Читать книгу Peines d'amour perdues - Уильям Шекспир, William Szekspir, the Simon Studio - Страница 3

ACTE PREMIER
SCÈNE II

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La maison d'Armado

ARMADO avec MOTH son page

ARMADO. – Page, quel signe est-ce, quand une grande âme devient mélancolique?

MOTH. – C'est un grand signe, monsieur, qu'elle deviendra triste.

ARMADO. – Quoi! la tristesse et la mélancolie sont la même chose, mon cher lutin?

MOTH. – Non, non, monsieur; oh! non.

ARMADO. – Comment peux-tu séparer la tristesse de la mélancolie, mon tendre jouvenceau?

MOTH. – Par une démonstration familière de leurs effets, mon rude seigneur.

ARMADO. – Pourquoi dis-tu rude seigneur? rude seigneur?

MOTH. – Et pourquoi dites-vous tendre jouvenceau? tendre jouvenceau?

ARMADO. – J'ai dit tendre jouvenceau, comme une épithète qui convient à tes jeunes années, que l'on peut dénommer tendres.

MOTH. – Et moi, j'ai dit rude seigneur, comme un titre qui appartient à votre vieillesse, que l'on peut nommer rude.

ARMADO. – Joli et convenable.

MOTH. – Comment l'entendez-vous, monsieur? Est-ce moi qui suis joli, et mon propos convenable; ou mon propos qui est joli, et moi convenable?

ARMADO. – Tu es joli parce que tu es petit.

MOTH. – Petitement joli, parce que je suis petit; et pourquoi convenable?

ARMADO. – Convenable, parce que tu es vif.

MOTH. – Dites-vous ceci à ma louange, mon maître?

ARMADO. – A ton digne éloge, vraiment.

MOTH. – Je vanterai une anguille avec le même éloge.

ARMADO. – Quoi! est-ce qu'une anguille est ingénieuse?

MOTH. – Une anguille est vive.

ARMADO. – Je dis que tu es vif dans tes réponses. – Tu m'échauffes le sang.

MOTH. – Me voilà payé d'une réponse, monsieur.

ARMADO. – Je n'aime pas à être contrarié.

MOTH. – Celui qui parle par contradictions, les croix 7 ne l'aiment pas.

ARMADO. – J'ai promis d'étudier trois ans avec le duc.

MOTH. – Vous pourriez le faire en une heure, monsieur.

ARMADO. – Impossible.

MOTH. – Combien fait un répété trois fois?

ARMADO. – Je sais mal compter: c'est le talent d'un garçon de cabaret.

MOTH. – Vous êtes un gentilhomme, monsieur, et un joueur.

ARMADO. – J'avoue tous les deux; tous deux sont le vernis qui rend un homme accompli.

MOTH. – En ce cas, je suis sûr que vous savez très-bien à quelle somme montent deux as.

ARMADO. – Elle monte à un de plus que deux.

MOTH. – Ce que le pauvre vulgaire appelle trois.

ARMADO. – Cela est vrai.

MOTH. – Eh bien! monsieur, n'est-ce que cela à étudier? En voilà déjà trois d'étudiés avant que vous puissiez cligner l'oeil trois fois; et combien il est aisé d'ajouter les années au mot trois, et d'étudier trois ans en deux mots, le cheval sautant8 vous le dira.

ARMADO. – Une fort belle figure!

MOTH, à part. – Pour prouver que vous n'êtes qu'un zéro.

ARMADO. – Je t'avouerai là-dessus, que je suis amoureux et de même qu'il est bas à un guerrier d'aimer, de même je suis amoureux d'une fille de bas étage. Si de tirer l'épée contre l'humeur de mon penchant me délivrait de la pensée réprouvée qu'il m'inspire, je prendrais le désir prisonnier, je le rançonnerais et je l'enverrais à quelque courtisan de France pour y nouer quelque nouvelle galanterie. Je regarde comme un opprobre de soupirer: je voudrais abjurer Cupidon. Console-moi, mon enfant; quels sont les grands hommes qui ont été amoureux?

MOTH. – Hercule, mon maître.

ARMADO. – O doux Hercule! – D'autres autorités, mon cher, d'autres encore; et qu'ils soient surtout, mon enfant, des hommes de bonne renommée et de bonne façon.

MOTH. – Samson, mon maître. C'était un homme d'un port avantageux, d'un port très-robuste, car il porta les portes de la ville sur son dos, comme un portefaix. Et il était amoureux.

ARMADO. – O robuste Samson! ô nerveux Samson! je te surpasse autant dans le maniement de mon épée, que tu me surpasses dans la force d'emporter les portes. Je suis amoureux aussi. – Quelle était l'amante de Samson, mon enfant?

MOTH. – Une femme, mon maître.

ARMADO. – De quelle couleur de peau?

MOTH. – Des quatre à la fois; ou de trois, ou de deux, ou de l'une des quatre.

ARMADO. – Dis-moi au juste de laquelle.

MOTH. – D'un vert d'eau, monsieur.

ARMADO. – Est-ce là une des quatre?

MOTH. – Oui, monsieur, suivant ce que j'ai lu. Et la meilleure des quatre.

ARMADO. – Le vert9, en effet, est la couleur des amants; mais avoir une amante de cette couleur… Je trouve que Samson n'avait guère de raison de le faire. Sûrement il l'affectionnait pour son esprit.

MOTH. – C'était justement pour cela, monsieur; car elle avait une intelligence verte10.

ARMADO. – Ma maîtresse est du blanc et du rouge le plus pur.

MOTH. – Ces couleurs, mon maître, masquent les pensées les plus impures.

ARMADO. – Définis, définis, enfant bien élevé.

MOTH. – Esprit de mon père, langue de ma mère, assistez-moi!

ARMADO. – Tendre invocation d'un enfant; très-jolie et très-pathétique!

MOTH.

Si une femme est composée de blanc et de rouge

Jamais ses fautes ne seront connues.

Car les fautes engendrent les joues pourpres.

Et la blanche pâleur décèle la crainte.

Ainsi, que votre maîtresse ait des craintes, ou qu'elle mérite le blâme,

Vous ne le connaîtrez pas à la couleur;

Car toujours ses joues conserveront la couleur

Qu'elles doivent à la Nature.


Voilà de terribles rimes, mon maître, contre le rouge et le blanc!

ARMADO. – N'y a-t-il pas, enfant, une ballade du roi et de la mendiante11?

MOTH. – Il y a trois siècles environ que le monde était infecté de cette ballade; mais je crois qu'à présent on ne la trouverait guère, ou, si on la trouvait, elle ne servirait guère ici ni pour les paroles, ni pour la musique.

ARMADO. – Je veux composer quelque chose de neuf sur ce sujet, afin de justifier mon écart par quelque autorité imposante. Page, j'aime cette jeune paysanne que j'ai surprise dans le parc avec cette brute raisonnante de Costard: elle le mérite bien.

MOTH. – D'être fustigée. (A part.) – Et pourtant elle mérite un plus digne amant que mon maître.

ARMADO. – Chante, mon enfant, mon âme languit accablée par l'amour.

MOTH. – Et cela est bien étrange, lorsque vous aimez une fille si légère12.

ARMADO. – Chante donc.

MOTH. – Attendez que la compagnie soit passée.

(Entrent Dull, Costard et Jacquinette.)

DULL. – Monsieur, les intentions du duc sont que vous veilliez sur la personne de Costard, et que vous ne lui laissiez prendre aucun plaisir pour prix de sa conduite; mais qu'il jeûne trois jours de la semaine. Quant à cette damoiselle, je dois la garder dans le parc; elle aidera la laitière. Adieu.

ARMADO. – Ma rougeur me trahit. – Jeune fille?

JACQUINETTE. – Homme?

ARMADO. – J'irai te rendre visite à la loge.

JACQUINETTE. – Cela se peut.

ARMADO. – Je sais où elle est située.

JACQUINETTE. – O Dieu, que vous êtes savant!

ARMADO. – Je te conterai des choses merveilleuses.

JACQUINETTE. – Avec cette face?

ARMADO. – Je t'aime.

JACQUINETTE. – Je vous l'ai ouï dire ainsi.

ARMADO. – Et là-dessus, adieu.

JACQUINETTE. – Que les beaux jours vous suivent!

DULL. – Allons, venez, Jacquinette.

(Dull et Jacquinette sortent.)

ARMADO. – Coquin, tu jeûneras pour tes péchés, avant que tu obtiennes ton pardon.

COSTARD. – Allons, monsieur, quand je jeûnerai, j'espère jeûner l'estomac plein.

ARMADO. – Tu seras grièvement puni.

COSTARD. – Je vous ai plus d'obligations que ne vous en ont vos gens, car ils sont fort légèrement récompensés.

ARMADO. – Emmenez ce coquin, enfermez-le.

MOTH. – Allons, viens, esclave transgresseur, vite.

COSTARD. – Ne me faites pas enfermer, monsieur, je jeûnerai fort bien en liberté.

MOTH. – Non, ce serait être lié et délié13, l'ami, tu iras en prison.

COSTARD. – Eh bien! si jamais je revois les heureux jours de désolation que j'ai vus, il y aura quelqu'un qui verra…

MOTH. – Que verra-t-on?

COSTARD. – Rien, monsieur Moth, que ce que l'on regardera. Il ne convient pas aux prisonniers de trop garder le silence dans leurs paroles; ainsi je ne dirai rien. Je remercie Dieu de ce que j'ai aussi peu de patience qu'un autre homme; ainsi, je peux rester tranquille.

(Moth sort emmenant Costard.)

ARMADO, seul. – J'aime jusqu'à la terre qui est basse, où a marché sa chaussure, plus basse encore, conduite par son pied, qui est le plus bas des trois. Si j'aime, je serai parjure, ce qui est une grande preuve de fausseté. Et comment peut-il être sincère, l'amour qui est fondé sur une fausseté? L'amour est un esprit familier, l'amour est un démon: s'il y a un mauvais ange, c'est l'amour. Et cependant Samson fut tenté de même, et Samson avait une force extraordinaire; Salomon fut aussi séduit de même, et Salomon avait une grande dose de sagesse. Le trait de Cupidon est trop dur pour la massue d'Hercule, et par conséquent trop fort aussi pour l'épée d'un Espagnol. La première et la seconde cause ne me serviront de rien14. Il ne fait pas de cas de l'escrime. Il ne s'embarrasse point du duel: sa honte est d'être appelé un enfant; mais sa gloire est de vaincre les hommes. Adieu, valeur! rouille-toi dans le repos, mon épée! taisez-vous, tambours! votre maître est amoureux. Oui, il aime. Que quelque dieu des vers impromptus veuille m'assister, car je suis sûr que je deviendrai poëte à sonnets. Esprit, invente; plume, écris; car je suis prêt à faire des volumes in-folio.

(Il sort.)

FIN DU PREMIER ACTE

7

Cross, croix, pièce de monnaie.

8

Allusion au cheval de Banks, fameux par ses tours.

9

Le vert du saule.

10

Intelligence verte, c'est-à-dire vive et gaie.

11

Le roi Cophétua et la mendiante. Ballade à laquelle Shakspeare fait de fréquentes allusions.

12

Jeu de mots fréquent sur light, lumière, et light, léger, agile.

13

Jeu de mots sur fast, jeûne, et fast, attaché, lié.

14

Voyez la note de la comédie Comme vous voudrez, sur le règlement des duels.

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