Le Rhin, Tome IV

Le Rhin, Tome IV
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Victor Hugo. Le Rhin, Tome IV

LETTRE XXXII. BALE

LETTRE XXXIII. BALE

LETTRE XXXIV. ZURICH

LETTRE XXXV. ZURICH

LETTRE XXXVI. ZURICH

LETTRE XXXVII. SCHAFFHAUSEN

LETTRE XXXVIII. LA CATARACTE DU RHIN

LETTRE XXXIX. VÉVEY. – CHILLON. – LAUSANNE

CONCLUSION

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Cher ami, j'ai une affreuse plume, et j'attends un canif pour la tailler. Cela ne m'empêche pas de vous écrire, comme vous voyez. L'endroit où je suis s'appelle Frick, et ne m'a rien offert de remarquable qu'un assez joli paysage et un excellent déjeuner que je viens de dévorer. J'avais grand'faim. – Ah! on m'apporte un canif et de l'encre. J'avais commencé cette lettre avec ma carafe pour écritoire. Puisque j'ai de bonne encre, je vais vous parler de Bâle, comme je vous l'ai promis.

Au premier abord, la cathédrale de Bâle choque et indigne. Premièrement, elle n'a plus de vitraux; deuxièmement, elle est badigeonnée en gros rouge, non-seulement à l'intérieur, ce qui est de droit, mais à l'extérieur, ce qui est infâme; et cela, depuis le pavé de la place jusqu'à la pointe des clochers: si bien que les deux flèches, que l'architecte du quinzième siècle avait faites charmantes, ont l'air maintenant de deux carottes sculptées à jour. – Pourtant, la première colère passée, on regarde l'église, et l'on s'y plaît; elle a de beaux restes. Le toit, en tuiles de couleur, a son originalité et sa grâce (la charpente intérieure est de peu d'intérêt). Les flèches, flanquées d'escaliers-lanternes, sont jolies. Sur la façade principale il y a quatre curieuses statues de femmes: deux femmes saintes qui rêvent et qui lisent; deux femmes folles, à peine vêtues, montrant leurs belles épaules de Suissesses fermes et grasses, se raillant et s'injuriant avec de grands éclats de rire des deux côtés du portail gothique. Cette façon de représenter le diable est neuve et spirituelle. Deux saints équestres, saint Georges et saint Martin, figurés à cheval et plus grands que nature, complètent l'ajustement de la façade. Saint Martin partage à un pauvre la moitié de son manteau, qui n'était peut-être qu'une méchante couverture de laine, et qui maintenant, transfiguré par l'aumône, est en marbre, en granit, en jaspe, en porphyre, en velours, en satin, en pourpre, en drap d'argent, en brocart d'or, brodé en diamants et en perles, ciselé par Benvenuto, sculpté par Jean Goujon, peint par Raphaël. – Saint Georges, sur la tête duquel deux anges posent un morion germanique, enfonce un grand coup de lance dans la gueule du dragon qui se tord sur une plinthe composée de végétaux hideux.

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Je n'aurais pas quitté Bâle sans visiter la Bibliothèque. Je savais que Bâle est pour les Holbein ce que Francfort est pour les Albert Durer. A la Bibliothèque, en effet, c'est un nid, un tas, un encombrement; de quelque côté qu'on se tourne, tout est Holbein. Il y a Luther, il y a Erasme, il y a Mélanchthon, il y a Catherine de Bora, il y a Holbein lui-même; il y a la femme de Holbein, belle femme d'une quarantaine d'années, encore charmante, qui a pleuré et qui rêve entre ses deux enfants pensifs, qui vous regarde comme une femme qui a souffert et qui pourtant vous donne envie de baiser son beau cou. Il y a aussi Thomas Morus avec toute sa famille, avec son père et ses enfants, avec son singe, car le grave chancelier aimait les singes. Et puis il y a deux Passions, l'une peinte, l'autre dessinée à la plume; deux Christ morts, admirables cadavres qui font tressaillir. Tout cela est de Holbein; tout cela est divin de réalité, de poésie et d'invention. J'ai toujours aimé Holbein; je trouve dans sa peinture les deux choses qui me touchent, la tristesse et la douceur.

Outre les tableaux, la Bibliothèque a des meubles; force bronzes romains trouvés à Augst, un coffre chinois, une tapisserie-portière de Venise, une prodigieuse armoire du seizième siècle (dont on a déjà offert douze mille francs, me disait mon guide), et enfin la table de la Diète des treize cantons. C'est une magnifique table du seizième siècle, portée par des guivres, des lions et des satyres qui soutiennent le blason de Bâle, ciselée aux armes des cantons, incrustée d'étain, de nacre et d'ivoire; table autour de laquelle méditaient ces avoyers et ces landammans redoutés des empereurs; table qui faisait lire à ces gouverneurs d'hommes cette solennelle inscription: Supra naturam præsto est Deus. – Elle est, du reste, en mauvais état. La bibliothèque de Bâle est assez mal tenue; les objets y sont rangés comme des écailles d'huîtres. J'ai vu sur un bahut un petit tableau de Rubens qui est posé debout contre une pile de bouquins, et qui a déjà dû tomber bien des fois, car le cadre est tout brisé. – Vous voyez qu'il y a un peu de tout dans cette bibliothèque, des tableaux, des meubles, des étoffes rares; il y a aussi quelques livres.

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