Читать книгу L'escargot bleu - Tristan Derème - Страница 3
PRÉFACE
ОглавлениеLes remerciements qu’à la première page de mon livre, j’exprimais, l’an dernier, à la critique et au public, en songeant à l’accueil qu’ils avaient fait, en1934, au Poisson Rouge, il m’est bien agréable de les leur renouveler sur le propos du Violon des Muses, en souhaitant que leur bienveillance maintenant se mue, si je l’ose dire, en une feuille de laitue tendre et choisie, pour les délices de l’Escargot Bleu que je leur confie.
J’avais songé, je l’avoue, à vous donner cette année, un recueil d’élégies; mais il y faudrait encore beaucoup de loisirs, car les vers nais sent lentement et quand ils sont venus au monde, leur père doit encore s’occuper d’eux et pendant plusieurs saisons et pour tout dire, les corrigeant avec douceur et avec amour, les élever ainsi que des enfants, avant de leur ouvrir les grandes portes où il leur dit adieu. De ce recueil dont je rêve, je voudrais pourtant transcrire une page ici que je vous demanderais d’entendre:
Vous savez de ces cœurs tristes et langoureux;
Je connais leurs secrets voluptueux et sombres:
Le soleil ni l’amour ne brillent plus pour eux,
Et pour rêver encor d’un paysage heureux,
Ils évoquent des Ombres.
Un fleuve s’attardait sous les coteaux fleuris
Et les roses riaient à leurs jeunes journées.
Ce n’est plus aujourd’hui que guirlandes fanées
Et lierre morose où leurs songes sont pris.
La mer les fait penser à d’obscures tempêtes,
Aux rêves dont l’orage arrache les lambeaux;
Et dans les tourbillons des plus brillantes fêtes,
Ils voient leurs souvenirs éteindre les flambeaux.
Le printemps qui revient n’a plus pour eux de charmes;
Ce sont de vieux avrils que couve sa chaleur;
Egarés dans le monde ils se plaisent aux larmes,
Et dans la solitude emportent leur douleur.
Adieu, Mélancolie! et qu’une corde neuve
Bruisse en souriant sous un ballet de mots;
Qu’Amour brille en mes vers comme se mire au fleuve
La fleur qui bourdonne aux rameaux.
Je ne sais s’il convient de remuer plus longtemps des pensées qui ne réussissent guère à sourire et l’on connaît assez, au demeurant, que les élégies ont accoutumé de n’être point de gais poèmes. Elles peuvent fleurir aux climats les plus divers et jusqu’en cette Ville où nous nous sentons à peu près tous exilés et dont nous rêvons pourtant avec je ne sais quel bonheur dès que nous sommes à quarante lieues d’elle. N’est-elle pas toute pleine de féeries ou, du moins, de songes nocturnes?
Tandis que d’un luth j’accorde
La triple ou quadruple corde
En rêvant à des chansons,
Sous le pont de la Concorde
Bondissent mille poissons.
Ce sont poissons volants qui jaillissent des ondes, Ouvrant leurs ailes à mes vers,
Et frôlant l’Obélisque et planant à l’envers,
Par l’ombre, sur Paris, ils mènent d’amples rondes,
Et dans le fleuve enfin ne reviennent fourbus
Qu’à l’heure où l’on entend les premiers autobus.
Beaux songes de la nuit dont le vol se balance!
D’une aile transparente ils battent le silence,
Effleurent Montparnasse et glissent dans le ciel,
Cependant que montant des profondeurs du monde
La lune se suspend comme une rose ronde
Au sommet de la Tour Eiffel.
Mais voici l’Escargot Bleu, et je ne vous parlerai point de ce livre puisqu’aussi bien il est déjà dans votre main, mais je vous avouerai que durant de longues semaines, j’ai bien cru qu’il s’appellerait:
ENTRE LA ROSE ET LA PEAU D’OURS.
J’ai renoncé à ce titre qui semblait tenir du bizarre et que j’eusse pourtant aisément expliqué, si l’on m’en eût prié, car il me paraissait très bien fait pour servir de marque à des propos qui vont vous être rapportés et qui ont été tenus sous la rose à la fin des festins ou, s’il vous plaît mieux: sub rosa. Quant à l’ours ou, pour mieux dire, à sa peau, vous verrez que cette fourrure, par quelque caprice, pouvait trouver sa place au même décor, puisqu’aussi bien Chactas, revenu chez les Natchez, nous confie qu’il retrouva ses compagnons qui le menèrent à leur hutte d’écorce: «J’y passai la nuit avec eux, dit-il. Nous y racontâmes sur la peau d’ours beaucoup de choses...»
Je ne sais point si, dans les repas, votre siège est couvert de peau d’ours, de tigre ou de panthère; au surplus, il n’importe guère et je vous demande seulement de faire bon accueil à cet Escargot Bleu. Dans le tumulte contemporain, cet animal est silencieux et, du moins, il ne parle ici qu’à voix basse. Je crois qu’il vous entretiendra de divers objets où je souhaite que vous preniez du plaisir, qu’il s’agisse d’un mouton couleur d’herbe, des larcins d’un poète, des noix dorées, de l’art de composer les vers alexandrins ou des songes nouveaux du jeune Patachou.
T.D.
2juin1936.