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TA LENA.»

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—Vous lui avez arraché ce billet par quelque ruse infâme ou par quelque atroce torture, répondis-je en secouant la tête. Lena n'a point écrit ces paroles volontairement.

—Lena a écrit ces paroles librement; Lena est venue me trouver; Lena a obtenu de moi que je te sauvasse, et je viens te sauver. Veux-tu m'obéir et vivre? veux-tu t'obstiner et mourir?

—Eh bien! que faut-il faire? repris-je.

—Écoute, dit le juge en se rapprochant de moi et en me parlant d'une voix si basse, qu'à peine je pouvais l'entendre; suis aveuglément les instructions que je vais te donner; ne réfléchis pas, obéis, et ta vie est sauvée, et l'honneur de ta maîtresse est sauvé.

—Parlez.

Il détacha mes fers.

—Voici un poignard, prends-le; sors par cette porte, dont j'ai seul la clef; cours au café le plus proche; laisse-toi hardiment reconnaître par tous ceux qui seront là; enfonce ton couteau dans la poitrine du premier venu; laisse-le dans la blessure; fuis, et reviens. Je t'attends ici, et Lena, enfermée chez moi, me répond de ton retour.

Je compris tout. Mes cheveux se dressèrent sur ma tête, je sentis une sueur froide poindre à leur racine et ruisseler sur mon visage. Le juge, cet homme nommé par la loi pour protéger la société, s'était laissé séduire à prix d'argent, et n'avait rien trouvé de mieux que de m'absoudre d'un premier meurtre par un second.

Un instant j'hésitai: mais je pensai à la liberté, à Lena, au bonheur. Je lui pris le couteau des mains, je sortis comme un fou, je courus au café Grec; il était plein de gens de ma connaissance: il n'y avait que vous dont la figure me fût étrangère, capitaine. J'allai à vous, je vous frappai. Selon les instructions du juge, je laissai le couteau dans la blessure, et je m'enfuis. Quelques secondes après, j'étais rentré dans mon cachot; le juge rattacha mes fers, referma la porte de la prison, et disparut. Dix minutes avaient suffi pour ce terrible drame. J'aurais cru avoir fait un rêve, si je n'avais vu ma main pleine de sang. Je la frottai contre la terre humide du cachot; le sang disparut, et j'attendis.

Le reste de la journée et de la nuit s'écoulèrent sans que, comme vous le comprenez bien, je fermasse l'oeil un seul instant. Je vis le jour s'éteindre et le jour revenir, ce jour qui devait être mon dernier jour. J'entendis l'horloge de la chapelle sonner les quarts d'heures, les demi-heures, les heures. Enfin, à six heures du matin, au moment où je songeais que j'avais juste encore vingt-quatre heures à vivre, la porte s'ouvrit, et je vis entrer le confesseur.

—Mon fils, me dit le brave homme en entrant vivement dans mon cachot, ayez bon espoir, car je viens vous apporter une étrange nouvelle. Hier, à quatre heures du soir, un homme mis comme vous, de votre âge, de votre taille, et vous ressemblant tellement que chacun l'a pris pour vous, a commis un assassinat, au café Grec, sur un capitaine sicilien, et a fui sans qu'on pût l'arrêter.

—Eh bien! repris-je, comme si j'ignorais le parti que le juge pourrait tirer du fait, mon père, je ne vois là qu'un meurtre de plus, et je ne comprends pas comment ce meurtre peut m'être utile.

—Vous ne comprenez pas, mon fils, que tout le monde est convaincu maintenant que ce n'est pas vous qui avez assassiné Morelli? que vous êtes victime de votre ressemblance avec son meurtrier, et que déjà le juge a ordonné de surseoir à votre exécution?

—Dieu soit loué! répondis-je; mais j'aurais préféré que mon innocence fût reconnue par un autre moyen.

Toute cette journée se passa en interrogatoires nouveaux. Je n'avais qu'une chose à répondre; c'est que je n'avais pas quitté mon cachot. Mes gardiens le savaient mieux que personne. Le confesseur déposa m'avoir quitté à quatre heures moins quelques minutes; le geôlier affirma n'avoir pas même détaché mes fers. Le juge me quitta le soir, avouant devant tous ceux qui étaient là qu'il devait y avoir dans cet événement quelque fatale méprise, et déclarant que son impartialité ne lui permettait pas de laisser exécuter le jugement.

Le lendemain, on vint me chercher pour me confronter avec vous. Vous vous rappelez cette scène, capitaine? Vous me reconnûtes: rien ne pouvait m'être plus favorable que l'assurance avec laquelle vous affirmiez que c'était moi qui vous avais frappé. Plus votre déposition me chargeait, plus elle me faisait innocent.

Cependant on ne pouvait me mettre en liberté ainsi; il fallait une nouvelle enquête, et quoiqu'il fût pressé chaque jour par Lena, chaque jour le juge hésitait à la faire. L'important, disait-il, était que je vécusse; le reste viendrait à son temps.

Une année s'écoula ainsi, une année éternelle. Au bout de cette année, le juge tomba malade, et le bruit se répandit bientôt que sa maladie était mortelle.

Lena alla le trouver au lit d'agonie, et lui demanda impérieusement ma liberté. Le juge voulut encore éluder sa promesse. Lena le menaça de tout révéler. Il avait un fils pour lequel il sollicitait la survivance de sa place; il eut peur, il donna à Lena la clef de la chapelle.

Au milieu de la nuit je la vis apparaître. Je crus que c'était un rêve; depuis un an je ne l'avais pas vue. La réalité faillit me tuer de joie.

Elle me dit tout en deux mots, et comment nous n'avions pas un instant à perdre; puis elle marcha devant moi, et je la suivis, elle me conduisit chez elle. Je repassai par le corridor où j'avais vu une tache de sang, je rentrai dans cette chambre où j'avais été confronté avec le cadavre. Le surlendemain, elle me cacha toute la journée dans l'oratoire où était la madone du Pérugin. Les domestiques allèrent et vinrent comme d'habitude dans la maison, et nul ne se douta de rien. Lena passa une partie de la journée avec moi; mais comme elle avait habitude de s'enfermer dans son oratoire, et qu'elle se retirait là ordinairement pour prier, personne n'eut le plus petit soupçon.

Le soir venu, elle me quitta; vers les dix heures je la vis rentrer.

—Tout est arrangé, me dit-elle, j'ai trouvé un patron de barque qui se charge de te conduire en Sicile. Je ne puis partir avec toi; en nous voyant disparaître à la fois, ce que nous avons pris tant de peine à cacher serait révélé aux yeux de tous. Pars le premier; dans quinze jours je serai à Messine. Ma tante est supérieure aux Carmélites, tu me retrouveras dans son couvent.

J'insistai pour qu'elle partît avec moi, j'avais je ne sais quel pressentiment. Cependant elle insista avec tant de fermeté, m'assura avec des promesses si solennelles qu'avant trois semaines nous serions réunis, que je cédai.

Il faisait nuit sombre; nous sortîmes sans être vus, et nous nous acheminâmes vers la pointe Saint-Jean. Là, selon la promesse qu'on lui avait faite, une chaloupe vint me prendre. Nous nous embrassâmes encore. Je ne pouvais la quitter, je voulais l'emporter avec moi, je pleurais comme un enfant. Quelque chose me disait que je ne la reverrais plus; c'était la vengeance divine qui me parlait ainsi.

Je m'embarquai sur votre bâtiment; mais, comme vous le comprenez bien, je ne pouvais dormir. Je sortis de la cabine pour prendre l'air sur le pont, et je vous rencontrai.

A partir de ce moment vous savez tout. J'ai mieux aimé me battre que de vous faire alors l'aveu que je vous fais maintenant, vous auriez cru que je faisais cet aveu parce que j'avais peur, et puis, cet aveu fait, vous aviez mon secret, c'est-à-dire ma vie. Je ne risquais pas davantage en acceptant le duel que vous me proposiez. Dieu vous a choisi pour l'exécuteur de sa justice. Il n'a pas voulu qu'une fois adultère et deux fois assassin, je jouisse en paix de l'impunité légale que ma maîtresse avait achetée pour moi à prix d'or. Venez ici, capitaine, voici ma main. Pardonnez-moi comme je vous pardonne.

Il me donna la main et s'évanouit.

Je lui fis avaler deux autres cuillerées d'élixir, et il rouvrit les yeux, mais avec le délire. A partir de ce moment, il ne prononça plus que des paroles sans suite entremêlées de prières et de blasphèmes, et le soir à neuf heures il expira, laissant à fra Girolamo la lettre destinée à Lena Morelli.

—Et qu'est devenue cette jeune femme? demandai-je au capitaine,

—Elle n'a survécu que trois ans à Gaëtano Sferra, me répondit-il, et elle est morte religieuse au couvent des Carmélites de Messine.

—Et combien y a-t-il de temps, demandai-je au capitaine, que cet événement a eu lieu?

—Il y a… dit le capitaine en cherchant dans sa mémoire.

—Il y a aujourd'hui neuf ans, jour pour jour, répondit Pietro.

—Aussi, ajouta le pilote, voilà notre tempête qui nous arrive.

—Comment, notre tempête?

—Oui. Je ne sais pas comment cela s'est fait, dit Pietro; mais depuis ce temps-là, toutes les fois que nous sommes en mer l'anniversaire de ce jour-là, nous avons eu un temps de chien.

—C'est juste, dit le capitaine en regardant un gros nuage noir qui s'avançait vers nous venant du midi; c'est pardieu vrai! Nous n'aurions dû partir de Naples que demain.

Le Speronare

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