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II
L'OPÉRA

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M. le chevalier de Pimprenelle riait encore au milieu de la rue.—Après être descendu chez un baigneur renommé, où il se fit ambrer des pieds à la tête, il se dirigea vers le Palais-Royal et y fit deux ou trois tours de promenade, en attendant l'heure de l'Opéra. Lorsqu'il eut assez longtemps regardé les femmes sous le nez, dit des gaillardises aux bouquetières et promené son épée dans les jambes des passants, il se disposait à sortir du jardin,—quand il aperçut un petit abbé de sa connaissance, qui s'empressa de venir à lui avec de grandes démonstrations de tendresse et qui se prit à passer familièrement son bras sous le sien.

—Eh! c'est l'abbé Goguet, s'écria le chevalier; gageons, fripon, que vous sortez de chez Belinde ou de chez Zenéide?

—Baste! vous gagneriez doublement; je viens de chez toutes les deux.

—L'abbé, c'est le ciel qui vous envoie. Comment trouvez-vous mon habit?

—Magnifique.

—Et mes rubans?

—Incomparables.

—Vous avez le goût sûr… Avez-vous soupé?

—Fi donc! avant dix heures?

—Alors je vous emmène: nous souperons ensemble avec Tonton, dans ma petite maison du faubourg.

Et ils prirent tous les deux la route de l'Opéra, non sans s'être arrêtés à maintes reprises dans les cabarets qui se trouvaient sur leur passage, et sans avoir rendu tous les coups de coude des sous-traitants et des petits robins dont on était alors accablé.—Une fois arrivés, ils allèrent se placer sur un des bancs disposés le long des coulisses, l'abbé après avoir essuyé les quolibets des comédiens, et le chevalier en s'inclinant devant les félicitations sans nombre que lui attirait son habit neuf. On jouait ce soir-là les Indes galantes, pastorale en quatre entrées, de Fuzelier et de Rameau. Une des nymphes subalternes les plus en vogue, la petite Tonton, dont avait parlé le chevalier de Pimprenelle, remplissait là-dedans le rôle d'une jeune vierge péruvienne et devait mimer un pas nouveau composé tout exprès pour elle par Despréaux, le plus habile joueur de saqueboute de son temps. Pendant que l'abbé Goguet et le chevalier de Pimprenelle, après avoir fait quelque fracas de leurs lorgnettes et de leurs montres, étaient occupés à guigner les femmes des loges avancées, sans plus se soucier de la pièce qu'on représentait,—ils se virent accostés par un Mondor à la face rubiconde, coiffé d'une perruque volumineuse, et qui se carrait d'un air d'importance en s'appuyant sur une haute canne de bois des îles. Ce personnage les salua avec toute la majesté que comportait sa riche encolure et s'assit lourdement à côté d'eux, en promenant ses gros yeux effarés sur le groupe des danseurs qui remplissait la scène. C'était le protecteur actuel et déclaré de Tonton.

Dès qu'il l'aperçut au bord de la rampe, un énorme sourire serpenta sur toute la largeur de sa figure; il se balança sur son banc d'un air de satisfaction, et fit grincer deux ou trois fois sa tabatière, en toussant et soufflant de manière à couvrir la musique de l'orchestre.—A ce bruit insolite, Tonton se retourna et ne put dissimuler une violente envie de rire, qui lui fit manquer un entrechat et excita les murmures des habitués du parterre. A partir de ce moment, sa danse demeura sans effet sur le public, et ce fut en dépit de la mesure qu'elle acheva le pas de caractère où ses partisans l'attendaient pour la juger.—L'acte fini, elle passa, toute rouge de colère, au milieu des rangs silencieusement moqueurs de ses rivales, et se hâta de remonter dans sa loge,—suivie du Mondor, du petit collet et du chevalier de Pimprenelle, qui traversèrent bruyamment le théâtre en emboîtant le pas derrière elle. Tonton étouffait de rage; elle gravit quatre à quatre l'escalier étroit, sans faire attention à leurs compliments de condoléance. Arrivée à la porte de sa loge, elle se retourna vivement, et la première chose qu'elle aperçut fut la grosse figure du Mondor, dont l'expression de douleur comique l'eût peut-être désarmée en toute autre circonstance. Mais Tonton avait trop sur le cœur sa récente humiliation, et, lui attribuant une partie de sa défaite,—elle lui poussa brusquement la porte sur le nez.

Le pauvre financier resta deux minutes étourdi. Avant qu'il fût remis de son émotion, l'abbé Goguet et le chevalier de Pimprenelle avaient fait volte-face et descendu quelques marches de l'escalier.

—Oh! oh! dit le chevalier, la petite a sa migraine ce soir, à ce qu'il me semble.

—Mais… je crois que oui… balbutia piteusement le Mondor.

—Baste! cela ne sera rien, répliqua l'abbé. Il faut parlementer, voilà tout.

—C'est cela, parlementez, mon cher.

En conséquence, le Mondor approcha son œil du trou de la serrure, et d'une voix qu'il s'efforça de rendre aussi pateline qu'il lui fut possible:

—Tonton, ma petite Tonton… il ne faut pas m'en vouloir; ouvre-moi, mon bouchon!

Rien ne répondit.

—Tonton, continua-t-il d'un ton dolent, il y a en bas M. le chevalier de Pimprenelle qui nous fait l'honneur de nous inviter à souper dans sa petite maison, avec l'abbé Goguet. Tu te rappelles Goguet, ton bon ami?

Même silence.

Le Mondor eut un moment d'hésitation au bout duquel il parut faire un effort sur lui-même:

—Tonton, mon petit nez… tu sais cette désobligeante que tu désirais tant, avec cette livrée bleu-de-ciel? eh bien, tu l'auras demain matin. Hein?

Il n'y eut pas un mouvement.—Le financier suait à grosses gouttes. Au bas de la rampe, le chevalier et l'abbé se tenaient les côtes de rire.—L'abbé, pour se donner une contenance, chantonnait entre ses dents un couplet qui courait les ruelles:

L'autre jour, près d'Annette,

Un gros berger joufflu,

Lurelu,

La rencontrant seulette,

En riant l'aborda,

Lurela…

—Tonton… Tonton, tu m'as demandé hier un de mes grands laquais; je te donnerai Saint-Jean—et puis Jasmin… tu entends?

La danseuse entendit sans doute, mais elle n'en montra rien. Le Mondor laissa tomber ses bras d'un air désespéré.

—Tonton, adieu. Je m'en vais, Tonton. Tu ne me reverras plus, Tonton.

Et il se disposait en effet à descendre lentement l'escalier, lorsque ses regards tombèrent sur ses deux compagnons qui l'examinaient d'un air railleur.

—Ferme! lui cria le chevalier.

—Encore! dit l'abbé.

Il réfléchit. Puis, armé de résolution, il remonta vers la loge; mais cette fois il y frappa avec assurance et d'une main de maître.

—Allons! se dit-il. Tonton, je t'achèterai une folie à Chantilly ou à Meudon. Tu y donneras des fêtes toutes les semaines, et tes amies Cléophile et Guimard en sécheront de jalousie.—Partons!

La porte s'était ouverte.

—Partons! dit la danseuse.

Les amours du temps passé

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