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SUITE DE LA CHRONOLOGIE D’HÉRODOTE
§ III.
Vie de Zoroastre

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Selon Hérodote et selon les Parsis, Zoroastre naquit Mède. Ceux qui l’ont cru Bactrien furent induits en erreur par le théâtre de sa mission; comme ceux qui l’ont dit Perse l’ont été par la prédominance du peuple qui fit le plus connaître sa religion. A l’époque de sa mission, entre les années 1220 et 1200, le vaste pays qui depuis a composé l’empire des Perses était partagé entre plusieurs nations indépendantes et ennemies.

1° La nation mède, composée de six peuples ou tribus41, occupait les pays actuellement nommés Aderbibjan, Djebâl, et Irâq-Adjami, ayant pour limites, au nord, le fleuve Araxes; au midi, la chaîne des monts Élyméens, aujourd’hui Louristan; et à l’est, celle de l’ancien Zagros, bornant les plaines assyriennes du Tigre.

2° La nation Perse, composée d’un grand nombre de tribus, dont Hérodote nomme jusqu’à onze, les unes sédentaires, livrées à la culture; les autres vagabondes, nourrissant des troupeaux; toutes sauvages et guerrières: cette nation s’étendait depuis les monts Élyméens, au nord, jusqu’au golfe Persique, à l’ouest et au midi.

3° Le Khorasan actuel était habité par les Bactriens, autre race, partie agricole, partie nomade, qui semble être d’origine scythique, et qui forma un état puissant et très-anciennement civilisé.

4° Le Mazanderan et le Ghilan avaient encore d’autres peuples indépendants, cités comme féroces, tels que les Marses, les Gelœ et les Caddusii, qui occupaient les montagnes jusqu’au lac Ourmi.

5° Enfin le Kurdistan propre, d’où le Tigre et le Zâb tirent leurs sources, avec le pays de Sennaar ou Sindjar, était le patrimoine des Assyriens divisés en tribus, dont l’une, celle des Chaldéens, jouait chez eux le même rôle sacerdotal que les lévites chez les Hébreux, que les brahmes chez les Indiens, et que les mages chez les Mèdes. Ninus fut le premier qui soumit tous ces peuples à un même joug, et qui en composa un corps politique, dont le temps amalgama peu à peu et identifia les parties. Depuis ce conquérant, le pays compris entre le Tigre et l’Indus ayant presque toujours formé un même empire, sous l’influence d’un même pouvoir et d’un même langage, les habitudes de cette réunion, en faisant perdre de vue l’ancien état de choses, ont induit les écrivains orientaux en une foule de méprises géographiques; et comme ils n’ont plus compris le vrai sens des anciennes descriptions, ils ont fait de vicieuses interprétations des noms, et ont fini par défigurer totalement l’histoire. Par exemple, le nom d’Air-an42 ne désigna d’abord que la Médie propre, appelée Aria dans Hérodote, Ériané dans les livres parsis; mais par la suite, et probablement sous les rois mèdes, ce nom ayant été attribué à tout leur empire, ses habitants n’ont plus su à qui appartenait le nom de Tour-an; et parce qu’ils ont trouvé le Tourk-estan à l’est de la mer Caspienne, ils ont placé là le royaume de Tour, qui était réellement à l’ouest, et se composait de tout le pays montueux du Taur-us43, et spécialement de l’Atouria des Grecs, c’est-à-dire que l’ancienne division était la plaine (Aïr-an), et la montagne (Tour-an): aussi est-il échappé aux écrivains persans de conserver, comme malgré eux, cette circonstance, que des possessions d’Ardjasp se trouvaient au couchant de la Caspienne; elles y étaient toutes, par la raison qu’Ardjasp, roi de Tour-an, ne fut autre que Ninus, roi de l’Atouria et de tout le Taurus. Lorsque ce prince eut subjugué la Médie et crucifié son roi Pharnus, le mède Zoroastre put avoir des raisons de quitter sa patrie, traitée avec la dureté qui caractérise les anciens temps. Peut-être fut-ce à cette époque et à cette occasion qu’il se réfugia dans l’antre que nous décrit Porphyre, d’après Eubulus. (Il devait, selon nos calculs, avoir alors 30 à 31 ans.)

«Nous lisons dans Eubulus que Zoroastre fut le premier qui, ayant choisi dans les montagnes voisines de la Perse, une caverne agréablement située, la consacra à Mithra, créateur et père de toutes choses; c’est-à-dire qu’il partagea cet antre en divisions géométriques figurant les climats et les éléments, et qu’il imita en partie l’ordre et la disposition de l’univers par Mithra. De là est venu l’usage de consacrer les antres à la célébration des mystères, et de là l’idée de Pythagore et de Platon, d’appeler le monde un antre, une caverne. (Porphyrius, de Antro nympharum.)»

C’est-à-dire que Zoroastre se composa une grande sphère armillaire en relief, pour mieux étudier les mouvements des astres, et connaître le mécanisme du monde, comme l’a dit Justin.

«Ce fut d’après ce modèle que les Perses, au rapport de Celse44, représentaient, dans les cérémonies de Mithra, le double mouvement des étoiles fixes et des planètes, avec le passage des ames dans les cercles ou sphères célestes… Pour figurer les propriétés ou attributs des planètes, ils montraient une échelle le long de laquelle il y avait 7 portes, puis une 8e à l’extrémité supérieure. La 1re, en plomb, marquait Saturne; la 2e, en étain, Vénus; la 3e, en cuivre, Jupiter; la 4e, en fer, Mars; la 5e, en métaux divers, Mercure; la 6e, en argent, la Lune; la 7e, en or, le Soleil (puis le ciel empyrée).»

Sans doute voilà l’échelle du songe de Jacob; mais toutes ces idées et allégories égyptiennes et chaldéennes ayant existé bien des siècles avant Abraham et Jacob, l’on n’en peut rien conclure pour et contre l’antériorité de la Genèse, relativement à Zoroastre.

Ce fragment précieux nous prouve que la théologie de ce chef de secte, semblable à celle des Égyptiens et des Chaldéens, et généralement de tous les anciens, ne fut, comme le disent Plutarque et Chérémon, que l’étude de la nature et de ses principes moteurs dans les corps célestes et terrestres: si, comme le dit Pline, Zoroastre passa vingt ans dans cette grotte, et s’il y entra à l’âge de 30 ans, comme le disent les Parsis, il dut arriver en Bactriane vers l’âge de 50 ans, et cette date, coïnciderait avec la seconde attaque de Ninus; mais, ainsi que nous l’avons dit, l’on ne peut guère compter sur l’exactitude de ces données. Le choix qu’il fit de ce pays s’expliquerait bien par l’aversion qu’il dut porter à Ninus, et par le caractère désireux de nouveautés qu’Ammien et Lactance donnent au roi de Bactriane. Cette contrée, extrêmement fertile, formait alors un royaume puissant qui, par son heureuse position, touchant à l’Inde, à la mer Caspienne, et à tout le nord de l’Asie, était l’entrepôt naturel de cet ancien commerce, au sujet duquel Pline nous dit que jadis les marchandises de l’Inde remontaient par le fleuve Indus, se versaient dans l’Oxus, et de là, par la Caspienne, dans tout le nord de l’Europe et de l’Asie. L’or des mines de Sibérie venait s’y échanger contre les produits de l’Inde et de l’Asie occidentale; et de là l’extrême abondance de ce métal, jusqu’au temps d’Hérodote, chez les Massagètes et les Bactriens. Cet état d’opulence, qui dut être un motif d’attrait et de cupidité pour Ninus, put n’être pas indifférent à l’ambitieux Zoroastre.

La vie monacale du père d’Hystasp, sa tête rasée, ses abstinences, ses mortifications, sont l’exacte copie des pratiques des brahmes et de plusieurs rois dont fait mention le livre Oupnekhat à pareille époque45. Le récit que nous font les livres perses, de la multitude et de la puissance des devins ou magiciens de ce temps-là, et des miracles opérés par eux et par Zoroastre, encore qu’il soit un conte oriental dans ses circonstances, n’est pas une fable absolue au fond...... Il correspond à ce que nous disent les livres hébreux des enchanteurs égyptiens, de leurs miracles et de ceux de Moïse devant Pharaon, deux siècles avant Zoroastre. C’était là le règne de ce qu’on a depuis appelé magie, ou l’art d’opérer des prodiges, et ces prodiges n’étaient pas tous de pures fables ou illusions.

Au sein des peuples agricoles, composés de paysans grossiers et de guerriers féroces, s’étaient formées des corporations d’hommes studieux, livrés par état à l’observation des astres et des influences célestes qui régissent les moissons. Bientôt ils avaient pu prédire les éclipses, ce phénomène solennel qui en impose si puissamment à la multitude; dès lors, appelés avec raison prédiseurs, prophètes, devins, ces hommes furent considérés comme les confidents des intelligences célestes..... Le hasard d’abord, puis des expériences méditées, leur ayant fait découvrir des opérations singulières, physiques et chimiques, ils en usèrent habilement pour augmenter leur crédit; ils firent entendre des voix là où il n’y avait point de bouche, apercevoir des objets là où la main ne trouvait point de corps; ils allumèrent des feux spontanés, par des pyrophores et des phosphores; en un mot, ils opérèrent des prestiges de fantasmagorie, d’optique, d’acoustique, qui aujourd’hui, quoique divulgués et connus, nous causent encore de la surprise; et ils furent regardés comme des ministres de la divinité: et parce que ces secrets, couverts d’un mystère profond, ne furent possédés que par certaines familles, dont ils assuraient l’existence et le pouvoir, ils purent se transmettre, subsister, et périr avec leurs dépositaires, sans que la multitude en ait jamais connu l’artifice. Ainsi, nous dit-on, Zoroastre fit verser sur son corps de l’airain fondu, pour convaincre Kestasp: et de nos jours, nous avons vu un Espagnol se faire arroser d’huile bouillante. La limite de ces prodiges n’est pas si facile à tracer qu’on le croirait d’abord; nous avons déja remarqué que le nom de Kaldéens, Kasd, signifie proprement devins; il paraît que ce fut spécialement contre eux qu’eut à lutter Zoroastre. L’anecdote du brahme Tchengregatchah, qui vint de l’Inde pour le réfuter, nous prouve, d’autre part, l’existence déja ancienne du brahmisme; par conséquent le dogme trinitaire des Védas précéda le dualisme de Zoroastre: et Cléarque, cité par Diogène Laërce (in Proœmio), ne fut pas bien instruit, lorsqu’il dit que les gymnosophistes dérivaient des mages; cela est inexact, même à l’égard des boudhistes: mais ceux-là eurent raison qui, selon le même Diogène, soutenaient que la philosophie des Juifs venait de celle des mages; car il est bien certain que, depuis la captivité de Babylone, ce fut à cette source que les Juifs puisèrent tout ce que l’on trouve dans leurs livres, sur le Dieu de lumière (Ormusd), sur l’ennemi Satan, qui est Ahrimanes, sur les anges, sur la résurrection en corps et en ame, etc., tous dogmes zoroastriens, dont on ne trouve pas une seule trace dans les livres de Salomon, de David, ni dans les lois de Moïse: la seule analogie qui existe entre la théologie de ce dernier et celle de Zoroastre, est 1° d’avoir proscrit toute image de la divinité, tout culte d’idoles, ce qui a préparé la réunion de leurs sectateurs, et marqué leur schisme avec les Sabiens, ou idolâtres; 2° de la part de Moïse, d’avoir représenté Dieu par le feu, tandis que le Mède le représente par la lumière; ce qui, dans l’un et l’autre cas, appartient à l’opinion bien plus ancienne, que l’élément du feu était le principe de tout mouvement, de toute vie, la source incorruptible de toute existence; aussi le nom de Iehou, que donna Moïse à ce principe, signifie-t-il réellement l’existence et ce qui est (Ego sum qui sum), et cela dans l’idiome sanscrit comme dans l’hébraïque: le Iou (piter), ou Pater des anciens Grecs et Pélasgues, dont nous trouvons le culte dès long-temps avant Abraham, prouve que cette doctrine indienne et égyptienne est de la plus haute antiquité. Sous ce rapport le docte Aristote a eu raison de dire que Iou était Oromaze, et que Pluton était Ahrimane46. Tout cela indique que la plupart des dogmes de Zoroastre existaient déja avant lui, et que, selon l’usage de presque tous les novateurs, il ne fit qu’une nouvelle combinaison (comme a fait Mahomet). Il n’est pas du ressort d’une chronologie d’exposer un système religieux aussi compliqué que celui de Zoroastre; il nous suffira d’observer que Thomas Hyde, plein de partialité pour les Guèbres, n’a fait qu’embrouiller ce sujet. Pour le bien traiter, il eût fallu, avec son érudition, y porter l’esprit ferme et libre de Hume ou de Gibbon. La doctrine des modernes Parsis, modifiée à différentes époques depuis Kyrus, n’est pas une image parfaite de l’ancienne; plusieurs traits cités par Plutarque47 et par d’autres auteurs grecs, ne s’y retrouvent plus; l’on n’aperçoit entre autres dans toute la compilation d’Anquetil, qu’une seule phrase sur le dogme du temps sans bornes, et cette phrase en dit moins que celle de Théodore de Mopsueste, toute tronquée qu’elle est par Photius48.

«Théodore explique dans son premier livre sur la magie perse, le dogme infame de Zarasdes touchant Zarouan, principe de toutes choses, appelé fortune (ou hasard). Théodore rapporte comment Zarouan, en faisant une libation (priapique), engendra Ormisda et Satan (Ahriman): il parle aussi du mélange de leur sang, et réfute tout ce dogme très-obscène.»

Ceci a un rapport évident avec les idées anciennes sur la fécondation, ou création annuelle, figurée par le Phallus, dans le tableau du sacrifice de Mithra;49 en même temps que, sous un autre aspect, c’est aussi le mystère de la création première, ou extraction du chaos, par le grand agent des anciens, le fatum, la fatalité, le hasard, qui est aussi l’éternel, l’ancien des jours. Le mot persan hazarouan a lui-même ce sens, puisqu’il désigne des millions d’années. C’est de ce dogme que les Valentiniens tirèrent leurs aïons, ou toujours vivants; et ce mot grec aïôn est l’Aïum, l’Aeuum des anciens Latins, qui l’ont tiré du sanscrit AUM. Ici nous avons, pour la première fois, la valeur véritable de ce mot indou si mystérieux, dont la méditation doit absorber toutes les facultés de l’ame; et en effet, quel sujet plus absorbant que l’éternité! Ce n’est pas le seul point de contact que le système de Zoroastre ait eu avec le brahmisme. Ses deux principes ne sont au fond qu’une simplification de la trinité indienne; et il a eu un avantage véritable à soutenir que tout pouvoir, toute action consistait à produire et à détruire; que par conséquent l’intermédiaire introduit par les brahmes, comme conservateur, sous le nom de Vishnou, était imaginaire, puisqu’il n’y a point de véritable stase entre croître et décroître, augmenter et diminuer.

Ce furent toutes les analogies de ce genre avec les idées déja existantes, qui préparèrent les esprits à l’admission de la nouvelle religion. Peut-être le roi des Bactriens y trouva-t-il encore l’avantage politique, en se donnant un système particulier, de se soustraire à quelque influence, à quelque suprématie exercée sur les prêtres de son pays, par ceux de Ninus. Quant à l’identité d’Ardjasp et de Ninus, d’Hystasp et de l’Oxuartes de Ktésias, elle résulte de la ressemblance de leurs actions:

«Ninus attaque une première fois Oxuartes, c’est-à-dire le roi de l’Oxus, résidant à Bactre; il est repoussé par une armée de guerriers vaillants50

«Arjasp, roi d’un pays à l’ouest de la Caspienne, attaque Gustasp résidant à Balk; il est battu et forcé de se retirer.»

«Ninus, après quelques années de repos, pendant lesquelles il fonde Ninive, révient contre Bactre. Cette ville est prise, son roi tué, et l’on n’entend plus parler de la Bactriane que comme d’une satrapie sous Asar-adan-pal.»

«Ardjasp, après quelques années, revient surprendre Balk, et le roi Lohrasp est tué.»

Les Orientaux continuent la vie de Gustasp, et le font régner à Estakar, dans la Perse propre; mais les anciens Grecs nous assurent que Estakar, qui est Persépolis, doit, comme Pasargade, sa fondation à Kyrus51; et les Parsis alors ont confondu Kestasp avec Darius Hystasp, qui réellement embellit Estakar, comme il est prouvé par les inscriptions de cette ville. Sans doute Zoroastre se déroba au vainqueur, puisque ensuite on le voit reparaître à la cour de Sémiramis; et la persécution qu’il avait essuyée de la part de Ninus, put lui devenir un titre de faveur près de cette femme, assassin de son mari. L’histoire ne nous apprend pas ce que devint Zoroastre sous le règne de Ninyas dont il fut le complice; et nous n’avons point de conjectures à avancer sans soutien. Il nous suffit d’observer que l’origine de sa religion, à cette époque, résout toutes les difficultés chronologiques, qui jusqu’à ce jour l’ont embarrassée. L’on ne saurait, dans le système d’Hérodote, y opposer la mention que fait la Genèse de l’arbre de la science du bien et du mal, et du serpent d’Eve, qui, par une allusion manifeste au nom d’Ahrim-an (appelé dans les livres parsis la grande couleuvre, et le menteur), est appelé Aroum (rusé) par le livre hébreu; car nous avons prouvé, dans l’article des Hébreux, que la Genèse, telle que nous la possédons, ne saurait être l’ouvrage de Moïse; et que, par inverse, ce passage, joint à plusieurs autres, devient l’un des arguments de la posthumité de ce livre, rédigé au temps du roi Josias, par le grand-prêtre Helqiah, ou plutôt par Jérémie, lorsque le système de Zoroastre régnait, depuis plus de cinq siècles, dans toute l’Asie occidentale.

Il nous reste à expliquer sur quelles bases, dans notre tableau, sont combinés les rapports chronologiques de Ninus, de Sémiramis et de Zoroastre.

L’âge de Sémiramis, à l’époque où Ninus l’épousa, exige deux conditions: l’une, qu’elle fût encore assez belle pour le séduire; l’autre, qu’elle fût déja assez mûre pour posséder les talents et les connaissances qu’elle développa. Le terme moyen convenable nous semble être 30 à 32 ans; elle dut enfanter Ninyas vers l’âge de 32 à 34. Lorsque nous la voyons périr, elle est encore dans la force des passions, et son fils est déja assez grand pour devenir l’un des objets de ses désirs. Il doit avoir eu entre 20 et 24 ans, puisque, devenu roi, il adopte immédiatement un système d’administration calculé avec astuce et profondeur. A pareil âge, dans des circonstances semblables, le fils également adultérin du conquérant David, Salomon, nous montre le même esprit, la même conduite; en reprenant ce sujet, dans l’article des Babyloniens, nous verrons que Sémiramis a dû périr vers l’âge de 62 ans, comme le dit Ktésias.

Ninus, en commençant son règne, dut, avec le génie d’Alexandre et de Kyrus, avoir à peu près leur âge: supposons 24 ou 25 ans: il régna en 1237: il dut naître vers 1260 ou 62: s’il établit son fils Agron roi des Lydiens en 1230, ce ne put être que sous la direction d’un vizir; ce cas a des exemples: Ninus employa 17 ans à subjuguer l’Asie (le pays de Bactre excepté): il serait donc revenu vers l’an 1220 fonder et bâtir Ninive, qui, selon les historiens, fut plus grande que Babylone.... Supposons pour cette entreprise, et pour une période de paix et de soin d’administration, 10 à 12 ans: il aurait repris la guerre de Bactriane vers l’an 1208, assiégé Bactre et épousé Sémiramis vers l’an 1207 ou 1206. Ninyas serait né vers 1205. Par la suite Sémiramis tend à son mari une embûche, où il périt dupe de sa trop grande confiance: il fallait que ses forces morales eussent décliné: l’âge de 65 à 66 ans serait convenable; il aurait péri vers l’an 1196 ou 95, et aurait régné 42 ans. Ktésias lui en donne dix de plus; mais Ktésias est convaincu d’avoir falsifié tous les règnes de sa liste: Sémiramis, devenue épouse de Ninus vers 1206 ou 1207, aurait pu naître vers 1239 ou 40. Selon Ktésias, elle aurait vécu 62 ans: cela nous conduirait vers 1180 ou 1179; son régne se trouverait de 15 à 16 ans, plus 10 ans avec Ninus: ce serait en tout 25 à 26 ans, au lieu des 42 de l’auteur grec: les 15 à 16 ans suffisent à ses travaux et à ses conquêtes, puisque la fondation de Babylone ne dura qu’un an, et que les deux millions d’ouvriers employés à cet ouvrage rendent le fait croyable. La guerre des Indes daterait de l’an 5 de son règne; celle d’Arménie, de l’an 7 ou 8; et la mort de cette femme étonnante serait arrivée 6 ans après, vers l’an 1180. Nous ne parlons point de ses prétendues conquêtes d’Afrique, frauduleusement imaginées par les Perses.

A la date de 1180, Zoroastre dut être avancé en âge; supposons 70 ans: il serait né en 1250: si, comme le disent les livres parsis, il était déja à Balk lors de la première attaque de Ninus, il n’aurait eu que 32 ans à cette époque; mais l’on ne saurait compter sur leurs récits chronologiques. A la seconde expédition, il avait 50 ans, et cela s’accorde bien mieux avec les 20 ans de retraite, et les 30 ans d’âge que lui donnent Pline et les Parsis, lorsqu’il commença sa mission. Il serait devenu vizir de Sémiramis vers l’âge de 65 ans, et l’on voit que toutes les vraisemblances sont observées.

Un incident de la vie de Sémiramis nous indique l’espèce des années usitées chez les Assyriens. Après avoir raconté, selon Ktésias, l’origine fabuleuse de cette femme, Diodore ajoute:

«Athénée52 et d’autres écrivains assurent (au contraire) que Sémiramis fut une courtisane qui, par ses graces et sa beauté, se fit aimer de Ninus; elle jouit d’abord d’une faveur médiocre, mais ensuite elle éleva son crédit au point d’obtenir le nom d’épouse, et d’engager le roi à lui faire cadeau de cinq jours de royauté. Le premier jour, vêtue du manteau royal, le sceptre à la main, elle fit les honneurs d’une grande fête et d’un festin magnifique, dont elle employa la durée à séduire les généraux, et à leur faire promettre d’obéir à tous ses ordres. Le second jour, voyant tout le monde disposé convenablement à ses intentions, elle fit disparaître Ninus.»

Pourquoi Sémiramis demande-t-elle 5 jours, plutôt que tout autre nombre? La raison nous en paraît saillante. Depuis des siècles, les Égyptiens usaient de l’année de 360 jours, auxquels on ajoutait les 5 épagomènes, comme une appendice disparate, qui gâtait la symétrie du nombre principal. Sémiramis, profitant de cette idée, a pu dire beaucoup de choses ingénieuses à ce sujet, pour faire croire qu’elle ne demandait qu’un temps insignifiant et hors de compte. Notre opinion est d’autant plus fondée, que cette même espèce d’année se trouve au temps de Nabonasar, dans la vigueur de l’empire assyrien, et dans une de ses satrapies, chez les Kaldéens, caste sacerdotale de toute la nation. En admettant le récit d’Athénée, qui en effet est le plus probable, rien ne change dans nos calculs, excepté l’époque du mariage de Sémiramis, qui alors ne dépend plus de la guerre de Bactriane, et peut remonter quelques années plus haut.

41

Hérodote, lib. I, § CI, nomme les Busi, le Pareta keni, les Struchates, les Arizanti, les Boudini et les Magoi(mages).

42

Prononcé Irâne ou Èrane: an est la désinence, comme us en latin et os en grec. Aïr-an. L’Arménien Mosès fait observer que Arioï signifie (fortes) les braves, mot analogue à virtus (firtus) et à vir, qui dans le sanscrit ont le même sens qu’en latin.

43

Tour et Taur s’écrivent par les mêmes lettres arabes, et dans les radicaux du phénicien et du chaldéen, Tour et Tsour sont le nom général des montagnes.

44

Voyez Origène contre Celse, lib. VI; Vie de Zoroastre, pag. 28; Zend-avesta, tom. II.

45

L’original de l’Oupnekhat, si bizarrement traduit ou plutôt défiguré par Anquetil, est bien reconnu pour être l’un des livres les plus authentiques après les Vedas: il date au moins du 1200 ans avant J.-C.

46

Voyez Diog. Laërce, in Proœmio. Mais lorsqu’il ajoute que les mages sont antérieurs aux Égyptiens, il est en erreur et il copie Hermippe et Eudoxe.

47

Le passage suivant de son Traité sur Isis et Osiris est surtout remarquable:

«Il est des hommes qui croient qu’il existe deux dieux, dont le caractère opposé se plaît à faire l’un le bien, l’autre le mal. Zoroastre les a nommés Oromaze et Ahrimane. Il a dit que la lumière est ce qui représente le mieux l’un, comme les ténèbres et l’ignorance représentent le mieux l’autre. Les Perses disent qu’Oromaze fut formé de la lumière la plus pure; Ahrimane, au contraire, des ténèbres les plus épaisses: Oromaze fit six dieux bons comme lui, et Ahrimane en opposa six méchants. Oromaze en fit encore vingt-quatre autres, qu’il plaça dans un œuf; mais Ahrimane en créa autant, qui percèrent l’œuf, ce qui a produit dans le monde le mélange des biens et des maux.»

Théopompe ajoute, d’après les livres des mages, «que tour à tour l’un de ces dieux domine (est supérieur) trois mille ans, pendant que l’autre est inférieur; qu’ensuite ils combattent avec égalité pendant trois autres mille ans… mais enfin le mauvais génie doit succomber, etc.»

En réduisant ces allégories à leur sens naturel et simple, il en résulte que Zoroastre, d’après ses méditations physico-astronomiques, considérait le monde ou l’univers, comme régi par deux principes ou pouvoirs, l’un de production, l’autre de destruction; que le premier gouvernait pendant les six mille, c’est-à-dire pendant les six mois d’été, depuis l’équinoxe du Belier jusqu’à celui de la Balance; et le second pendant les six mille ou six mois d’hiver, depuis la Balance jusqu’au Belier. Cette division de chaque signe du Zodiaque en 1000 parties, se retrouve chez les Chaldéens; et Anquetil, qui a si bien saisi l’allégorie, parle en plus d’un endroit des douze mille de Zoroastre, comme des douze mois de l’année.

L’œuf est, comme l’on sait, l’emblème du monde chez les Égyptiens; les vingt-quatre dieux bons sont les douze mois divisés par quinzaines de lune croissante et de lune décroissante, dont l’usage se retrouve chez les Indiens comme chez les Romains; ainsi du reste: c’est-à-dire que tout le système zoroastrien ne fut que de l’astronomie et de l’astrologie, comme tous les systèmes anciens; et qu’ensuite, défiguré par ses sectaires, qui ne l’entendirent pas, il reçut un sens mystique moral et des applications politiques qui ont eu, en plusieurs occasions, et spécialement chez les Juifs, des conséquences singulières, puisqu’un nouveau système en naquit.

48

Page 199, édit. de Rouen, 1653.

49

Voyez Dupuis, Origine de tous les cultes, pl. n° 17.

50

Voyez le fragment de Ktésias en Diodore, lib. II, p. 118.

51

Voyez Diodore de Sicile, lib. I; Stephanus, de Urbibus, et Strabo.

52

Ce n’est pas le grammairien, puisqu’il vécut après Diodore.

Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome II

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