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TABLEAU DU CLIMAT ET DU SOL DES ÉTATS-UNIS
CHAPITRE II. Aspect du pays

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POUR un voyageur européen, et surtout pour un voyageur habitué, comme moi, aux contrées nues de l’Égypte, de l’Asie et des bords de la Méditerranée, le trait saillant du sol américain est un aspect sauvage de forêt presque universelle qui se présente dès le rivage de l’Océan et qui se continue de plus en plus épaisse dans l’intérieur des terres. Pendant le long voyage que je fis en 1796, depuis l’embouchure de la Delaware par la Pensylvanie, le Maryland, la Virginie et le Kentucky, jusqu’à la rivière Wabash; de là au nord, à travers le North-west-territory, jusqu’au Fort-Détroit; puis par le lac Érié à Niagâra, à Albany, et l’année suivante, de Boston jusqu’à Richmond en Virginie, à peine ai-je marché trois milles de suite en terrain nu et déboisé:15 sans cesse j’ai trouvé les chemins, ou plutôt les sentiers bordés et ombragés de bois-taillis ou de futaies, dont le silence, la monotonie, le sol tantôt aride, tantôt marécageux; et surtout dont les arbres renversés par vétusté ou par tempête, gisants et pourrissants, sur la terre; dont enfin les essaims persécuteurs de taons, de mosquites et de gnats,16 n’ont pas les effets charmants que rêvent au sein de nos cités d’Europe, des écrivains romanciers. Il est vrai que sur la côte atlantique, cette forêt continentale offre déja d’assez grands vides, à raison des marais saumâtres et des champs cultivés qui s’étendent chaque jour davantage autour du foyer absorbant des villes: elle a également des lacunes considérables dans le pays d’Ouest, surtout depuis la Wabash jusqu’au Mississipi, et vers les bords du lac Erié, du Saint-Laurent, dans le Kentucky et le Tennesse, où la nature du sol, et plus encore les incendies anciens et annuels des Sauvages ont occasioné de vastes déserts, appelés Savanas par les Espagnols, et Prairies par les Canadiens et par les Américains qui adoptent ce mot; je ne compare point ces déserts à ceux que j’ai vus en Syrie et en Arabie, mais plutôt à ce que l’on nous dit des steps ou déserts de la Tartarie, les prairies étant comme les steps couvertes de plantes ligneuses, épaisses et hautes de trois et quatre pieds, et formant pendant l’été et l’automne, un brillant tapis de fleurs et de verdure que l’on trouve bien rarement dans les déserts chauves et pelés de l’Arabie. Dans le reste des États-Unis, et surtout dans la partie montueuse de l’intérieur, d’où les fleuves se versent en sens opposés à l’Océan atlantique et au Mississipi, l’empire des arbres n’a reçu que de faibles atteintes, et l’on peut dire, par comparaison à notre France, que le pays n’est qu’une vaste forêt.

Si l’on pouvait rassembler sous un seul coup d’œil l’ensemble de ce pays, l’on verrait que cette forêt est divisée en trois grands cantons distincts, à raison des genres, des espèces, et de l’aspect des arbres qui la composent: les espèces de ces arbres, selon la remarque des Américains, sont indicatives de la nature et des qualités du sol qui les produit.

Le premier de ces cantons, que j’appelle forêt du sud, embrasse la partie maritime de la Virginie, des deux Carolines, de la Géorgie, des Florides, et s’étend généralement depuis la baie de Chesapeak jusqu’à la rivière de Sainte-Marie, sur un terrain de gravier et de sable, large depuis 30 jusqu’à 50 lieues: tout cet espace, peuplé de pins, de sapins, de mélèses, de cèdres, de cyprès et autres arbres résineux, offre à l’œil une verdure constante, mais qui n’en serait pas moins stérile, si les banquettes des fleuves et les terres d’alluvion et de marécages n’y traçaient des veines que l’agriculture rend très-productives.

Le second canton, ou forêt du milieu, comprend la partie montueuse des Carolines et de la Virginie, toute la Pensylvanie, le sud du New-York, tout le Kentucky et le nord de l’Ohio, jusqu’à la rivière Wabash. Toute cette étendue est peuplée de diverses espèces de chênes, de hêtres, d’érables, de noyers, sycomores, acacias, mûriers, pruniers, frênes, bouleaux, sassafras et de peupliers, sur la côte atlantique; et, en outre, dans le pays d’ouest, de cerisiers, de marroniers d’Inde, de papâs, d’arbres concombres, de sumacs, etc., toutes espèces qui indiquent un sol productif, base véritable de la richesse présente et future de cette partie des États-Unis: cependant ces espèces forestières n’excluent jamais entièrement les résineux qui se montrent épars dans toutes les campagnes, et par massifs sur les montagnes, même d’un ordre inférieur, tel que le chaînon de Virginie appelé Sud-ouest, où par un cas singulier ils dérogent à leur signe habituel de stérilité; car le sol rouge foncé et gras de ce chaînon est très-fertile.

Le troisième canton ou forêt du nord, encore composé de pins, sapins, mélèses, cèdres, cyprès, etc., part des confins du précédent, couvre le nord du New-York, l’intérieur du Connecticut et de Massachusets, donne son nom à l’état de Vermont17, et ne laissant aux arbres forestiers que les rives des fleuves et leurs alluvions, il s’avance par le Canada vers le nord, où il fait bientôt place au genévrier, et aux maigres arbustes clair-semés dans les déserts du cercle polaire.

Telle est en résumé la physionomie générale du territoire des États-Unis: une forêt continentale presque universelle; cinq grands lacs au nord; à l’ouest, de vastes prairies; dans le centre, une chaîne de montagnes dont les sillons courent parallèlement au rivage de la mer, à une distance de 20 à 50 lieues, versant à l’est et à l’ouest des fleuves d’un cours plus long, d’un lit plus large, d’un volume d’eau plus considérable que dans notre Europe; la plupart de ces fleuves ayant des cascades ou chutes depuis 20 jusqu’à 140 pieds de hauteur; des embouchures spacieuses comme des golfes; dans les plages du sud, des marécages continus pendant plus de 100 lieues; dans les parties du nord, des neiges pendant 4 et 5 mois de l’année; sur une côte de 300 lieues, 10 à 12 villes toutes construites en briques ou en planches peintes de diverses couleurs, contenant depuis 10 jusqu’à 60,000 ames; autour de ces villes, des fermes bâties de troncs d’arbres (log houses), environnées de quelques champs de blé, de tabac ou de maïs, couverts encore la plupart des troncs d’arbres debout brûlés ou écorcés: ces champs debout, c’est-à-dire non gisants, séparés par des barrières de branches d’arbres (fences), au lieu de haies; ces maisons et ces champs encaissés, pour ainsi dire, dans les massifs de la forêt, qui les englobe; diminuant de nombre et d’étendue à mesure qu’ils s’y avancent, et finissant par n’y paraître du haut de quelques sommets que de petits carrés d’échiquier bruns ou jaunâtres, inscrits dans un fond de verdure: ajoutez un ciel capricieux et bourru, un air tour-à-tour très-humide ou très-sec, très-brumeux ou très-serein, très-chaud ou très-froid, si variable, qu’un même jour offrira les frimas de Norwége, le soleil d’Afrique, les quatre saisons de l’année, et vous aurez le tableau physique et sommaire des États-Unis.

15

J’emploierai ce mot pour répondre au mot anglais cleared, éclairci, c’est-à-dire, nettoyé de tous bois.

16

Petit moucheron noir, pire que les cousins.

17

Altération du mot français Vert-Mont, que les habitants ont adopté par penchant pour les Français de Canada, et qui est la traduction de l’appellation anglaise, Green-Mountain.

Tableau du climat et du sol des États-Unis d'Amérique

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