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NOTE DE L'AUTEUR

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Table des matières

—Une préface, au 150e mille?

—Une postface, si vous voulez.

—Trois mois après que le livre a paru!

—Eh! oui, le temps que les «chers confrères» aient jeté, à droite et à gauche, leur venin… Pudeurs à retardement dont la bombe attendait, pour fulminer, l'éclat de l'offensant succès!… Et le temps aussi que s'apaisât le concert des indignations plus ou moins feintes, le tolle des hypocrisies, la rage des haines politiques ou confessionnelles qui ont accueilli ce livre, le trente-septième que j'ai l'honneur de signer, et où, sous l'historien, quelques bonnes âmes ont affirmé ne voir qu'un pornographe, œuvrant par lucre… Coup classique, et qui ne fut pas épargné à Zola.

—Mais si, pour une raison ou une autre, on n'a pas suffisamment compris ce que vous souhaitiez faire entendre, la faute ne vous incombe-t-elle pas en quelque mesure?

—Sans doute. Encore que je ne me flatte pas de désarmer, jamais, certains partis-pris! Mais peut-être aussi aurais-je dû, par quelque avant-propos, avertir de mes intentions le lecteur pressé. Le cinéma l'a gâté. C'est un fait: la trépidation, la dispersion de l'existence quotidienne nuisent au recueillement et à la méditation sans lesquels il est impossible qu'un jugement motivé se forme. On ne lit plus, on parcourt. Que dis-je, on court, d'une page à l'autre! le cent à l'heure… Souffrez donc, cher lecteur, que je passe à l'écran quelques éclaircissements complémentaires…

Tout d'abord, et comme vous, je sais parbleu bien qu'il y a chez nous des mères et des filles admirables, toute une société féminine qui travaille et qui peine. Je l'ai peinte déjà, et la peindrai encore.

Ai-je besoin d'affirmer, au surplus, que jamais je n'ai prétendu proposer Monique Lerbier comme le type actuel de la jeune fille, de la jeune femme française? Et suis-je responsable si des critiques hostiles généralisent?

Non. J'ai peint, avec ce tout petit monde de lucre et de vanité qu'on est convenu d'appeler «le monde»,—peut-être parce qu'hélas! il en fait encore la loi?—quelques types de ces émancipées dont la guerre a précipité le foisonnement dans tous les pays.

C'est, en revanche, de parti-pris, que j'ai situé ma garçonne dans le milieu de débauche et d'affaires qu'on voit à Paris, parce que ce microcosme est le plus représentatif de l'amoralité ou, si vous préférez, de la pourriture contemporaine.

—Soit! mais quelle nécessité de vous étendre sur des tableaux de dégradation et de vice? C'est donner prétexte à dire que vous vous y êtes complu.

—A dire, ou à médire? Ce n'est pas seulement pour le peintre de mœurs un droit, c'est un devoir que de retracer,—jusqu'à en donner le dégoût, comme à Monique,—le spectacle des pires turpitudes. Oui, je sais, il y a l'objection: «—Prenez garde à l'attirance du danger. On ne tombe pas dans un mal qu'on ignore». Je réponds qu'il vaut mieux, puisque le mal existe, le révéler que le cacher. Son étalage ne fera que rebuter d'avance toute jeune âme, pour peu qu'elle soit saine. C'est le fanal sur l'écueil. Monique, pour y avoir touché, n'a gardé que l'horreur de ces mornes plaisirs, un élan vers le bonheur salubre… Exemple préservateur. Quant aux perverties!…

—Pauvre et pure, votre héroïne n'eût-elle pas mieux démontré cependant, par une laborieuse existence, ces droits à l'indépendance que conquièrent journellement tant d'autres garçonnes,—moins fortunées et plus courageuses?

—Il est vrai. Mais que voulez-vous? C'est de parti-pris, encore, que j'ai fait de celle-ci une fille de riches, riche elle-même. Pourquoi? Parce que sa fortune, comme son éducation, est une des conditions de sa chute. Moins préparée aux vertus du travail que ses sœurs ouvrières ou de petite bourgeoisie, elle est la première victime d'une liberté révolutionnairement conquise. Morale: A la classe soi-disant dirigeante, d'élever mieux ses filles. Et surtout ses fils! Ce sera tout bénéfice pour l'évolution.

Qu'est-ce, en effet, qu'une révolution,—qu'elle soit morale, politique ou sociale?—Je l'ai dit d'ailleurs: Une réaction de l'énergie contre l'oppression d'injustes forces. La femme, prisonnière depuis des siècles, esclave habituée à la résignation et à l'ombre, titube au seuil brusquement ouvert de la lumière et de la liberté. Conséquence des affranchissements soudains… Le lui reprocher? Ce serait de la part de l'homme un singulier abus. L'indépendance est une habitude comme un autre. On ne s'y adapte qu'à la longue… Le progrès? Un perpétuel apprentissage!

Quant à la crudité de ma manière,—qu'elle soit de la photographie ou de l'art,—je maintiens qu'elle demeure,—d'un et même de plusieurs tons,—au-dessous de la vérité.

Nous sommes loin du temps où l'on poursuivait Flaubert pour l'audace de Madame Bovary,—le roman le plus moral peut-être du dernier siècle. Loin même du scandale soulevé par les héroïnes de Zola! Que sera, dans vingt ans, une Monique Lerbier, au regard des garçonnes que la génération des dancings nous promet? Je plains, s'il est comme moi sincère, et pour peu que la corruption des mœurs continue, le romancier qui peindra la bourgeoisie future.

La vérité! Aussi bien est-ce ce qui paraît si choquant, d'ailleurs, à quelques-uns. On ne la supporte point tout nue. On préfère des gants et les mains sales. Et puis «la tranche de vie» aujourd'hui répugne. Le naturalisme est passé de mode. Vive le néo-classicisme! Toute une jeunesse est cérébrale, jusqu'à l'onanisme et à l'inversion. Ce qui n'empêche pas nos romanciers de voiler la plaie sociale de jolis linges bien blancs. Un peu d'eau de rose patriotico-familiale, un «mélange» d'aventures vaporisé là-dessus! Et snobs de se pâmer…

Je le répète: Je suis pour le bistouri brutal, et qui débride. L'immoralité n'est pas dans les mots, mais dans les mœurs. Au lieu de couvrir celles-ci du manteau de Noë,—lequel n'est trop souvent que le voile d'Arsinoé,—donnons à nos filles et à nos femmes, dans l'usage comme dans la loi, donnons à toutes les mères (filles-mères comprises) les libertés dont on ne conçoit plus que l'homme se réserve, despotiquement, le monopole. Il y aura du coup moins de licence.

L'instinct de sagesse, de fidélité, de bonté, la soif de justice qui sont innés dans la plupart des âmes féminines s'épanouiront ainsi, avec moins de heurts, pour le plus grand profit de la morale sexuelle, inséparable de la moralité humaine.

Je me résume:

J'ai dénoncé un péril. Et j'ai fait entrevoir, par-delà le fossé, la grande route de l'égalité, de l'équivalence (si le terme vous semble plus adéquat) où les deux sexes finiront bien un jour par avancer côte à côte, harmonieusement.

«Its a long way to Tipperary!…» La Garçonne n'est qu'une étape dans cette marche inévitable du Féminisme, vers le but magnifique qu'il atteindra. Je tenterai, dans mon prochain roman, de l'approcher,—persuadé, comme l'un des personnages du livre que voici, qu'il ne faut pas juger de l'avenir sur l'un des aspects du présent, et que «dans l'anarchie même, un ordre nouveau s'élabore.»

V. M.

15 octobre 1922.

La garçonne

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