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Victor Hugo
Han d'Islande
Préface de la deuxième édition
XII

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… L'homme qui est en ce moment assis près de lui, qui rompt avec lui son pain et boit à sa santé la coupe qu'ils ont partagée ensemble, sera le premier à l'assassiner.

SHAKESPEARE, Timon d'Athènes.


Que le lecteur se transporte maintenant sur la route de Drontheim à Skongen, route étroite et pierreuse qui côtoie le golfe de Drontheim jusqu'au hameau de Vygla, il ne tardera pas à entendre les pas de deux voyageurs qui sont sortis de la porte dite de Skongen à la chute du jour, et montent assez rapidement les collines étagées sur lesquelles serpente le chemin de Vygla.

Tous deux sont enveloppés de manteaux. L'un marche d'un pas jeune et ferme, le corps droit et la tête levée; l'extrémité d'un sabre dépasse le bord de son manteau, et, malgré l'obscurité de la nuit, on peut voir une plume se balancer au souffle du vent sur sa toque. L'autre est un peu plus grand que son compagnon, mais légèrement voûté; on voit sur son dos une bosse, formée sans doute par une besace que cache un grand manteau noir dont les bords profondément dentelés annoncent les bons et loyaux services. Il n'a d'autre arme qu'un long bâton dont il aide sa marche inégale et précipitée.

Si la nuit empêche le lecteur de distinguer les traits des deux voyageurs, il les reconnaîtra peut-être à la conversation que l'un d'eux entame après une heure de route silencieuse, et par conséquent ennuyeuse.

– Maître! mon jeune maître! nous sommes au point d'où l'on aperçoit à la fois la tour de Vygla et les clochers de Drontheim. Devant nous, à l'horizon, cette masse noire, c'est la tour; derrière nous; voici la cathédrale, dont les arcs-boutants, plus sombres encore que le ciel, se dessinent comme les côtes de la carcasse d'un mammouth.

– Vygla est-il loin de Skongen? demanda l'autre piéton.

– Nous avons l'Ordals à traverser, seigneur; nous ne serons pas à Skongen avant trois heures du matin.

– Quelle est l'heure qui sonne en ce moment?

– Juste Dieu, maître! vous me faites trembler. Oui, c'est la cloche de Drontheim, dont le vent nous apporte les sons. Cela annonce l'orage. Le souffle du nord-ouest amène les nuages.

– Les étoiles, en effet, ont toutes disparu derrière nous.

– Doublons le pas, mon noble seigneur, de grâce. L'orage arrive, et peut-être s'est-on déjà aperçu à la ville de la mutilation du cadavre de Gill et de ma fuite. Doublons le pas.

– Volontiers. Vieillard, votre fardeau paraît lourd; cédez-le-moi, je suis jeune et plus vigoureux que vous.

– Non, en vérité, noble maître; ce n'est point à l'aigle à porter l'écaille de la tortue. Je suis trop indigne que vous vous chargiez de ma besace.

– Mais, vieillard, si elle vous fatigue? Elle paraît pesante. Que contient-elle donc? Tout à l'heure vous avez bronché, cela a résonné comme du fer.

Le vieillard s'écarta brusquement du jeune homme.

– Cela a résonné, maître! oh non! vous vous êtes trompé. Elle ne contient rien… que des vivres, des habits. Non, elle ne me fatigue pas, seigneur.

La proposition bienveillante du jeune homme paraissait avoir causé à son vieux compagnon un effroi qu'il s'efforçait de dissimuler.

– Eh bien, répondit le jeune homme sans s'en apercevoir, si ce fardeau ne vous fatigue pas, gardez-le.

Le vieillard, tranquillisé, se hâta néanmoins de changer la conversation.

– Il est triste de suivre, la nuit, en fugitifs, une route qu'il serait si agréable, seigneur, de parcourir le jour en observateurs. On trouve sur les bords du golfe, à notre gauche, une profusion de pierres runiques, sur lesquelles on peut étudier des caractères tracés, suivant les traditions, par les dieux et les géants. À notre droite, derrière les rochers qui bordent le chemin, s'étend le marais salé de Sciold, qui communique sans doute avec la mer par quelque canal souterrain, puisque l'on y pêche le lombric marin, ce poisson singulier qui, d'après les découvertes de votre serviteur et guide, mange du sable. C'est dans la tour de Vygla, dont nous approchons, que le roi païen Vermond fit rôtir les mamelles de sainte Étheldera, cette glorieuse martyre, avec du bois de la vraie croix, apporté à Copenhague par Olaüs III, et conquis par le roi de Norvège. On dit que depuis on a essayé inutilement de faire une chapelle de cette tour maudite; toutes les croix qu'on y a placées successivement ont été consumées par le feu du ciel.

En ce moment un immense éclair couvrit le golfe, la colline, les rochers, la tour, et disparut avant que l'oeil des deux voyageurs eût pu discerner aucun de ces objets. Ils s'arrêtèrent spontanément, et l'éclair fut suivi presque immédiatement d'un coup de tonnerre violent, dont l'écho se prolongea de nuage en nuage dans le ciel, et de rocher en rocher sur la terre.

Ils levèrent les yeux. Toutes les étoiles étaient voilées, de grosses nues roulaient rapidement les unes sur les autres, et la tempête s'amassait comme une avalanche au-dessus de leurs têtes. Le grand vent sous lequel couraient toutes ces masses n'était point encore descendu jusqu'aux arbres, qu'aucun souffle n'agitait, et sur lesquels ne retentissait encore aucune goutte de pluie. On entendait en haut comme une rumeur orageuse qui, jointe à la rumeur du golfe, était le seul bruit qui s'élevât dans l'obscurité de la nuit, redoublée par les ténèbres de la tempête.

Ce tumultueux silence fut soudain interrompu, près des deux voyageurs, par une espèce de rugissement qui fit tressaillir le vieillard.

– Dieu tout-puissant! s'écria-t-il en serrant le bras du jeune homme, c'est le rire du diable dans l'orage, ou la voix de....

Un nouvel éclair, un nouveau coup de tonnerre lui coupèrent la parole. La tempête commença alors avec impétuosité, comme si elle eut attendu ce signal. Les deux voyageurs resserrèrent leurs manteaux pour se garantir à la fois de la pluie qui s'échappait des nuages par torrents, et de la poussière épaisse qu'un vent furieux enlevait par tourbillons à la terre encore sèche.

– Vieillard, dit le jeune homme, un éclair vient de me montrer la tour de Vygla sur notre droite; quittons la route et cherchons-y un abri.

– Un abri dans la Tour-Maudite! s'écria le vieillard, que saint Hospice nous protège! songez, jeune maître, que cette tour est déserte.

– Tant mieux! vieillard, nous n'attendrons pas à la porte.

– Songez quelle abomination l'a souillée!

– Eh bien! qu'elle se purifie en nous abritant. Allons, vieillard, suivez-moi. Je vous déclare qu'en une pareille nuit je tenterais l'hospitalité d'une caverne de voleurs. Alors, malgré les remontrances du vieillard, dont il avait saisi le bras, il se dirigea vers l'édifice, que les fréquentes lueurs des éclairs lui montraient à peu de distance. En approchant, ils aperçurent une lumière à l'une des meurtrières de la tour.

– Vous voyez, dit le jeune homme, que cette tour n'est pas déserte. Vous voilà rassuré, sans doute.

– Dieu! bon Dieu! s'écria le vieillard, où me menez-vous, maître? Ne plaise à saint Hospice que j'entre dans cet oratoire du démon!

Ils étaient au bas de la tour. Le jeune voyageur frappa avec force à la porte neuve de cette ruine redoutée.

– Tranquillisez-vous, vieillard; quelque pieux cénobite sera venu sanctifier cette demeure profanée, en l'habitant.

– Non, disait son compagnon, je n'entrerai pas. Je réponds que nul ermite ne peut vivre ici, à moins qu'il n'ait pour chapelet une des sept chaînes de Belzébuth.

Cependant une lumière était descendue de meurtrière en meurtrière, et vint briller à travers la serrure de la porte.

– Tu viens bien tard, Nychol! cria une voix aigre; on dresse la potence à midi, et il ne faut que six heures pour venir de Skongen à Vygla. Est-ce qu'il y a eu surcroît de besogne?

Cette question tomba au moment où la porte s'ouvrait. La femme qui l'ouvrait, apercevant deux figures étrangères, au lieu de celle qu'elle attendait, poussa un cri d'effroi et de menace, et recula de trois pas. L'aspect de cette femme n'était pas lui-même très rassurant. Elle était grande, son bras élevait au-dessus de sa tête une lampe de fer dont son visage était fortement éclairé. Ses traits livides, sa figure sèche et anguleuse, avaient quelque chose de cadavéreux, et il s'échappait de ses yeux creux des rayons sinistres pareils à ceux d'une torche funèbre. Elle était vêtue depuis la ceinture d'un jupon de serge écarlate, qui ne laissait voir que ses pieds nus, et paraissait souillé de taches d'un autre rouge. Sa poitrine décharnée était à moitié couverte d'une veste d'homme de même couleur, dont les manches étaient coupées au coude. Le vent, entrant par la porte ouverte, agitait au-dessus de sa tête ses longs cheveux gris à peine retenus par une ficelle d'écorce, ce qui rendait plus sauvage encore l'expression de sa farouche physionomie.

Han d'Islande

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