Читать книгу La vie de Rossini, tome I - Стендаль (Мари-Анри Бейль), Stendhal - Страница 5

INTRODUCTION
IV
MOZART EN ITALIE

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J'oubliais qu'il faut encore parler de Mozart, avant de nous occuper pour toujours, et exclusivement, de Rossini.

La scène musicale en Italie était occupée depuis dix ans par MM. Mayer, Paër, Pavesi, Zingarelli, Generali, Fioravanti, Weigl, et par une trentaine de noms plus ou moins oubliés aujourd'hui, et qui y régnaient tranquillement. Ces messieurs se croyaient les successeurs des Cimarosa et des Pergolèse, le public le croyait aussi; Mozart parut tout à coup comme un colosse au milieu de tous ces petits compositeurs italiens, qui n'étaient grands que par l'absence des grands hommes.

Mayer, Paër, et leurs imitateurs, cherchaient depuis longtemps à adapter le genre allemand au goût italien, et, comme tous les mezzo-termine, plaisant aux faibles des deux partis, ils avaient des succès flatteurs pour qui n'est pas difficile en admiration. Mozart, au contraire, comme tous les grands artistes, n'ayant jamais cherché qu'à se plaire à lui-même, et aux gens qui lui ressemblaient, Mozart, tel qu'un conspirateur espagnol, ne pouvait se flatter de prendre la société que par les sommités; ce rôle est toujours dangereux.

D'ailleurs, la présence personnelle lui manquait; il n'était pas là pour flatter les puissants, payer les journaux, et faire mettre son nom dans la bouche de la multitude: aussi n'a-t-il pénétré en Europe que depuis sa mort. Ses rivaux étaient présents, écrivaient leur musique pour les voix des acteurs, composaient de petits duos pour la maîtresse du prince, se conciliaient des protections; et cependant qu'est-ce aujourd'hui qu'une musique de Mayer ou de ***, à côté d'un opéra de Mozart? La position était inverse en Italie vers l'an 1800. Mozart était un barbare romantique, voulant envahir la terre classique des beaux-arts. Il ne faut pas croire que cette révolution, qui nous semble si naturelle aujourd'hui, se soit faite en un jour.

Mozart, encore enfant, avait fait deux opéras pour le théâtre de la Scala à Milan, Mitridate, en 1770, et Lucio Silla, en 177315. Ces opéras ne manquèrent pas de succès, mais il n'est pas probable qu'un enfant ait osé braver la mode. Quel qu'ait été le mérite de ces ouvrages, bientôt absorbés dans le torrent, guidé par Sacchini, Piccini, Paisiello, ces succès n'avaient laissé aucune trace.

Vers 1803, les triomphes de Mozart à Munich et à Vienne vinrent importuner les dilettanti d'Italie, qui d'abord refusèrent bravement d'y croire. Un barbare venir moissonner dans le champ des arts! On connaissait depuis longtemps ses symphonies et ses quatuors, mais Mozart faire de la musique pour la voix! On dit de lui ce que le parti des vieilles idées dit en France de Shakspeare: «C'est un sauvage qui ne manque pas d'énergie; on peut trouver quelques paillettes d'or dans le fumier d'Ennius; s'il eût eu l'avantage de prendre des leçons de Zingarelli et de Paisiello, il aurait peut-être fait quelque chose.» Et il ne fut plus question de Mozart.

En 1807, quelques Italiens de distinction, que Napoléon avait menés à sa suite, dans ses campagnes de 1805 et de 1806, et qui avaient passé par Munich, se mirent à reparler de Mozart: on se décida à essayer une de ses pièces, l'Enlèvement du Sérail, je crois. Mais pour exécuter cet opéra, il fallait être symphoniste parfait; il fallait surtout être un excellent tempiste, ne jamais faire d'infidélités à la mesure. Il ne s'agissait plus de cette musique qui s'apprend d'oreille, en l'entendant chanter une ou deux fois, comme à Paris la romance: C'est l'amour16, ou Di tanti palpiti, de Tancrède. Les symphonistes italiens se mirent à travailler, mais il ne sortait rien de cet océan de notes, qui noircissaient la partition de cet étranger. Il fallait d'abord que tout le monde allât en mesure, et surtout entrât et sortît juste, au moment prescrit. Les paresseux appelèrent cela de la barbarie; ce mot fut sur le point de prendre, et l'on faillit renoncer à Mozart. Cependant, quelques jeunes gens riches, que je pourrais nommer, et qui avaient plus d'orgueil que de vanité, trouvèrent ridicule, pour des Italiens, de renoncer à de la musique comme trop difficile; ils menacèrent de retirer leur protection au théâtre où l'opéra allemand était en répétition, et l'on donna enfin l'œuvre de Mozart. Pauvre Mozart! des personnes qui se trouvaient à cette représentation, et qui, depuis, ont appris à aimer ce grand homme, m'ont assuré n'avoir jamais vu de tel charivari. Les morceaux d'ensemble, et surtout les finales, produisaient une cacophonie épouvantable; on eût dit un sabbat de diables en colère. Deux ou trois airs, et un duetto, surnagèrent au milieu de cet océan de cris discordants, et furent assez bien exécutés.

Le même soir il se forma deux partis. Le patriotisme d'antichambre, comme disait M. Turgot à propos du Siège de Calais, tragédie nationale, en 1763; le patriotisme d'antichambre, qui est la grande maladie morale des Italiens, se réveilla dans toute sa fureur, et déclara dans tous les cafés que jamais homme né hors de l'Italie ne parviendrait à faire un bon air. Le chevalier M… dit alors avec cette mesure parfaite qui le caractérise: Gli accompagnamenti tedeschi non sono guardie d'onore pel canto, ma gendarmi.

L'autre parti, guidé par deux ou trois jeunes militaires, qui avaient été à Munich, soutenait qu'il y avait dans Mozart, non pas assurément des morceaux d'ensemble, mais deux ou trois petits airs, ou duetti, écrits avec génie, et, mieux encore, écrits avec nouveauté. Les gens à honneur national eurent recours à leur grand argument, ils déclarèrent qu'il fallait être mauvais Italien pour admirer de la musique faite par un ultramontain. Au milieu de ces cris, les représentations de l'opéra de Mozart arrivèrent à leur fin, l'orchestre jouant plus mal chaque soir. Les gens supérieurs (et il y a souvent dans une grande ville d'Italie, deux ou trois hommes à vues profondes, mais génies à la Machiavel, défiants, persécutés, sombres, qui se gardent bien de parler à tout venant, et à plus forte raison d'écrire), ces gens dirent: «Puisque le nom de Mozart excite tant de haine, puisqu'on met tant d'acharnement à prouver qu'il est médiocre, puisque nous lui voyons prodiguer des injures qu'on n'a jamais adressées aux Nicolini et aux Puccita (les plus faibles des compositeurs de l'époque), il serait bien possible que cet étranger eût un coin de génie.»

Voilà ce qu'on disait chez la comtesse Bianca et dans d'autres loges de personnes de la première distinction de la ville, que je ne nomme pas pour ne point les compromettre. Je passe sous silence les injures grossières des journaux écrits par les agents de la police. La cause de Mozart semblait perdue, et scandaleusement perdue.

Un amateur de musique, fort noble et fort riche, mais qui n'avait pas grand sens, de ces gens qui se font une existence dans le monde en adoptant, tous les six mois, quelque paradoxe qu'ils répètent partout et à tue-tête, ayant su, par une lettre qu'une de ses maîtresses lui écrivait de Vienne, que Mozart était le premier musicien du monde, se mit à en parler avec mystère. Il fit appeler les six meilleurs symphonistes de la ville, qu'il éblouissait de son luxe, et étourdissait du fracas de ses chevaux anglais et de ses calèches fabriquées à Londres, et il fit essayer en secret à ces musiciens le premier finale de Don Juan. Son palais était immense; il leur abandonna tout un corps de logis situé sur les jardins. Il menaça de toute sa colère quiconque oserait parler; et quand un homme riche en vient à ces paroles en Italie, il est sûr d'être obéi. Celui dont je parle avait à ses ordres cinq ou six buli de Brescia, capables de toutes les violences.

Il ne fallut pas moins de six mois aux symphonistes du prince pour parvenir à jouer in tempo (en mesure) le premier finale de Don Juan. Alors pour la première fois, ils virent apparaître Mozart. Le prince prit six chanteurs et chanteuses, auxquels il ordonna la discrétion. En deux mois de travail, les chanteurs furent instruits. Le prince fit exécuter à sa maison de campagne, toujours avec le secret d'une conspiration, les finales et les principaux morceaux d'ensemble de Don Juan. Il a de l'oreille comme tous les gens de son pays, il les trouva bien. Assuré de cet effet, il devint un peu moins mystérieux en parlant de Mozart; il se laissa attaquer, il arriva enfin à engager un pari considérable pour l'amour-propre, et qui, au milieu de cette tranquillité profonde d'une ville d'Italie, devint bientôt la grande nouvelle de toute cette partie de la Lombardie. Il avait parié qu'il ferait exécuter quelques morceaux de Don Juan, et que messieurs tels et tels, des juges impartiaux, des noms desquels l'on convint sur-le-champ, diraient que Mozart était un homme à peu près du mérite de Mayer et de Paër, péchant comme eux par trop d'amour pour le tapage et le fatras germanique mais en tout presque aussi fort que les auteurs de Sargine et de Cora. On mourait de rire, à ce que l'on m'a conté, rien qu'à entendre ces assertions. Le prince, dont la vanité goûtait des plaisirs très vifs, retarda le grand jour sous divers prétextes; il vint enfin ce jour mémorable. Le concert d'épreuve eut lieu à la maison de campagne du prince, qui gagna tout d'une voix; et pendant deux ans, il en a été plus fat de moitié.

Cet événement fit du bruit; on se mit à jouer Mozart en Italie. A Rome, vers 1811, on estropia Don Juan. Mademoiselle Eiser, celle qui a joué un rôle au congrès de Vienne, et qui fit un instant oublier l'Apocalypse à de grands personnages, jouait aussi un rôle dans Don Juan, et fort bien. Sa voix était admirable, mais l'orchestre n'allait en mesure que par hasard, les instruments couraient les uns après les autres; cela ressemblait toujours à une symphonie de Haydn jouée par des amateurs (ce dont le ciel veuille nous garder). Enfin, en 1814, on donna Don Juan à la Scala, succès d'étonnement. En 1815, on donna les Noces de Figaro, qui furent mieux comprises. En 1816, la Flûte enchantée tomba et ruina l'entreprise Petrachi; mais la reprise de Don Juan eut enfin un succès fou, si l'on peut appeler fou un succès lorsqu'il s'agit de Mozart.

Aujourd'hui Mozart est à peu près compris en Italie, mais il est loin d'y être senti. Son principal effet dans l'opinion publique a été de jeter au second rang Mayer, Weigl, Winter, et toute la faction allemande.

En ce sens, il a aplani les voies à Rossini, dont l'immense réputation ne date que de 1815, et qui, en paraissant sur l'horizon, n'a trouvé de rivaux que MM. Pavesi, Mosca, Guglielmi, Generali, Portogallo, Nicolini, et autres derniers imitateurs du style des Cimarosa et des Paisiello. Ces messieurs jouaient à peu près le rôle que font aujourd'hui en France les derniers copistes du style épique et magnifique, et des scènes nobles de Racine. Ils étaient sûrs d'être extrêmement applaudis, extrêmement loués, et en beau style; mais il restait toujours un peu d'ennui au fond de l'âme de leurs prôneurs, qui, partant, étaient toujours prêts à se fâcher. C'étaient des succès comme ceux de Saül, du Maire du palais, de Clytemnestre, de Louis IX; personne dans la salle n'osait convenir de l'ennui, et chacun, tout en bâillant, prouvait à son voisin que c'était fort beau.

15

Mozart, né à Salzbourg en 1756, mort à Vienne en 1796127, avait quatorze ans lorsqu'il écrivit le Mitridate.

16

Ce chant ignoble me semble moins plat, je l'avoue à ma honte, que les romances célèbres de M. R. et de tant d'autres. Il a au moins un rythme en rapport avec la vivacité du caractère national.

La vie de Rossini, tome I

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