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IX
Où le chien boit, où l'enfant se regarde

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Table des matières

Une fois ouverte sur l'intelligence, cette porte ne se referme plus.

Il y avait par la ville d'Argenton un pauvre fou qui avait été guéri par le Dr Mérey, et qui, comme Basile, lui en avait gardé une grande reconnaissance; celui-là s'appelait Antoine.

Peut-être avait-il un autre nom, mais personne ne s'en était inquiété plus que lui ne s'en était inquiété lui-même; sa folie consistait à se croire l'éternelle justice et le centre de vérité.

Comment ces idées si abstraites entrent-elles dans le cerveau d'un paysan?

Il est vrai qu'elles n'y entrent que pour le rendre fou. Le docteur, comme nous l'avons dit, l'avait guéri ou à peu près. Il se croyait toujours l'éternelle justice et le centre de vérité. Il se croyait toujours en communication avec Dieu.

Sur tous les autres points, il raisonnait avec justesse, et l'on avait même pu remarquer que sa folie, après l'avoir quitté, avait laissé à ses idées une élévation qu'elles n'avaient point auparavant.

Il était porteur d'eau de son état lorsque sa folie l'avait pris, et faisait avec une brouette et un tonneau le service dans la ville. Pendant tout le temps de sa maladie, ce service avait été interrompu; mais à peine revenu à la santé, il s'était remis à ce labeur, qui était son seul gagne-pain.

On le voyait parcourir la ville traînant sa petite charrette chargée de son tonneau, au robinet duquel pendait le seau qui lui servait à transporter sa marchandise à l'intérieur des maisons; seulement, il avait toujours la main droite placée en manière de conque à son oreille, pour entendre la voix de Dieu et ne rien perdre des pieuses paroles que le Seigneur lui disait.

Avant d'entrer dans la chambre où il avait l'habitude de verser l'eau dont il emplissait son seau dans un récipient quelconque, il avait l'habitude de frapper trois fois la terre du pied, et de dire d'une voix formidable:

Cercle de justice! centre de vérité!

Il va sans dire que le docteur était devenu une de ses meilleures pratiques, et que, tous les jours, soit dans la cuisine de Marthe, soit dans le laboratoire du docteur, il versait ses trois ou quatre seaux d'eau, qui étaient utilisés pour les besoins du ménage.

Sa visite chez le docteur avait lieu de huit à neuf heures du matin.

Pour la première fois, Éva était levée lorsque, quelques jours après le concert que lui avait donné le rossignol, concert qu'elle réclamait tous les soirs, et qu'excepté par les mauvais temps on lui accordait le plaisir d'entendre, Antoine ouvrit la porte, frappa trois fois du pied, et de sa voix de tonnerre cria:

Cercle de justice! centre de vérité!

L'enfant se retourna tout effrayée et poussa un cri qui avait la modulation d'un appel.

Jacques Mérey, qui était dans le cabinet voisin, accourut tout joyeux; c'était la première fois qu'Éva donnait une attention quelconque à la voix humaine.

Le docteur la prit dans ses bras, l'approcha d'Antoine, et son regard, en s'approchant de lui, exprima une certaine terreur.

C'était assez pour un jour de cette nouvelle sensation de crainte; le docteur fit signe à Antoine de s'éloigner; mais il lui recommanda de venir tous les jours afin que l'enfant s'habituât à lui; et, en effet, au bout de quelques jours, l'enfant semblait attendre l'arrivée d'Antoine, dont le manège l'amusait, et dont la grosse voix maintenant la faisait rire.

Un jour, Antoine reçut la recommandation de ne pas venir le lendemain. Le lendemain, à l'heure habituelle, Éva donna quelques signes d'impatience; elle se leva, alla jusqu'à la porte, devant laquelle elle resta debout, le mécanisme lui étant inconnu. Elle revint alors avec impatience vers le docteur; mais, sa vue ayant été attirée par un foulard rouge qu'il avait autour du cou, elle oublia Antoine pour tirer de toute sa force le foulard, que le docteur tira lui-même doucement et laissa tomber entre ses mains.

Alors, elle le secoua avec des rires bruyants, comme elle eût fait d'un étendard; puis, de même qu'elle l'avait vu autour du cou de Jacques Mérey, elle essaya de le mettre au sien; ce fut un nouveau trait de lumière pour le docteur. Il se demanda si la coquetterie ne serait point un mobile capable d'éveiller dans son cerveau un nouvel ordre de sensations et d'idées; il avait cru reconnaître que, malgré son indifférence, elle promenait volontiers ses yeux sur les fleurs d'une couleur vive.

C'était l'heure où l'on descendait l'enfant dans le jardin.

Depuis longtemps, le rossignol avait un nid, des petits, une famille, et par conséquent avait cessé de chanter, car on sait que les soucis de la paternité vont chez lui jusqu'à lui imposer pendant les trois couvées que fait sa femelle le silence le plus complet.

Jacques Mérey, qui avait à réfléchir sur l'incident du foulard et qui voulait en tirer parti, s'assit sur un banc. Scipion et Éva jouaient sur la pelouse que baignait le bassin fermé par une grille. Le petit ruisselet qui s'en échappait était trop peu profond pour donner la crainte que l'enfant ne s'y noyât; d'ailleurs, y fût-elle tombée, Scipion l'en eût tirée à l'instant même. Le docteur, sans rien suivre des yeux que sa pensée, voyait vaguement errer sur le gazon l'enfant et le chien; tous deux cessèrent à l'instant de se mouvoir et par leur immobilité fixèrent le regard du docteur.

Le chien et la jeune fille étaient couchés l'un à côté de l'autre à la marge du ruisseau.

Le chien buvait; l'enfant, qui était parvenue à fixer le mouchoir sur sa tête, se regardait.

Elle se leva sur ses genoux, et agenouillée regarda encore.

Il y avait déjà quelque temps, on a pu le voir, que le docteur, abandonnant peu à peu le traitement physique, s'occupait du moral et de l'intelligence, et, comme les sciences occultes étaient en grand honneur à cette époque, il ne négligeait pas une occasion d'appliquer leurs secrets les plus cachés au double traitement qu'il faisait suivre à sa pupille avec tous les mystérieux procédés de la cabale.

Jusqu'à l'âge de sept ans, nous l'avons vu, la pauvre enfant avait été couverte de vêtements grossiers, que les soins assidus de la grand-mère avaient eu toutes les peines du monde, comme elle l'avait dit, à maintenir propres.

La vieille n'avait que faire d'orner un enfant que personne ne voyait et qui ne se connaissait pas elle-même.

Quant au docteur, il avait, dans l'absence de vêtements, cherché à développer, par le contact de l'air, de la brise et du soleil, toutes les parties vitales de ce corps et de ces membres, qui devraient à l'absence de la compression un développement toujours si chétif et si lent chez les lymphatiques et les scrofuleux.

À son réveil, le lendemain, Éva trouva une robe ponceau brodée d'or sur la chaise la plus proche de son lit; la robe fixa ses yeux dès que ses yeux furent ouverts, et, lorsque Marthe la bossue la descendit de son lit, maintenant qu'elle marchait sans appui, elle alla droit à la robe.

Marthe lui fit entendre comme elle put, ou plutôt ne put pas lui faire entendre, que cette robe était pour elle, autrement qu'en la lui passant sur le corps. Elle s'y était cramponnée de toutes ses forces quand elle avait cru qu'on allait la lui ôter; mais, du moment qu'elle vit faire le même mouvement pour lui passer la robe que l'on faisait pour lui passer la chemise, quand elle vit qu'on ajustait à son corps ces riches étoffes, elle se laissa faire en joignant les mains et laissa—opération qui ne se passait pas toujours sans larmes—peigner ses cheveux blonds, qui commençaient non seulement à épaissir, mais à s'allonger, et qui tombaient sur ses épaules.

La toilette fut longue, minutieuse et conforme aux indications qu'avait en sortant laissées le docteur.

Jacques Mérey arriva une heure environ après la toilette faite. Il apportait avec lui un miroir, meuble inconnu jusqu'alors dans la cabane des braconniers, et placé trop haut dans le laboratoire du docteur pour que la petite Éva eût jamais pu se rendre compte de l'utilité de ce meuble, auquel elle n'avait au reste fait aucune attention.

C'était un de ces miroirs magnétiques dont l'usage paraît remonter aux temps les plus fabuleux de l'Orient, un miroir comme ceux où se regardaient les reines de Saba et de Babylone, les Nicaulis et les Sémiramis, et à l'aide desquels les cabalistes prétendent transmettre aux initiés les privilèges de la seconde vue. Ce miroir avait été, si on ose parler ainsi à des lecteurs qui ne sont point familiers avec les sciences occultes, ce miroir avait été animé par Jacques Mérey, qui, à l'aide de signes, lui avait pour ainsi dire communiqué ses intentions, sa volonté, son but.

Humaniser la matière, la charger de transmettre le fluide électrique d'une pensée, tous les actes que la science relègue encore aujourd'hui parmi les chimères, le Dr Jacques Mérey les expliquait au moyen de la sympathie universelle. J'en demande humblement pardon à messieurs de l'Académie de médecine en particulier, mais Jacques Mérey était de l'école des philosophes péripatéticiens.

Il croyait avec eux à une âme divine et universelle qui anime et met en mouvement toutes les choses sensibles, mais à l'extinction de laquelle le grand tout ne fait pas plus attention qu'à la flamme d'une luciole errante qui replie ses ailes et cesse tout à coup de briller.

Suivant lui, tout s'enchaînait dans la Création: les plantes, les métaux, les êtres vivants, le bois même, travaillaient, exerçaient les uns sur les autres des actions et des réactions dont les spirites, à l'heure qu'il est, développent la théorie et cherchent le secret. Pourquoi le fer et l'aimant seraient-ils les seuls éléments sensibles l'un à l'autre, et quel est le savant qui donnera une définition plus claire de l'aimant appelant le fer à lui, que d'un spirite vivant attirant à lui l'âme d'un mort? La base de ces influences constituait, disait-il, le mécanisme de la physique occulte à laquelle Cornélius Agrippa, Cardan, Porta, Zikker, Bayle et tant d'autres ont rapporté les effets magiques de la baguette divinatoire et généralement les phénomènes si nombreux de l'attraction des corps.

Toute la nature se résumait pour Jacques Mérey dans ces deux mots agir et subir.

À l'en croire, tous les corps vivants exhalaient de petits tourbillons de matière subtile. L'air, ce grand océan des fluides respirables, est le conducteur de ces atomes suspendus dans l'air.

Ces corpuscules gardent la nature du tout dont ils sont séparés; ils produisent sur certains corps les mêmes effets que produirait la masse entière de la substance dont ils émanent.

Telle est maintenant la force de la volonté humaine, qu'elle trace une route invincible parmi ces mouvements de la matière, qu'elle dirige ces effluves d'atomes vivants, qu'elle les fait passer d'un corps dans un autre, et qu'elle est servie de la sorte par une multitude d'agents secrets dont il ne tient qu'à elle de déterminer les lois.

Aux gens qui ne voulaient pas croire qu'il pût se faire quelque chose dans la nature en dehors du cercle de leur connaissance, cercle bien restreint pour le commun des mortels, Jacques Mérey n'avait pas de peine à prouver que le monde est encore une énigme, et qu'il est absurde de donner au mouvement de la vie universelle la limite de nos sens et de notre raison. Sans accorder au miroir magnétique la confiance ou la croyance crédule et infaillible que lui donnent les savants du Moyen Âge, Jacques Mérey pensait avoir reconnu que, fixés sur la glace, les atomes d'une pensée, à peu près comme l'industrie fixe les atomes du mercure, qui sont pourtant bien mobiles et bien fugaces, ces atomes, ces molécules, cette poussière intelligente fixée à l'intention d'une personne sont ensuite recueillis par elle seule.

C'était du magnétisme tout pur, qui depuis a été pratiqué par M. de Puységur et par ses adeptes. C'était donc un de ces miroirs, aimanté par son action, animé par sa volonté que Jacques Mérey avait apporté dans son laboratoire; cependant, comme un ciel à la surface duquel les nuages se volatilisent et qui apparaît peu à peu dans sa pureté et dans son éclat, on commençait à s'apercevoir que l'idiote était belle. Mais ce n'était encore qu'une tiède statue que la nature semblait modeler pour montrer aux hommes combien leur art est faux, ridicule et monstrueux quand il s'attache à montrer seulement la beauté plastique, et que l'on cherche vainement l'âme dans les yeux sans regard. Considérée longtemps, au reste, cette belle fille cessait peu à peu d'être non seulement belle, mais vivante; à ce visage immobile, à ces lignes correctes et froides, à ces traits admirables mais inanimés, il manquait une seule chose, l'expression. C'était le contraire du conte arabe, où la bête cache au moins un esprit sous la laideur. Ici, on sentait que la beauté cachait le néant, c'est-à-dire l'absence de la pensée.

Le chien, voyant sa petite maîtresse si bien embellie, la contemplait avec des yeux d'admiration; puis, comme, en passant devant le miroir, il s'y était vu lui-même et qu'il avait pris un instant plaisir à s'y regarder, il tira l'enfant pour qu'elle s'y vît à son tour.

Elle se regarda; un indéfinissable sourire se répandit sur sa froide et somnolente figure, qui jusque-là avait quelquefois exprimé la douleur, souvent la tristesse, presque jamais la joie; elle semblait éprouver ce vague sentiment de bonheur et de satisfaction qu'éprouva Dieu, dit la Bible, quand il vit que tout était bon dans la création, sentiment que les créatures à leur tour éprouvèrent sans doute elles-mêmes en voyant qu'elles répondaient à l'idée de leur auteur.

Alors, sur cette bouche qui n'avait fait entendre jusque-là que des sons vagues, rauques, inarticulés, il se forma ce mot complètement nouveau, et compréhensible quoique inarticulé, et l'on entendit ces deux sons qui ressemblaient bien plus à un bêlement de brebis qu'à une parole humaine:

—BE... ELLE...

C'est-à-dire: «Je suis belle!»

C'était la fleur qui devenait femme.

Les métamorphoses d'Ovide n'étaient plus des fables, il était donc possible de changer la nature d'un être, de lui donner la connaissance de lui-même, de l'intéresser enfin à un ordre nouveau de sensations et d'idées.

Toutes ces conséquences apparurent comme dans un éclair dans l'esprit du docteur, qui ne douta plus de son œuvre.

Éva avait douze ans lorsque cet assemblage de lettres produisit sur ses lèvres le premier mot qu'elle eût prononcé.

Le docteur avait autrefois cherché la pierre philosophale. Il avait fatigué ses matrices et ses cornues à poursuivre la transmutation des métaux, mais l'invincible résistance des corps simples avait fini par décourager ses efforts. Il avait beau se dire que ces mots de corps simples et de corps élémentaires sont des termes relatifs à l'état présent de nos connaissances, qu'ils désignent purement et simplement la limite à laquelle s'arrête la puissance actuelle de nos moyens de décomposition; il avait beau se répéter que la science franchirait, selon toute probabilité, beaucoup de ces prétendues barrières de la nature; que, jusqu'aux grandes découvertes de Priestley et de Lavoisier, il était aussi naturel de considérer l'eau et l'air comme des éléments, qu'il l'est aujourd'hui de donner le même titre à l'or. Malgré cette possibilité entrevue par lui dans l'avenir, il avait fini par abandonner une voie ruineuse où, contrairement à ses espérances, au lieu de semer du plomb et de récolter de l'or, il semait de l'or et ne récoltait que du plomb.

Émerveillé par le succès laborieux de ses premières tentatives sur la nature de l'idiote, il y avait persisté, quoiqu'il eût vu que c'étaient des années et non des mois qu'il fallait consacrer à cette œuvre.

Mais effrayé d'abord, il s'était bientôt demandé si ce n'était pas changer le plomb en or, si ce n'était pas faire de l'alchimie vivante, que de poursuivre l'entreprise presque divine de donner l'âme à un corps, la pensée à la matière, la beauté, la vie, les formes physiques, tout l'organisme enfin, et si la pierre philosophale, si l'élixir de vie des anciens maîtres, depuis Hermès jusqu'à Raymond Lulle, n'était pas un symbole de transformation que la volonté impose à la matière humaine.

Et, en effet, Jacques Mérey ne voyait pas sans une joie orgueilleuse les progrès lents, mais continus, que faisait Éva dans la connaissance d'elle-même.

Scipion, de son côté, en paraissait ravi; lui qui, jusque-là, dans son orgueil de quadrupède, avait l'air de se considérer comme le protecteur et comme l'instituteur de cette jeune fille, commençait à reconnaître une maîtresse dans son élève; après s'être laissé conduire par lui, elle le commandait, et, du jour où sa voix avait prononcé un mot, un seul, de la langue humaine, il avait paru reconnaître sans aucune contestation ce signe de supériorité donné par le Seigneur à l'homme sur les animaux.

La vieille Marthe elle-même, malgré le double entêtement des vieillards et des bossus, était émerveillée devant l'œuvre du maître, qu'elle regardait comme fort incomplète tant que l'objet de tous ses soins resterait muet. Elle avait beau voir se développer chez la jeune fille, avec la furie d'une sève que son inaction primitive a rendue plus abondante du moment que la nature lui a permis de circuler, la jeunesse, elle s'obstinait à dire sans malice aucune:

—Elle ne sera pas femme tant qu'elle ne parlera pas. Mais, du jour où Éva prononça le mot belle et où, sur la prière et l'indication du docteur, elle eut prononcé quelques mots primitifs comme Dieu, jour, faim, soif, pain et eau, l'opinion de Marthe changea entièrement, et elle fut prête à se mettre à genoux devant celle qu'au premier abord elle avait traité de fétiche bon à mettre dans le bocal d'un apothicaire.

Le Président seul était resté, soit égoïsme de chat, soit stoïcisme de juge, dans son indifférence primitive. Éva ne lui avait pas fait de mal, il ne lui faisait pas de mal; et, quand il arrondissait le dos sous sa main, qui de jour en jour prenait de plus charmantes proportions, ce n'était pas pour dire à la jeune fille: Je t'aime! comme le lui disait Scipion en gambadant autour d'elle et en lui léchant les mains; c'était purement et simplement qu'il subissait l'effet d'une caresse sensuelle, qui développait chez lui le mouvement de cette électricité concentrée dans ses poils, et que ses pieds, mauvais conducteurs, ne rendaient pas à la terre.

Quant à Éva, elle n'avait, jusque-là, fait que deux parts de ses affections:

L'une pour Scipion;

L'autre pour le docteur.

Elle ne craignait pas Marthe, et allait volontiers avec elle; le chat lui était indifférent; Antoine la faisait rire; Basile lui faisait peur.

La gamme de ses sentiments, de la sympathie à l'antipathie, ne comprenait que six notes.

Nous avons mis Scipion avant le docteur dans la gamme de ses sentiments parce que ce fut d'abord Scipion qu'Eva remarqua et affectionna par-dessus tout; puis, peu à peu, quand l'intelligence commença de s'infiltrer dans son cerveau, et de son cerveau pénétra jusqu'à son cœur, elle commença de comprendre et d'apprécier les soins du docteur, et, trop ignorante encore pour faire un choix dans ses sentiments, elle lui paya sa reconnaissance avec une affection qui se rapprochait plus de l'amour que de toute autre émanation de l'esprit ou du cœur.

Ainsi, depuis longtemps déjà, lorsqu'elle prononça le mot belle, le docteur était l'objet de sa préoccupation de tous les instants; seulement, le regard qu'elle jetait autour d'elle pour voir s'il était là, le son inarticulé qu'elle poussait pour l'appeler, était plutôt le cri de détresse de l'animal abandonné et s'effrayant de son abandon que celui d'un cœur s'adressant à un autre cœur. Ce qu'appelait ce cri, était un protecteur venant à l'appui de sa faiblesse et de l'isolement, ayant conscience de leur humilité et de leur impuissance, et non pas même à l'appel d'un ami à un ami.

Création et rédemption: Le docteur mystérieux

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