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LE RECHUTEUR

La Guerre mondiale battait son plein quand j’ai terminé mon secondaire. J’étais trop jeune pour l’armée mais assez âgé pour manipuler une machine qui fabriquait des armes de destruction. Je suis devenu machiniste avec un bon salaire. De toute façon, j’aimais les machines et j’avais toujours voulu devenir ingénieur en mécanique. Désireux d’apprendre le plus possible, j’ai insisté pour qu’on me mute d’une activité à l’autre jusqu’à ce que j’acquière une solide expérience pratique sur toutes les machines qu’on retrouve ordinairement dans un atelier d’usinage. Ainsi équipé, j’étais prêt à voyager pour acquérir plus d’expérience et sept ans plus tard, j’avais travaillé dans les plus grands centres industriels des États de l’Est, en complétant mon travail à l’atelier par des cours du soir en ingénierie maritime.

Je profitais de la bonne vie de l’époque et je ne buvais qu’au cours du week-end, et à quelques fêtes le soir après le travail. Mais j’étais perturbé et insatisfait, et, d’une certaine façon, dégoûté de passer d’un emploi à un autre sans autre résultat qu’une enveloppe de paie à la fin de la semaine. Je n’étais pas particulièrement intéressé à gagner beaucoup d’argent, mais je voulais être à l’aise et indépendant le plus rapidement possible.

Je me suis donc marié et pendant un certain temps, j’ai cru que j’avais trouvé la solution à mon désir de changement constant. La plupart des gens se rangent quand ils se marient et je croyais que je ferais de même, que ma femme et moi choisirions un endroit pour notre foyer et pour élever nos enfants. Je rêvais d’une vie douillette vers quarante ans. Ce n’est pas ce qui s’est produit. Après que la nouveauté de la vie maritale se fut émoussée, le vieux démon de la bougeotte m’a repris.

En 1924, j’ai emmené ma femme dans une ville en développement du Midwest où le travail ne manquait jamais. J’y avais été plusieurs fois dans le passé et j’avais toujours pu me trouver du travail dans le département d’ingénierie de sa plus importante usine. J’avais rapidement saisi la culture de l’entreprise, réputée pour la formation solide qu’elle offrait à ses employés. Elle encourageait l’ambition et aidait les talents latents à se développer. J’aimais mon travail et je m’efforçais toujours d’obtenir de l’avancement. Je connaissais très bien les besoins mécaniques de l’usine et quand on m’a offert un poste au service des achats de la division mécanique, j’ai accepté.

Nous habitions désormais dans une sorte de para-dis des travailleurs, un quartier superbement aménagé où on encourageait les employés à s’acheter une maison de la compagnie. Nous avons eu un petit garçon deux ans après que je sois entré au service de la compagnie et cet événement m’a fait prendre le mariage au sérieux. Mon garçon aurait le meilleur que je pourrais lui offrir. Il n’aurait jamais à travailler dur comme moi pendant des années. Nous avions un bon cercle de connaissances dans notre quartier, de gentils voisins, mes collègues de travail au service de l’ingénierie, et plus tard aux achats, étaient de bonnes personnes, la plupart déterminés à obtenir de l’avancement et à profiter des bonnes choses de la vie en ce faisant. Nous avions de belles soirées sans trop d’alcool, juste assez pour donner du piquant au samedi soir, jamais pour perdre le contrôle.

Le fatal et le fatidique se sont produits en octobre 1929. Le travail a commencé à manquer. Les déclarations rassurantes des leaders financiers ont soutenu notre confiance que l’industrie retrouverait bientôt son équilibre. Mais le bateau tanguait de plus en plus. Dans notre entreprise, comme dans plusieurs autres, les patrons ont ordonné le ralentissement de notre travail. On a mis du personnel à pied. Ceux qui restaient travaillaient d’arrache-pied à toute tâche qui se présentait, en se demandant qui serait le prochain à partir. Je me demandais si les longues heures supplémentaires non rémunérées seraient prises en considération au moment des coupures. Je restais souvent éveillé la nuit en voyant comme d’autres hommes le fruit de mon travail menacé de destruction.

J’ai été mis à pied. Je l’ai mal encaissé car j’étais un bon travailleur et je pensais, comme c’était souvent le cas, qu’on aurait pu mettre une autre personne à pied. Pourtant, j’ai ressenti du soulagement. C’était arrivé. En partie par ressentiment et en partie parce que j’étais libre, je me suis sérieusement saoulé. Je suis resté saoul pendant trois jours, ce qui était exceptionnel dans mon cas, ayant très rarement manqué une journée de travail parce que j’avais bu.

Mon expérience m’a rapidement valu un poste assez important dans le service d’ingénierie d’une autre entreprise. Mon travail m’amenait à voyager passablement, jamais très loin de la maison, mais souvent, je devais passer la nuit ailleurs. Il m’arrivait parfois de ne pas avoir à me présenter au bureau pendant une semaine, mais je restais toujours en contact téléphonique. Dans un sens, j’étais pratiquement mon propre patron et, loin de la discipline du bureau, je suis devenu une proie facile pour la tentation. Et des tentations, il y en avait. Je connaissais plusieurs fournisseurs de notre entreprise qui m’estimaient et étaient très amicaux. Au début, je refusais les nombreuses invitations à prendre un verre, mais bientôt j’en acceptais plusieurs.

Je rentrais de voyage assez affecté par ma consommation de la journée. Il n’y avait qu’un pas entre cette consommation quotidienne et mon absence répétée de mon horaire de travail. Je téléphonais et mon patron ne pouvait pas dire au son de ma voix si j’avais bu ou non, mais avec le temps il a été informé de mes escapades et m’a averti des conséquences possibles pour moi et pour mon poste. Finalement, quand mes écarts de conduite ont nui à mon efficacité et que mon chef a subi des pressions, il m’a congédié. C’était en 1932.

Je me suis retrouvé exactement là où j’avais débuté en arrivant dans cette ville. J’étais toujours un bon mécanicien et je pouvais toujours me trouver du travail rémunéré à l’heure dans un atelier de mécanique. Comme c’était le seul travail qu’on m’offrait, j’ai une fois de plus délaissé mon col blanc pour les bleus de travail et les gants de toile. En une bonne douzaine d’années, je n’étais arrivé nulle part, c’est ainsi que j’ai commencé à boire sérieusement pour la première fois. Je m’absentais de mon travail pendant au moins dix jours ou deux semaines tous les deux mois, je me saoulais et, à contrecoeur, je redevenais abstinent. Cela a duré presque trois ans. Au début, ma femme faisait de son mieux pour m’aider, mais elle a fini par perdre patience et elle a cessé de faire quoi que ce soit pour moi. J’étais hospitalisé à répétition, je cessais de boire, j’étais renvoyé chez moi, prêt pour une autre beuverie.

Le peu d’argent que j’avais économisé a rapidement fondu et j’ai vendu tout ce que j’avais pour me procurer de l’argent pour boire.

Dans un hôpital, une institution catholique, une des religieuses m’avait parlé de religion et avait emmené un prêtre me rendre visite. Tous deux étaient désolés pour moi et m’ont assuré que je trouverais le salut dans la Mère l’Église. Je ne voulais rien de cela. « Si je n’ai pu cesser de boire par ma propre volonté, je ne demanderai pas à Dieu d’intervenir », pensais-je.

Lors d’un autre séjour à l’hôpital, un pasteur que j’aimais et respectais est venu me rendre visite. À mes yeux, il s’agissait d’un autre non-alcoolique qui était incapable, malgré l’autorité et l’avantage que lui procurait son état, d’aider un alcoolique.

Un jour, je me suis mis à réfléchir. Je n’étais d’aucune utilité à moi-même, à ma femme et à mon garçon. Ma consommation d’alcool l’avait même affecté. Il était devenu un enfant nerveux, irritable, qui ne se débrouillait pas bien à l’école, avait de mauvaises notes parce que le père qu’il connaissait était un ivrogne invétéré sur qui on ne pouvait compter. J’avais suffisamment d’assurances pour permettre à ma femme et à mon enfant de prendre un nouveau départ et j’ai décidé que je quitterais ce monde. J’ai pris une dose létale de bichlorure de mercure.

Ils m’ont transporté d’urgence à l’hôpital. Les médecins des urgences ont effectué les premiers traitements, mais ils ont secoué la tête. Selon eux, je n’avais aucune chance de m’en tirer. Pendant des jours, mon état est demeuré incertain. Un jour, le médecin chef est venu me voir au cours de sa tournée quotidienne. Il m’avait souvent vu auparavant à cause de l’alcoolisme.

À mon chevet, il a manifesté plus que de l’intérêt professionnel, il a tenté de me redonner le goût de vivre. Il m’a demandé si je voulais vraiment arrêter de boire et commencer une nouvelle vie. On s’attache à la moindre brindille de salut. Je lui ai dit que j’aimerais essayer une nouvelle fois. Il a dit qu’il enverrait un autre médecin me voir, quelqu’un qui m’aiderait.

Ce médecin est arrivé et s’est assis à côté de mon lit. Il a tenté de me donner de l’espoir pour l’avenir, en disant que j’étais encore jeune et que le monde m’appartenait, et il a affirmé que je pouvais vraiment cesser de boire si je le désirais. Sans me donner de détails, il a dit qu’il y avait une solution efficace à mon problème et à ma condition. Puis, il m’a simplement conté l’histoire de sa propre vie, une vie de généreuses ablutions après le travail pendant plus de trente ans, jusqu’à ce qu’il perde presque tout ce qu’un homme puisse perdre, et comment il avait découvert et mis en pratique le remède avec un succès total. Il était convaincu que je pouvais faire de même. Jour après jour, il revenait me voir à l’hôpital et me parlait pendant des heures.

Il m’a simplement demandé de mettre en pratique les croyances que je possédais déjà en théorie mais que j’avais oubliées toute ma vie durant. Je croyais en un Dieu qui dirigeait l’univers. Le docteur m’a suggéré l’idée qu’un Dieu en tant que père ne permettrait pas consciemment qu’un de ses enfants périsse et il m’a laissé entendre que la plupart, sinon tous nos problèmes, venaient du fait que nous avions perdu contact avec la notion de Dieu, avec Dieu lui-même. Toute ma vie, dit-il, j’ai agi selon ma propre volonté et non selon celle de Dieu et la seule manière infaillible d’arrêter de boire dans mon cas a été de confier ma volonté à Dieu et de le laisser régler mes difficultés.

Je n’avais jamais considéré les choses sous cet angle, je m’étais toujours senti loin d’un Être Suprême. « Doc », comme je l’appellerai désormais, était convaincu que la loi de Dieu était la Loi de l’Amour et que tous le ressentiment que j’avais nourri et entretenu avec l’alcool venait du fait que, consciemment ou non, peu importe, j’avais désobéi à cette loi. Étais-je prêt à confier ma volonté ? J’ai dit que je tenterais de le faire. Pendant que j’étais encore à l’hôpital, en plus de ses vi-sites, j’ai eu droit à celles d’un jeune homme, gros buveur pendant des années, et qui avait rencontré « Doc » et avait essayé ce remède.

À l’époque, les anciens alcooliques de cette ville, qui sont aujourd’hui beaucoup plus nombreux, se limitaient à Doc et à deux autres personnes. Pour s’aider mutuellement et comparer leurs expériences, ils se réunissaient une fois par semaine dans une maison privée pour discuter. Dès ma sortie de l’hôpital, je me suis joint à eux. Les réunions étaient informelles. En choisissant l’amour comme commandement de base, j’ai découvert que mes efforts soutenus de mettre la loi de l’amour en pratique m’ont permis de me libérer de certaines malhonnêtetés.

J’ai repris mon travail. Des nouveaux sont arrivés et nous étions heureux de leur rendre visite. J’ai découvert que mes nouveaux amis m’aidaient à demeurer dans le droit chemin et que la vue de chaque nouvel alcoolique à l’hôpital était pour moi une leçon de choses. Je voyais en eux ce que j’avais été, ce que je n’avais jamais réussi à faire auparavant.

Me voici rendu à la partie difficile de mon histoire. Il serait bien de dire que j’ai progressé au point de me réaliser pleinement, mais ce ne serait pas vrai. Mon expérience ultérieure montre une 0morale tirée d’une leçon difficile et cruelle. Pendant deux ans après que Dieu m’eut aidé à cesser de boire, les choses se sont déroulées paisiblement. Puis, quelque chose s’est produit. J’appréciais l’amitié de mes compagnons ex-alcooliques et je me débrouillais bien dans mon milieu de travail et dans mon petit cercle d’amis. J’avais en grande partie regagné l’estime de mes anciens amis et la confiance de mon employeur. Je me sentais bien – trop bien. Petit à petit, j’ai commencé à dévier du programme que je tentais de suivre. Après tout, me disaisje, devais-je suivre un programme pour demeurer abstinent ? J’étais alors abstinent depuis deux ans et les choses allaient bien. Quel mal y aurait-il à continuer tout en sautant une réunion ou deux. Si je n’étais pas là physiquement, du moins j’y serais en esprit, me disais-je comme excuse, car je me sentais un peu coupable de ne pas y être.

J’ai aussi commencé à négliger mes contacts quotidiens avec Dieu. Rien n’a changé – du moins pas sur le moment. Puis, j’ai pensé que je pourrais me suffire à moi-même. Dès que cette idée – que Dieu était bien utile durant les premiers jours et mois de mon abstinence, mais que je n’avais plus besoin de Lui aujourd’hui – a fait son apparition, j’étais fait comme un rat. Je me suis écarté de la vie que je tentais de vivre. J’étais en réel danger. Je n’étais qu’à un pas de penser que mes deux années de formation en totale abstinence étaient ce qu’il me fallait pour me permettre de prendre un verre de bière. Le goût m’est revenu. Je suis devenu fataliste et peu après, je buvais en sachant que je me saoulerais, que je resterais saoul, et ce qui arriverait inévitablement.

Mes amis sont venus à mon secours. Ils ont essayé de m’aider, mais sans succès. J’avais honte et je préférais qu’ils ne viennent pas me voir. Ils savaient que tant que je ne voudrais pas cesser de boire, tant que je préférerais ma propre volonté à celle de Dieu, le remède ne fonctionnerait pas. Quelle idée saisissante que de penser que Dieu ne force jamais personne à suivre Sa volonté, que Son aide est toujours disponible mais qu’il faut la demander avec ardeur et humilité.

Cet état a duré des mois au cours desquels je m’étais volontairement fait interner dans une institution privée pour me remettre en forme. La dernière fois que j’ai repris mes esprits, j’ai demandé à Dieu de m’aider à nouveau. Tout honteux que j’aie été, je suis retourné au mouvement. Ils m’ont accueilli, m’ont offert toute l’aide individuelle ou collective dont je pourrais avoir besoin. Ils ont fait comme si rien ne s’était passé. Je crois que le témoignage le plus éloquent de l’efficacité de ce remède, c’est que j’ai toujours su pendant ma rechute que ce remède fonctionnerait si je lui en donnais la chance, mais j’étais trop entêté pour l’admettre.

Il y a un an de cela. Soyez assuré que je ne m’éloigne pas de ce qui s’est avéré bon pour moi. Je ne prends pas le risque de trop m’écarter. J’ai aussi découvert que par un simple acte de foi, j’obtiens des résultats en confiant ma vie à Dieu chaque jour, en lui demandant de me garder abstinent pendant 24 heures et en tenant de faire sa Volonté. Il ne m’a pas encore laissé tomber.

Expérience, force et espoir

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