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SCÈNE DEUXIÈME.

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DON SALLUSTE, DON CÉSAR.

DON SALLUSTE.

Ah! vous voilà, bandit!

DON CÉSAR.

Oui, cousin, me voilà.

DON SALLUSTE.

C’est grand plaisir de voir un gueux comme cela!

DON CÉSAR, saluant.

Je suis charmé...

DON SALLUSTE.

Monsieur, on sait de vos histoires.

DON CÉSAR, gracieusement.

Qui sont de votre goût?

DON SALLUSTE.

Oui, des plus méritoires.

Don Charles de Mira l’autre nuit fut volé.

On lui prit son épée à fourreau ciselé

Et son buffle. C’était la surveille de Pâques.

Seulement, comme il est chevalier de Saint-Jacques,

La bande lui laissa son manteau.

DON CÉSAR.

Doux Jésus!

Pourquoi?

DON SALLUSTE.

Parce que l’ordre était brodé dessus.

Eh bien! que dites-vous de l’algarade?

DON CÉSAR.

Ah! diable!

Je dis que nous vivons dans un siècle effroyable!

Qu’allons-nous devenir, bon Dieu! si les voleurs

Vont courtiser saint Jacque et le mettre des leurs?

DON SALLUSTE.

Vous en étiez!

DON CÉSAR.

Hé bien—oui! s’il faut que je parle,

J’étais là. Je n’ai pas touché votre don Charle.

J’ai donné seulement des conseils.

DON SALLUSTE.

Mieux encor.

La lune étant couchée, hier, Plaza-Mayor,

Toutes sortes de gens, sans coiffe et sans semelle,

Qui hors d’un bouge affreux se ruaient pêle-mêle,

Ont attaqué le guet.—Vous en étiez!

DON CÉSAR.

Cousin,

J’ai toujours dédaigné de battre un argousin.

J’étais là. Rien de plus. Pendant les estocades,

Je marchais en faisant des vers sous les arcades.

On s’est fort assommé.

DON SALLUSTE.

Ce n’est pas tout.

DON CÉSAR.

Voyons.

DON SALLUSTE.

En France, on vous accuse, entr’autres actions,

Avec vos compagnons à toute loi rebelles,

D’avoir ouvert sans clef la caisse des gabelles.

DON CÉSAR.

Je ne dis pas.—La France est pays ennemi.

DON SALLUSTE.

En Flandre, rencontrant dom Paul Barthélemy,

Lequel portait à Mons le produit d’un vignoble

Qu’il venait de toucher pour le chapitre noble,

Vous avez mis la main sur l’argent du clergé.

DON CÉSAR.

En Flandre?—il se peut bien. J’ai beaucoup voyagé.

—Est-ce tout?

DON SALLUSTE.

Don César, la sueur de la honte,

Lorsque je pense à vous, à la face me monte.

DON CÉSAR.

Bon. Laissez-la monter.

DON SALLUSTE.

Notre famille...

DON CÉSAR.

Non.

Car vous seul à Madrid connaissez mon vrai nom.

Ainsi ne parlons pas famille!

DON SALLUSTE.

Une marquise

Me disait l’autre jour en sortant de l’église:

—Quel est donc ce brigand, qui, là-bas, nez au vent,

Se carre, l’œil au guet et la hanche en avant,

Plus délabré que Job et plus fier que Bragance,

Drapant sa gueuserie avec son arrogance,

Et qui, froissant du poing sous sa manche en haillons,

L’épée à lourd pommeau qui lui bat les talons,

Promène, d’une mine altière et magistrale,

Sa cape en dents de scie et ses bas en spirale?

DON CÉSAR, jetant un coup d’œil sur sa toilette.

Vous avez répondu: C’est ce cher Zafari!

DON SALLUSTE.

Non; j’ai rougi, monsieur!

DON CÉSAR.

Eh bien! la dame a ri.

Voilà. J’aime beaucoup faire rire les femmes.

DON SALLUSTE.

Vous n’allez fréquentant que spadassins infâmes!

DON CÉSAR.

Des clercs! des écoliers doux comme des moutons!

DON SALLUSTE.

Partout on vous rencontre avec des Jeannetons!

DON CÉSAR.

O Lucindes d’amour! ô douces Isabelles!

Eh bien! sur votre compte on en entend de belles!

Quoi! l’on vous traite ainsi, beautés à l’œil mutin,

A qui je dis le soir mes sonnets du matin!

DON SALLUSTE.

Enfin, Matalobos, ce voleur de Galice

Qui désole Madrid malgré notre police,

Il est de vos amis!

DON CÉSAR.

Raisonnons, s’il vous plaît.

Sans lui j’irais tout nu, ce qui serait fort laid.

Me voyant sans habit, dans la rue, en décembre,

La chose le toucha.—Ce fat parfumé d’ambre,

Le comte d’Albe, à qui l’autre mois fut volé

Son beau pourpoint de soie...

DON SALLUSTE.

Eh bien?

DON CÉSAR.

C’est moi qui l’ai.

Matalobos me l’a donné.

DON SALLUSTE.

L’habit du comte!

Vous n’êtes pas honteux?...

DON CÉSAR.

Je n’aurai jamais honte

De mettre un bon pourpoint, brodé, passementé,

Qui me tient chaud l’hiver et me fait beau l’été.

—Voyez, il est tout neuf.—

Il entr’ouvre son manteau qui laisse voir un superbe pourpoint de satin rose brodé d’or.

Les poches en sont pleines

De billets doux au comte adressés par centaines.

Souvent, pauvre, amoureux, n’ayant rien sous la dent,

J’avise une cuisine au soupirail ardent

D’où la vapeur des mets aux narines me monte;

Je m’assieds là, j’y lis les billets doux du comte,

Et, trompant l’estomac et le cœur tour à tour,

J’ai l’odeur du festin et l’ombre de l’amour!

DON SALLUSTE.

Don César...

DON CÉSAR.

Mon cousin, tenez, trêve aux reproches.

Je suis un grand seigneur, c’est vrai, l’un de vos proches;

Je m’appelle César, comte de Garofa;

Mais le sort de folie en naissant me coiffa.

J’étais riche, j’avais des palais, des domaines,

Je pouvais largement renier les Célimènes.

Bah! mes vingt ans n’étaient pas encore révolus

Que j’avais mangé tout! il ne me restait plus

De mes prospérités, ou réelles, ou fausses,

Qu’un tas de créanciers hurlant après mes chausses.

Ma foi, j’ai pris la fuite et j’ai changé de nom.

A présent, je ne suis qu’un joyeux compagnon,

Zafari, que, hors vous, nul ne peut reconnaître.

Vous ne me donnez pas du tout d’argent, mon maître;

Je m’en passe. Le soir, le front sur un pavé,

Devant l’ancien palais des comtes de Tevé,

—C’est là, depuis neuf ans, que la nuit je m’arrête.—

Je vais dormir avec le ciel bleu sur ma tête.

Je suis heureux ainsi. Pardieu, c’est un beau sort!

Tout le monde me croit dans l’Inde, au diable,—mort.

La fontaine voisine a de l’eau, j’y vais boire,

Et puis je me promène avec un air de gloire.

Mon palais, d’où jadis mon argent s’envola,

Appartient à cette heure au nonce Espinola,

C’est bien. Quand par hasard jusque-là je m’enfonce,

Je donne des avis aux ouvriers du nonce

Occupés à sculpter sur la porte un Bacchus.—

Maintenant, pouvez-vous me prêter dix écus?

DON SALLUSTE.

Écoutez-moi...

DON CÉSAR, croisant les bras.

Voyons à présent votre style.

DON SALLUSTE.

Je vous ai fait venir, c’est pour vous être utile

César, sans enfants, riche, et de plus votre aîné.

Je vous vois à regret vers l’abîme entraîné,

Je veux vous en tirer. Bravache que vous êtes,

Vous êtes malheureux. Je veux payer vos dettes,

Vous rendre vos palais, vous remettre à la cour,

Et refaire de vous un beau seigneur d’amour.

Que Zafari s’éteigne et que César renaisse.

Je veux qu’à votre gré vous puisiez dans ma caisse,

Sans crainte, à pleines mains, sans soin de l’avenir.

Quand on a des parents il faut les soutenir,

César, et pour les siens se montrer pitoyable...

Pendant que don Salluste parle, le visage de don César prend une expression de plus en plus étonnée, joyeuse et confiante; enfin il éclate.

DON CÉSAR.

Vous avez toujours eu de l’esprit comme un diable,

Et c’est fort éloquent ce que vous dites là.

—Continuez!

DON SALLUSTE.

César, je ne mets à cela

Qu’une condition.—Dans l’instant je m’explique.

Prenez d’abord ma bourse.

DON CÉSAR, empoignant la bourse qui est pleine d’or.

Ah çà! c’est magnifique!

DON SALLUSTE.

Et je vais vous donner cinq cents ducats...

DON CÉSAR, ébloui.

Marquis!

DON SALLUSTE, continuant.

Dès aujourd’hui!

DON CÉSAR.

Pardieu, je vous suis tout acquis.

Quant aux conditions, ordonnez. Foi de brave!

Mon épée est à vous. Je deviens votre esclave,

Et, si cela vous plaît, j’irai croiser le fer

Avec don Spavento, capitan de l’enfer.

DON SALLUSTE.

Non, je n’accepte pas, don César, et pour cause,

Votre épée.

DON CÉSAR.

Alors quoi? je n’ai guère autre chose.

DON SALLUSTE, se rapprochant de lui et baissant la voix.

Vous connaissez,—et c’est en ce cas un bonheur,—

Tous les gueux de Madrid?

DON CÉSAR.

Vous me faites honneur.

DON SALLUSTE.

Vous en traînez toujours après vous une meute;

Vous pourriez, au besoin, soulever une émeute,

Je le sais. Tout cela peut-être servira.

DON CÉSAR, éclatant de rire.

D’honneur! vous avez l’air de faire un opéra.

Quelle part donnez-vous dans l’œuvre à mon génie?

Sera-ce le poème ou bien la symphonie?

Commandez. Je suis fort pour le charivari.

DON SALLUSTE, gravement.

Je parle à don César et non à Zafari.

Baissant la voix de plus en plus.

Écoute. J’ai besoin, pour un résultat sombre,

De quelqu’un qui travaille à mon côté dans l’ombre

Et qui m’aide à bâtir un grand événement.

Je ne suis pas méchant, mais il est tel moment

Où le plus délicat, quittant toute vergogne,

Doit retrousser sa manche et faire la besogne.

Tu seras riche, mais il faut m’aider sans bruit

A dresser, comme font les oiseleurs la nuit,

Un bon filet caché sous un miroir qui brille,

Un piége d’alouette ou bien de jeune fille.

Il faut, par quelque plan terrible et merveilleux,

—Tu n’es pas, que je pense, un homme scrupuleux,—

Me venger!

DON CÉSAR.

Vous venger?

DON SALLUSTE.

Oui.

DON CÉSAR.

De qui?

DON SALLUSTE.

D’une femme.

DON CÉSAR.

Il se redresse et regarde fièrement don Salluste.

Ne m’en dites pas plus. Halte-là!—sur mon âme,

Mon cousin, en ceci voilà mon sentiment:

Celui qui, bassement et tortueusement,

Se venge, ayant le droit de porter une lame,

Noble, par une intrigue, homme, sur une femme,

Et qui, né gentilhomme, agit en alguazil,

Celui-là,—fût-il grand de Castille, fût-il

Suivi de cent clairons sonnant des tintamarres,

Fût-il tout harnaché d’ordres et de chamarres,

Et marquis, et vicomte, et fils des anciens preux,

N’est pour moi qu’un maraud sinistre et ténébreux

Que je voudrais, pour prix de sa lâcheté vile,

Voir pendre à quatre clous au gibet de la ville!

DON SALLUSTE.

César!...

DON CÉSAR.

N’ajoutez pas un mot, c’est outrageant.

Il jette la bourse aux pieds de don Salluste.

Gardez votre secret, et gardez votre argent.

Oh! je comprends qu’on vole, et qu’on tue et qu’on pille;

Que par une nuit noire on force une bastille,

D’assaut, la hache au poing, avec cent flibustiers;

Qu’on égorge estafiers, geôliers et guichetiers,

Tous, taillant et hurlants, en bandits que nous sommes,

Œil pour œil, dent pour dent, c’est bien! hommes contre hommes!

Mais doucement détruire une femme! et creuser

Sous ses pieds une trappe! et contre elle abuser,

Qui sait? de son humeur peut-être hasardeuse!

Prendre ce pauvre oiseau dans quelque glu hideuse!

Oh! plutôt qu’arriver jusqu’à ce déshonneur,

Plutôt qu’être, à ce prix, un riche et haut seigneur,

—Et je le dis ici pour Dieu qui voit mon âme,—

J’aimerais mieux, plutôt qu’être à ce point infâme,

Vil, odieux, pervers, misérable et flétri,

Qu’un chien rongeât mon crâne au pied du pilori!

DON SALLUSTE.

Cousin!...

DON CÉSAR.

De vos bienfaits je n’aurai nulle envie,

Tant que je trouverai, vivant ma libre vie,

Aux fontaines de l’eau, dans les champs le grand air,

A la ville un voleur qui m’habille l’hiver,

Dans mon âme l’oubli des prospérités mortes,

Et devant vos palais, monsieur, de larges portes

Où je puis, à midi, sans souci du réveil,

Dormir, la tête à l’ombre et les pieds au soleil!

—Adieu donc.—De nous deux Dieu sait quel est le juste.

Avec les gens de cour, vos pareils, don Salluste,

Je vous laisse, et je reste avec mes chenapans.

Je vis avec les loups, non avec les serpents.

DON SALLUSTE.

Un instant...

DON CÉSAR.

Tenez, maître, abrégeons la visite.

Si c’est pour m’envoyer en prison, faites vite.

DON SALLUSTE.

Allons, je vous croyais, César, plus endurci.

L’épreuve vous est bonne et vous a réussi;

Je suis content de vous. Votre main, je vous prie.

DON CÉSAR.

Comment!

DON SALLUSTE.

Je n’ai parlé que par plaisanterie.

Tout ce que j’ai dit là, c’est pour vous éprouver.

Rien de plus.

DON CÉSAR.

Çà, debout vous me faites rêver.

La femme, le complot, cette vengeance...

DON SALLUSTE.

Leurre!

Imagination! chimère!

DON CÉSAR.

A la bonne heure.

Et l’offre de payer mes dettes! vision?

Et les cinq cents ducats! imagination?

DON SALLUSTE.

Je vais vous les chercher.

Il se dirige vers la porte du fond, et fait signe à Ruy Blas de rentrer.

DON CÉSAR, à part sur le devant du théâtre et regardant don Salluste de travers.

Hum! visage de traître!

Quand la bouche dit oui, le regard dit peut-être.

DON SALLUSTE, à Ruy Blas.

Ruy Blas, restez ici.

A don César.

Je reviens.

Il sort par la petite porte de gauche. Sitôt qu’il est sorti, don César et Ruy Blas vont vivement l’un à l’autre.

Ruy Blas: Drame

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