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L'EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITÉ PUBLIQUE.
LA VILLE DES NOMADES

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En ce temps-là, l'expropriation pour cause d'utilité publique avait déjà fait son chemin; elle régnait, mais n'était point arrivée pourtant à la pleine possession de la redoutable dictature qu'elle exerce aujourd'hui. Les auteurs de cette loi ne prévoyaient guère le cruel abus qu'on en ferait un jour. Elle est devenue entre les mains de l'autorité spéciale une sorte de bélier aveugle, qui frappe comme un sourd; une catapulte inflexible et sauvage, poussée par tous les instincts d'une centralisation effrénée. Elle cogne de la tête et des pieds, elle frappe, elle démolit, elle pulvérise, elle broie, la monstrueuse machine; elle dévore sans cesse et ne peut se repaître. Ce n'est pas l'expropriation pour cause d'utilité publique; c'est l'expropriation pour cause de bon plaisir. Elle porte gravée au front le vers de Juvénal,—un poëte d'aujourd'hui, né dix-huit cents ans trop tôt:

Sic volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas.

Je n'en dis pas le quart de ce qu'en ont dit souvent les avocats devant les tribunaux, et pas la dixième partie de ce qu'en pense le public, qui subit, mais qui juge.

Aussi qu'arrive-t-il? C'est que, dans les débats entre la ville et les expropriés, l'opinion, représentée par le jury, prend invinciblement la défense de ceux-ci, et, ne pouvant faire mieux, proteste sans relâche par le chiffre des indemnités qu'elle alloue. Cette protestation n'en vaut peut-être pas une autre, mais, pour le moment, elle ne manque pas de logique et de force. Le jury sent bien que c'est lui, en définitive, qui paye ces indemnités-là; mais il proteste, parce qu'il est le jury,—et aussi parce que, en matière d'expropriation, on ne sait pas, ou plutôt on sait trop ce qu'on peut devenir un jour. C'est un bon procédé de confrère à confrère, à charge de revanche; c'est une semaille qui peut se changer en moisson.

Cet état de choses a donné naissance à une industrie nouvelle, celle de l'homme qui spécule sur son expropriation. Il y a des gens qui ont pris pour spécialité d'acheter, de bâtir, d'établir une maison de commerce dans un quartier qu'ils prévoient devoir bientôt disparaître. Le quartier n'est pas difficile à trouver: on n'a guère que l'embarras du choix. Cela est devenu une sorte de jeu de Bourse, mais plus sûr que les autres. On cite un limonadier, déjà démoli trois fois, par suite de savants calculs, et qui, d'indemnités en indemnités, est parvenu à reconstruire dernièrement un café monstre, une merveille,—qu'il espère bien voir démolir encore avant de mourir. Alors il se retirera, et il ira bâtir une maison de campagne dans une Arcadie lointaine où l'utilité publique n'aura rien à voir.

Cette industrie bizarre, un de ces bruits qui se chuchotent à l'oreille n'a pas même craint de la prêter à de hauts personnages, accusés d'imiter sur un autre terrain ces ministres déchus, qui passaient pour escompter rue Vivienne les bonnes nouvelles dont les fonctions publiques leur assuraient la primeur. M. de Girardin, qui a toutes les audaces, aussi bien en défendant ses amis qu'en attaquant ses ennemis, a osé le premier formuler nettement ces vagues rumeurs, contre lesquelles il n'avait pas besoin de s'indigner: elles n'ont d'autre signification que de condamner un système qui prête le flanc à de pareils commérages, et leur donne une ombre de vraisemblance aux yeux de la prévention ou de la malignité publique.

Nous avons tous appris par cœur, au collège, un joli conte du bonhomme Andrieux. Il s'agit d'un meunier têtu, dont le petit moulin est convoité par le grand Frédéric, pour l'agrandissement du château. L'intendant des bâtiments royaux le mande auprès de lui, et un dialogue intéressant s'établit entre eux:

Paris nouveau et Paris futur

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