurait compromis le sort de nos armées, si nous eussions eu une guerre à soutenir?
Il n’y a donc rien à opposer à une opinion unanime aussi bien fondée, et formée par la force des choses: c’est d’après cela, que voulant rendre utiles les observations que j’ai faites sur la restauration et l’élève des chevaux, ainsi que l’étude à laquelle je me suis livré sur les ressources de notre industrie, je me suis attaché à découvrir les moyens les plus dans nos convenances et les plus propres à rendre à l’espèce chevaline de France son ancien lustre.
L’objet de ce précis est donc spécial; il est consacré à présenter le système et la série des moyens que je crois propres à satisfaire le plus promptement possible les besoins éminens de la France pour des races de chevaux de perfection et pour l’amélioration générale de ses nombreuses variétés de chevaux d’industrie, ainsi qu’à faire ressortir d’une manière précise la part que le Gouvernement doit prendre dans l’exécution de ces moyens.
Bien pénétré de ce principe qu’en industrie la théorie ne peut être favorablement appliquée qu’avec l’appui des leçons de l’expérience, je n’ai négligé aucune des connaissances pratiques et je me suis entouré des lumières que jette le passé, afin de donner les bases les plus solides à mon travail.
J’ai donc cru devoir, avant tout, déterminer la situation réelle des espèces et variétés de chevaux existant en France au moment actuel ( 1829 );
Rechercher l’étendue des progrès d’amélioration qu’a faits l’espèce chevaline en général depuis 1806, et particulièrement sous la dernière Administration des haras;
Étudier scrupuleusement les besoins que réclament le service de nos armées, celui de chaque industrie, celui de chaque profession de l’ordre civil, de même que ceux qui nous sont signalés par l’intérêt général et l’honneur national.
Et pour lever toute indécision sur la question de savoir si, en France, le Gouvernement doit prendre une part active dans les moyens d’amélioration de l’espèce chevaline, question qui ne peut être qu’affirmative pour tous ceux qui connaissent les faibles ressources que présente notre industrie à cet égard, mais qui cependant peut encore être douteuse pour les hommes qui, très confians dans les systèmes industriels des Anglais, sont, en tout état de cause, disposés à repousser l’intervention du Gouvernement dans toute entreprise, rien ne m’a paru plus propre à porter un grand jour sur cette question, que d’établir le parallèle entre les systèmes et les progrès industriels des deux nations, entre la quotité des capitaux et facultés qui alimentent l’industrie de chacune, afin de connaître et de faire ressortir l’énorme différence qui existe entre les moyens industriels de l’Angleterre et ceux de la France.
J’ai dû également m’assurer de l’étendue des ressources que l’amélioration de l’espèce chevaline a pu trouver jusqu’à ce moment dans notre industrie et nos fortunes particulières, afin de prévoir ce que cette amélioration a droit d’en attendre d’ici à plusieurs années.
Ces faits et ces objets de comparaison ayant servi de base aux moyens de restauration que je propose, il est rationnel de faire précéder l’énoncé de mes moyens par les résumés de ces antécédens que j’ai pris pour régulateurs, qui, plus que les oppositions, peuvent éclairer sur le mérite des moyens, sur leurs résultats présumables, et même sur les intentions de l’auteur.
Mon but étant la formation d’un plan général de restauration, j’ai négligé quelques détails de statistique, parce qu’ils se trouvent dans les ouvrages récens sur cette matière.
Je le répète encore, si j’ai fouillé dans le passé, si je l’ai scruté, c’est sans amertume, et dans le seul but d’en former la boussole d’assurance pour la marche dans l’avenir.
C’est dans ces vues qu’a été faite la division de ce précis en chapitres.