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ACTE DEUXIÈME
SCÈNE I

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Londres; East-Cheap

Entrent NYM et BARDOLPH

BARDOLPH. – Ah! je suis charmé de vous rencontrer, caporal Nym.

NYM. – Bonjour, lieutenant Bardolph.

BARDOLPH. – Eh bien, le vieux Pistol et vous, êtes-vous toujours amis?

NYM. – Pour moi, certes, cela m'est bien égal: je ne fais pas grand bruit; mais quand l'occasion se présentera, on me verra la saisir en souriant. N'importe, il arrivera ce qui pourra. Non, je n'ose pas me battre. Mais je ne veux que donner un coup d'oeil, et puis tenir mon fer devant moi. C'est une simple lame; mais qu'est-ce que cela fait? elle sera bonne pour le chaud et le froid autant qu'épée d'homme vivant; et voilà tout le plaisant de la chose.

BARDOLPH. – Je veux vous donner à déjeuner pour vous rapatrier: et nous irons tous trois en France comme de bons frères. Allons, ainsi soit-il, caporal Nym?

NYM. – Ma foi, je vivrai tant que j'ai à vivre, voilà ce qu'il y a de sûr; et quand je ne pourrai plus vivre, je ferai comme je pourrai. Voilà ce que j'ai à dire là-dessus, et tout finit là.

BARDOLPH. – Ce qu'il y de certain, caporal, c'est qu'il est marié à Hélène Quickly; et il n'est pas douteux qu'elle vous a manqué essentiellement; car enfin elle vous avait donné sa foi.

NYM. – Je ne sais pas: il faut bien que les choses arrivent comme elles doivent arriver. Les gens peuvent dormir quelquefois, et pendant ce temps-là avoir leur gorge à côté d'eux; et comme on dit les couteaux ont des tranchants. Il faut laisser aller les choses. Quoique Patience soit un cheval fatigué, il faudra bien qu'elle laboure; les choses auront nécessairement une fin: enfin je ne puis rien dire.

(Entrent Pistol et mistriss Quickly.)

BARDOLPH. – Voilà le vieux Pistol, et sa femme qui viennent. Mon cher caporal, soyez patient. – Eh bien! comment vous va, mon hôte Pistol?

PISTOL. – Maraud, je crois que tu m'appelles ton hôte? je jure par cette main que j'en déteste le titre; aussi mon Hélène ne tiendra plus d'auberge.

QUICKLY. – Non, sur ma foi, je ne tiendrai pas encore longtemps; car nous n'oserions prendre en pension une douzaine de femmes honnêtes, vivant honnêtement avec la pointe de leurs aiguilles, sans que les gens s'imaginassent aussitôt qu'on tient un lieu suspect. – Oh! par Notre-Dame (apercevant Nym, qui tire l'épée), qu'il ne dégaine pas! Ou nous allons voir un adultère et un meurtre prémédités.

BARDOLPH. – Bon lieutenant… bon caporal… n'offrez pas ce spectacle.

NYM. – Bah!

PISTOL. – Nargue pour toi, chien d'Islande, roquet d'Islande aux longues oreilles.

QUICKLY. – Mon bon caporal Nym, fais voir ta valeur, et rengaine ton épée.

NYM. – Veux-tu que nous allions à l'écart? je voudrais t'avoir solus.

(Rengainant son épée.)

PISTOL. -Solus 6! maudit chien! basse vipère, je te renvoie le solus sur ta face, dans les dents, dans ton gosier, dans tes maudits poumons, ta mâchoire, et ta sale bouche, ce qui est pire encore; je te reporte ton solus, jusque dans tes entrailles; car je puis prendre feu, ma mèche est allumée 7, et l'explosion s'ensuivra.

NYM. – Je ne suis pas Barbason 8: vous ne pouvez me conjurer. – Il me prend une envie de vous assommer passablement bien. Si vous commencez une fois à me parler salement, Pistol, vous pouvez compter que je vous frotterai avec ma rapière, pour parler net, comme je le sais faire. Tenez, si vous voulez seulement venir à quatre pas, je vous chatouillerai les intestins de la belle manière, comme je le sais faire; et voilà le plaisant de la chose!

PISTOL. – Oh! vil fanfaron et furibond maudit! ton tombeau bâille, et la mort s'avance sur toi: rends l'âme.

(Ils tirent tous deux l'épée.)

BARDOLPH, en les séparant. – Écoutez, écoutez-moi un peu auparavant. Celui de vous qui donnera le premier coup peut compter que je lui passerai mon épée au travers du corps jusqu'à la garde; et je le ferai, foi de soldat.

PISTOL. – Voilà un serment bien redoutable! Ce grand feu s'abattra. – Donne-moi ton poing, entends-tu? Donne-moi ta patte de devant, te dis-je. Ma foi, j'admire ton courage.

NYM. – Tiens, pour te parler clair et net, je te couperai la gorge un de ces jours, et voilà le plaisant de la chose!

PISTOL. – Couper la gorge? Dis-tu! Je t'en défie mille fois, mâtin de Crète. Crois-tu t'emparer de ma femme? Oh, non! va-t'en au tonneau de l'infamie retirer ton gibier d'hôpital de la famille de Cresside qu'on appelle Doll-tear-Sheet; et épouse-la. Pour moi, j'ai et j'aurai ma chère quondam Quickly pour femme, et pauca, voilà tout.

(Arrive le petit page de Falstaff.)

LE PAGE. – Mon cher hôte Pistol, accourez donc bien vite chez mon maître, et vous aussi, l'hôtesse, il est bien mal et au lit. Toi, mon bon Bardolph, viens fourrer ta figure entre ses draps, pour lui servir de bassinoire. Sur ma foi, il est bien malade.

BARDOLPH. – Veux-tu courir, petit coquin!

QUICKLY. – Par ma foi, je ne lui donne pas beaucoup de jours encore, avant qu'il aille apprêter un splendide repas aux corbeaux. Le roi l'a frappé au coeur. Oh, ça! mon mari, ne tarde pas à me suivre.

(Quickly sort avec le page.)

BARDOLPH. – Allons, vous raccommoderai-je à présent tous les deux? Tenez, il faut que nous allions voir la France tous ensemble. Pourquoi diable avoir des couteaux pour se couper la gorge les uns aux autres?

PISTOL. – Laissons d'abord les eaux se déborder, et les diables hurler après leur pâture.

NYM. – Vous me payerez les huit schellings que je vous ai gagnés l'autre jour à un pari?

PISTOL. – Fi! il n'y a que la canaille qui paye.

NYM. – Oh! pour cela, je ne le passerai pas, par exemple; et voilà le plaisant de la chose!

PISTOL. – Il faudra voir qui des deux est le plus brave. Allons, tire à fond.

BARDOLPH. – Par l'épée que je tiens, celui qui porte la première botte, je le tue: oui, par cette épée, je le ferai comme je le dis.

PISTOL. – Diable! l'épée vaut un serment, et les serments doivent être respectés.

BARDOLPH. – Caporal Nym, veux-tu te réconcilier, être bons amis, ou ne le veux-tu pas? Eh bien, soyez donc ennemis avec moi aussi. – Je t'en prie, mon ami, rengaine.

NYM. – Je veux avoir mes huit schellings que j'ai gagnés à un pari.

PISTOL. – Eh bien, je te donnerai un noble 9 comptant, et je te payerai encore à boire: l'amitié et la fraternité régneront dorénavant entre nous: je vivrai par Nym, et Nym vivra par moi. Cela n'est-il pas juste? Car je serai vivandier dans le camp, et nos profits croîtront. Donne-moi ta main.

NYM. – Moi, je veux mon noble.

PISTOL. – Tu l'auras comptant.

NYM. – Allons donc, soit: et voilà le plaisant de la chose!

(Entre mistriss Quickly.)

QUICKLY. – Aussi vrai comme ce sont des femmes qui vous ont mis au monde… Oh! accourez bien vite chez sir John: ah! le pauvre coeur! Il a été si bien secoué d'une fièvre tierce quotidienne, qu'il fait pitié à voir. Mes chers bons amis, venez donc chez lui.

NYM. – Le roi a fait tomber sur lui la mauvaise humeur; voilà le vrai de l'histoire!

PISTOL. – Nym, tu as dit la vérité; il a le coeur fracturé et corroboré.

NYM. – Le roi est un bon roi; enfin, on en dira ce qu'on voudra, il a ses humeurs aussi.

PISTOL. – Allons consoler le pauvre baron; car, parbleu! nous n'avons pas envie de mourir, mes agneaux.

(Ils sortent.)

6

Il se fâche du mot solus qu'il ne comprend pas, et auquel il attache un sens déshonorant.

7

On ne doit pas oublier que Pistol veut dire pistolet, et l'imperfection de cette arme dans ce temps-là.

8

Ce mot est également employé dans les Joyeuses Bourgeoises de Windsor.

9

Noble, noble à carat, monnaie d'or anglaise qui valait 6 schellings huit pence.

Henri V

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