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OCTOBRE

Table des matières

I

Table des matières

J’étais le vieux rôdeur sauvage de la mer,

Une espèce de spectre au bord du gouffre amer;

J’avais dans l’âpre hiver, dans le vent, dans le givre,

Dans l’orage, l’écume et l’ombre, écrit un livre,

Dont l’ouragan, noir souffle aux ordres du banni,

Tournait chaque feuillet quand je l’avais fini;

Je n’avais rien en moi que l’honneur imperdable;

Je suis venu, j’ai vu la cité formidable;

Elle avait faim, j’ai mis mon livre sous sa dent:

Et j’ai dit à ce peuple altier, farouche, ardent,

A ce peuple indigné, sans peur, sans joug, sans règle,

J’ai dit à ce Paris, comme le klephte à l’aigle:

Mange mon cœur, ton aile en croîtra d’un empan.

Quand le Christ expira, quand mourut le grand Pan,

Jean et Luc en Judée et dans l’Inde Épicure

Entendirent un cri d’inquiétude obscure;

La terre tressaillit quand l’Olympe tomba;

D’Ophir à Chanaan et d’Assur à Saba,

Comme un socle en ployant fait ployer la colonne,

Tout l’Orient pencha quand croula Babylone;

La même horreur sacrée est dans l’homme aujourd’hui,

Et l’édifice sent fléchir le point d’appui;

Tous tremblent pour Paris qu’étreint une main Vile;

On tuerait l’Univers si l’on tuait la Ville;

C’est plus qu’un peuple, c’est le monde que les rois

Tâchent de clouer, morne et sanglant, sur la croix;

Le supplice effrayant du genre humain commence.

Donc luttons. Plus que Troie et Tyr, plus que Numance,

Paris assiégé doit l’exemple. Soyons grands.

Affrontons les bandits conduits par les tyrans..

Les Huns reviennent comme au temps de Frédégaire;

Laissons rouler vers nous les machines de guerre;

Faisons front, tenons tête; acceptons, seuls, trahis,

Sanglants, le dur travail de sauver ce pays.

Tomber, mais sans avoir tremblé, c’est la victoire.

Être la rêverie immense de l’histoire,

Faire que tout chercheur du vrai, du grand, du beau,

Met le doigt sur sa bouche en voyant un tombeau,

C’est aussi bien l’honneur d’un peuple que d’un homme,

Et Caton est trop grand s’il est plus grand que Rome;

Rome doit l’égaler, Rome doit l’imiter;

Donc Rome doit combattre et Paris doit lutter.

Notre labeur finit par être notre gerbe.

Combats, ô mon Paris! aie, ô peuple superbe,

Criblé de flèches, mais sans tache à ton écu,

L’illustre acharnement de n’être pas vaincu.

II

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Et voilà donc les jours tragiques revenus!

On dirait, à voir tant de signes inconnus,

Que pour les nations commence une autre hégire.

Pâle Alighieri, toi, frère de Cynégire,

O sévères témoins, ô justiciers égaux,

Penchés, l’un sur Florence et l’autre sur Argos,

Vous qui fîtes, esprits sur qui l’aigle se pose,

Ces livres redoutés où l’on sent quelque chose

De ce qui gronde et luit derrière l’horizon,

Vous que le genre humain lit avec un frisson,

Songeurs qui pouvez dire en vos tombeaux: nous sommes

Dieux par le tremblement mystérieux des hommes!

Dante, Eschyle, écoutez et regardez.

Ces rois

Sous leur large couronne ont des fronts trop étroits.

Vous les dédaigneriez. Ils n’ont pas la stature

De ceux que votre vers formidable torture,

Ni du chef argien, ni du baron pisan;

Mais ils sont monstrueux pourtant, convenez-en.

Des premiers rois venus ils ont l’aspect vulgaire;

Mais ils viennent avec des légions de guerre.

Ils poussent sur Paris les sept peuples saxons.

Hideux, casqués, dorés, tatoués de blasons,

Il faut que chacun d’eux de meurtre se repaisse;

Chacun de ces rois prend pour emblème une espèce

De bête fauve et fait luire à son morion

La chimère d’un rude et morne alérion,

Ou quelque impur dragon agitant sa crinière;

Et le grand chef arbore à sa haute bannière,

Teinte des deux reflets du tombeau tour à tour,

Un aigle étrange, blanc la nuit et noir le jour.

Avec eux, à grand bruit, et sous toutes les formes,

Krupps, bombardes, canons, mitrailleuses énormes,

Ils traînent sous ce mur qu’ils nomment ennemi

Le bronze, ce muet, cet esclave endormi,

Qui, tout à coup hurlant lorsqu’on le démusèle,

Est pris d’on ne sait quel épouvantable zèle

Et se met à détruire une ville, sans frein,

Sans trêve, avec la joie horrible de l’airain,

Comme s’il se vengeait, sur ces tours abattues,

D’être employé par l’homme à d’infâmes statues;

Et comme s’il disait: Peuple, contemple en moi

Le monstre avec lequel tu fais ensuite un roi!

Tout tremble, et les sept chefs dans la haine s’unissent.

Ils sont là, menaçant Paris. Ils le punissent.

De quoi? D’être la France et d’être l’univers,

De briller au-dessus des gouffres entr’ouverts,

D’être un bras de géant tenant une poignée

De rayons, dont l’Europe est à jamais baignée;

Ils punissent Paris d’être la liberté ;

Ils punissent Paris d’être cette cité

Où Danton gronde, où luit Molière, où rit Voltaire;

Ils punissent Paris d’être âme de la terre,

D’être ce qui devient de plus en plus vivant,

Le grand flambeau profond que n’éteint aucun vent,

L’idée en feu perçant ce nuage, le nombre,

Le croissant du progrès clair au fond du ciel sombre;

Ils punissent Paris de dénoncer l’erreur,

D’être l’avertisseur et d’être l’éclaireur,

De montrer sous leur gloire affreuse un cimetière,

D’abolir l’échafaud, le trône, la frontière,

La borne, le combat, l’obstacle, le fossé,

Et d’être l’avenir quand ils sont le passé.

Et ce n’est pas leur faute; ils sont les forces noires.

Ils suivent dans la nuit toutes les sombres gloires,

Caïn, Nemrod, Rhamsès, Cyrus, Gengis, Timour.

Ils combattent le droit, la lumière, l’amour.

Ils voudraient être grands et ne sont que difformes.

Terre, ils ne veulent pas qu’heureuse, tu t’endormes

Dans les bras de la paix sacrée, et dans l’hymen

De la clarté divine avec l’esprit humain.

Ils condamnent le frère à dévorer le frère,

Le peuple à massacrer le peuple, et leur misère

C’est d’être tout-puissants, et que tous leurs instincts,

Allumés pour l’enfer, soient pour le ciel éteints.

Rois hideux! On verra, certe, avant que leur âme

Renonce à la tuerie, au glaive, au meurtre infâme,

Aux clairons, au cheval de guerre qui hennit,

L’oiseau ne plus savoir le chemin de son nid,

Le tigre épris du cygne, et l’abeille oublieuse

De sa ruche sauvage au creux noir de l’yeuse.

III

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Sept. Le chiffre du mal. Le nombre où Dieu ramène,

Comme en un vil cachot, toute la faute humaine.

Sept princes. Wurtemberg et Mecklembourg, Nassau,

Saxe, Bade, Bavière et Prusse, affreux réseau.

Ils dressent dans la nuit leurs tentes sépulcrales.

Les cercles de l’enfer sont là, mornes spirales;

Haine, hiver, guerre, deuil, peste, famine, ennui.

Paris a les sept nœuds des ténèbres sur lui.

Paris devant son mur a sept chefs comme Thèbe.

Spectacle inouï ! l’astre assiégé par l’Érèbe.

La nuit donne l’assaut à la lumière. Un cri

Sort de l’astre en détresse, et le néant a ri.

La cécité combat le jour; la morne envie

Attaque le cratère auguste de la vie,

Le grand foyer central, l’astre aux astres uni.

Tous les yeux inconnus ouverts dans l’infini

S’étonnent; qu’est-ce donc? Quoi! la clarté se voile!

Un long frisson d’horreur court d’étoile en étoile.

Sauve ton œuvre, ô Dieu, toi qui d’un souffle émeus

L’ombre où Léviathan tord ses bras venimeux!

C’en est fait. La bataille infâme est commencée.

Comme un phare jadis gardait la porte Scée,

Un flamboiement jaillit de l’astre, avertissant

Le ciel que l’enfer monte et que la nuit descend.

Le gouffre est comme un mur énorme de fumée

Où fourmille on ne sait quelle farouche armée,

Nuage monstrueux où luisent des airains;

Et les bruits infernaux et les bruits souterrains

Se mêlent, et, hurlant au fond de la géhenne,

Les tonnerres ont l’air de bêtes à la chaîne.

Une marée informe où grondent les typhons

Arrive, croît et roule avec des cris profonds,

Et ce chaos s’acharne à tuer cette sphère.

Lui frappe avec la flamme; elle avec la lumière;

Et l’abîme a l’éclair et l’astre a le rayon.

L’obscurité, flot, brume, ouragan, tourbillon,

Tombant sur l’astre, encor, toujours, encore, encore,

Cherche à se verser toute en ce puits de l’aurore.

Qui l’emportera? Crainte, espoir! Frémissements!

La splendide rondeur de l’astre, par moments,

Sous d’affreux gonflements de ténèbres s’efface,

Et, comme vaguement tremble et flotte une face,

De plus en plus sinistre et pâle, il disparaît.

Est-ce que d’une étoile on prononce l’arrêt?

Qui donc le peut? Qui donc a droit d’ôter au monde

Cette lueur sacrée et cette âme profonde?

L’enfer semble une gueule effroyable qui mord.

Et l’on ne voit plus l’astre. Est-ce donc qu’il est mort?

Tout à coup un rayon sort par une trouée.

Une crinière en feu, par les vents secouée,

Apparaît... — Le voilà !

C’est lui. Vivant, aimant,

Il condamne la Nuit à l’éblouissement,

Et, soudain reparu dans sa beauté première,

La couvre d’une écume immense de lumière.

Le chaos est-il donc vaincu? Non. La noirceur

Redouble, et le reflux du gouffre envahisseur

Revient, et l’on dirait que Dieu se décourage.

De nouveau, dans l’horreur, dans la nuit, dans l’orage,

On cherche l’astre. Où donc est-il? Quel guet-apens!

Et rien ne continue, et tout est en suspens;

La création sent qu’elle est témoin d’un crime;

Et l’univers regarde avec stupeur l’abîme

Qui, sans relâche, au fond du firmament vermeil,

Jette un vomissement d’ombre sur le soleil.

L'année terrible

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