Читать книгу Histoire des salons de Paris. Tome 1 - Abrantès Laure Junot duchesse d' - Страница 2

SALON DE MADAME NECKER.
1787

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Dans une pièce vaste et bien éclairée, dont les fenêtres donnaient sur un jardin, étaient plusieurs personnes autour d'une femme encore assez jeune, grande, élancée, et d'une pâleur qui révélait un état de souffrance habituel. Un mouvement nerveux paraissait agiter tous ses traits, et particulièrement sa bouche, lorsqu'elle gardait le silence. Elle était belle pourtant, si l'on pouvait l'être avec cette pâleur de mort qui couvrait son visage, et dont le regard éternel de ses yeux confirmait la triste vérité. Cette femme, en ce moment, racontait une anecdote à trois ou quatre personnes, qui paraissaient l'écouter avec une grande attention, et cela n'était pas extraordinaire, car cette femme était madame Necker. Le salon où elle se trouvait était celui du contrôle-général. M. Necker avait été nommé au moment où l'ardeur animait chacun pour ramener le calme, ne fût-ce même que pour l'apparence. À peine le retour de M. et madame Necker avait-il été connu, que leurs nombreux amis étaient accourus pour les revoir et leur dire toute la joie qu'on éprouvait de ce retour dans Paris et dans toute la France. Madame Necker souriait doucement en regardant M. Necker, qui, de son côté, renvoyant une partie de ce bonheur à sa femme et à sa fille, voyait doubler pour lui les jouissances de l'amour-propre par celles du cœur.

Madame Necker avait naturellement un son de voix très-grave, mais aussi parfaitement doux; avantage de femme que n'avait pas madame de Staël, dont la voix était belle, et même pleinement sonore, mais nullement harmonieuse. Quant à madame Necker, son état de maladie rendait son timbre encore plus doux.

– Madame, vous alliez nous dire une histoire de M. de Malesherbes au moment où M. de La Harpe est entré, lui dit le baron de Nédonchel40; voulez-vous ne pas nous priver de cette bonne chose? Qu'est-ce que M. de Malesherbes pouvait avoir de si curieux à montrer à madame de Pons, lui qui ne trouve rien d'extraordinaire, lui montrerait-on la tour de porcelaine de Pékin?

Madame Necker sourit.

– En effet, il s'étonne difficilement, lui qui aime tant à étonner les autres; mais ici la chose n'est pas ce que vous pourriez croire; voici le fait: M. de Malesherbes dit à madame de Pons: J'ai dans mon jardin un cèdre du Liban! – Ah! mon Dieu, dit-elle, que cela doit être beau, un cèdre du Liban!.. allons le voir. Elle cherchait dans les nues, tandis que M. de Malesherbes, qui a la vue basse, comme vous savez, et qui est même myope, cherchait à ses pieds. Enfin il tombe par terre, et touchant ce qu'il cherchait de l'œil et de la main: Le voilà, le voilà! – Quoi donc? – Eh! le cèdre – Et où cela? —

C'était un arbrisseau à deux lignes de terre!

Vous jugez des rires de madame de Pons.

– Y a-t-il longtemps qu'il n'a fait quelque belle surprise, opéré quelque magique étonnement? demanda quelqu'un à M. Suard.

– Je ne sais; mais il est à remarquer que cette manie qui lui donne un amusement, au reste bien innocent, ne nuisant à personne, n'a encore amené que des résultats heureux, et n'a produit aucun résultat fâcheux, pour lui au moins: pour les autres, je n'en dirai pas autant, et malheur à l'honnête homme si le coquin a offensé M. de Malesherbes!..

Dernièrement il était à Melun et voulait aller à Vaux. Ses chevaux étant fatigués, il les laisse à l'auberge et part à pied pour Vaux. Il faisait à son départ un temps superbe; mais à peine à moitié chemin, le ciel se couvre, et la pluie tombe fortement. M. de Malesherbes fut contrarié; mais il se résigna, et se mit sous un arbre pour s'abriter, car il n'avait pas même de parapluie. Enfin l'orage, car c'était plus qu'un grain, continuant toujours, il se détermina à gagner le château en recevant toute la pluie. À peine fut-il sur le chemin, qu'un paysan déboucha d'un des grands sentiers qui bordent la route, dans une petite carriole couverte d'une toile verte, et fort bonne en apparence, surtout pour un homme qui recevait pleinement l'orage sur une assez mauvaise redingote de bouracan fort légère. – Voulez-vous me donner une place à côté de vous, mon ami? demanda M. de Malesherbes au paysan; je vous donnerai pour boire.

Le paysan regarda M. de Malesherbes, et loin de se déranger pour lui faire place, il se mit au contraire plus en avant, et dit à monsieur le premier président, en regardant alternativement lui et sa redingote:

– Bah, c'est bien la peine!.. le temps va s'éclaircir!.. et vous êtes, ma foi, bien couvert!.. Ce n'est pas comme cet homme-là.

Et il lui montrait un paysan qui travaillait aux vignes et n'avait que sa chemise.

– Mais il est jeune et je suis vieux, dit M. de Malesherbes avec une sorte d'expression, pour attendrir le méchant homme…

– Vieux!.. mais pas trop!.. Quel âge avez-vous ben?..

– Soixante ans, vienne la Saint-Jean, c'est-à-dire dans huit jours…

– Ah! ah! dit le paysan, fouettant toujours sa bête et trottant à côté du pauvre piéton qu'il éclaboussait de son mieux… – La patience de M. de Malesherbes est connue dans ces sortes d'aventures; mais celle-ci commençait à l'ennuyer, parce que le remède était aussi par trop près de lui. – Savez-vous si nous sommes encore loin du château, demanda-t-il au paysan?..

– Oh! monsieur… le voilà tout à l'heure! est-ce que vous y allez?..

M. de Malesherbes fit un signe affirmatif…

– Et moi aussi… j'y vais pour des affaires.

Il dit ce mot d'affaires avec un ronflement dans la voix qui annonçait le maître de plusieurs gros sacs d'écus!..

– Et quelles sont vos affaires?.. Peut-on vous le demander, si cela peut se dire?

– Oh! mon Dieu, oui!.. Je suis fermier de monseigneur, je tiens la ferme des Trois-Moulins… ici près… là tout au bord de l'eau… de beaux prés, ma foi… et si beaux qu'ils tentent tout le monde!.. J'ai un voisin, Mathurin le pêcheur, qui veut me prendre un de mes prés… J'ai plaidé… mais bah! il plaide aussi! et je ne sais pas comment il s'arrange, je suis toujours condamné à quelque chose;… ça n'est pas juste!.. Enfin, on m'a dit comme ça que monsieur le premier président venait aujourd'hui par ici, et j'ai attelé ma jument, et me v'là… Je demanderai à monseigneur de me recommander à lui, et si je n'ai pas tout-à-fait tort, il me donnera raison… Avec des protections, la justice marche toujours.

Monsieur de Malesherbes ne riait plus… – Pourquoi dites-vous cela? Avez-vous donc des juges dans ce canton qu'on fait marcher avec de l'argent?.. demanda-t-il au paysan d'une voix sévère.

Le paysan se mit à rire de ce rire malin et bête qui ne dit ni oui ni non. M. de Malesherbes répéta sa question.

– Je n'ai pas dit cela, dit le rustre pressé par son nouvel ami, mais je le crois…

Cependant la pluie redoublait de violence; le paysan regarda le vieillard, qui marchait avec peine dans le sentier couvert d'une terre glaise glissante;… il fit un faux pas… et faillit tomber… Le paysan se mit à rire…

– On voit ben que vous n'êtes pas habitué à marcher dans nos chemins… ça vous accoutumera…

Et il se mit encore à rire… En ce moment ils arrivaient au château… Le paysan entra au trot de sa jument dans la première cour, où il fut obligé de s'arrêter. M. de Malesherbes doubla le pas et gagna le château, où il fut reçu, comme vous pouvez le penser, avec la joie qu'il inspire toujours, mais sans étonnement, parce que ces aventures-là lui sont familières… Il dit son histoire avec le paysan et pria le duc de Praslin de le faire venir après le dîner pour qu'il parlât au premier président… En me racontant toutes ces scènes ce matin, ajouta M. Suard, je vous jure qu'il était plus amusant et plus extraordinaire que jamais dans les effets qu'il produit… Mais il s'est surpassé dans la description de l'étonnement du paysan en reconnaissant dans le premier président son voyageur qui glissait et se mouillait sur le chemin humide et crotté de Melun au château!.. Sa détresse, en regardant les éclaboussures qu'avait faites sa malice sur la redingote de bouracan, était bien comiquement rendue par M. de Malesherbes…

– Et je suis sûre, dit madame Necker, qu'il a promis à l'homme de lui faire rendre justice s'il y a lieu?

– Vous en êtes assurée… Quand on le connaît comme nous, on en est sûr d'avance.

– Eh bien! voilà la confirmation de ce que je disais tout à l'heure: un homme qui aura été malhonnête envers un vieillard, un méchant homme enfin, va être plus favorisé que ce Mathurin le pêcheur, qui est peut-être un honnête homme. Je ne comprends pas beaucoup, je l'avoue, la morale de M. de Malesherbes. Je le lui ai déjà dit plusieurs fois et le lui dirai encore… Car enfin, rappelez-vous toutes les aventures qui lui sont arrivées; elles sont plus ou moins désagréables, mais elles le sont souvent pour lui en résultat… Et malgré cela c'est presque toujours une récompense qui est donnée à l'homme impertinent qui aura manqué de respect à un vieillard… M. de Malesherbes est vraiment bien singulier41.

Un Valet de chambre annonçant

Madame la duchesse de Lauzun42, madame la princesse de Monaco!

Madame Necker alla au-devant d'elles, et les saluant avec une réserve douce, sans froideur, mais avec dignité, les conduisit à un grand canapé où les deux jeunes femmes s'assirent.

Madame la duchesse de Lauzun parut d'abord vouloir parler à madame Necker avec un empressement mêlé d'émotion; mais en voyant autant de monde, elle fut embarrassée.

– En vérité, madame, je ne sais comment vous exprimer ma gratitude! M. le maréchal voulait venir avec moi, mais il est goutteux et souffrant, vous le savez… je suis donc venue seule, mais bien pénétrée, madame, de vos bontés pour moi.»

MADAME NECKER, avec un accent plus affectueux qu'habituellement

Je vous assure qu'en faisant ce portrait, je pensais tout ce que j'écrivais, et que rien n'y est exagéré. Tout est vous-même… et si ces messieurs veulent éprouver un double plaisir, ils écouteront M. de La Harpe, qui lit si merveilleusement bien… et qui voudra bien nous dire ce qui se trouve dans ce cahier.

(M. de la Harpe s'incline.)

Tous les Hommes, avec empressement

Ah! oui! oui!.. madame la duchesse, permettez-le.

LA DUCHESSE DE LAUZUN, très-embarrassée, se penchant vers madame Necker, lui dit très-bas:

Madame, je vous en conjure… ne lisez pas devant madame de Monaco!.. elle, si belle, si charmante!.. ah! ne me faites pas faire sans le vouloir une chose qui pourrait paraître de ma part une étrange preuve d'orgueil, et surtout de prétention si peu fondée!..

MADAME NECKER la regarde quelques instants en silence, puis elle dit à M. de La Harpe:

Aussi bonne que belle!..

LA PRINCESSE DE MONACO, qui causait avec le marquis de Chastellux, se levant

Ah ça! si je comprends toute l'agitation qui est autour de moi, je crois qu'il est question de lire un portrait de madame de Lauzun!.. Je ne sais pas si M. de La Harpe est susceptible?.. ajouta-t-elle en se tournant vers lui avec un de ses plus charmants sourires.

M. DE LA HARPE

Madame la princesse veut-elle me dire en quoi j'ai à me soumettre à ses commandements?

LA PRINCESSE DE MONACO, étendant la main vers lui

En me donnant ce rouleau de papier pour que je lise moi-même ce que madame Necker a écrit et ce que nous pensons tous.

MADAME NECKER, allant à elle, la baise au front. La princesse s'incline, et dans ce mouvement plein de grâce, sa belle tête blonde 43 se penche, et le chignon poudré et flottant se sépare et répand une odeur embaumée dans la chambre

Vous êtes aussi une ravissante femme, dit madame Necker, toujours avec cette réserve qui ne la quittait jamais, mais à laquelle se mêlait une vive émotion… Elle prit les deux jeunes femmes presque dans ses bras, et les regardant toutes deux:

– Eh bien! il sera fait comme l'a dit la souveraine des suaves odeurs… nous ne sommes qu'avec des amis! eh bien! qu'une jolie femme prononce l'éloge d'une autre.

On se plaça autour d'une grande table ronde, recouverte d'un tapis de velours vert bordé d'une frange d'or; sur cette table était un flambeau d'argent à douze branches surmonté d'un abat-jour; autour de la table se rangèrent M. de La Harpe, M. de Chastellux, M. Suard, l'abbé Morellet, l'abbé Galiani, M. de Saint-Lambert, M. de Florian, M. Gibbon, M. de Chabanon et M. Moultou, etc. etc. À côté de madame Necker toujours debout, mais toutes deux assises, étaient les deux jeunes femmes, mises à la mode du temps; elles portaient un pierrot en pékin rayé avec un grand fichu en gaze de Chambéry, bordé d'une magnifique blonde… Le pierrot de madame de Lauzun était de pékin puce rayé, couleur sur couleur, d'une large raie satinée, et garni d'une ruche découpée; sur sa tête était un petit chapeau de satin rose, avec un bouquet de plumes également roses, posé sur le côté. Madame de Monaco était en cheveux, n'ayant que ce qu'on appelait alors un œil de poudre; elle était habillée d'une étoffe vert clair parsemée de petites roses…

Au moment où l'on allait commencer la lecture du portrait, on annonce:

M. le comte de Buffon, M. de Marmontel!..

MADAME NECKER, allant vivement à M. de Buffon

Eh quoi! c'est vous!.. et si tard!..

M. LE COMTE DE BUFFON, après lui avoir baisé la main

Il n'est jamais tard pour venir à vous, car pour une si douce chose que celle de vous voir, on est toujours prêt!.. (Il s'incline très-bas devant les deux jeunes femmes.) Madame la princesse de Monaco, veut-elle bien recevoir mon hommage44?

(Il s'approche de madame de Lauzun, qu'il connaît davantage, et lui prend la main, qu'il baise, toujours en s'inclinant profondément.)

MADAME NECKER

J'espère, Marmontel, que vous n'aurez pas permis au comte de faire une trop longue course à pied?

M. DE MARMONTEL

Traverser les Tuileries seulement, madame.

MADAME NECKER

C'est encore beaucoup.

M. DE BUFFON

Lorsque les vieillards ne marchent pas, ils perdent l'usage de leurs jambes…

MADAME NECKER

Mais n'en est-il pas de même de leurs facultés? Voyez Voltaire! s'il n'avait pas toujours écrit, il n'aurait pas produit aussi tard ni aussi bien.

MARMONTEL

Ah! aussi bien!

(M. de Buffon sourit sans parler.)

M. DE LA HARPE

Mais…

MARMONTEL

Mon cher La Harpe, vous ne pouvez, avec toute votre amitié pour M. de Voltaire, lui reconnaître du talent dans ses derniers jours45.

M. DE BUFFON, d'une voix égale et douce

Messieurs, messieurs, point de discussion sur le génie du grand homme46!

MADAME NECKER

Et notre éloge?

LA DUCHESSE DE LAUZUN, d'un ton caressant

Pas aujourd'hui…

MADAME NECKER

Et moi, comme auteur, et comme maîtresse de maison, j'ordonne ici… et je veux que vous entendiez votre amie vous louer comme vous devez l'être.

LA PRINCESSE DE MONACO

Je suis prête!..

(Au moment où elle va commencer, une porte s'ouvre à côté de la cheminée; un homme sans chapeau et vêtu d'un habit noir sort par cette porte, suivi d'une jeune femme, dont la tournure est étrange et dont l'aspect présente celui de la force et de la santé. Cet homme était M. Necker, alors contrôleur-général de France, et la jeune personne était Germaine Necker, femme du baron de Staël, ambassadeur de Suède. À la vue du contrôleur-général, tout le monde se leva, et madame Necker s'avança vers son mari avec le respect qu'elle lui témoignait en toutes circonstances. M. Necker prit la main de sa femme et la lui serra avec tendresse. C'était un spectacle à la fois touchant et respectable que la vue de cet intérieur. Madame de Staël s'avança vers sa mère, qui l'accueillit froidement, quoiqu'elle l'aimât; mais leurs natures ne se ressemblaient pas assez.)

M. Necker avait à cette époque de sa vie quarante-cinq ans: sa taille était haute, sans être très-grande, mais il avait un art particulier de porter sa tête et d'ajouter à la hauteur de sa personne; son front, quoique élevé, avait une singulière particularité; il y avait de la femme47 en lui; ni angles, ni nœuds, ni de ces pattes d'oie48 qui vieillissent avant le temps les visages qui les ont; son œil était admirable; il y avait dans son regard une douceur infinie, et puis une activité d'âme tempérée par la sagesse, fruit de ses longues études et d'une connaissance intime du cœur humain, qui lui donnaient une gravité douce échappant aux calculs matériels de la terre, et n'étant pas étrangère à ce monde invisible dont nous faisons partie sans pouvoir le comprendre. Dans ce regard attentif, on trouvait, dit Lavater, la force de combinaison plus peut-être que la force créatrice… son teint était d'un jaune pâle, ainsi que tous les hommes qui travaillent beaucoup. Sa bouche avait une ligne surtout très-remarquable, aiguë, sans dureté, qui permettait aux lèvres de sourire avec grâce; c'était encore, comme sur son front et dans son regard, une beauté, ou plutôt un agrément de la femme qui existait dans sa conformation. Son menton était peut-être un peu long et replet, mais non pas comme le serait un menton d'homme éminemment gourmand. Il y avait en général dans tous ses traits une grande harmonie, et il ne pouvait se mouvoir sans se placer dans une attitude qui lui seyait.

Son nez n'avait aucune forme particulière: il n'était ni aquilin, ni grossièrement taillé, quoique fort, mais il était ce qu'il fallait pour rendre cette physionomie imposante par tout ce qu'elle exprimait en repos. Une qualité à lui particulière, c'était la grâce simple, chose si difficile à acquérir quand la nature ne vous l'a pas donnée, qu'il mettait à accueillir les étrangers qu'on lui présentait et les personnes qu'il connaissait et qu'il trouvait chez madame Necker en sortant de son travail. Il mettait à l'aise dans le salon où l'on était avec lui, et malgré ce qu'on a dit à Paris de la raideur de madame Necker, je tiens de plusieurs personnes dignes de foi qu'elle et lui faisaient à ravir les honneurs de chez eux. Quant à madame de Staël, elle était déjà à cette époque si bruyante et si démonstrative, qu'à côté d'elle une politesse ordinairement affable paraissait froide et sans couleur. Les jeunes personnes n'avaient alors rien de ce mouvement perpétuel qui l'agitait, et qui depuis s'est au reste fort calmé; mais nous avons pu juger de ce qu'il était lorsqu'elle avait quinze ans, et cela devait être étrange.

Lorsque M. Necker fut assis et que sa fille eut pris sa place à côté de lui, comme si elle eût cherché un appui, il se tourna vers la duchesse de Lauzun, qu'il connaissait mieux que la princesse de Monaco, et lui dit en souriant: – Est-ce qu'Émilie a reçu un portrait qu'on m'a fait voir, mais que je ne connais pas entièrement?

LA PRINCESSE DE MONACO

Nous en sommes là précisément, monsieur! Madame de Lauzun prétend qu'elle ne veut pas qu'on lise son éloge devant elle; moi je prétends qu'il y a de la vanité là-dedans.

M. NECKER, riant doucement, et à madame de Lauzun

Mais savez-vous que cela y ressemblerait un peu? Vous! vous! de la coquetterie!

LA DUCHESSE DE LAUZUN

J'avoue que cela m'émeut de penser qu'on s'occupera de moi exclusivement pendant tout un quart d'heure, et je suis sûre que madame de Monaco est comme moi.

LA PRINCESSE DE MONACO, souriant

C'est selon!.. mais allons, nous perdons un temps qui serait bien mieux employé.

(Elle se place dans le vrai jour, et commence à lire.)

«Pour connaître la nature humaine dans tout l'éclat dont elle est susceptible, et pour qu'elle nous inspire à la fois autant d'admiration que d'intérêt, il faut se représenter, sous les traits d'une jeune personne, l'union véritablement divine de la sagesse et de la beauté.

«Quand je considérais dans mon esprit l'accord touchant et sublime de ces deux perfections, quand je me blâmais ensuite de m'occuper trop exclusivement d'un prodige sans vraisemblance, je le vis se réaliser à mes yeux; je vis Émilie49.

«Qui connut cette femme charmante et ne ressentit aussitôt les douces émotions de l'amour et de l'amitié? Ses grâces naïves pourraient inspirer, je l'avoue, des sentiments trop passionnés, s'ils n'étaient réprimés par la noble décence de ses regards, et par l'expression céleste de sa physionomie; car c'est ainsi qu'Émilie en impose50, sans le savoir, et qu'elle ne fait jamais naître que des sentiments dignes d'elle51.

«Heureuses les femmes qui ont su longtemps cacher leur mérite par la simplicité et la modestie, et qui ont appris leur secret au public avant de le savoir elles-mêmes! Heureuses celles qui ont su se faire aimer avant de faire naître l'envie, et qui ont jugé de bonne heure que l'exemple donné en silence est le plus utile de tous!.. Émilie fait rarement l'éloge de la vertu; car elle entrevoit sans s'en douter que ce serait parler d'elle. Elle craint les regards, les distinctions; elle ne peut suivre la route commune et ne veut point paraître s'en écarter.

«La grande considération dont jouit Émilie dans un âge aussi peu avancé n'est pas due à la seule vertu; car on trouve des femmes très-honnêtes et qui remplissent bien des devoirs austères, sans qu'elles aient obtenu cette fleur de réputation que possède Émilie… C'est donc à une âme à elle, dont sa physionomie est l'image, qu'elle doit l'estime et les égards dont elle est entourée. Les femmes qui veulent captiver l'opinion cherchent à s'insinuer dans tous les esprits par des propos flatteurs, par des attentions de tous les genres. Émilie, au contraire, n'a jamais montré aux indifférents d'autres sentiments que celui de la bienveillance, et néanmoins elle a réuni tous les suffrages52, comme les corps célestes qui, paraissant rester toujours dans la même place, attirent cependant tous les autres autour d'eux, sans mouvement et sans effort.

«Cette âme tendre, qui vit au milieu du monde, et comme le monde, semble transformer en actions vertueuses toutes les actions indifférentes, et se trouver, ainsi que Mornay, au milieu des combats, non pour y prendre part, mais pour garantir la vertu, ce maître qu'elle s'est choisi, des coups qu'on veut lui porter. Ce caractère, d'une vertu simple et sans éclat, est le plus rare de tous; car, en général, les femmes ressemblent à ces soldats qui s'étourdissent par leurs propres cris quand ils marchent à la victoire.

«L'éducation d'Émilie ressemble à la législation de certains peuples qui ne traitait que des fautes légères, pour ne pas donner l'idée des grands crimes: aussi se trouble-t-elle par la crainte de la moindre omission; aussi rougit-elle dès qu'on la regarde53, et rougit-elle de s'être aperçue encore qu'on la regardait. Émilie connaissait bien mieux que personne l'importance des petites choses dans l'exercice de ses devoirs, et rien de ce qui peut contribuer au bonheur des autres, ou augmenter leur affection, ne lui paraît à dédaigner. C'est par un enchaînement de moyens très-délicats, connus ou plutôt devinés par les âmes sensibles, et qu'il leur est plus aisé de pratiquer que d'exprimer; c'est par une constance à toute épreuve qu'Émilie s'est frayé une route vers le bonheur, à travers les circonstances les plus difficiles et les plus cruelles. Pourquoi ne nous est-il pas permis de montrer, dans toutes les situations de sa vie, ce modèle de perfection où les femmes peuvent atteindre, et dérouler toutes les circonstances de cette apparition de la vertu sur notre terre abandonnée?..

«La religion d'Émilie est une raison éclairée. Elle ne la montre pas par accès, mais par une suite d'actions qui ont entre elles un rapport constant et dérivent toujours des mêmes principes.

«Ô vous! ange protecteur à qui le Ciel a confié les jours et les vertus de ma chère Émilie, ange qui suivez ses pas au milieu des dangers dont elle est environnée…»

Un Valet de chambre, annonçant

Madame la comtesse de Blot54!

LA DUCHESSE DE LAUZUN, rapidement et à voix basse à M. Necker, tandis que madame Necker va au-devant de madame de Blot

Je vous en conjure, monsieur, je vous supplie de ne pas faire continuer la lecture devant madame de Blot.

M. NECKER

Pourquoi cela? elle est de nos amies. C'est une femme d'esprit, parfaitement agréable, et bien faite, je vous l'assure, pour sentir tout ce que vous valez… Je voudrais, au contraire, que l'on recommençât la lecture pour elle, et si vous étiez complaisante, autant que bonne et charmante, vous nous en laisseriez prendre la licence.

LA DUCHESSE DE LAUZUN, rougissant et très-embarrassée

Je ne puis, monsieur, vous exprimer toute ma gratitude de la bonté avec laquelle madame Necker veut bien parler de moi; mais… je n'ai pas le courage de braver la censure de madame la comtesse de Blot.

M. NECKER, avec un sourire malin

Vous êtes prévenue contre madame de Blot, et cela est très-naturel. Je sais pourquoi!

LA DUCHESSE DE LAUZUN, vivement

Je n'ai nommé personne!

M. NECKER souriant encore

Oh! personne… positivement… non; mais… vous savez que le regard est souvent plus éloquent que la parole même.

LA DUCHESSE DE LAUZUN, embarrassée

Je vous assure, monsieur, que…

M. NECKER, la regardant avec un intérêt marqué

Vous êtes un ange qui ne pouvez rien céler, et surtout qui ne sait rien céler!.. Au reste, la personne qui est en guerre avec madame de Blot est assez hostile envers madame Necker et envers moi pour que je craigne son influence sur vous!..

LA DUCHESSE DE LAUZUN, avec intérêt

Elle serait nulle, si elle voulait agir contre vous et madame Necker… Madame Necker!.. qui est pour moi, comme l'amie… la mère la plus tendre et la plus éclairée!..

M. NECKER, après avoir hésité un moment

Eh bien! alors, comment pouvez-vous entendre madame la comtesse de Genlis parler sur ma femme comme elle le fait?..

LA DUCHESSE DE LAUZUN, avec dignité et une sorte d'émotion

M. Necker, comment vous, qui jamais ne dites une parole légère, pouvez-vous m'en adresser qui me soient presque douloureuses?.. Moi! écouter, entendre dire quelque chose d'offensant sur madame Necker!.. Vous ne le croyez pas!.. Qui m'a accusée de cette faute?.. car vous ne pouvez m'en avoir soupçonné, vous!..

M. NECKER, lui prenant la main avec émotion

Pardon! pardon!.. mais vous connaissez cette histoire que fait courir madame de Genlis sur le compte de madame Necker?

LA DUCHESSE DE LAUZUN

Non!.. je n'ai rien appris! Qu'est-ce donc?

M. NECKER, souriant

Puisque vous l'ignorez, je ne vous l'apprendrai pas, oublions-le; l'oubli de ce qu'ils disent devrait être la vraie punition des méchants.

Un Valet de chambre, annonçant successivement

M. le comte de Creutz… M. Chénier… Lord Stormont… M. de Grimm… M. Damdhume… M. de Chabanon… Madame la comtesse de Brienne… Madame la comtesse de Châlons… Madame la comtesse de Tessé… M. le marquis de Castries… Madame la duchesse de Grammont… Madame la princesse de Poix… Madame la princesse de Beauvau… Madame la duchesse de Choiseul… Monsieur l'abbé Raynal, etc.

La conversation devint générale; mais, ainsi que le voulait madame Necker, elle était toujours dirigée par la maîtresse de la maison… Elle voulait aussi qu'aucune des personnes présentes ne sentît qu'elle était sous la dépendance de la présidente du salon… Il faut que le pouvoir agisse invisiblement, disait madame Necker55… Et cela n'était pas toujours…

Le moment, au reste, l'exigeait impérieusement. On était à cette époque où, après les notables, l'Assemblée Constituante se formait dans l'avenir, et cette association du tiers, que M. Necker espérait enfin faire adopter, causait déjà un mouvement général fort actif. Les amis de M. Necker lui étaient demeurés fidèles… mais cette fidélité subsisterait-elle toujours?.. il y avait une grande épreuve à soutenir… Le moment était critique, car le délire de la liberté américaine existait encore dans toute sa force, et cette liberté se voyait dans tout ce qui offrait un point d'opposition avec la Cour. M. Necker en était presque haï dans cet instant, et cette défaveur suffisait pour lui donner une faveur que peut-être, sans cela, il n'aurait pas eue en France, où tout ce qui fait réussir manquait à M. Necker, la grâce, la légèreté d'esprit, de cet esprit spécial à notre pays, qu'on ne comprend que lorsqu'on est né en France. Mademoiselle Necker aimait la discussion et la rendait animée, ce qui déplaisait à sa mère, surtout dans le moment où les affaires politiques demandaient un grand calme et beaucoup de circonspection. Madame Necker avait deux jours spécialement affectés pour recevoir… le lundi et le vendredi; le lundi était plus intime… La santé déplorable de madame Necker lui rendait, en général, ces jours-là fatigants, mais elle y était à côté de son mari… Elle le voyait, l'entendait, et pour elle, ce charme du cœur se répandait sur tout ce qui l'entourait. Pouvant difficilement s'asseoir, elle allait d'un groupe à l'autre, écoutait et revenait près de la cheminée, où bientôt elle était entourée à son tour, et M. Necker le premier était attentif à tout ce qu'elle disait, et recueillait avec une religieuse et scrupuleuse attention les anecdotes qu'elle racontait avec une grâce charmante. Il est faux qu'elle fût guindée

40

Je dirai, une fois pour toutes, que les histoires que je rapporte sont toutes véritables, ainsi que les noms des personnes que je cite.

41

Quelle que fût la bonté naturelle de madame Necker, on sait que M. de Malesherbes était l'ami le plus intime de M. Turgot, et presque, par cette raison, l'ennemi de M. Necker!.. M. de Malesherbes était ensuite plus qu'irréligieux; il était presque athée… et l'un des plus zélés philosophes, sorte de gens par leur nature peu aimés de madame Necker.

42

Petite-fille de la maréchale de Luxembourg. Voyez le ravissant portrait qu'en fait J. – J. Rousseau dans ses Confessions. C'est elle qu'il embrassa un jour sur l'escalier du château de Montmorency… ce qui le fit renvoyer du château. – Madame de Lauzun était un ange.

43

Mademoiselle de Stainville, femme du prince Joseph de Monaco, était une charmante personne; elle avait, à l'époque où elle se trouvait chez madame Necker, à peine dix-neuf ans. Ses cheveux blonds étaient les plus beaux du monde… Arrêtée d'abord en 93, elle obtint de rester chez elle avec des gardes; elle s'échappa et sortit de Paris… Elle erra plusieurs mois dans la campagne… Enfin, sa malheureuse destinée lui inspira la volonté de rentrer dans Paris… Elle fut arrêtée de nouveau, et cette fois condamnée à mort!.. La malheureuse jeune femme écrivit à ce monstre à face humaine, à Fouquier-Tinville, en lui disant qu'elle était enceinte, espérant par cet innocent mensonge sauver sa vie… Le tigre ordonna le supplice… La veille de sa mort… la princesse de Monaco voulant laisser à ses deux filles un souvenir parlant de cette heure cruelle, coupa ses magnifiques cheveux blonds et les leur envoya. Comme on lui refusait des ciseaux, et qu'elle n'avait aucun instrument tranchant, elle cassa un carreau de vitre dont elle se servit!.. Au moment d'aller à l'échafaud, elle craignit de paraître pâle et demanda du rouge.

– Si j'ai peur, dit-elle avec ce doux sourire d'ange qui était un des charmes puissants de son visage, que ces misérables n'en voient rien… Elle périt la veille de la mort de Robespierre, le 8 thermidor!..

Les deux filles qu'a laissées madame la princesse de Monaco sont madame la marquise de Louvois et madame la comtesse de La Tour-du-Pin.

Le fait de l'éloge de madame de Lauzun, lu par madame de Monaco, est exact; il se passa, comme je le rapporte, chez madame Necker.

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M. de Buffon, né le 7 septembre 1707, avait alors quatre-vingts ans; il mourut à Paris l'année suivante 1788, le 16 avril.

C'est encore une réputation trop exhaussée; quand on voit sur le piédestal de sa statue que son génie égale la majesté de la nature, on se demande quelle louange ou donnera au vrai naturaliste qui soulèvera le voile de la nature et nous révèlera ses secrets. M. de Buffon a révélé seulement le secret d'écrire en prose avec tout le charme et la pompe de la poésie; mais pour être un brillant écrivain, on n'est pas un illustre savant, un homme nécessaire à la science spéciale de l'histoire naturelle. Je dirai plus, on peut lui faire à cet égard même de très-grands reproches. Ses tableaux sont ravissants, mais souvent hypothétiques. C'est une faute, une grande faute; Voltaire l'a bien senti, Condorcet également; Linnée, son contemporain, Linnée, qui fut maltraité par M. de Buffon, Linnée aura peut-être une place dans la postérité que le temps ne lui ravira jamais. Il a attaché son nom à des classifications jusque-là incertaines, et le beau système de M. de Jussieu a même respecté Linnée dans beaucoup de parties. Quant à M. de Buffon, il faut, en faisant son éloge, parler en même temps de Guéneau de Montbeillard, élégant écrivain, et de l'abbé Bexon, pour l'histoire des oiseaux; de M. Daubenton pour la partie anatomique des quadrupèdes, ainsi que de Mertrud; et enfin, pour l'histoire des serpents et des poissons, de M. de Lacépède, dont le talent ressemble tant à celui de M. de Buffon, en ce qu'il montre plus de brillant et de coloris que de profondeur.

Aristote avait posé les premiers fondements de la zoologie; Pline mêla le vrai et le faux, le ridicule et le sublime, accueillant toutes les versions, mais racontant admirablement ce que lui-même voyait; puis vinrent ensuite Gessner (Conrad), Aldrovande, et plus tard Césalpin, Agricola, Jean Rai. Tous ces esprits, cherchant la lumière, avaient préparé les voies, et lorsque M. de Buffon fut transporté au Jardin du Roi, au milieu de ces trésors dont la profusion étonnait même la science, il n'y vint pas seul, et n'y travailla jamais sans aide172.

M. de Buffon est de Montbard; les détails de sa vie habituelle me sont aussi familiers que ceux d'un de mes parents les plus proches. Je sais donc de lui des traits qui repoussent le génie. Cette manie de n'écrire qu'habillé ou tout au moins poudré, et en jabot de dentelle… c'est pitoyable, et cela révèle un talent lorsqu'on y ajoute ce mot:

Le génie, c'est l'aptitude à la patience.

Avec ce système, le génie devrait être bien plus fréquent, tandis qu'il est bien rare!.. Je crois au contraire que le génie, c'est la conception instantanée et surtout rapide de ce qui s'offre à nous. Cette pensée est viable ou elle ne l'est pas. Le moule dans lequel elle fut jetée ne vous la rendra pas. Voilà du moins comment je comprends le génie. Il fut créateur, mais créateur comme la Divinité. Dieu n'a ni repentir ni calcul; ce qu'il produit est parfait. Le génie!.. oh! quel abus on a fait de ce grand nom! Le génie!.. ce mot a été souillé… et maintenant il faudrait un autre mot pour désigner cette émanation de Dieu, cette parcelle du feu qui brûle devant son trône!.. Quel abus nous avons fait et nous faisons encore des mots!!!

M. de Buffon n'aimait pas Linnée: cela devait être; mais pourquoi le laisser voir?.. Linnée reçut longtemps les attaques peu courtoises de M. de Buffon sans lui répondre; cependant le savant de la Suède pensa que le silence était une approbation tacite, et il répondit; mais savez-vous comment? Le fait est assez peu connu.

Un jour, en parcourant les bruyères, les vallées et les lacs de sa province glacée, il trouva dans ses courses une plante fort ordinaire, laide et désagréable à voir, et même à étudier. Elle est de la famille des cariophyllées173; elle ne croît que dans des terrains arides et incultes. Les magiciennes de la Thessalie l'employaient dans leurs enchantements, et dans presque toutes ses touffes on est sûr de trouver un crapaud, parce qu'ils aiment cette plante; lorsque Linnée la trouva, elle était inconnue comme classification; il la plaça avec celles de sa parenté, et la baptisa du nom de BUFFONIA. Ce fut la seule vengeance qu'il tira de M. de Buffon, qui avait été fort mal pour lui.

Cette nature morale et cette nature physique s'alliant ensemble pour une passion humaine des plus basses, la vengeance, m'a toujours paru un texte bien remarquable à commenter!..

M. de Buffon était parfaitement aimable lorsqu'il était avec des personnes auxquelles il voulait plaire. Ses manières et son ton, tout en lui formait ce qu'on appelait alors un homme parfaitement aimable comme un homme du monde… Il avait ces formes non-seulement polies, mais complètement inconnues maintenant, et qui paraîtraient une sorte de caricature des manières d'aujourd'hui… M. de Buffon avait une belle tête de vieillard, et sa tournure avait de la distinction. Son père était conseiller au parlement de Dijon (Benjamin Leclerc).

Un fait que je tiens de mon oncle l'évêque de Metz, c'est que J. – J. Rousseau, passant par Montbard, voulut voir M. de Buffon; il était absent. Jean-Jacques se fit conduire chez lui, et là ayant demandé à être introduit dans le cabinet où travaillait M. de Buffon, Jean-Jacques se prosterna et baisa le seuil de la porte. Mon oncle a été témoin du fait.

M. de Buffon mourut, à Paris, le 16 avril 1788; son fils périt sur l'échafaud, sans que son nom, dont la France devait être trop fière pour le souiller de sang, pût le préserver de la proscription des cannibales qui nous décimaient.

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M. de Voltaire était mort depuis neuf ans (1778).

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On sait qu'ils se détestaient; mais il y avait un raccommodage reblanchi, comme l'écrivait Voltaire au cardinal de Bernis.

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C'est le mot de Lavater.

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On appelle ainsi un rayon de petites rides qui se placent au coin de l'œil, entre l'œil et la tempe.

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Je n'ai transcrit ici qu'une partie de ce charmant éloge de madame de Lauzun, écrit par madame Necker.

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Il est étonnant que madame Necker fasse la faute toutes les fois qu'elle se présente.

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Comme ce portrait ressemble à madame Récamier!

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Quel inconcevable rapport entre ce portrait et celui qui serait fait pour madame Récamier! Beauté, bonté, agréments, considération, tout ce qui est attachant, ce qui tient à l'estime, au charme, à la renommée, tout ce qui fait aimer et plaire se trouve réuni sur les deux têtes de ces femmes charmantes! Comme on aurait été heureux de les voir toutes deux près l'une de l'autre! leurs destinées sont également brillantes devant les hommes, pures et parfaites devant Dieu!.. Toutes deux belles et vertueuses, toutes deux frappées par le malheur: – mais l'une au moins est demeurée pour donner à ses amis le seul bien que Dieu leur accorde, la présence d'un ange consolateur. Une chose remarquable, c'est que madame de Staël a fait de madame Récamier le même portrait que madame Necker de madame de Lauzun.

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Cette partie du portrait est surtout admirable et frappante de ressemblance.

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Madame la comtesse de Blot était dame d'honneur de madame la duchesse d'Orléans.

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Madame Necker prouvait ici ce qui se voit souvent; c'est que la théorie mise en pratique ne remplit pas toujours le même but. Il y avait chez madame Necker une sorte de froid dans la conversation qui ne se voyait nulle part, et sans qu'il y eût toutefois de l'ennui. Cela venait sans doute de l'état nerveux dans lequel elle était toujours. Elle ne pouvait s'asseoir et n'obtenait de repos que dans le bain.

Histoire des salons de Paris. Tome 1

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