Читать книгу Tout est bien qui finit bien - Уильям Шекспир, William Szekspir, the Simon Studio - Страница 5

ACTE PREMIER
SCÈNE III

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La scène est en Roussillon. Appartement dans le palais de la comtesse

LA COMTESSE, son INTENDANT ET UN BOUFFON 6

LA COMTESSE. – Je suis prête à vous entendre à présent: qu'avez-vous à dire de cette jeune demoiselle?

L'INTENDANT. – Madame, je désirerais que l'on pût trouver dans le journal de mes services passés tous les soins que j'ai pris pour tâcher de vous contenter; car nous blessons notre modestie, et nous ternissons la pureté de nos services en les publiant nous-mêmes.

LA COMTESSE. – Que fait ici ce maraud? Retirez-vous, drôle; toutes les plaintes que j'ai entendues sur votre compte, je ne les crois pas toutes… non…; mais c'est la faute de ma lenteur à croire; car je sais que vous ne manquez pas de folie pour commettre ces méchancetés, et que vous avez assez d'adresse pour les commettre subtilement.

LE BOUFFON. – Vous n'ignorez pas, madame, que je suis un pauvre diable.

LA COMTESSE. – C'est bien, monsieur.

LE BOUFFON. – Non, madame, il n'est pas bien que je sois pauvre, quoique la plupart des riches soient damnés. Mais si je puis obtenir le consentement de Votre Seigneurie pour entrer dans le monde, la jeune Isabeau et moi, nous ferons comme nous pourrons.

LA COMTESSE. – Tu veux donc aller mendier?

LE BOUFFON. – Je ne mendie rien, madame, que votre consentement dans cette affaire.

LA COMTESSE. – Dans quelle affaire?

LE BOUFFON. – Dans l'affaire d'Isabeau et la mienne. Service n'est pas héritage; et je crois bien que je n'obtiendrai jamais la bénédiction de Dieu, avant d'avoir une postérité de mon sang; car on dit que les enfants sont une bénédiction.

LA COMTESSE. – Dis-moi ta raison: pourquoi veux-tu te marier?

LE BOUFFON. – Mon pauvre corps, madame, le demande: je suis poussé par la chair; et il faut qu'il aille celui que le diable pousse.

LA COMTESSE. – Sont-ce là toutes les raisons de monsieur?

LE BOUFFON. – Vraiment, madame, j'en ai encore d'autres, et de saintes; qu'elles soient ce qu'elles voudront.

LA COMTESSE. – Peut-on les savoir?

LE BOUFFON. – J'ai été, madame, une créature corrompue, comme vous et tous ceux qui sont de chair et de sang; et, en vérité, je me marie, afin de pouvoir me repentir 7

LA COMTESSE. – De ton mariage plutôt que de la méchanceté.

LE BOUFFON. – Je suis absolument dépourvu d'amis, madame, et j'espère m'en procurer par ma femme.

LA COMTESSE. – Maraud! de tels amis sont tes ennemis.

LE BOUFFON. – Vous n'y êtes pas, madame, ce sont de grands amis; car les fripons viennent faire pour moi ce que je suis las de faire. Celui qui laboure ma terre épargne mon attelage et me laisse en recueillir la moisson: si je suis déshonoré, il est mon valet: celui qui réjouit ma femme est le bienfaiteur de ma chair et de mon sang; celui qui fait du bien à ma chair et à mon sang aime ma chair et mon sang; celui qui aime ma chair et mon sang est mon ami: Ergo, celui qui embrasse ma femme est mon ami. Si les hommes pouvaient être contents de ce qu'ils sont, il n'y aurait aucune crainte à avoir dans le mariage; car le jeune Charon le puritain, et le vieux Poysam le papiste, quoique leurs coeurs diffèrent en religion, leurs têtes à tous les deux n'en font qu'une. Ils peuvent jouer de la corne ensemble comme tous les daims du troupeau.

LA COMTESSE. – Seras-tu donc toujours une mauvaise langue et un drôle calomniateur?

LE BOUFFON. – Je suis un prophète 8, madame, et je dis la vérité par le plus court chemin.

«Je répéterai la ballade

Que les hommes trouveront vraie

Le mariage vient par destinée;

Le coucou chante par nature.»


LA COMTESSE. – Retirez-vous; je vous parlerai plus tard.

L'INTENDANT. – Voudriez-vous, madame, lui dire d'appeler Hélène: j'ai à vous parler d'elle?

LA COMTESSE. – L'ami, dites à Mademoiselle que je voudrais lui parler; c'est Hélène que je demande.

LE BOUFFON.

Quoi, dit-elle, était-ce ce beau visage

Qui fut cause que les Grecs saccagèrent Troie?

Folle entreprise! folle entreprise!

Était-ce là la joie du roi Priam?

Elle soupira en s'arrêtant,

En s'arrêtant elle soupira

Et prononça cette sentence:

«Sur neuf mauvaises s'il y en a une bonne,

Il y en a donc une bonne sur dix.»


LA COMTESSE. – Quoi, une bonne sur dix! Vous altérez la chanson, coquin.

LE BOUFFON. – Une bonne femme sur dix, c'est purifier la chanson, madame. Si le bon Dieu voulait pourvoir ainsi le monde toute l'année, je ne me plaindrais pas de la dîme des femmes, si j'étais le curé. Une sur dix! vraiment s'il nous naissait seulement une bonne femme à chaque comète, ou à chaque tremblement de terre, la loterie serait bien améliorée; mais à présent un homme peut s'arracher le coeur avant de tirer une bonne femme.

LA COMTESSE. – Voulez-vous vous en aller, monsieur le drôle, et faire ce que je vous commande?

LE BOUFFON. – Qu'un homme puisse être aux ordres d'une femme sans qu'il en arrive malheur! Quoique l'honnêteté ne soit pas puritaine… elle ne veut cependant faire de mal à personne; et elle consentira à porter le surplis de l'humilité sur la robe noire d'un coeur gonflé d'orgueil. Sérieusement je pars: mon affaire est de dire à Hélène de venir ici.

(Il sort,)

LA COMTESSE. – Eh bien! maintenant! qu'y a-t-il?

L'INTENDANT. – Je sais, madame, que vous aimez tendrement votre suivante.

LA COMTESSE. – Oui, je l'aime: son père me l'a léguée; et elle-même, sans autre considération, a des droits légitimes à toute l'amitié qu'elle trouve en moi. Je lui dois bien plus qu'il ne lui a été payé, et je lui payerai plus qu'elle ne demandera.

L'INTENDANT. – Madame, je me trouvai dernièrement beaucoup plus près d'elle qu'elle ne l'eût désiré, je pense. Elle était seule, et confiait ses secrets à ses propres oreilles: elle pensait, j'oserais le jurer pour elle, qu'ils n'arriveraient point à des oreilles étrangères. Elle disait qu'elle aimait votre fils. «La fortune, dit-elle, n'est point une déesse, puisqu'elle a mis une si grande différence entre son rang et le mien: l'amour n'est point un dieu, puisqu'il ne veut montrer son pouvoir que lorsque les avantages sont égaux. Diane n'est point la reine des vierges, puisqu'elle a pu permettre que sa pauvre chevalière fût surprise sans défense à la première attaque, et qu'elle la laisse sans espoir de rançon.» Elle disait cela avec l'accent du plus amer chagrin que j'aie jamais entendu exprimer à une vierge. J'ai cru, madame, qu'il était de mon devoir de vous en instruire sur-le-champ, puisqu'il vous importe un peu de le savoir, à cause du malheur qui pourrait en arriver.

LA COMTESSE. – Vous avez rempli le devoir d'un honnête homme; mais gardez ce secret pour vous seul. Bien des probabilités m'avaient déjà instruite de ce fait; mais elles étaient toutes si incertaines que je ne pouvais ni les croire ni les rejeter. Laissez-moi, je vous prie: conservez ceci dans votre âme: je vous remercie de vos bons soins; je vous en dirai davantage une autre fois. (L'intendant sort; Hélène entre.) Voilà comme j'étais quand j'étais jeune. Si nous écoutons la nature, c'est ce qui nous arrive; cette épine est inséparablement attachée à la rose de notre jeunesse. Notre sang est à nous, et ceci est né dans notre sang. Partout où la forte passion de l'amour s'imprime dans un jeune coeur, c'est le sceau et la preuve de la vérité de la nature. Le souvenir de ces jours, qui sont passés pour moi, me rappelle les mêmes fautes. Ah! je ne croyais pas alors que ce fussent des fautes. Je le vois bien maintenant; son oeil en est éteint.

HÉLÈNE. – Quel est votre bon plaisir, madame?

LA COMTESSE. – Tu sais, Hélène, que je suis une mère pour toi.

HÉLÈNE. – Vous êtes mon honorable maîtresse.

LA COMTESSE. – Non, mais une mère. Pourquoi pas ta mère? Lorsque j'ai prononcé le nom de mère, j'ai cru que tu venais de voir un serpent. Qu'y a-t-il donc dans ce nom de mère, pour qu'il te fasse tressaillir? Je dis que je suis votre mère, et je vous mets au nombre de ceux que j'ai portés dans mon sein. On a vu souvent l'adoption le disputer à la nature; et notre choix nous donne un rejeton naturel né de semences étrangères. Tu n'as jamais oppressé mon sein des douleurs de mère, et cependant je te montre toute la tendresse d'une mère. Par la grâce de Dieu, jeune fille, est-ce te tourner le sang que de te dire: «Je suis ta mère?» Pourquoi ce triste précurseur des larmes, cet arc-en-ciel 9 aux nombreuses couleurs entoure-t-il tes yeux? Pourquoi? Parce que tu es ma fille?

HÉLÈNE. – Parce que je ne le suis pas.

LA COMTESSE. – Je te dis que je suis ta mère.

HÉLÈNE. – Pardonnez-moi, madame, le comte de Roussillon ne peut être mon frère; je suis d'une humble naissance, et lui d'une famille illustre: mes parents sont inconnus, les siens sont tous nobles: il est mon maître, mon cher seigneur, et je vis pour le servir, et je veux mourir sa vassale. Il ne faut pas qu'il soit mon frère.

LA COMTESSE. – Ni moi, votre mère?

HÉLÈNE. – Vous êtes ma mère, madame! (pourvu que monseigneur votre fils ne soit pas mon frère); plût à Dieu que vous fussiez en effet ma mère, ou que vous fussiez la mère de tous deux! je ne le désire pas plus que je ne désire le ciel, pourvu que je ne sois pas sa soeur. Ne serait-il donc pas possible que je fusse votre fille, sans qu'il fût mon frère?

LA COMTESSE. – Oui, Hélène, tu pourrais être ma belle-fille. A Dieu ne plaise que ce soit là ta pensée! Les noms de fille et de mère agitent tellement ton pouls! Quoi! tu pâlis encore!.. Mes craintes ont enfin surpris ton amour. Je pénètre maintenant le mystère de ta solitude, et je découvre enfin la source de tes larmes amères. Maintenant tout est clair comme le jour. Tu aimes mon fils. Il serait honteux de vouloir dissimuler ce que ta passion publie, et de vouloir me dire que tu ne l'aimes pas: ainsi, dis-le-moi; avoue-moi la vérité: car vois, tes joues se l'avouent l'une à l'autre, et tes yeux le voient éclater si manifestement dans ta conduite, qu'ils le disent aussi dans leur langage. Il n'y a que le péché et une obstination d'enfer qui enchaînent ta langue, pour rendre la vérité suspecte. Parle: cela est-il vrai? – Si cela est, tu as dévidé un joli peloton. Si cela n'est pas, jure que je me trompe: cependant, je te l'ordonne au nom de l'oeuvre que le ciel peut faire en moi à ton profit, dis-moi la vérité.

HÉLÈNE. – Ma bonne maîtresse, daignez me pardonner.

LA COMTESSE. – Aimez-vous mon fils?

HÉLÈNE. – Votre pardon, ma noble maîtresse.

LA COMTESSE. – Aimez-vous mon fils?

HÉLÈNE. – Ne l'aimez-vous pas, vous, madame?

LA COMTESSE. – Point de détours. Mon amour pour lui vient d'un lien que personne n'ignore. Allons, allons, découvre-moi l'état de ton coeur, car ta passion elle-même t'accuse hautement.

HÉLÈNE. – Eh bien! je l'avoue ici, à genoux, devant le ciel et devant vous, madame, que j'aime votre fils plus que vous, et seulement moins que le ciel. Mes parents étaient pauvres, mais honnêtes; mon amour l'est aussi. N'en soyez pas offensée; car mon amour ne lui fait aucun mal. Je ne le poursuis point par des marques de prétentions présomptueuses, je ne voudrais pas l'obtenir avant de le mériter, et cependant je ne sais pas comment je pourrai le mériter jamais. Je sais que j'aime en vain; je lutte contre toute espérance, et cependant je verse toujours les flots de mon amour dans ce crible perfide et fuyant, sans m'apercevoir qu'il diminue. – Ainsi, semblable à l'Indien, religieuse dans mon erreur, j'adore le soleil, qui regarde son adorateur, mais qui ne sait rien de plus de lui. Ma chère maîtresse, que votre haine ne rencontre pas mon amour, parce que j'aime ce que vous aimez. Mais vous-même, madame, dont l'honorable vieillesse annonce une jeunesse vertueuse, si jamais vous avez brûlé d'une flamme si pure, de désirs si chastes, et d'un amour si tendre, que votre Diane fut en même temps la déesse de l'amour, oh! ayez pitié de celle dont l'état est si malheureux qu'elle ne peut que prêter et donner où elle est sûre de toujours perdre; qui ne cherche point à trouver ce que ses voeux recherchent, mais qui, semblable à l'énigme, chérit le secret qui est sa mort 10.

LA COMTESSE. – N'aviez-vous pas dernièrement le projet d'aller à Paris? Parlez-moi franchement.

HÉLÈNE. – Oui, madame.

LA COMTESSE. – Pourquoi? Dites la vérité.

HÉLÈNE. – Je dirai la vérité, j'en jure par la grâce elle-même. Vous savez que mon père m'a laissé quelques recettes d'un effet merveilleux et éprouvé, que sa science et son expérience connue avaient recueillies pour des spécifiques souverains, et qu'il me recommanda de ne les donner qu'avec soin et réserve, comme des ordonnances qui renfermaient en elles de bien plus grandes vertus qu'on n'en pouvait juger sur l'étiquette. Dans le nombre, il y a un remède, dont l'utilité est reconnue pour guérir les maladies de langueur désespérées comme celle dont on croit le roi perdu.

LA COMTESSE. – Était-ce là votre motif pour aller à Paris? Répondez.

HÉLÈNE. – C'est votre noble fils, madame, qui m'a fait penser à cela: autrement, Paris et la médecine, et le roi, ne me seraient peut-être jamais venus dans la pensée.

LA COMTESSE. – Mais, Hélène, si tu offrais au roi tes prétendus secours, penses-tu qu'il les acceptât? Le roi et ses médecins sont d'accord. Lui, il est persuadé qu'ils ne peuvent le guérir; eux le sont aussi qu'ils ne peuvent le guérir. Comment croiront-ils une pauvre jeune fille ignorante, lorsqu'eux-mêmes, après avoir épuisé toute la science des écoles, ils ont abandonné le mal à lui-même?

HÉLÈNE. – Il y a quelque chose qui me dit, plus encore que la science de mon père, qui était pourtant le plus grand dans sa profession, que sa bienfaisante recette, qui fait mon héritage, sera bénie, pour mon bonheur, par les plus heureuses étoiles qui soient au ciel. Et si Votre Seigneurie veut me permettre de tenter son succès, je répondrai sur ma vie, que je perdrais dans une bonne cause, de la guérison du roi, pour tel jour et à telle heure.

LA COMTESSE. – Le crois-tu?

HÉLÈNE. – Oui, madame, et j'en suis convaincue.

LA COMTESSE. – Eh bien, Hélène, tu auras mon consentement, ma tendresse, de l'argent, une suite, et mes pressantes recommandations à tous mes amis, qui sont à la cour. Je resterai au logis, et je prierai Dieu de bénir ton entreprise. Pars demain, et sois sûre que tous les secours que je puis te donner ne te manqueront pas.

(Elles sortent.)

FIN DU PREMIER ACTE

6

C'est toujours le clown, ou bouffon domestique.

7

Marie-toi en hâte et repens-toi à loisir, c'est un vieux proverbe.

8

La superstition de l'instinct divin possédé par les fous existe dans beaucoup de pays. Les Turcs ont encore pour eux une vénération religieuse.

9

What is the matter,

That this distemper'd messenger of wet,

The many colour'd iris, rounds thine eye?


Observation vraie exprimée poétiquement.

10

Elle cesse de vivre alors qu'on la devine, dit une ancienne épigramme qui compare la femme à une énigme.

Tout est bien qui finit bien

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