Читать книгу L'hôtel hanté - Уилки Коллинз - Страница 9
V
ОглавлениеAprès une semaine de voyage en Écosse, milord et milady revinrent subitement à Londres. Sa visite aux montagnes et aux lacs écossais n'avait point donné à milady le désir de faire plus ample connaissance avec eux. Quand on lui en demanda la raison, elle répondit laconiquement:
«J'ai déjà vu la Suisse.»
Pendant une semaine encore, les nouveaux mariés restèrent à Londres, vivant en véritables reclus. Un jour, la vieille nourrice qui revenait de faire une commission dont Agnès l'avait chargée rentra dans un état d'excitation difficile à décrire. En passant devant la porte d'un dentiste à la mode, elle avait rencontré lord Montbarry qui en sortait. La bonne femme dépeignit cette rencontre avec un malin plaisir, représentant lord Montbarry comme affreusement malade.
«Ses joues se creusent, ma chérie, sa barbe est grise. J'espère que le dentiste lui aura fait beaucoup de mal!»
Sachant que sa vieille et fidèle servante haïssait de tout son son coeur l'homme qui l'avait abandonnée, Agnès fit la part d'une grande exagération dans le récit qu'elle venait d'entendre, et néanmoins sa première impression fut celle d'un véritable malaise. Elle risquait, en effet, elle aussi, de rencontrer dans la rue lord Montbarry: il était même possible qu'elle se trouvât face à face avec lui la première fois qu'elle sortirait. Elle resta deux jours entiers chez elle, honteuse de cette crainte ridicule. Le troisième jour, les nouvelles du monde, dans les journaux, annoncèrent le départ pour Paris de lord Montbarry se rendant en Italie.
Mme Ferraris vint le même soir prévenir Agnès que son mari l'avait quittée en lui donnant quelques preuves de tendresse conjugale; la seule perspective d'aller à l'étranger l'avait rendu plus aimable. Un seul domestique accompagnait les voyageurs, la femme de chambre de lady Montbarry, une silencieuse et revêche créature, avait-on dit à Émilie. Le frère de madame, le baron Rivar, était déjà sur le continent. Il avait été entendu qu'il retrouverait à Rome sa soeur et son mari. Les semaines se succédaient tristement pour Agnès. Elle montrait dans sa position un courage admirable, voyant ses amis, s'occupant à ses heures de loisir à lire ou à dessiner, essayant de tout enfin pour détourner son esprit des tristes souvenirs du passé. Mais elle avait trop aimé, avait été trop profondément blessée pour que les remèdes moraux qu'elle employait eussent une influence quelconque sur elle, Les personnes qui se trouvaient avec elle dans les relations ordinaires de la vie, trompées par l'apparente sérénité de ses manières, étaient d'accord pour dire que miss Lockwood paraissait oublier ses malheurs. Mais une vieille amie à elle, une amie de pension qui la vit pendant un petit voyage à Londres, fut très vivement alarmée par le changement qu'elle remarqua chez Agnès. Cette amie était Mme Westwick, femme de ce frère cadet de lord Montbarry, que le dictionnaire nobiliaire indiquait comme héritier présomptif du titre. Il était en Amérique, surveillant les propriétés minières qu'il y possédait. Mme Westwick insista pour emmener Agnès chez elle en Irlande.
«Venez me tenir compagnie pendant que mon mari est absent. Mes trois petites filles vous feront une société; la seule étrangère que vous verrez est la gouvernante, et je réponds d'avance que vous l'aimerez. Faites vos paquets, et je viendrai vous prendre demain pour aller à la gare.»
Agnès ne pouvait qu'accepter une aussi aimable invitation. Pendant trois mois, elle vécut heureuse sous le toit de son amie. Les petites filles en larmes s'accrochèrent à ses vêtements lors de son départ, la plus jeune voulait absolument partir à Londres avec Agnès. Moitié plaisantant, moitié sérieusement, elle dit à Mme Westwick en se séparant:
«Si votre gouvernante vous quitte, gardez-moi sa place.»
Mme Westwick sourit. Les enfants prirent gravement la chose au sérieux et promirent à Agnès de la prévenir.
Le jour même où Agnès Lockwood revint à Londres, le passé se rappela à son souvenir. Elle qui tenait tant à l'oublier! Après les premiers embrassements et les premiers compliments, la vieille nourrice, qui était restée pour garder l'appartement, eut des nouvelles importantes à donner de la femme du courrier.
«La petite Mme Ferraris est venue, ma chérie, dans un état affreux, demandant quand vous serez de retour. Son mari a quitté lord Montbarry sans prévenir et personne ne sait ce qu'il est devenu.»
Agnès la regarda avec étonnement:
«Êtes-vous sûre de ce que vous dites?»
La nourrice répandit qu'elle en était absolument sûre.
«Mais, mon Dieu, mademoiselle, ajouta-t-elle, la nouvelle vient du bureau des courriers dans Golden square, du secrétaire, mademoiselle Agnès, du secrétaire lui-même!»
À cette nouvelle affirmation, Agnès, surprise et inquiète, envoya sur-le-champ—la soirée n'était pas encore très avancée—prévenir Mme Ferraris qu'elle était de retour.
Une heure après, la femme du courrier arriva, dans un état d'agitation incroyable; quand elle put parler, elle confirma en tous points ce qu'avait dit la nourrice.
Après avoir reçu avec assez de régularité des lettres de son mari, datées de Paris, de Rome et de Venise, Émilie lui avait écrit deux fois sans recevoir de réponse.
Fort inquiète, elle était allée au bureau, à Golden square, demander si on avait des nouvelles de son mari. La poste du matin avait apporté au secrétaire une lettre d'un courrier qui était à Venise. Elle contenait des renseignements sur Ferraris; on avait laissé sa femme en prendre une copie qu'elle apportait à lire à Agnès.
Celui qui écrivait disait qu'il était tout récemment arrivé à Venise, et que sachant que son ami Ferraris était avec lord et lady Montbarry, logé dans un vieux palais vénitien qu'on avait loué à bail, il y était allé pour le voir. Après avoir sonné à une porte ouvrant sur le canal, sans pouvoir se faire entendre, il était allé de l'autre côté donnant dans une étroite allée comme la plupart des rues de la ville. Il trouva sur le seuil de la porte, comme si elle se fût attendue à ce qu'il vînt ensuite par là, une femme pâle avec de magnifiques yeux noirs, qui n'était autre que lady Montbarry.
Elle lui demanda en italien ce qu'il voulait. Il répondit qu'il désirait voir le courrier Ferraris, si cela était possible. Aussitôt elle lui dit que Ferraris avait quitté le palais, sans donner aucune explication, et sans même laisser une adresse à laquelle on pût lui faire parvenir les gages du mois courant qui lui étaient dus.
Tout étonné, le courrier demanda si quelqu'un avait fait de vifs reproches à Ferraris, ou si l'on s'était disputé avec lui.
Voici la réponse même de la dame: