Читать книгу La vie de Rossini, tome I - Стендаль (Мари-Анри Бейль), Stendhal - Страница 4

INTRODUCTION
III
HISTOIRE DE L'INTERRÈGNE APRÈS CIMAROSA ET AVANT ROSSINI, DE 1800 A 1812

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Après Cimarosa, et lorsque Paisiello eut cessé de travailler, la musique languit en Italie jusqu'à ce qu'il parût un génie original. Je devrais dire le plaisir musical languit; il y avait bien toujours des transports et de l'admiration folle dans les salles de spectacle, mais c'est comme il y a des larmes dans de beaux yeux de dix-huit ans, même en lisant les romans de Ducray-Duminil, ou des mouchoirs agités et des vivat pour la joyeuse entrée même des plus mauvais souverains.

Rossini a écrit avant 1812; mais ce n'est qu'en cette année-là qu'il obtint la faveur de composer pour le grand théâtre de Milan.

Pour apprécier ce génie brillant, il faut de toute nécessité voir dans quel état il trouva la musique, et jeter un coup d'œil sur les compositeurs qui eurent des succès de 1800 à 1812.

Je remarquerai en passant que la musique est un art vivant en Italie, uniquement parce que tous les grands théâtres ont l'obligation de donner des opéras nouveaux à certaines époques de l'année; sans quoi, sous prétexte d'admirer les anciens compositeurs, les pédants du pays n'auraient pas manqué d'étouffer et de proscrire tous les génies naissants; ils n'eussent laissé prospérer que de plats copistes.

L'Italie n'est le pays du beau dans tous les genres que parce qu'on y éprouve le besoin du nouveau dans le beau idéal, et que chacun n'écoutant que son propre cœur, les pédants y jouissent de tout le mépris qu'ils méritent.

Après Cimarosa et avant Rossini, deux noms se présentent, Mayer et Paër.

Mayer, Allemand perfectionné en Italie, et qui depuis quarante ans s'est fixé à Bergame, a donné une cinquantaine d'opéras, de 1795 à 1820. Il eut du succès, parce qu'il présentait au public une petite nouveauté qui surprenait, et attachait l'oreille. Son talent consistait à mettre dans l'orchestre, et dans les ritournelles et les accompagnements des airs, les richesses d'harmonie qu'à la même époque Haydn et Mozart créaient en Allemagne. Il ne savait guère faire chanter la voix humaine, mais il faisait parler les instruments.

Sa Lodoïska, donnée en 1800, enleva tous les suffrages. Je l'ai vue admirablement chantée à Schoenbrunn en 1809, par la charmante Balzamini, qui mourut bientôt après, au moment où elle allait devenir une des cantatrices les plus distinguées de l'Italie. Madame Balzamini devait son talent à sa laideur.

Les due Gironate de Mayer sont de 1801; en 1802, il donna I Misteri Eleusini, qui se firent la réputation qu'a aujourd'hui Don Juan. Don Juan n'existait pas alors pour l'Italie, comme trop difficile à lire. I Misteri Eleusini passèrent pour l'œuvre musicale la plus forte et la plus énergique de l'époque. La marche de l'art était frappante, on allait de la mélodie à l'harmonie.

Les maîtres italiens quittaient le facile et le simple pour le composé et le savant. MM. Mayer et Paër osant faire en grand, avec hardiesse, avec une science profonde, ce que tous les autres maestri essayaient timidement, et en commettant à chaque instant des fautes contre la grammaire de la langue, ces messieurs eurent un faux air de génie; ce qui acheva de compléter l'illusion, c'est qu'ils avaient réellement beaucoup de talent.

Leur malheur a été que Rossini soit venu dix ans trop tôt. La vie d'une musique d'opéra devant, à ce qu'il paraît, se borner à trente ans, ces maîtres ont à se plaindre au sort de ce qu'il ne les a pas tranquillement laissés achever leur temps. Si Rossini n'avait paru qu'en 1820 MM. Mayer et Paër figureraient dans les annales de la musique au rang des Leo, des Durante, des Scarlatti, etc., grands maîtres du premier ordre, qui ne sont passés de mode qu'après leur mort. Ginevra di Scozia est de 1803; c'est l'épisode d'Ariodant, qui forme l'un des chants les plus admirables du délicieux Orlando, de l'Arioste. L'Arioste excite tant de transports en Italie, précisément parce qu'il a écrit comme il faut écrire pour un peuple musicien; à l'autre extrémité du clavier poétique, je vois le petit abbé Delille.

Ainsi qu'on pouvait s'y attendre de la part d'un Allemand, tous les airs de passion et de jalousie d'Ariodant et de la belle Ecossaise, qu'il croit infidèle, sont forts presque uniquement en effets d'harmonie et en accompagnements. Ce n'est pas que les Allemands manquent de sentiment, à Dieu ne plaise que je sois injuste à ce point envers la patrie de Mozart; mais en 1823, par exemple, ce sentiment leur fait voir l'histoire de toute la révolution française et de ses suites, dans l'Apocalypse12.

Le sentiment des Allemands, trop dégagé des liens terrestres, et trop nourri d'imagination, tombe facilement dans ce que nous appelons en France le genre niais13. Les têtes qui éprouvent des passions en Allemagne, manquant de logique, supposent bientôt l'existence de ce dont elles ont besoin.

Le sujet d'Ariodant est si beau pour la musique, que Mayer a trouvé trois ou quatre inspirations; par exemple, le chœur chanté par les pieux solitaires, au milieu desquels Ariodant, au désespoir, vient chercher un asile. Ce chœur réclamant des effets d'harmonie, des oppositions de voix plutôt que de beaux chants, est magnifique. On se souvient encore à Naples du duetto entre Ariodant, qui a la visière de son casque baissée, et sa maîtresse, qui ne le reconnaît pas. Ariodant va se battre contre son propre frère pour essayer de sauver sa maîtresse; il est sur le point de lui avouer tous ses soupçons, et de lui dire qu'il est Ariodant, quand la trompette sonne et l'appelle au combat. La situation, une des plus touchantes, peut-être, que puisse fournir la plus touchante des passions de l'homme, est tellement belle, qu'il fallait qu'une musique fût bien dure à l'oreille, fût bien peu musique, pour ne pas mettre des larmes dans tous les yeux. Celle-ci est un chef-d'œuvre.

Il est odieux de critiquer ce duetto en Italie, tant les cœurs tendres l'ont pris sous leur protection. Je ne ferai qu'une réflexion: qu'eût-il été avec l'énergie de Cimarosa, ou la mélancolie de Mozart? Nous aurions eu une seconde scène de Sara, dans l'oratorio d'Abraham. Cette scène de Sara avec les pasteurs, auxquels elle demande des nouvelles de son fils Isaac, qui est parti pour la montagne du sacrifice, est le chef-d'œuvre de Cimarosa dans le genre pathétique. Cela est supérieur aux plus beaux airs de Grétry et de Dalayrac.

Chaque année Mayer donnait deux ou trois opéras nouveaux, et était applaudi sur les premiers théâtres. Comment ne pas se croire l'égal des grands maîtres? L'opéra de 1807, Adelasia ed Aleramo, parut supérieur à tout ce que le compositeur bavarois avait encore donné. La Rosa bianca e la Rosa rossa, sujet superbe tiré de l'histoire des guerres civiles d'Angleterre, eut un grand succès en 1812. Walter Scott n'avait pas encore révélé quelle quantité de sublime renferme, pour un peuple, l'histoire de ses guerres civiles de la fin du moyen âge. Le ténor Bonoldi fit admirer, dans la Rosa bianca, une voix charmante.

Le premier allegro de l'ouverture de cet opéra montre dans quel abîme de trivialité tombe d'ordinaire un compositeur allemand qui prétend trouver des chants gais.

La reconnaissance d'Enrico et de son ami Vanoldo est remplie d'une grâce naïve que n'a jamais rencontrée Rossini, parce qu'elle tient à l'absence de certaines qualités plus sublimes. Ce duo est de Paër.

Le même genre de mérite brille dans le fameux duetto E de serto il bosco intorno. C'est le chef-d'œuvre de Mayer, et ce serait un des chefs-d'œuvre de la musique s'il y avait quelques traits de force vers la fin. Le poëte a fourni au maestro une manière délicieuse, et vraiment digne de Métastase, d'excuser la trahison de Vanoldo envers son ami Enrico. Enrico en apprenant que son ami a cherché à plaire à celle qu'il aime, s'écrie:

Ah chi puô mirarla in volto

E non ardere d'amor!


Mayer a eu la bonne fortune de trouver une mélodie italienne pour exprimer cette idée charmante. Toutes les âmes tendres et douces plutôt qu'énergiques préféreront ce duetto, je n'en fais aucun doute, aux traits les plus vifs de Rossini et de Cimarosa.

Dans le genre bouffe, Mayer a eu la grosse gaieté d'un bonhomme sans esprit.

Gli Originali font plaisir lorsqu'on n'a pas entendu depuis longtemps de vraie musique italienne. C'est la Mélomanie. Lorsque cet opéra parut (1799), il fit cruellement sentir l'absence de Cimarosa, retenu alors dans les prisons de Naples, et que le bruit public disait pendu. On se demandait: Quels airs délicieux dans le genre de

Sei morelli e quatro baj,


de

Mentr'io ero un mascalzone,


de

Amicone del mio core,


Cimarosa n'eût-il pas faits sur un tel sujet?

Le Mélomane véritable, ridicule assez rare en France, où d'ordinaire il n'est qu'une prétention de la vanité, se trouve à chaque pas en Italie.

Lorsque j'étais en garnison à Brescia, l'on me fit faire la connaissance de l'homme du pays qui était peut-être le plus sensible à la musique. Il était fort doux et fort poli; mais quand il se trouvait à un concert, et que la musique lui plaisait à un certain point, il ôtait ses souliers sans s'en apercevoir. Arrivait-on à un passage sublime, il ne manquait jamais de lancer ses souliers derrière lui sur les spectateurs.

J'ai vu à Bologne le plus avare des hommes jeter ses écus à terre, et faire une mine de possédé, quand la musique lui plaisait au plus haut degré.

Le Mélomane de Mayer ne fait que répéter sur la scène des actions que l'on voit tous les jours dans la salle. Du reste, la forme seule des regrets qu'inspirait l'absence de Cimarosa, indiquait que ce grand homme allait cesser d'être à la mode. S'il eût fait de nouveaux airs, au lieu de s'en laisser charmer avec naïveté, les amateurs eussent appelé la mémoire pour troubler l'empire de l'imagination, on se fût rappelé mal à propos le souvenir des chefs-d'œuvre qui venaient, pendant vingt ans de suite, de charmer tous les cœurs.

Mayer est le maestro le plus savant de l'interrègne, comme il en est le plus fécond; tout chez lui est correct. Vous pouvez examiner dans tous les sens les partitions de Medea, de Cora, d'Adelazia, d'Eliza, vous n'y trouverez pas une faute; c'est la perfection désespérante de Despréaux: vous ne savez pourquoi vous n'êtes pas plus ému. Passez à un opéra de Rossini, vous sentez tout à coup l'air pur et frais des hautes Alpes; vous vous sentez respirer plus à l'aise; on croit renaître; vous aviez besoin de génie. Le jeune compositeur jette à pleines mains les idées nouvelles; tantôt il réussit, souvent il manque son objet. Tout est entassé, tout est pêle-mêle, tout est négligence; c'est la profusion et l'insouciance de la richesse sans bornes. On redit: Mayer est le compositeur le plus correct, Rossini est le grand artiste.

Je ne disconviendrai pas que Mayer n'ait huit ou dix morceaux qui, pendant trois ou quatre soirées, ont un faux air de génie; par exemple, le sestetto d'Elena. Je me souviens que dans un temps aussi je trouvais que Dalayrac avait de jolies idées, quoique mal arrangées. Depuis, j'ai étudié un peu sérieusement Cimarosa, où j'ai retrouvé la plupart des jolies idées de Dalayrac: peut-être, si l'on étudiait Sacchini, Piccini, Buranello, y trouverait-on une raison suffisante pour les éclairs de génie du bon Mayer. Seulement, comme l'Allemand a un grand talent, et qu'il est aussi savant que Dalayrac est écolier, il aura admirablement déguisé ses emprunts.

Le bon Mayer, voyant un jour Cherubini à Venise, ne déguisait rien, et dit tout bonnement au copiste du théâtre: «Voilà la Faniska de Cherubini, vous allez copier depuis telle page jusqu'à telle autre.» C'était un morceau de vingt-sept pages, où il ne changea pas un bémol.

Mayer fut pour la musique ce que Johnson a été pour la prose anglaise; il créa un genre emphatique et lourd, qui s'écartait beaucoup du beau naturel, mais qui cependant n'était pas sans mérite, surtout une fois qu'on avait pu s'y accoutumer. Cette emphase a été cause que la réputation de Mayer a été anéantie par Rossini en un clin d'œil; c'est le sort qui attend toutes les affectations dans les arts. Le beau naturel paraît un jour, et l'on s'étonne d'avoir pu être dupe si longtemps. On voit que nos classiques ont bien leurs raisons pour empêcher qu'on ne joue Shakspeare, et pour lancer contre lui la jeunesse libérale. Le jour où l'on jouera Macbeth, que deviendront nos tragédies modernes?

Je crois qu'après Mayer, M. Paër, musicien né à Parme, malgré son nom allemand, est celui de tous les compositeurs de l'interrègne qui a eu le succès le plus européen. Cela tient peut-être à ce que M. Paër, outre un talent incontestable et très remarquable, est un homme très-fin, de beaucoup d'esprit, et fort agréable dans le monde. On dit qu'une des preuves les plus frappantes de cet esprit a été de tenir huit ans de suite Rossini caché aux Parisiens. Notez que s'il y eut jamais un homme fait pour plaire à des Français, c'est Rossini, Rossini le Voltaire de la musique.

Toutes les premières pièces de Rossini jouées à Paris, ont été montées d'une manière ridicule. Il me souvient encore de la première représentation de l'Italiana in Algeri. Lorsque peu après l'on donna la Pietra del Paragone, on eut l'attention de supprimer les deux morceaux qui ont fait la fortune de ce chef-d'œuvre en Italie: l'air Eco pietosa, et le finale sigillara. Il n'est pas jusqu'au chœur délicieux du second acte de Tancrède, chanté sur le pont, dans la forêt, par les chevaliers de Syracuse, qu'on n'ait trouvé prudent de raccourcir de moitié.

Le jour même où je fais transcrire cette page, je vois que l'on fait chanter le grand rôle bouffe de l'Italiana in Algeri par mademoiselle Naldi.

Un des premiers ouvrages de M. Paër est l'Oro fa Tutto (1793). Son premier chef-d'œuvre est la Griselda (1797). A quoi bon parler de cet opéra qui a fait le tour de l'Europe? Tout le monde connaît l'air délicieux chanté par le ténor. Tout le monde admire Sargine (1803). Je mettrais volontiers ces deux opéras au-dessus de tout ce qu'a fait M. Paër. L'Agnese ne me paraît pas du même rang; elle doit son succès européen à la facilité qu'il y a d'imiter d'une manière effrayante les fous, que personne ne se soucie d'aller étudier avec trop de détails dans les retraites affreuses où les place la pitié publique. L'âme profondément ébranlée par le spectacle horrible d'un père devenu fou parce que sa fille l'a abandonné, s'ouvre facilement aux impressions de la musique. Galli, Pelegrini, Ambrogetti, Zuchelli, ont été sublimes dans le rôle du fou. Ce succès ne m'empêche pas de croire que les beaux-arts ne doivent jamais s'emparer des sujets horribles. La charmante piété filiale de Cordelia me console de la folie de Lear (tragédie de Shakspeare); mais rien ne rend supportable pour moi l'état affreux où se trouve le père de l'Agnèse. La musique centuplant ma sensibilité, me rend cette scène horrible tout à fait insupportable. L'Agnese fait pour moi souvenir désagréable, et d'autant plus désagréable que le sujet est plus vrai. C'est comme la mort: on fera toujours peur aux hommes en leur parlant de la mort; mais leur en parler sera toujours une sottise ou un calcul de prêtre. Puisque la mort est inévitable, oublions-la.

La Camilla (1798), quoique devant en partie son succès à la mode de l'horreur qui, dans ce temps-là, nous valut les romans de madame Radcliffe, a cependant plus de mérite que l'Agnese; le sujet est moins horrible et plus tragique. Bassi, l'un des premiers bouffes de l'Italie, était excellent dans le rôle du valet, lorsque, couché entre les jambes de son maître, et chantant fort pour le réveiller, il lui crie:

Signor, la vita è corta,

Partiam per carità.


A tout moment dans cette pièce on trouve de la déclamation chantée, comme Gluck. C'est la plus triste chose du monde, cela est dur; or, dès qu'il n'y a pas douceur pour l'oreille, il n'y a pas musique.

Madame Paër, femme du compositeur, et fort bonne cantatrice, s'est toujours acquittée, en Italie, du rôle de Camille; elle y a eu les plus grands succès, et ces succès ont duré dix ans; je ne vois guère aujourd'hui que madame Pasta qui pût jouer Camille avec talent. Ce talent amènerait-il la vogue? Rossini nous a accoutumés à la surabondance des idées, Mozart à leur profondeur; il est peut-être bien tard pour la musique de Gluck.

Après MM. Mayer et Paër, les deux hommes célèbres de l'interrègne qui s'écoula entre Cimarosa et Rossini, il me reste à nommer quelques talents inférieurs. Je renvoie ces noms-là à l'appendice14.

12

Historique, Bâle, 1823.

13

Voir leur célèbre tragédie de l'Expiation, par Mülner. Je ne voudrais pas du héros Hugo, comte d'Eridur, pour en faire un caporal.

14

Anfossi, Coccia, Farinelli, Federici, Fioravanti, Generali, les deux Guglielmo père et fils, Manfroce, Martini, Mosca, Nazolini, Nicolini, Orgitano, Orlandi, Pavesi, Portogallo, Salieri, Sarti, Tarchi, Trento, Weigl, Winter, Zingarelli, etc., etc.

La vie de Rossini, tome I

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