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CHRONOLOGIE
CHAPITRE III.
Récit de Bérose et de Mégasthènes.—Système chaldéen

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IL est naturel de croire qu’avant la publication de l’histoire de Ktésias, les Grecs n’avaient que peu ou point de connaissance des ouvrages et du nom de Sémiramis: cet auteur doit donc être considéré comme le chef de l’opinion qui attribue à cette reine la fondation de Babylone, et cette opinion dut être dominante jusqu’au temps d’Alexandre. Mais lorsque la conquête de l’Asie par ce prince, et lorsque sa résidence à Babylone, qu’il affectionna, eurent mis les savans grecs en communication avec les prêtres du pays, avec ces Chaldéens si renommés pour leurs sciences, on vit s’élever une autre opinion indigène et babylonienne, contraire à celle des Assyriens de Ninive. La première trace se montre dans un fragment de Mégasthènes, historien grec, contemporain de Séleucus-Nicator, roi de Babylone jusqu’en l’année 282 avant Jésus-Christ, lequel envoya Mégasthènes, à titre d’ambassadeur, vers Sandracottus, l’un des rois de l’Inde résidant à Palybothra79. Eusèbe, dans sa Préparation évangélique, nous a conservé le passage qui suit, livre IX, chap. 41, pag. 457.

«Babylone fut bâtie par Nabukodonosor: au commencement (in principio) le pays entier était couvert d’eau et portait le nom de mer80; mais le dieu Bélus, ayant desséché la terre et assigné à chaque élément ses limites, environna de murs Babylone, puis il disparut81. Dans la suite, l’enceinte qui se distingue par des portes d’airain fut construite par Nabukodonosor; elle a subsisté jusqu’au temps des Macédoniens.»

Quelques phrases après, Mégasthènes ajoute:

«Nabukodonosor, devenu roi, entoura dans l’espace de quinze jours, la ville de Babylone d’un triple mur, et fit couler ailleurs les canaux appelés armakale et akrakan qui venaient de l’Euphrate; puis, en faveur de la ville de Siparis, il creusa un lac profond de 20 orgyes, ayant 40 parasanges de circuit; il y fit des écluses ou vannes, appelées régulatrices des richesses, pour l’arrosage de leurs champs. Il réprima aussi les inondations du golfe Persique, en leur opposant des digues, et les irruptions des Arabes, en construisant la forteresse de Térédon. Il orna son palais, en élevant un jardin suspendu qu’il couvrit d’arbres.»

Très-peu de temps après Mégasthènes, un savant de Babylone, Bérose82, né de famille, sacerdotale, professa la même opinion; et parce que ses prédictions astrologiques et ses écrits en divers genres le rendirent célèbre au point que les Athéniens lui érigèrent une statue dont la langue fut d’or, nous pensons que c’est à lui qu’il faut attribuer l’ascendant que cette nouvelle opinion acquit, selon l’expression de Quinte-Curce, chez la plupart des historiens (vel ut plerique credidere).

L’intéressant ouvrage de Bérose, intitulé Antiquités chaldaïques, étant perdu, c’est à l’historien juif Flavius Josephus que nous devons les fragmens relatifs à notre question. Voici ses paroles (Contra App., lib. I, § XIX):

«À l’égard de ce que les monumens chaldéens disent de notre nation, je prendrai à témoin Bérose, né lui-même Chaldéen, homme très-connu de tous ceux qui cultivent les lettres, à cause des écrits qu’en faveur des Grecs il a publiés dans leur propre idiome, sur l’astronomie et la philosophie des Chaldéens.»

«Bérose donc, qui a copié les plus anciennes histoires chaldéennes, présente absolument les mêmes récits que Moïse83 sur le déluge, sur la destruction des hommes qui en résulta; sur l’arche dans laquelle Noé, père de notre race, fut sauvé; sur la manière dont elle aborda aux montagnes d’Arménie; ensuite il énumère les descendants de Noé, assigne le temps de chacun d’eux, et arrive jusqu’à Nabopolasar, roi des Chaldéens et de Babylone

Ici Josèphe raconte en détail, d’après Bérose, comment Nabukodonosor, fils de Nabopol-asar, ayant battu le roi d’Égypte Néchos, fut tout à coup distrait de ses conquêtes par la mort de son père; comment, sur la nouvelle qu’il en reçut, il traversa le désert de Syrie à marches forcées pour se rendre à Babylone; comment, investi de l’autorité suprême à titre d’héritage

79

Nous retrouvons ce roi dans les listes sanscrites des modernes indiens, sous le nom de Tchandra-Goupta, successeur de Nanda.

80

Bahr en arabe, qui signifie à la fois mer et grand fleuve, toute grande étendue d’eau.

81

Ce récit a une analogie frappante avec le début de la Genèse.

82

On dispute sur l’époque de Bérose, et cependant la question nous semble simple aux yeux d’une critique raisonnable. Tatien, l’un des plus savants chrétiens du second siècle de notre ère, parlant de Bérose, lui rend ce témoignage: «Bérose est le plus savant des écrivains (sur l’Asie); et pour preuve, je citerai la préférence que le roi Juba, lorsqu’il traite des Assyriens, déclare donner à l’histoire de cet écrivain, qui avait composé 2 livres sur les faits et gestes des Assyriens». (Oratio contra Græcos, p. 293291)

Quant à son âge, Tatien dit: «Bérose, prêtre baylonien, naquit à Babylone sous Alexandre; il dédia à Antiochus, troisième depuis ce prince, son histoire divisée en 3 livres, dans laquelle, parlant des actions des rois de Babylone, il en cite un entre autres appelé Nabukodonosor, etc.»

Maintenant raisonnons: Si Bérose naquit sous Alexandre, il faut entendre Alexandre, roi à Babylone, par conséquent vers l’an 330. Mais le traducteur latin de Tatien s’est permis d’altérer le texte grec en disant: Bérose fut contemporain d’Alexandre (Alexandro æqualis, quoique le grec kata Alexandron gegonôs signifie littéralement né au temps d’Alexandre). Le Syncelle, selon son usage, avait déjà altéré cette phrase en disant, pag. 28; Bérose, dans son premier livre des Babyloniques, se fait honneur d’avoir vécu sa jeunesse sous Alexandre (genestaï tèn-êlikian), et le traducteur du Syncelle (Goar) l’a encore altéré en disant: parem se Alexandro jactat. Enfin ce même Syncelle, toujours incorrect, dévie encore plus du sens dans un autre passage, lorsqu’il dit, p. 14: Bérose, dans ses Antiquités chaldaïques, rapporte qu’il a fleuri sous Alexandre.

Faute d’avoir fait ces corrections, plusieurs ont cru que Bérose avait réellement été un homme de 25 à 30 ans sous Alexandre, et alors il leur a été impossible de concilier un passage de Pline qui dit, lib. VII, chap. II: «Épigènes assure que les Babyloniens ont des observations de 720 ans de date, écrites sur des briques cuites; mais Bérose et Critodème réduisent cette durée à 480 ans (selon quelques manuscrits, et 490 selon d’autres)».

Sur ce passage l’on raisonne et l’on dit: «Puisque Nabonasar (selon Bérose) détruisit tous les monuments historiques antérieurs à son règne, les observations qui le précédèrent ont dû être détruites: celles dont il s’agit ne doivent donc dater que de l’an 1 de Nabonasar, qui est l’an 747 avant notre ère: de 747 ôtez 480 de Bérose, vous ayez 268. Cette année fut la 15e d’Antiochus-Soter, qui succéda à Séleucus-Nicator en 282. Mais si Antiochus-Théos, qui fut successeur de Soter et 3e depuis Alexandre, ne régna qu’en 262, comment Bérose lui a-t-il dédié son livre?» Nous répondons qu’étant né sous Alexandre vers 330, Bérose avait eu, l’an 268, environ 63 ou 64 ans; ce qui est un âge convenable, tandis que la chose serait presque impossible dans l’autre hypothèse, où il aurait 85 à 90 ans. Si l’on préfère la leçon de 490 au lieu de 480, la dédicace tombera en l’an 258, et Bérose aurait 74 ans, ce qui est encore possible, mais moins probable; et néanmoins il a pu dédier son livre à Antiochus-Théos, prince royal, en l’an 268, tout aussi-bien qu’à Antiochus-Théos, roi en l’an 258: ainsi la balance des probabilités est plus favorable à la leçon 480. Nous ne disons rien des 720 ans d’Épigènes, parce que l’époque de cet auteur n’est pas connue. Quant à la correction systématique qui veut ajouter mille, et lire 480 mille ans, elle n’est appuyée ni par les manuscrits, ni par le texte de Pline, qui, en concluant que l’usage des lettres est éternel, a eu en vue leur invention sous Phoronée et sous les plus anciens rois de la Grèce, sans compter que cet écrivain n’est pas toujours conséquent.

83

Phrase très-remarquable.

Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome II

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