Читать книгу Les nuits mexicaines - Aimard Gustave, Gustave Aimard, Jules Berlioz d'Auriac - Страница 11
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LE RENDEZ-VOUS
ОглавлениеDepuis son arrivée à l'hacienda del Arenal, doña Dolores avait toujours tenu envers le comte de la Saulay une conduite réservée que les projets de mariage faits par leurs deux familles étaient loin de justifier. Jamais la jeune fille n'avait eu, nous ne dirons pas d'entretiens particuliers avec celui qu'elle devait en quelque sorte considérer comme son fiancé, mais seulement la plus légère privauté et la plus innocente familiarité; tout en demeurant polie et même gracieuse, elle avait su, dès le premier jour qu'ils s'étaient vus, élever une barrière entre elle et le comte, barrière que celui-ci ne s'était jamais hasardé à franchir et qui l'avait condamné à demeurer, peut-être contre ses désirs secrets, dans les bornes de la plus sévère réserve.
Dans ces conditions, et surtout après la scène à laquelle il avait assisté la nuit précédente, on comprendra facilement quelle dût être la stupéfaction du jeune homme en apprenant que doña Dolores lui demandait une entrevue.
Que pouvait-elle avoir à lui dire? Pour quel motif lui assignait-elle ce rendez-vous? Quelle raison la poussait à agir de la sorte?
Telles étaient les questions que le comte ne cessait de s'adresser, questions qui demeuraient forcément sans réponse.
Aussi l'inquiétude, la curiosité et l'impatience du jeune homme étaient-elles poussées au plus haut degré, et ce fut avec un sentiment de joie, dont lui-même ne se rendit pas bien compte, qu'il entendit enfin sonner l'heure du rendez-vous.
S'il se fût trouvé en France, à Paris, au lieu d'être au Mexique dans une hacienda, certes, il aurait su d'avance à quoi s'en tenir sur le message qu'il avait reçu, et sa conduite eût été toute tracée.
Mais ici, la froideur de doña Dolores à son égard, froideur qui ne s'était pas un instant démentie, la préférence que d'après la scène de la nuit elle semblait donner à une autre personne, tout se réunissait pour éloigner de ce rendez-vous la plus légère supposition d'amour. Était-ce la renonciation du jeune homme à sa main, son éloignement immédiat que doña Dolores allait exiger de lui?
Singulière contradiction de l'esprit humain! Le comte qui éprouvait pour ce mariage une répulsion de plus en plus marquée, dont l'intention formelle était d'avoir le plus tôt possible une explication à ce sujet avec don Andrés de la Cruz, et dont la résolution bien arrêtée était de se retirer et de renoncer à l'alliance depuis si longtemps préparée et qui lui déplaisait d'autant plus qu'elle lui était imposée, se révolta à cette supposition de la renonciation que sans doute doña Dolores allait lui demander; son amour-propre froissé lui fit envisager cette question sous un jour tout nouveau, et le mépris que la jeune fille semblait faire de sa main, le remplit de honte et de colère.
Lui, le comte Ludovic de la Saulay, jeune, beau, riche, renommé pour son esprit et son élégance, un des membres les plus distingués du jockey-club, un des dieux de la mode, dont les conquêtes occupaient à Paris toutes les bouches de la renommée, n'avoir produit sur une jeune fille à demi-sauvage, d'autre impression que celle de la répulsion, n'avoir inspiré d'autre sentiment qu'une froide indifférence; il y avait certes là de quoi se désespérer; un instant même il en vint à se figurer, tant le dépit l'aveuglait, qu'il était réellement amoureux de sa cousine, et il fut sur le point de faire le serment de rester sourd aux prières et aux larmes de doña Dolores et d'exiger, dans le plus bref délai, la conclusion de son mariage.