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CHAPITRE II.
Le Voyageur

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«Eh bien! le monde est l'huître, et ce fer l'ouvrira.»

PISTOL.

PAR une délicieuse matinée d'été, avant que le soleil s'armât de ses rayons brûlans, et pendant que la rosée rafraîchissait et parfumait encore l'atmosphère, un jeune homme, arrivant du nord-est, s'approcha du gué d'une petite rivière, ou pour mieux dire d'un grand ruisseau, tributaire du Cher, près du château royal de Plessis, dont les nombreuses tours noires s'élevaient dans le lointain au-dessus de la vaste forêt qui l'entourait. Ces bois comprenaient une noble-chasse, ou parc royal fermé par une clôture, qu'on nommait dans le latin du moyen âge plexitium, ce qui fit donner le nom de Plessis à un si grand nombre de villages en France. Pour les distinguer des autres portant le même nom, on appelait Plessis-les-Tours le château et le village dont il est ici question. Ils étaient situés à environ deux milles vers le sud de la belle ville capitale de l'ancienne Touraine, dont la riche campagne a été nommée le jardin de la France.

Sur la rive opposée à celle dont le voyageur s'approchait, deux hommes qui paraissaient occupés d'une conversation sérieuse semblaient de temps en temps examiner ses mouvemens; car, se trouvant sur une position beaucoup plus élevée que la sienne, ils avaient pu l'apercevoir à une distance considérable.

Le jeune voyageur pouvait avoir de dix-neuf à vingt ans. Ses traits et son extérieur prévenaient en sa faveur, mais annonçaient que le pays dans lequel il se trouvait ne lui avait pas donné le jour. Son habit gris fort court et son haut-de-chausses étaient coupés à la mode de Flandre plutôt qu'à celle de France, et son élégante toque bleue, surmontée d'une branche de houx et d'une plume d'aigle, le faisait reconnaître pour un Écossais. Son costume était fort propre, et arrangé avec le soin d'un jeune homme qui n'ignore pas qu'il est bien tourné. Il portait sur le dos un havresac qui semblait contenir son petit bagage; sa main gauche était couverte d'un de ces gants qui servaient à tenir un faucon, quoiqu'il n'eût pas d'oiseau, et il tenait de la main droite un épieu de chasseur. À son épaule gauche était fixée une écharpe brodée, à laquelle était suspendu un petit sac de velours écarlate, semblable à ceux que portaient les fauconniers de distinction, et où ils mettaient la nourriture de leurs faucons et tous les objets nécessaires pour cette chasse favorite. Cette écharpe était croisée par une autre bandoulière qui soutenait un couteau de chasse. Au lieu des bottes qu'on portait à cette époque, ses jambes étaient couvertes de brodequins de peau de daim à demi tannée.

Quoique sa taille n'eût pas atteint tout son développement, il était grand, bien fait, et la légèreté de sa marche prouvait que, s'il voyageait en piéton, il y trouvait plus de plaisir que de fatigue. Il avait le teint blanc, quoique un peu bruni, soit par l'influence des rayons du soleil de ce climat étranger, soit parce qu'il avait été constamment exposé au grand air dans sa terre natale.

Ses traits, sans être parfaitement réguliers, étaient agréables et pleins de candeur. Un demi-sourire, qui semblait naître de l'heureuse insouciance de la jeunesse, montrait de temps en temps que ses dents étaient bien rangées, et blanches comme de l'ivoire; ses yeux bleus, brillans et pleins de gaieté, se fixaient sur chaque objet qu'ils rencontraient, avec une expression de bonne humeur, de joyeuse franchise et de bonne résolution.

Le salut du petit nombre de voyageurs qu'il rencontrait sur la route, dans ces temps dangereux, était reçu et rendu par lui suivant le mérite de chacun. Le militaire traîneur, moitié soldat, moitié brigand, mesurait le jeune homme des yeux, comme pour calculer les chances du butin ou d'une résistance déterminée; mais il voyait bientôt dans les regards du jeune voyageur une assurance qui faisait tellement pencher la balance du dernier côté, qu'il renonçait à son projet criminel pour lui dire avec humeur: – Bonjour, camarade! – salut auquel le jeune Écossais répondait d'un ton tout aussi martial quoique moins bourru. Le pèlerin et le frère mendiant répondaient à sa salutation respectueuse par une bénédiction paternelle; et la jeune paysanne aux yeux noirs se retournant pour le regarder quand elle l'avait dépassé de quelques pas, ils échangeaient ensemble un bonjour en souriant. En un mot, il y avait quelque chose en lui qui excitait naturellement l'attention, et il exerçait une attraction véritable, qui prenait sa source dans la réunion d'une franchise intrépide, d'une humeur enjouée, d'un air spirituel, d'un extérieur agréable. Tout son aspect semblait aussi indiquer un jeune homme entré dans le monde sans la moindre crainte des dangers qui en assiègent toutes les avenues, et n'ayant guère pourtant d'autres moyens de lutter contre les obstacles, qu'un esprit plein de vivacité et une bravoure naturelle: or, c'est avec de tels caractères que la jeunesse sympathise le plus volontiers, comme c'est pour ceux-là aussi que la vieillesse et l'expérience éprouvent un intérêt affectueux.

Le jeune homme dont nous venons de faire le portrait avait été aperçu depuis long-temps par les deux individus qui se promenaient le long de la rivière, sur le bord opposé où étaient situés le parc et le château; mais comme il descendait la rive escarpée avec la légèreté d'un daim courant vers une fontaine pour s'y désaltérer, le moins âgé des deux dit à l'autre:

– C'est notre jeune homme, c'est le Bohémien; s'il essaie de passer la rivière, il est perdu: les eaux sont enflées, la rivière n'est pas guéable.

– Qu'il fasse cette découverte lui-même, compère, répondit le plus âgé; il est possible que cela épargne une corde et fasse mentir un proverbe.

– Je ne le reconnais qu'à sa toque bleue, reprit le premier, car je ne puis distinguer sa figure: écoutez! il crie pour nous demander si l'eau est profonde.

– Il n'a qu'à essayer, répliqua l'autre; il n'y a en ce monde rien de tel que l'expérience.

Cependant le jeune homme, voyant qu'on ne lui faisait aucun signe pour le détourner de son intention, et prenant le silence de ceux à qui il s'adressait pour une assurance qu'il ne courait aucun risque, entra dans le ruisseau sans hésiter et sans autre délai que celui qui fut nécessaire pour ôter ses brodequins. Le plus âgé des deux inconnus lui cria au même instant de prendre garde à lui; et se tournant vers son compagnon:

– Par la mort-Dieu, compère, lui dit-il à mi-voix, vous avez fait encore une méprise; ce n'est pas le bavard de Bohémien.

Mais cet avis arriva trop tard pour le jeune homme: ou il ne l'entendit pas, ou il ne put en profiter, car il avait déjà perdu pied; la mort eût été inévitable pour tout homme moins alerte et moins habitué à nager, le ruisseau étant alors aussi profond que rapide.

– Par sainte Anne! s'écria le même interlocuteur, c'est un jeune homme intéressant! Courez, compère, et réparez votre méprise en le secourant si vous le pouvez: il est de votre troupe; et si les vieux dictons ne mentent pas, l'eau ne le noiera point.

Dans le fait, le jeune voyageur nageait si vigoureusement, et fendait l'eau avec tant de dextérité, que, malgré l'impétuosité du courant, il aborda à la rive opposée presque en ligne droite de l'endroit d'où il était parti.

Pendant ce temps, le moins âgé des deux inconnus avait couru sur le bord de l'eau pour donner du secours au nageur, tandis que l'autre le suivait à pas lents, se disant à lui-même, chemin faisant: – Sur mon âme, le voilà à terre; il empoigne son épieu: si je ne me presse davantage, il battra mon compère pour la seule action charitable que je l'aie jamais vu faire de sa vie.

Il avait quelque raison pour supposer que tel serait le dénouement de cette aventure; car le brave Écossais avait déjà accosté le Samaritain qui venait à son secours, en s'écriant d'un ton courroucé: – Chien discourtois! pourquoi ne m'avez-vous pas répondu quand je vous ai demandé si la rivière était guéable? Que le diable m'emporte si je ne vous apprends à mieux connaître une autre fois les égards qui sont dus à un étranger!

Il accompagnait ces paroles de ce mouvement formidable de son bâton qu'on appelle le moulinet, parce qu'on tient le bâton par le milieu en brandissant les deux bouts dans tous les sens, comme les ailes d'un moulin que le vent fait tourner. Son antagoniste, se voyant ainsi menacé, mit la main sur son épée; car c'était un de ces hommes qui, en toute occasion, sont toujours plus disposés à agir qu'à discourir. Mais son compagnon plus réfléchi, étant arrivé en ce moment, lui ordonna de se modérer, et se tournant vers le jeune homme, l'accusa à son tour d'imprudence et de précipitation pour s'être jeté dans une rivière dont les eaux étaient enflées, et d'un emportement injuste, pour vouloir chercher querelle à un homme qui accourait à son secours.

En entendant un homme d'un âge avancé et d'un air respectable lui adresser de tels reproches, le jeune Écossais baissa sur-le-champ son bâton, et répondit qu'il serait bien fâché d'être injuste envers eux, mais que véritablement il lui semblait qu'ils l'avaient laissé mettre ses jours en péril, faute d'avoir daigné dire un mot pour l'avertir; ce qui ne convenait ni à d'honnêtes gens ni à de bons chrétiens, encore moins à de respectables bourgeois, comme ils paraissaient être.

– Beau fils, dit le plus âgé, à votre air et à votre accent, on voit que vous êtes étranger; et vous devriez songer que, quoique vous parliez facilement notre langue, il ne nous est pas aussi aisé de comprendre vos discours.

– Eh bien, mon père, répondit le jeune homme, je m'embarrasse fort peu du bain que je viens de prendre, et je vous pardonnerai d'en avoir été la cause en partie, pourvu que vous m'indiquiez quelque endroit où je puisse faire sécher mes habits, car je n'en ai pas d'autres, et il faut que je tâche de les conserver dans un état présentable.

– Pour qui nous prenez-vous, beau fils? lui demanda le même interlocuteur au lieu de répondre à sa question.

– Pour de bons bourgeois, sans contredit, répondit l'Écossais; ou bien, tenez, vous, mon maître, vous m'avez l'air d'un traficant[25] d'argent ou d'un marchand de grains, et votre compagnon me semble un boucher ou un nourrisseur de bestiaux.

– Vous avez admirablement deviné nos professions, dit en souriant celui qui venait de l'interroger. Il est très-vrai que je trafique en argent autant que je le puis, et le métier de mon compère a quelque analogie avec celui de boucher. Quant à vous, nous tâcherons de vous servir: mais il faut d'abord que je sache qui vous êtes et où vous allez; car, dans le moment actuel, les routes sont remplies de voyageurs à pied et à cheval, qui ont dans la tête toute autre chose que des principes d'honnêteté et la crainte de Dieu.

Le jeune homme jeta un regard vif et pénétrant sur l'individu qui lui parlait ainsi, et sur son compagnon silencieux, comme pour s'assurer s'ils méritaient la confiance qu'on lui demandait; et voici quel fut le résultat de ses observations.

Le plus âgé de ces deux hommes, celui que son costume et sa tournure rendaient le plus remarquable, ressemblait au négociant ou au marchand de cette époque. Sa jaquette, ses hauts-de-chausses et son manteau étaient d'une même étoffe, d'une couleur brune, et montraient tellement la corde, que l'esprit malin du jeune Écossais en conclut qu'il fallait que celui qui les portait fût très-riche ou très-pauvre; et il inclinait vers la première supposition. Ses vêtemens étaient très-courts et étroits, mode non adoptée alors par la noblesse, ni même par des citoyens d'une classe respectable, qui portaient des habits fort lâches et descendant à mi-jambe.

L'expression de sa physionomie était en quelque sorte prévenante et repoussante à la fois; ses traits prononcés, ses joues flétries et ses yeux creux avaient pourtant une expression de malice et de gaieté qui se trouvait en rapport avec le caractère du jeune aventurier. Mais, d'une autre part, ses gros sourcils noirs avaient quelque chose d'imposant et de sinistre. Peut-être cet effet devenait-il encore plus frappant à cause du chapeau à forme basse, en fourrure, qui, lui couvrant le front, ajoutait une ombre de plus à celle de ses épais sourcils; mais il est certain que le jeune étranger éprouva quelque difficulté pour concilier le regard de cet inconnu avec le reste de son extérieur, qui n'avait rien de distingué. Son chapeau surtout, partie du costume sur laquelle tous les gens de qualité portaient quelque bijou en or ou en argent, n'avait d'autre ornement qu'une plaque de plomb représentant la Vierge, semblable à celles que les pauvres pèlerins rapportaient de Lorette.

Son compagnon était un homme robuste, de moyenne taille, et plus jeune d'une dizaine d'années. Il avait ce qu'on appelle l'air en dessous, et un sourire sinistre, quand par hasard il souriait, ce qui ne lui arrivait jamais que par forme de réponse à certains signes secrets qu'il échangeait avec l'autre inconnu. Il était armé d'une épée et d'un poignard, et l'Écossais remarqua qu'il cachait sous son habit uni un jaseran ou cotte de mailles flexible, telle qu'en portaient souvent, dans ces temps périlleux, même les hommes qui n'avaient pas pris le parti des armes, mais que la profession obligeait à de fréquens voyages; ce qui le confirma dans l'idée que ce pouvait être un boucher, un nourrisseur de bestiaux, ou un homme occupé de quelque métier de ce genre.

Le jeune Écossais n'eut besoin que d'un instant pour faire les observations dont il nous a fallu quelque temps pour rendre compte, et il répondit, après un moment de silence et en faisant une légère salutation: – Je ne sais à qui je puis avoir l'honneur de parler, mais il m'est indifférent qu'on sache que je suis un cadet écossais, et que je viens chercher fortune en France ou ailleurs, suivant la coutume de mes compatriotes.

– Pâques-Dieu! s'écria l'aîné des deux inconnus, et c'est une excellente coutume. Vous semblez un garçon de bonne mine, et de l'âge qu'il faut pour réussir avec les hommes et avec les femmes. Eh bien! qu'en dites vous? je suis commerçant, et j'ai besoin d'un jeune homme pour m'aider dans mon trafic. Mais je suppose que vous êtes trop gentilhomme pour vous mêler des travaux ignobles du négoce.

– Mon beau monsieur, si vous me faites cette offre sérieusement, ce dont j'ai quelque doute, je vous dois des remerciemens; je vous prie de les agréer: mais je crois que je ne vous serai pas fort utile dans votre commerce.

– Oh! je crois bien que tu es plus habile à tirer de l'arc qu'à rédiger un mémoire de marchandises, et que tu sais manier un sabre mieux que la plume; n'est-il pas vrai?

– Je suis un homme de bruyères, monsieur, et par conséquent archer, comme nous le disons. Mais j'ai été dans un couvent, et les bons pères m'ont appris à lire, à écrire, et même à compter.

– Pâques-Dieu! cela est trop magnifique. Par Notre-Dame d'Embrun, tu es un véritable prodige, l'ami!

– Riez tant qu'il vous plaira, mon beau maître, répliqua le jeune homme qui n'était pas très-satisfait du ton de plaisanterie de sa nouvelle connaissance; quant à moi, je pense que je ferais bien d'aller me sécher, au lieu de m'amuser ici à répondre à vos questions, tandis que l'eau découle de mes habits.

– Pâques-Dieu! s'écria le même inconnu en riant encore plus haut, le proverbe ne ment jamais: fier comme un Écossais. – Allons, jeune homme, vous êtes d'un pays que j'estime, ayant fait autrefois commerce avec l'écosse. Les Écossais sont un peuple pauvre et honnête. Si vous voulez nous accompagner au village, je vous donnerai un verre de vin chaud et un bon déjeuner, pour vous dédommager de votre bain. Mais, Tête-Bleue! que faites-vous de ce gant de chasse sur votre main? Ne savez-vous pas que la chasse à l'oiseau n'est pas permise dans un parc royal?

– C'est ce que m'a appris un coquin de forestier du duc de Bourgogne. Je n'avais fait que lâcher sur un héron, près de Péronne, le faucon que j'avais apporté d'écosse, et sur lequel je comptais pour fixer l'attention sur moi; le pendard le perça d'une flèche.

– Et que fîtes-vous alors?

– Je le battis, répondit le jeune brave en brandissant son bâton; je le battis autant qu'un chrétien peut en battre un autre sans le tuer; car je ne voulais pas avoir sa mort à me reprocher.

– Savez-vous que si vous étiez tombé entre les mains du duc de Bourgogne, il vous aurait fait pendre comme une châtaigne?

– Oui, on m'a dit qu'en fait de cette besogne, il y va aussi vite que le roi de France; mais, comme cela était arrivé près de Péronne, je sautai par-dessus la frontière, et je me moquai de lui. S'il n'avait pas été un prince si emporté, j'aurais peut-être, pris du service dans ses troupes.

– Il aura à regretter la perte d'un tel paladin, si la trêve vient à se rompre!

Et celui qui parlait ainsi jeta en même temps, un coup d'œil sur son compagnon; celui-ci répondit par un de ces sourires en dessous qui animaient un moment sa physionomie, comme un éclair illumine un instant un ciel d'hiver.

Le jeune Écossais les regarda tour à tour, en enfonçant son bonnet sur l'œil droit, en homme qui ne veut servir de jouet à personne. – Mes maîtres, leur dit-il avec fermeté, et vous surtout qui êtes le plus âgé, et qui devriez être le plus sage, il faudra, je crois, que je vous apprenne qu'il n'est ni sage ni prudent de plaisanter à mes dépens. Le ton de votre conversation ne me plaît nullement. Je sais entendre la plaisanterie, souffrir une réprimande de la part d'un homme plus âgé que moi, et même l'en remercier quand je sens que je l'ai méritée; mais je n'aime pas à être traité comme un enfant, quand Dieu sait que je me crois assez homme pour vous frotter convenablement tous les deux, si vous me poussez à bout.

Celui à qui il s'adressait particulièrement semblait prêt à étouffer de rire en l'entendant parler ainsi. La main de son compagnon se portait de nouveau sur la garde de son épée, lorsque le jeune homme lui asséna sur le poignet un coup de bâton si bien appliqué qu'il lui eût été impossible de s'en servir: cet incident ne fit qu'augmenter la bonne humeur de l'autre.

– Holà! holà! très-vaillant Écossais! s'écria-t-il pourtant; par amour pour ta chère patrie! Et vous, compère, point de regards menaçans. Pâques-Dieu! il faut de la justice dans le commerce, et un bain peut servir de compensation pour un coup donné sur le poignet avec tant de grâce et d'agilité. écoutez-moi, l'ami, ajouta-t-il en s'adressant au jeune étranger avec une gravité sérieuse qui lui en imposa et lui inspira du respect en dépit de lui-même: plus de violence; il ne serait pas sage de vous y livrer contre-moi, et vous voyez que mon compère est suffisamment payé. Quel est votre nom?

– Quand on me fait une question avec civilité, je puis y répondre de même, et je suis disposé à avoir pour vous le respect dû à votre âge, à moins que vous n'épuisiez ma patience par vos railleries. Ici, en France et en Flandre, on s'est amusé à m'appeler le varlet au sac de velours, à cause du sac à faucon que je porte; mais mon véritable nom, dans mon pays, est Quentin Durward.

– Durward! et ce nom est-il celui d'un gentilhomme?

– Depuis quinze générations. Et c'est ce qui fait que je ne me soucie pas de suivre une autre profession que celle des armes.

– Véritable Écossais! j'en réponds: surabondance de sang, surabondance d'orgueil, et grande pénurie de ducats. Eh bien! compère, marchez en avant et faites-nous préparer à déjeuner au bosquet des Mûriers, car ce jeune homme fera autant d'honneur au repas qu'une souris affamée en ferait au fromage d'une ménagère. – Et quant au Bohémien, écoute-moi.

Il lui dit quelques mots à l'oreille; son compagnon n'y répondit que par un sourire d'intelligence qui avait quelque chose de sombre, et il partit d'un assez bon pas.

– Eh bien! dit le premier au jeune Durward, maintenant nous allons faire route ensemble; et en traversant la forêt nous pourrons entendre la messe à la chapelle de Saint-Hubert; car il n'est pas juste de s'occuper des besoins du corps avant d'avoir songé à ceux de l'âme.

Durward, en bon catholique, n'avait pas d'objection à faire à cette proposition, quoiqu'il eût probablement désiré commencer par faire sécher ses habits et prendre quelques rafraîchissemens. Ils eurent bientôt perdu de vue le compagnon du marchand; mais en suivant le même chemin qu'il avait pris, ils entrèrent bientôt dans un bois planté de grands arbres entremêlés de buissons et de broussailles, et traversé par de longues avenues dans lesquelles ils voyaient passer des troupeaux de daims dont la sécurité semblait annoncer qu'ils sentaient que ce parc était un asile pour eux.

– Vous me demandiez si j'étais bon archer, dit le jeune Écossais; donnez-moi un arc et une couple de flèches, et je vous réponds que vous aurez de la venaison.

– Pâques-Dieu! mon jeune ami, prenez-y bien garde. Mon compère a l'œil ouvert sur les daims; il est chargé d'y veiller, et c'est un garde rigide.

– Il ressemble plutôt à un boucher qu'à un joyeux forestier. Je ne puis croire que ce visage de pendard appartienne à quelqu'un qui connaisse les nobles règles de la vénerie.

– Ah! mon jeune ami, mon compère n'a pas la figure prévenante à la première vue, et cependant aucun de ceux qui ont eu affaire à lui n'a jamais été s'en plaindre.

Quentin Durward trouva quelque chose de singulier et de désagréablement expressif dans le ton dont ces derniers mots avaient été prononcés, et levant tout à coup les yeux sur son compagnon, il crut voir sur sa physionomie, dans le sourire qui crispait ses lèvres, et dans le clignement de son œil noir et plein de vivacité, de quoi justifier la surprise qu'il éprouvait.

– J'ai entendu parler de voleurs, de brigands, de coupe-jarrets, pensa-t-il en lui-même; ne serait-il pas possible, que le drôle qui est en avant fut un assassin, et que celui-ci fut chargé de lui amener sa proie dans un endroit convenable? Je me tiendrai sur mes gardes, et ils n'auront guère de moi que de bons horions écossais.

Tandis qu'il réfléchissait ainsi, ils arrivèrent à une clairière où les grands arbres de la forêt étaient plus écartés les uns des autres. La terre, nettoyée des buissons et des broussailles, y était couverte d'un tapis de la plus riche verdure, qui, protégée par les grands arbres contre l'ardeur brûlante du soleil, était plus fraîche et plus belle qu'on ne la trouve généralement en France. Les arbres, en cet endroit retiré, étaient principalement des bouleaux et des ormes gigantesques qui s'élevaient comme des montagnes de feuilles. Au milieu de ces superbes enfans de la terre, dans l'endroit le plus découvert, s'élevait une humble chapelle près de laquelle coulait un petit ruisseau. L'architecture en était simple et même grossière. À quelques pas, on voyait une cabane pour l'ermite ou le prêtre qui se consacrait au service de l'autel dans ce lieu solitaire. Dans une niche pratiquée au-dessus de la porte, une petite statue représentait saint Hubert, avec un cor passé autour du cou, et deux lévriers à ses pieds. La situation de cette chapelle, au milieu d'un parc rempli de gibier, avait fait naître naturellement l'idée de la dédier au saint qui est le patron des chasseurs.

Le vieillard, suivi du jeune Durward, dirigea ses pas vers ce petit édifice consacré par la religion; et comme il s'en approchait, le prêtre, revêtu de ses ornemens sacerdotaux, sortit de sa cellule et entra dans la chapelle, probablement pour y exercer son saint ministère. Durward s'inclina profondément devant lui, par respect pour son caractère sacré; mais son compagnon porta plus loin la dévotion, et mit un genou en terre pour recevoir la bénédiction du saint homme. Il le suivit dans l'église à pas lents, et d'un air qui exprimait la contrition et l'humilité la plus sincère.

L'intérieur de la chapelle était orné de manière à rappeler les occupations auxquelles s'était livré le saint patron quand il était sur terre. Les plus riches dépouilles des animaux qu'on poursuit à la chasse dans différens pays tenaient lieu de tapisserie et de tenture autour de l'autel et dans toute l'église. On y voyait suspendus, le long des murs, des cors, des arcs, des carquois, mêlés avec des têtes de cerfs, de loups et d'autres animaux; en un mot, tous les ornemens avaient un caractère forestier. La messe même y répondit, car elle fut très-courte, étant ce qu'on appelait une messe de chasse, telle qu'on la célébrait, devant les nobles et les grands qui, en assistant à cette solennité, étaient ordinairement impatiens de pouvoir se livrer à leur amusement favori. Pendant cette courte cérémonie, le compagnon de Durward parut y donner l'attention la plus entière et la plus scrupuleuse, tandis que le jeune Écossais, n'étant pas tout-à-fait aussi occupé de pensées religieuses, ne pouvait s'empêcher de se reprocher intérieurement d'avoir pu concevoir des soupçons injurieux contre un homme qui paraissait si humble et si dévot. Bien loin de le regarder alors comme associé et complice de brigands, il était presque tenté de le prendre pour un saint.

Quand la messe fut finie, ils sortirent ensemble de la chapelle, et l'inconnu dît à Durward: – Nous sommes maintenant à peu de distance du village, et vous pouvez rompre le jeûne en toute sûreté de conscience. Suivez-moi.

Tournant sur la droite, et prenant un chemin qui montait graduellement, il recommanda à son compagnon d'avoir grand soin de ne pas s'écarter du sentier, et d'en garder le milieu autant qu'il le pourrait.

Durward lui demanda pourquoi il lui recommandait cette précaution.

– C'est que nous sommes près de la cour, jeune homme; et, Pâques-Dieu! on ne marche pas, dans cette région comme sur vos montagnes couvertes de bruyères. À l'exception du sentier que nous suivons, chaque toise de terrain est rendue dangereuse et presque impraticable par des pièges et des trappes armées de faux qui tranchent les membres du voyageur imprudent, comme la serpette du jardinier coupe une branche d'aubépine. Des pointes de fer vous traverseraient les pieds, et il y a des fosses assez profondes pour vous y ensevelir à jamais. Vous êtes maintenant dans l'enceinte du domaine royal, et nous allons voir tout à l'heure la façade du château.

– Si j'étais le roi de France, je ne me donnerais pas tant de peine pour placer autour de ma demeure des pièges et des trappes. Au lieu de cela, je tâcherais de gouverner si bien, que personne n'oserait en approcher avec de mauvaises intentions; et quant à ceux qui y viendraient avec des sentimens de paix et d'affection, plus le nombre en serait grand, plus j'en serais charmé.

Le compagnon de l'Écossais regard autour de lui d'un air alarmé, et lui dit: – Silence, sire varlet au sac de velours, silence! car j'ai oublié de vous dire que les feuilles de ces arbres ont des oreilles, et qu'elles rapportent dans le cabinet du roi tout ce qu'elles entendent.

– Je m'en inquiète fort peu, répondit Quentin Durward; j'ai dans la bouche une langue écossaise, et elle est assez hardie pour dire ce que je pense en face du roi Louis: que Dieu le protège! Et quant aux oreilles dont vous parlez, si je les voyais sur une tête humaine, je les abattrais avec mon couteau de chasse.

25

Sic. (Note du correcteur – ELG.)

Quentin Durward

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