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Henri Émile Chevalier
L'île de Sable
PROLOGUE. EN BRETAGNE
VIII. L'ÉVASION

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Et Laure de Kerskoên, qu'était-elle devenue? pourquoi son oncle ne l'avait-il pas trouvée dans sa chambre?

A neuf heures, la jeune châtelaine avait ouvert le châssis de sa fenêtre, et entendant le bruit d'un pas sur le rempart, elle avait dit, le lecteur s'en souvient: «Est-ce vous, Bertrand!» mais la lueur de l'éclair lui ayant montré Jean de Ganay, au lieu de celui qu'elle attendait, Laure s'était brusquement retirée, avec une épouvante augmentée par le cri de guerre qui monta soudain à ses oreilles. Tremblante, éperdue, Laure pensa d'abord à se réfugier chez son oncle. Un instinct— l'instinct de l'amour— l'arrêta. Retournant à sa fenêtre, elle entrevit à travers les ténèbres la plume noire qui ombrageait le casque de son amant.

– Bertrand! dit-elle, miséricorde divine! c'en est fait de lui!

Mais bientôt une idée traversa l'esprit de la jeune fille. Sans plus réfléchir, elle sortit de la chambre et descendit dans la cour d'honneur. Elle espérait pouvoir avertir Bertrand que le marquis était de retour au château. Par malheur, on achevait de barricader toutes les issues, et elle fut obligée de regagner son appartement. C'est durant cette absence que Guillaume était venu chez sa nièce. Palpitante, affolée, n'osant regarder en dehors, Laure s'assit au bord de son lit et écouta. Il est plus difficile de décrire que d'imaginer les tortures morales qu'elle eut à souffrir tant que dura le siège du manoir. Chaque coup d'arquebuse retentissait dans son coeur comme un glas funéraire, et quand le Foudroyant tomba sur le pont avec un fracas horrible, la pauvre enfant manqua de s'évanouir.

Quelle triste situation pour elle! si son oncle était vainqueur, son amant serait sans doute passé au fil de l'épée; si au contraire Bertrand l'emportait, qu'adviendrait-il au marquis de la Roche qui l'avait élevée, la chérissait comme un père? Mon Dieu! que d'afflictions pour l'âme de l'infortunée Laure! Partagée entre les sentiments du devoir, de la reconnaissance, et les anxiétés de la passion, de l'amour, combien la peignait cette cruelle alternative! Son sein battait avec violence et le sang se précipitait à son cerveau, quand Catherine entra, un flambeau à la main.

La bonne dame frissonnait de tous ses membres.

– Jésus, seigneur, ayez pitié de nous! s'écria-t-elle. Ils vont nous prendre, nous piller, nous saccager, comme ils ont fait du moustier de Rennes! Sainte Marie, mère de Dieu, protégez-nous!

– As-tu donc si peur, nourrice? dit Laure pour faire diversion à ses angoisses.

– Peur, chère damoiselle!… peur! oh! mettons-nous en prière, ma fille; implorons la justice du ciel pour que le bon droit triomphe!

Laure ne savait trop que répondre à cette invitation; entraînée par l'exemple de sa nourrice, elle se prosterna et toutes deux commencèrent à réciter leurs patenôtres en s'interrompant chaque fois que le tumulte croissait.

Lorsqu'eut lieu le cartel entre Jean de Ganay et Bertrand, assiégeants et assiégés firent silence.

– Merci, mon doux Sauveur! dit Catherine, supposant que la Providence avait exaucé ses voeux, les infidèles sont repoussés.

Chut! dit Laure qui se leva et s'approcha de la fenêtre.

– Oh! damoiselle! damoiselle! où allez-vous?

– Chut!

S'effaçant dans l'embrasure, la jeune fille plongea ses regards au dehors, tressaillit, bondit en arrière, puis elle s'avança de nouveau, passa sa tête à travers le châssis… et les doigts crispés à la tablette de la croisée, le corps ployé, les muscles frémissants, les prunelles fixes, elle contempla le drame qui se jouait sur l'esplanade. Je laisse à penser quelles sensations l'agitèrent durant ce long combat où se trouvait compromise une tête qu'elle affectionnait au delà de toute expression. Vingt fois elle voulut crier, mais l'émotion lui coupait la parole; vingt fois elle voulut fermer les yeux et s'éloigner, mais une puissance d'attraction plus énergique que sa volonté la tenait clouée à cette place…

Bertrand est touché, il tombe!

Aussitôt les nerfs de Laure se détendent, elle est frappée au coeur, elle s'affaisse! Catherine vole à son secours.

Le lendemain soir, entre onze heures et minuit, Laure de Kerskoên, châtelaine de Vornadeck, enveloppée de la tête aux pieds dans une mante noire, et munie d'une lanterne, traversait furtivement la cour d'honneur du castel, marchant droit au donjon. Une sentinelle est en faction à l'entrée, mais on lui a fait boire un soporifique et elle dort profondément, adossée à la guérite.

Laure pénètre dans la tour, monte au premier étage, et tirant de son corsage une grosse clef, ouvre, après mille difficultés, la porte d'une chambre de forme triangulaire.

Cette chambre, c'est la prison de Bertrand.

Enchaîné sur un bloc de pierre, le jeune homme était on proie à une fièvre ardente, occasionnée par la blessure qu'il avait reçue à l'épaule.

– Qui est là? dit-il dolemment.

La jeune fille démasqua la lanterne qu'elle avait cachée sous sa mante et vint s'agenouiller près de lui.

– Laure! est-ce un rêve?

– Las! pauvre Bertrand!

– Mais quoi, je ne rêve pas! c'est vous, bien vous! Oh! approchez… encore… encore… là, que je sente vos vêtements, que je respire votre haleine! Mon Dieu! oui, c'est elle. C'est vous, Laure…

– Cher Bertrand, dans quelle position!…

– Ne me plaignez pas, Laure, bon ange, idole adorée, je suis heureux, puisque vous me donnez cette preuve d'amour. Maintenant, j'affronterais les derniers supplices sans sourciller.

– Que parlez-vous de supplices, ami! je suis venue pour vous délivrer.

Le prisonnier sourit amèrement.

– Oh! dit-il, en montrant les fers dont il était chargé.

– Êtes-vous trop faible pour vous soutenir?

– Comment cela?

– Tenez, dit Laure en lui présentant une petite lime.

Un éclair de joie colora le visage pâli de Bertrand.

– Ensuite? dit-il.

– Ensuite, ne craignez rien.

Et de ses doigts mignons, la charmante enfant commença à limer la chaîne qui scellait son amant à la muraille.

Ce travail fut lent et pénible, les blanches mains de Laure se teignirent de sang. Mais le courage de l'amour l'animait— ce courage qui a fait tant de femmes héroïques— et au bout d'une heure, la chaîne était sciée.

– A présent, hâtons-nous, dit-elle.

L'espérance de la liberté prêta des forces au captif. Ils descendirent les marches du donjon, et arrivèrent au rez-de-chaussée dans une grande pièce au centre de laquelle on remarquait un puits.

– Écoutez, dit alors la châtelaine, en indiquant le bord du puits, Bertrand, il faut nous quitter ici. A quelques pieds au-dessous de la margelle, ce puits renferme un escalier, et plus bas, un passage souterrain qui vous conduira sur le flanc septentrional de là montagne. Voici la clef de la poterne dérobée. Mais, sur votre honneur, jurez-moi que jamais vous ne révélerez le secret que je vous confie!

– Hélas! dit le jeune homme d'un ton plaintif, je ne me gens plus la volonté de partir. Laure, je voudrais mourir!

– Laissez là, ami!

– Sans vous, l'existence…

– Bertrand, jamais je n'appartiendrai à d'autre qu'à vous. Prenez cet anneau, c'est celui que me légua ma pauvre mère… qu'il soit le gage de nos fiançailles!

Le jeune homme s'empara de l'anneau et le porta à ses lèvres.

– Allons, séparons-nous, le temps presse, dit Laure, les yeux gonflés de larmes.

Aidé par sa maîtresse, Bertrand descendit dans le puits, rencontra le premier degré de l'escalier à mi-hauteur du corps, et adressa à la jeune allé un signe d'adieu.

Mais elle se pencha jusqu'à lui et le baisa au front.

– Oh! tu, seras à moi, ma bien-aimée! proféra le prisonnier avec transport; et, tenant de la main gauche la lanterne que Laure lui avait remise, il s'enfonça dans les profondeurs du gouffre.

Peu à peu, le son de ses pas s'évanouit, et lorsqu'ils eurent cessé de résonner sur les degrés humides, la nièce de Guillaume de la Roche se releva en disant:

– Bénie soit ma secourable patronne! Bertrand est sauvé!

Quelques minutes après, Laure de Kerskoên, comtesse de Vornadeck, rentrait dans son appartement sans avoir été remarquée.

L'île de sable

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