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A TOUS CES PRINCES

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Rois teutons, vous avez mal copié vos pères.

Ils se précipitaient hors de leurs grands repaires,

Le glaive au poing, tâchant d’avoir ceci pour eux

D’être les plus vaillants et non les plus nombreux.

Vous, vous faites la guerre autrement.

On se glisse

Sans bruit, dans l’ombre, avec le hasard pour complice,

Jusque dans le pays d’à côté, doucement,

Un peu comme un larron, presque comme un amant;

Baissant la voix, courbant le front, cachant sa lampe,

On se fait invisible au fond des bois, on rampe;

Puis brusquement, criant vivat, hourrah, haro,

On tire un million de sabres du fourreau,

On se rue, et l’on frappe et d’estoc et de taille

Sur le voisin, lequel a, dans cette bataille,

Rien pour armée avec zéro pour général.

Vos aïeux, que Luther berçait de son choral,

N’eussent point accepté de vaincre de la sorte;

Car la soif conquérante était en eux moins forte

Que la pudeur guerrière, et tous avaient au cœur

Le désir d’être grand plus que d’être vainqueur.

Vous, princes, vous semez, de Sedan à Versailles,

Dans votre route obscure à travers les broussailles,

Toutes sortes d’exploits louches et singuliers

Dont se fût indignée au temps des chevaliers

La magnanimité farouche de l’épée.

Rois, la guerre n’est pas digne de l’épopée

Lorsqu’elle est espionne et traître, et qu’elle met

Une cocarde au vol, à la fraude un plumet!

Guillaume est empereur, Bismarck est trabucaire;

Charlemagne à sa droite assoit Robert-Macaire;

On livre aux mameloucks, aux pandours, aux strélitz,

Aux reîtres, aux hulans, la France d’Austerlitz;

On en fait son butin, sa proie et sa prébende.

Où fut la grande armée on est l’énorme bande.

Ivres, ils vont au gouffre obscur qui les attend.

Ainsi l’ours, à vau-l’eau sur le glacier flottant,

Ne sent pas sous lui fondre et crouler la banquise.

Soit, princes. Vautrez-vous sur la France conquise.

De l’Alsace aux abois, de la Lorraine en sang,

De Metz qu’on vous vendit, de Strasbourg frémissant

Dont vous n’éteindrez pas la tragique auréole,

Vous aurez ce qu’on a des femmes qu’on viole,

La nudité, le lit, et la haine à jamais.

Oui, le corps souillé, froid, sinistre désormais,

Quand on les prend de force en des étreintes viles,

C’est tout ce qu’on obtient des vierges et des villes.

Moissonnez les vivants comme un champ de blé mûr,

Cernez Paris, jetez la flamme à ce grand mur,

Tuez à Châteaudun, tuez à Gravelotte,

O rois, désespérez la mère qui sanglote,

Poussez l’effrayant cri de l’ombre: Exterminons!

Secouez vos drapeaux et roulez vos canons;

A ce bruit triomphal il manque quelque chose.

La porte de rayons dans les cieux reste close;

Et sur la terre en deuil pas un laurier ne sent

La séve lui venir de tous ces flots de sang.

Là-haut au loin, le groupe altier des Renommées,

Immobile, indigné, les ailes refermées,

Tourne le dos, se tait, refuse de rien voir,

Et l’on distingue, au fond de ce firmament noir,

Le morne abaissement de leurs trompettes sombres.

Dire que pas un nom ne sort de ces décombres!

O gloire, ces héros comment s’appellent-ils?

Quoi! ces triomphateurs hautains, sanglants, subtils,

Quoi! ces envahisseurs que tant de rage anime

Ne peuvent même pas sortir de l’anonyme,

Et ce comble d’affront sur nous s’appesantit

Que la victoire est grande et le vainqueur petit!

L'année terrible

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