Читать книгу Les naufragés - Edmond Haraucourt - Страница 5

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*

* *

Désormais, il revint plus librement chez madame Hélène. Mais il s'y montrait différent de lui-même, plus réservé, plus froid, et comme soucieux.

La curiosité publique en fut bientôt avertie, et les dames, en visite, supputaient les causes de ce changement. On pensa que le jeune prédicateur commençait à trouver le temps long, et que sans doute, ambitieux comme le sont tous les gens de mérite, il rêvait à son talent un théâtre plus vaste, et s'impatientait de l'attendre. Cette hypothèse s'accrédita bien davantage, lorsqu'on eut connaissance d'une démarche que l'abbé avait faite auprès de l'archevêque; et l'on en douta moins encore, car, à dater de ce temps, on ne le vit plus que sombre et d'humeur acariâtre. Il avait des gestes brusques, des mots qui mordent.

Son beau sermon sur les âmes qui se partagent entre Dieu et le monde fut d'une éloquence féroce et terrifia les dévotes: on n'y retrouva plus rien de cette indulgence qui lui gagnait les cœurs.

—Vous souffrez? demanda Hélène.

—Souffrir? Pourquoi?

—Je le sens. Je vous sens.

—J'ignore.

—Vous pouvez dire, maintenant que vous ne me confessez plus… Vous pouvez dire… à votre sœur…

Il lui prit la main, et la serra fort, sans répondre.

Alors commença une ère nouvelle.

La voix qui réconforte, ce fut celle d'Hélène; la parole qui apaise, c'est elle qui la disait; le fort devint le faible, et la femme conduisit.

Un jour, elle vit deux larmes dans les yeux de l'abbé Gilbert.

—Que vous a-t-on fait encore?

—Rien. Je ne sais pas. Je suis mal à l'aise, toujours.

—Vous couvez quelque maladie?

—Je le crois.

—Mon Dieu!

Elle le choya davantage; elle fut la mère; parce qu'il avait besoin de secours, elle osa l'aimer plus tendrement; parce qu'il ne la dirigeait plus, elle osa le soutenir; son grand homme lui parut tout petit, et ce fut en elle une joie savoureuse.

Elle se permit, une fois, de lui poser la main sur le front. Ils s'accoutumaient à ces attitudes nouvelles. Hélène se crut une Sœur des Pauvres, en examinant le mal de son ami, en cherchant des remèdes, en proposant des soins.

—Il vous faudrait du repos… Vous ferez telle chose, ce soir, en vous couchant… Pourquoi ne viendriez-vous pas chez nous, à la campagne, cet été? Cela vous ferait du bien…

L'idée leur parut attrayante. Déjà Hélène se faisait fête de l'avoir auprès d'elle, et de veiller sur lui.

Mais un jour, il arriva, plus sombre, et, lentement, d'une voix qu'il s'efforçait de rendre ferme, il proféra:

—Je ne viendrai plus vous voir. Je vous vois trop souvent.

Elle se récria. Elle dut s'asseoir.

Il poursuivit:

—Écoutez bien, ma sœur. Par votre supériorité morale vous m'avez intéressé à vous; par les misères de votre existence, vous m'avez inspiré la compassion qui veut guérir, et par mes propres misères, j'ai connu votre bonté. Mais le Démon est fin: il se sert de Dieu contre Dieu, et notre route est semée de ses embûches.

—Que dites-vous là?

—Je dis que nul n'est infaillible, et que je ne vous verrai plus.

Faiblement, elle murmura le nom de Gilbert, et les muscles de ses bras bougeaient pour les tendre vers lui. Mais elle avait parlé si bas qu'il n'entendit point son nom, et Hélène ne tendit point les bras.

Elle restait atterrée sur son siège. Longtemps il se tint debout devant elle. Ni l'un ni l'autre ne parlait. Enfin elle éclata en sanglots.

Il dit:

—Vous voyez bien…

Pendant qu'elle pleurait, il lui prit les mains et les serra dans les siennes.

Puis il s'en alla.

C'est seulement lorsqu'il fut dehors qu'elle osa lui tendre les bras.

Durant trois mois, l'abbé Gilbert demeura invisible, sinon dans l'église, aux offices.

On disait: «Il écrit un livre.» On disait encore: «L'abbé Gilbert travaille trop; il se fatigue, il change.»

Et, plus tard, on disait: «Avez-vous vu l'abbé Gilbert? Il n'est pas reconnaissable.»

Hélène guettait les propos. Maintenant, lorsqu'on prononçait le nom du vicaire, elle éprouvait une angoisse, comme si quelque désastre eût menacé son ami. Elle souffrait sans cesse.

Elle appréhendait la saison des vacances, qui davantage les éloignerait l'un de l'autre. Bien qu'elle ne le vît plus, elle respirait du moins l'air de la même ville.

L'été, cependant, était venu: Hélène retardait son départ, de jour en jour.

Les riches désertaient la ville, intolérable de chaleur. Bonnavent était parti depuis une semaine. Hélène inventait des prétextes.

Enfin, elle se décida, et fixa son départ au lendemain.

Elle se demanda si elle n'écrirait pas à Gilbert un petit mot d'adieu, un simple mot, trois lignes. N'était-ce pas bien de le faire? N'était-ce pas mieux de s'abstenir? Serait-il content ou la blâmerait-il? Elle y réfléchissait sans raisonner, au hasard, implorant une réponse plus qu'elle ne cherchait un devoir.

Puis, brusquement, elle se résolut, écrivit.

Sa lettre, à force de discrétion et de crainte, était sèche; Hélène la déchira, en fit une autre, ne l'envoya pas, et les incertitudes recommencèrent.

Vingt fois, dans le jour, elle revint vers cette enveloppe, qu'elle tournait et retournait entre ses doigts.

La porte du petit salon s'ouvrit, et le vicaire entra.

Dieu! qu'il avait changé!

Hélène sursauta, droite. Elle tremblait de tout son corps; elle ne dit pas un mot, elle n'eut pas un cri.

C'était vers le soir; une clarté indécise, entrant par l'unique fenêtre, se tamisait dans les rideaux verts.

Hélène regardait Gilbert, maigre, blême, les yeux brûlés au fond de leurs orbites. Elle joignit les mains, et ses doigts croisés se crispaient de douleur.

Il fit trois pas vers elle, et s'arrêta.

Ses paroles furent celles-ci:

—Avant votre départ, j'ai voulu vous dire adieu. J'ai cru que nous le pouvions.

Elle balbutia:

—Oui.

Il ajouta:

—Nous ne nous verrons plus, ma sœur…

—Nous ne…

—Quand vous reviendrez dans la ville, je l'aurai quittée.

—Vous l'…

—J'ai demandé mon déplacement. Il le faut ainsi.

—Vous…

—Je pars et je vous dis adieu, chère sœur, jusqu'en l'autre monde.

Cette fois, elle poussa un cri, et chancela. Il dut la soutenir. Haletante, avec un bras pendant, elle s'appuyait de l'autre sur l'épaule de l'ami, et les paroles sortaient d'elle avec les sanglots, inachevées, sans suite:

—M'abandonner… Toute seule… Moi qui croyais… n'être plus toute seule… sur la terre… Mourir comme un pauvre, toute seule… Sans toi… Charité, pitié!… Je ne pourrai pas… Reste!…

Insensiblement son bras gauche avait accroché le cou de Gilbert, et se cramponnait au jeune homme, pour l'empêcher de partir.

Il dit avec douceur: «Adieu, n'est-ce pas, pour toujours?»

Elle se serra plus près. Il reprit, désolément: «Tu vois bien…»

Elle n'entendait plus. Sa tête glissa sur le côté, et ce ne fut plus des mots qui bruissaient entre ses lèvres, mais un zézaiement de syllabes, un sifflement doux et faible, et le prêtre en sentait la tiédeur au-dessous de son oreille. Les cheveux noirs d'Hélène lui effleuraient la joue. Un peu, il tourna la tête vers elle, et vit sa face douloureuse, toute baignée de larmes.

Sentant qu'il la regardait, elle entr'ouvrit les paupières: ses yeux renversés ressemblaient à ceux des Madeleines en prière.

Il murmura:

—Ma sainte!

Elle le serra plus fort, se souleva vers lui et leurs lèvres se touchèrent. Ils voulurent fuir, tous les deux, et déjà ils s'étreignaient. Le crépuscule, dans la chambre, s'était fait pâle et recueillant.

C'est ainsi qu'ils faillirent.

*

* *

Stupéfaits tous les deux du gouffre où ils étaient tombés, ravis d'extase et d'épouvante, ils s'étaient relevés en pleurant, dans la double révélation du bonheur et du crime: ç'avait été en eux une minute d'ivresse terrifiée, le vertige d'une horreur suave, un monde qui venait de s'ouvrir au bord du paradis perdu! Dans cette folie de gratitude et d'angoisse, ils se cachaient la face, et chacun d'eux bénissait l'autre en le plaignant, comme son bienfaiteur et sa victime.

—Par ma faute, disait-il.

—Par ma faute, disait-elle.

Dans l'ombre, ils se tenaient les mains et n'osaient pas se regarder.

Gilbert partit comme un voleur. Hélène resta seule.

—Orgueil, criait le prêtre, orgueil! Voilà où tu nous mènes. J'ai voulu faire mieux qu'autrui, et je croyais en moi. Fou, qui te confiais en ta force, voilà ton œuvre! Tu as damné deux âmes!

L'abbé Gilbert et madame Hélène ne se revirent plus.

L'été fut lourd et long.

Le 18 août, jour de sainte Hélène, le vicaire célébra un office des morts. Le 15, pour l'Assomption, il était monté en chaire. On estima généralement que le grand orateur commençait à faiblir, et que son génie s'épuisait. Erreur: il s'affinait, au contraire, et dans l'humiliation il venait de grandir en se faisant plus humain; une tendresse émue tremblait dans sa parole; il ne prêchait que les pardons, et sa voix n'osait plus tonner dans l'église. Mais comme il faisait moins de bruit, on crut qu'il avait moins de mérite.

Hélène avait résisté à l'envie de l'entendre; elle pria chez elle, quand elle sut qu'il devait parler. Sa campagne, pourtant, n'était pas loin de la ville, mais aucune raison ne l'aurait décidée à sortir de sa retraite pour se rapprocher de lui. Elle attendait, dans son obéissance aveugle, un ordre. Puisqu'il ne se montrait plus, c'est qu'il voulait ne plus la voir: elle acceptait la décision du maître, sans la discuter ni se plaindre. Elle ne plaignait que lui.

—Il doit souffrir tant!

Cette pensée était son unique remords. Quant au repentir de la faute elle-même, elle ne l'éprouvait nullement, et ne songeait même pas à s'étonner du calme que le péché avait mis dans sa conscience.

Elle était calme, en effet, et plus qu'auparavant.

Le souci d'avoir trompé la foi conjugale ne l'effleura pas une fois: son mari n'avait rien à voir en ce drame; le mariage depuis trop d'années, n'était plus entre eux qu'une association d'intérêts où les âmes n'avaient nulle part, et jamais l'époux ni l'épouse n'avaient éprouvé l'un pour l'autre qu'une antipathie réciproque: Hélène en arrivait donc tout naturellement au sophisme de croire que son mari, n'ayant rien possédé, n'était dépossédé de rien. Un reproche de lui n'eût constitué qu'une injure de plus, et une sottise grossière ajoutée à tant d'autres. Libre, elle avait usé de sa liberté; sans appui et seule au monde, elle s'était unie, de par son droit: leur acte appartenait à eux seuls, et relevait de Dieu seul! Certes, la faute était atroce d'avoir égaré un serviteur du Christ, et de s'être fait dans l'Église l'instrument du Démon! Elle se frappait la poitrine, désespérée d'avoir acheté son bonheur par la damnation d'autrui: et qui, celui-là? Un saint! Le bien-aimé!

—Mon Dieu! suis-je donc, ô mon Dieu! d'une immonde égoïsme, pour me sentir heureuse après un tel forfait?

Car au fond de son cœur, malgré elle, malgré son remords, elle adorait l'instant éphémère qui rayonnait sur sa vie, et malgré elle, malgré son remords, elle retournait sans cesse au souvenir qui la remplissait de délices.

S'il fût venu lui dire: «Partons ensemble», elle serait partie, avec sérénité, sans honte, et sans regarder en arrière. Elle y songeait parfois, et presque le souhaitait.

—Peut-être décidera-t-il cela? Peut-être jugera-t-il qu'il ne lui convient plus de rester dans les ordres? Il est le maître: il sait.

Elle attendait, prête à tout.

Mais les semaines passèrent, et firent un mois, deux mois.

Hélène attendait toujours, soumise et sans impatience.

Chaque soir, au crépuscule, elle se rappelait l'instant: elle n'aspirait pas à le revivre, ne sachant pas que cet émoi profond de toute la chair éveillée pût se renouveler une seconde fois au cours des existences: elle imaginait, dans sa candeur, qu'il était la minute unique, l'hyménée, l'accord de deux âmes, la secousse intime, irrévocable, que les êtres éprouvent, le jour où ils s'attachent l'un à l'autre pour la vie. Donc, elle était à lui; elle n'avait jamais été qu'à lui. Donc, elle attendait: peut-être ne se rejoindraient-ils qu'en l'autre monde? Sans doute, il déciderait ainsi. Elle commençait à le croire, devant son absence obstinée. Elle se résignait: c'était bien.

L'automne arriva. Hélène revint en ville. Elle apprit que l'abbé Gilbert était parti depuis trois jours.

—En voyage?

—Non: parti.

—Tout à fait?

—Oui.

Une marée de tristesse lui noya le cœur, malgré sa résignation.

Elle voulut savoir. Elle vit Monseigneur, et l'évêque se récria:

—Comment? Il ne vous a point avisés, vous, ses meilleurs amis? Il devient bizarre, vraiment. Il a sollicité de moi sa nomination à une cure de village, et j'ai tenté de faire valoir auprès de lui les intérêts de la religion, à qui ses talents sont utiles dans une grande cité plus que dans un petit bourg. Il a répondu: «J'ai péché par orgueil et j'en dois faire pénitence.» J'ai résisté autant que j'ai pu, mais monseigneur l'Archevêque, après avoir reçu la confession de l'abbé, approuvait son vœu, et je me suis incliné.

Hélène, semblablement, s'inclina devant les décisions de son maître, et elle le bénit dans son cœur. Elle dit:

—Ce sera donc pour l'autre monde…

—Quoi? demanda l'évêque.

Hélène le regarda sans répondre, étonnée d'avoir parlé tout haut.

*

* *

L'abbé Gilbert était dans un village perdu de la montagne: toutes les photographies qu'elle put trouver de ce pays, Hélène les acheta et en décora le petit salon, pour voir sans cesse les sites qu'il voyait.

L'hiver s'écoula, et le Carême vint. Hélène, afin de ne dire à personne le secret de sa vie, ne se confessa pas. Pour la première fois, à Pâques, elle ne s'approcha point de la Sainte-Table.

Ce fut, dans son âme, une profonde misère, et dans la ville un scandale.

Dès lors, on ne la rencontra plus nulle part. Elle fermait sa porte. Le dimanche de Quasimodo, on ne la vit pas à la messe, et les dimanches qui suivirent, on ne la vit pas davantage.

—Que se passe-t-il?

L'évêque la visita, et seul, il fut reçu.

—Elle n'est pas bien.

Un matin, le bruit courut que madame Bonnavent était sortie de chez elle, allant vers la cathédrale…

C'était l'anniversaire de l'hyménée: elle le passa tout entier dans l'église, en prières, et ne rentra que pour l'heure du crépuscule: alors, elle s'enferma dans le petit salon, et agenouillée près du divan, elle pria longuement.

Le lendemain, elle dut garder la chambre; elle voulut se lever et n'en eut pas la force. Le médecin diagnostiqua une grave neurasthénie, avec une anémie profonde. On apprit, des servantes, que madame jeûnait depuis des mois et portait un cilice.

Elle languit pendant un semestre. Le docteur exprima de sérieuses inquiétudes.

La malade ne s'épouvantait nullement: elle témoigna d'une admirable sérénité.

—Docteur, dites-moi, je vais mourir, n'est-ce pas?

—Non, madame, non certes!…

Il eut le sourire professionnel de la confiance, mais elle insista.

—Pour raisons importantes, docteur, il faut absolument que je sache si je suis condamnée, et pour quelle époque, à peu près.

—Mon Dieu, madame…

—Me reste-t-il trois semaines, quinze jours, un mois?

—Peut-être… Mais, rassurez-vous, j'ai de l'espoir.

Elle sourit à son tour, et répondit: «Moi aussi, j'ai l'espoir.»

Elle fit un testament charitable. Puis, elle eut apparemment des accès de délire, car on l'entendit maintes fois qui marmonnait:

—Dans l'autre monde…

Elle avait cependant conservé toute sa raison. Elle le prouva en exprimant le souhait que l'abbé Gilbert reçût sa confession suprême.

Elle pensait:

—Viendra-t-il?

Toutes les deux heures, elle demandait:

—A-t-on prévenu l'abbé Gilbert? Est-ce bien sûr?

Elle ajoutait:

—Il faut se dépêcher.

Ou encore:

—J'irai bientôt dans l'autre monde.

Le deuxième jour, elle eut une fièvre violente, dans l'angoisse de mourir sans confession. On lui proposa d'appeler le second vicaire, mais cette idée l'effraya tellement que le docteur dut intercéder et prescrire le repos.

—Je vivrai bien jusqu'à demain, docteur? Je vous en supplie, jusqu'à demain…

Le troisième jour enfin, la servante entra et dit:

—Voici l'abbé Gilbert.

Il parut dans le cadre de la porte.

Elle poussa un petit cri d'enfant, et voulut tendre ses bras, qui étaient si maigres, mais elle n'en eut pas la force.

Elle le contemplait avidement: il lui parut grandi.

L'abbé attendait que la servante et la garde se fussent retirées. Seule alors, en présence de l'aimé, Hélène lui sourit, et de nouveau elle essaya de tendre ses pauvres mains.

Mais il dit, grave et de loin:

—Ma sœur, récitez votre Confiteor.

Aussitôt, elle répondit:

In nomine patris et filii

Elle vit, du coin de l'œil, qu'il s'était émacié, et ses prunelles, au fond de l'orbite, étaient plus noires.

Elle continua:

Confiteor Deo omnipotenti

Il fixait quelque chose, droit devant lui, sans la voir.

Mariæ Virgini

Elle aurait pourtant bien voulu rencontrer son regard, une fois, avant de mourir…

Malgré cela, lorsqu'elle eut fini la prière et qu'il fallut dire sa faute, elle ferma les yeux de honte. Puis, faiblement, elle confessa son amour pour un homme qui n'était pas libre, et elle n'osait dire qu'il fût prêtre. Le confesseur, immobile et les yeux clos, attendait. Enfin, elle avoua cette chose… Elle tremblait. Elle dit la surprise d'une minute, la faiblesse imprévue…

—Lui, l'avez-vous revu?

—Jamais, mon père…

—Vous êtes tous deux de grands coupables, et lui, plus que vous.

—Non, mon père, c'est moi!

—Inclinez-vous, sans discuter! C'est le péché d'orgueil qui vous a perdus tous les deux. Humiliez votre orgueil et ne discutez pas! Inclinez-vous dans la pénitence. Dieu vous juge. Puisse-t-il pardonner, au moins à vous, qui comparaissez devant lui.

Elle dit: «Amen

Il reprit: «Mais vous n'avez pas offensé que le Seigneur. Un homme a pâti par ce crime, et c'est l'époux qui se reposait en votre foi reçue au pied des autels. Vous ne devez vous présenter au Tribunal de Dieu qu'avec le pardon de celui-là!

—Mon…

—Humiliez-vous, pécheresse d'orgueil, par l'aveu de la faute à celui que la faute offensait! C'est la pénitence que je vous impose. Je ne vous donnerai l'absolution qu'à ce prix.

—Mon père… j'avouerai.

—Achevez le Confiteor.

—Mon père… devrai-je dire… aussi, le nom… de Lui?

—Vous direz le nom du coupable. Achevez le Confiteor.

Ideo precor

Il l'entendait à peine; elle termina la prière, et se tut. Il lui donna l'absolution.

Ensuite, s'étant levé, il ouvrit la porte et appela une servante.

—Priez M. Bonnavent de venir.

Pendant qu'ils attendaient, ils ne bougèrent ni l'un ni l'autre.

Hélène haletait. Elle entrouvrait et refermait ses lèvres sèches. Elle passait ses doigts sur son front.

Le mari entra, silencieux, gêné.

—Monsieur, dit le prêtre, votre épouse souhaite, avant la mort, de vous faire un aveu et d'obtenir votre pardon.

Hélène rassembla toutes ses forces pour se soulever sur les coussins.

Le prêtre s'agenouilla au pied du lit, et, les mains jointes sur la poitrine, il baissa la tête, dans l'attitude de l'amende honorable.

Bonnavent les examinait, mal à l'aise et tâchant de comprendre.

Hélène murmura:

—Monsieur… j'ai failli… Pardonnez-moi… s'il vous plaît…

Elle se tut: elle ne trouvait pas les mots pour dire le reste. Le prêtre attendit; puis, comme elle ne parlait plus, il releva un peu le visage, et ordonna:

—Continuez.

Hélène, obéissante, reprit, avec effort:

—Monsieur… j'ai failli… avec… l'abbé Gilbert.

Elle retomba sur son lit, épuisée.

—Je sais, dit Bonnavent.

Hélène poussa un sanglot faible, et se cacha la face dans les mains, prise de honte à l'idée que, de tout temps, un regard profane avait violé son auguste secret.

Le mari ajouta: «Calmez-vous… Je savais, depuis des années.»

Hélène cria: «Non!» et l'abbé se redressa, sous l'injure du soupçon qui les avait calomniés longtemps avant la faute.

Mais il rabattit son orgueil, se frappa la poitrine, et dit:

Meâ culpa!

La moribonde frissonna toute et voulut se lever encore; elle put crier, comme une protestation:

Meâ culpa!

Puis, de nouveau, elle tomba.

Bonnavent se rapprocha du lit.

—Pauvre femme! dit-il.

—Monsieur, demanda l'abbé, pardonnez-vous à votre épouse?

Bonnavent répondit:

—Je lui pardonne.

Il se pencha au chevet, et répéta:

—Je vous pardonne, Hélène, vraiment.

Elle fit signe, des paupières, qu'elle entendait.

On annonça le vicaire, avec les Saintes Huiles…

M. Bonnavent sortit de la chambre, parce qu'il pleurait.

Madame Hélène se tourna lentement vers l'abbé Gilbert.

Elle balbutia:

—Dans l'autre monde…

Puis, elle mourut en souriant, et l'abbé lui ferma les yeux.

Les naufragés

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