Читать книгу Timon d'Athènes - Уильям Шекспир, William Szekspir, the Simon Studio - Страница 4
TIMON D'ATHÈNES
COMÉDIE
ACTE PREMIER
SCÈNE II
ОглавлениеUne salle d'apparat dans la maison de Timon
(Concert bruyant de hautbois. Flavius et d'autres domestiques servent un grand banquet.)
Entrent TIMON, ALCIBIADE, LUCIUS, LUCULLUS, SEMPRONIUS, et autres sénateurs athéniens, avec VENTIDIUS et la suite. A quelque distance, et derrière tous lesautres, suit APÉMANTUS, d'un air de mauvaise humeur
VENTIDIUS. – Très-honoré Timon, il a plu aux dieux de se souvenir de la vieillesse de mon père, et de l'appeler à son long repos. Il a quitté la vie sans regret, et il m'a laissé riche. Votre coeur généreux mérite toute ma reconnaissance, et je viens vous rendre ces talents auxquels j'ai dû la liberté, accompagnés de mes remerciements et de mon dévouement.
TIMON. – Oh! point du tout, honnête Ventidius; vous vous méprenez sur mon amitié: je vous ai fait ce don librement. On ne peut dire qu'on a donné, quand on souffre que le don soit rendu. Si nos supérieurs jouent à ce jeu, nous ne devons pas oser les imiter. Ce sont de belles fautes que celles qui enrichissent.
VENTIDIUS. – Les nobles sentiments!
(Ils sont tous debout regardant Timon d'un air de cérémonie.)
TIMON. – Seigneurs, la cérémonie n'a été inventée que pour voiler l'insuffisance des actions, les souhaits creux, la bienfaisance qui se repent avant d'avoir été exercée: mais où se trouve la véritable amitié, la cérémonie est inutile. Je vous prie, asseyez-vous. Vous êtes les bienvenus à ma fortune, plus qu'elle n'est la bienvenue pour moi.
(Ils s'asseyent.)
LUCIUS. – Nous l'avons toujours avoué, seigneur.
APÉMANTUS. – Oh! oui, avoué, et vous n'êtes pas encore pendus?
TIMON. – Ah! Apémantus, tu es le bienvenu.
APÉMANTUS. – Je ne veux pas être le bienvenu; je viens pour que tu me chasses.
TIMON. – Fi donc! Tu es un rustre; tu as pris là une humeur qui ne sied pas à l'homme: c'est un reproche à te faire. – On dit, mes amis, que ira furor brevis est; mais cet homme-là est toujours en colère. – Allons, qu'on lui dresse une table pour lui seul. Il n'aime point la compagnie, et il n'est vraiment pas fait pour elle.
APÉMANTUS. – Je resterai donc à tes risques et périls, Timon; car je viens pour observer, je t'en avertis.
TIMON. – Je ne prends pas garde à toi. – Tu es Athénien, tu es donc le bienvenu. Je ne dois pas être aujourd'hui le maître chez moi; mais je t'en prie, que mon diner me vaille ton silence.
APÉMANTUS. – Je méprise ton dîner… Il m'étoufferait, car je ne pourrais pas te flatter. – O dieux! que d'hommes dévorent Timon, et il ne le voit pas! Je souffre de voir tant de gens tremper leur langue dans le sang d'un seul homme; et le comble de la folie, c'est qu'il les excite lui-même. Je m'étonne que les hommes osent se confier aux hommes! Je pense, moi, qu'ils devraient les inviter sans couteaux. Leurs tables y gagneraient, et leur vie serait plus en sûreté. On en a vu cent exemples: l'homme, qui en ce moment est assis près de son hôte, qui rompt avec lui son pain et boit à sa santé la coupe qu'ils ont partagée ensemble, sera le premier à l'assassiner. Cela est prouvé. Si j'étais un grand personnage, je craindrais de boire à mes repas, de peur que mes hôtes n'épiassent à quelle note ils pourraient me couper le sifflet. Les grands seigneurs ne devraient jamais boire sans avoir le gosier revêtu de fer.
TIMON, à un des convives. – Seigneur, de tout mon coeur, et que les santés fassent la ronde.
PREMIER SEIGNEUR. – Qu'on verse de ce côté, mon bon seigneur.
APÉMANTUS. – De son côté! Fort bien: voilà un brave. Il sait prendre à propos son moment. – Toutes ces santés, Timon, te rendront malade, toi et ta fortune. Voilà qui est trop faible pour être coupable, l'honnête eau qui n'a jamais jeté personne dans la boue; cette liqueur et mes aliments se ressemblent, et sont toujours d'accord; les festins sont trop orgueilleux pour rendre grâces aux dieux.
Actions de grâces d'Apémantus
Dieux immortels, je ne vous demande point de richesses,
Je ne prie pour aucun homme que pour moi;
Accordez-moi de ne jamais devenir assez insensé
Pour me fier à un homme sur son serment ou sur son billet,
A une courtisane sur ses larmes,
A un chien qui paraît endormi,
A un geôlier pour ma liberté,
Ni à mes amis dans mon besoin:
Amen: allons, courage!
Le crime est pour le riche et je vis de racines.
Ton meilleur plat c'est ton bon coeur, Apémantus.
TIMON. – Général Alcibiade, votre coeur en ce moment est sur le champ de bataille.
ALCIBIADE. – Mon coeur, seigneur, est toujours prêt à vous servir.
TIMON. – Vous aimeriez mieux un déjeuner d'ennemis qu'un diner d'amis.
ALCIBIADE. – Pourvu que leur sang vînt de couler, seigneur, il n'est point de mets plus délicieux pour moi; je souhaiterais à mon meilleur ami de se trouver à pareille fête.
APÉMANTUS. – Je voudrais que tous ces flatteurs fussent tes ennemis, afin que tu pusses les égorger et m'inviter au festin.
PREMIER SEIGNEUR. – Si jamais, seigneur, nous avions le bonheur que vous missiez nos coeurs à l'épreuve; si jamais vous nous fournissiez l'occasion de montrer une partie de notre zèle, nous serions au comble de nos voeux.
TIMON. – Oh! ne doutez pas, mes bons amis, que les dieux n'aient eux-mêmes réservé dans l'avenir un jour, où j'aurai besoin de votre secours. Autrement, pourquoi, seriez-vous devenus mes amis? – Pourquoi seriez-vous choisis entre mille autres, pour porter ce titre de tendresse, si vous n'apparteniez pas de plus près à mon coeur? Je me suis dit de vous à moi-même, plus que vous ne pouvez modestement en dire, et je tiens ceci pour acquis sur votre compte. O dieux, me disais-je, qu'aurions-nous besoin d'amis, si nous ne devions jamais avoir besoin d'eux? Ce seraient les créatures du monde les plus inutiles si nous ne devions jamais user d'eux. Ils, ressembleraient fort à des instruments mélodieux suspendus dans leurs étuis et qui gardent pour eux leurs accords. Oui, j'ai souhaité souvent d'être plus pauvre, afin de me rapprocher davantage de vous. Nous sommes nés pour faire du bien, et quel bien est plus à nous que les richesses de nos amis? O quel précieux avantage d'avoir tant d'amis qui, comme des frères, disposent de la fortune l'un de l'autre! O volupté qui n'est déjà plus avant même d'être née! Il me semble que mes yeux ne peuvent retenir leurs larmes. – Allons, pour oublier leur faute, je bois à votre santé.
APÉMANTUS. – O Timon, plus tu pleures, plus ton vin se boit!
LUCULLUS. – La joie a eu la même conception dans nos yeux, et en sort comme un nouveau-né.
APÉMANTUS. – Oh! oh! je ris en pensant que ce nouveau-né est un bâtard.
TROISIÈME SEIGNEUR. – Je vous proteste, seigneur, que vous m'avez beaucoup ému.
APÉMANTUS. – Beaucoup.
(Son de trompette.)
TIMON. – Qu'annonce cette trompette? qu'y a-t-il?
(Entre un serviteur.)
LE SERVITEUR. – Sauf votre bon plaisir, seigneur, il y a là des dames qui demandent à entrer.
TIMON. – Des dames? que désirent-elles?
LE SERVITEUR. – Elles ont avec elles un courrier qui est chargé d'annoncer leurs intentions.
TIMON. – Je vous en prie, faites-les entrer.
(Entre Cupidon.)
CUPIDON. – Salut à toi, généreux Timon, et à tous ceux qui jouissent ici de tes bienfaits. Les Cinq Sens te reconnaissent pour leur patron, et viennent librement te féliciter de ton généreux coeur. L'Ouïe, le Goût, le Toucher, l'Odorat, se lèvent tous satisfaits de ta table: ils ne viennent dans ce moment que pour réjouir tes yeux.
TIMON. – Ils sont tous les bienvenus. Qu'on leur fasse bon accueil. Allons, que la musique célèbre leur entrée.
(Cupidon sort.)
PREMIER SEIGNEUR. – Vous voyez, seigneur, à quel point vous êtes aimé.
(Musique. Rentre Cupidon avec une mascarade de dames en amazones, dansant et jouant du luth.)
APÉMANTUS. – Holà! quel flot de vanité arrive ici! elles dansent;… ce sont des femmes folles! La gloire de cette vie est une folie semblable, comme le prouve toute cette pompe comparée à ce peu d'huile et à ces racines. Nous nous faisons fous pour nous amuser, et prodigues de flatteries nous buvons à ces hommes, sur la vieillesse desquels nous verserons un jour le poison de l'envie et du mépris. Quel homme respire, qui ne corrompe ou ne soit corrompu? quel homme expire, qui n'emporte au tombeau quelque outrage, don de ses amis? Je craindrais bien que ceux qui dansent là devant moi ne fussent les premiers à me fouler un jour sous leurs pieds. C'est ce qu'on a vu souvent. Les hommes ferment leurs portes au soleil couchant.
(Les convives se lèvent de table en montrant un grand respect pour Timon, et pour lui montrer leur affection, chacun d'eux prend une des amazones, et ils dansent couple par couple: on joue deux ou trois airs de hautbois, après quoi la danse et la musique cessent.)
TIMON. – Vous avez embelli nos plaisirs, belles dames, et donné un nouveau charme à notre fête, qui n'eût pas été à moitié si brillante ni si agréable sans vous; elle vous doit tout son prix et son éclat, et vous m'avez rendu moi-même enchanté de ma propre invention. J'ai à vous en remercier.
PREMIÈRE DAME. – Seigneur, vous nous jugez au mieux.
APÉMANTUS. – Oui, ma foi; car le pire est dégoûtant, et ne supporterait pas qu'on y touchât, je pense.