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HISTOIRE DE L’INSTRUCTION PRIMAIRE EN SAVOIE PRÉFACE
ОглавлениеLe soleil luit pour tout le monde, dit un vieil adage; ses rayons puissants et généreux pénètrent de leur action bienfaisante les replis les plus profonds du monde matériel, dans lequel ils entretiennent et activent la vie.
Il en est de même du monde moral. Les lumières de la science sont l’élément nécessaire, indispensable, de tout bien, de tout progrès social. Il faut qu’elles éclairent, qu’elles imprègnent, qu’elles nourrissent toutes les intelligences. Mais, de même que le grand Ordonnateur de toutes choses a proportionné, avec une admirable sagesse, l’étendue de ses dons aux forces constitutives des êtres auxquels ils étaient destinés, c’est un discernement pareil qui doit présider à la diffusion des lumières intellectuelles.
Le droit à l’instruction, à l’éducation, à la culture de l’esprit et du cœur, est certainement le plus incontestable et le plus sacré des droits de l’homme créé à l’image de Dieu. Tous nous avons des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, un cœur pour aimer, une voix pour communiquer nos pensées, nos sentiments et nos besoins. Le devoir suprême de ceux que la Providence a mis en position de diriger, de perfectionner, d’agrandir les connaissances humaines, est donc de préparer, de garder et d’élargir la place à laquelle tout homme a droit dans ce grand banquet de l’intelligence; mais c’est aussi un devoir de proportionner, avec la sollicitude la plus éclairée, cette nourriture spirituelle aux facultés auxquelles elle est réservée.
Ces nobles vérités n’ont plus besoin d’être démontrées nulle part, et en Savoie moins qu’ailleurs encore. L’instruction publique, l’instruction populaire surtout, est à l’ordre du jour de la société moderne, et les moyens de la répandre, de la compléter, de la rendre saine, suffisante, facile et appropriée aux besoins variés de toutes les intelligences et de toutes les positions sociales, est le grand et intéressant problème qui préoccupe, à si juste titre, les législateurs et les administrateurs de tous les pays.
Il semble même se produire entre eux, non-seulement de province à province, mais entre les États, une sorte de lutte, de compétition; et nous voyons paraître, à chaque instant, des livres, des statistiques, des mémoires, dans lesquels on s’efforce de démontrer que telle contrée est en arrière ou en avant sur telle autre, que telle forme de gouvernement a fait plus que telle autre pour le développement de l’enseignement.... La politique ne tarde pas à passionner le débat, et ces questions, essentiellement humanitaires, qui devraient être discutées avec le calme, l’impartialité, la compétence et la connaissance approfondie de tous les éléments qui peuvent les éclaircir; ces questions qui ne devraient jamais sortir du sanctuaire de la science sereine, subissent souvent le contre-coup des événements qui agitent et troublent les nations.
Dans tous les cas, cela prouve, comme nous l’avons dit, que l’instruction publique est considérée comme d’un haut intérêt par tous ceux qui gouvernent ou qui aspirent à gouverner les hommes. Au premier rang des bienfaits qu’ils désirent donner ou qu’ils promettent aux populations, figure toujours le développement, la généralisation de l’enseignement. Il faut au moins leur en savoir gré et les féliciter d’avoir compris que les êtres auxquels ils s’adressent, réclament aujourd’ hui quelque chose de plus que ce que le bon roi Henri IV rêvait pour ses sujets; qu’il faut, en un mot, que toutes les intelligences aussi puissent avoir, au moins, leur poule au pot.
Les générations qui prétendent à une grande somme de reconnaissance à l’occasion de leurs efforts pour répandre l’instruction populaire et pour la perfectionner, ont parfois un procédé commode pour exagérer les résultats de ces efforts. Au lieu d’agir, en profitant franchement et ouvertement de l’expérience et des labeurs de leurs devanciers, de les compléter, en les corrigeant au besoin, elles commencent pas s’évertuer à démontrer qu’elles ont été les premières dans la carrière; qu’avant elles, il n’y avait rien ou presque rien qui méritât une mention, et que tout ce qui a été fait est leur œuvre. Il semble que ces hommes orgueilleux prennent à tâche d’ensevelir dans l’oubli tout ce premier héritage dont ils ont cependant recueilli un bénéfice incontestable. C’est ainsi que le passé de l’histoire de l’enseignement n’a été consigné nulle part sous une forme suivie et facile à connaître ou à consulter, et qu’on a presque perdu le souvenir de ce qu’ont fait nos pères à cet égard.
Nous ne craignons pas de l’affirmer, et nos lecteurs pourront nous croire, car nous sommes aujourd’hui en mesure de le prouver pièces en main: si le passé de l’instruction primaire a présenté quelque part un intérêt considérable; s’il peut offrir quelque part aux méditations des administrateurs, des faits utiles; aux amis, aux protecteurs de l’enseignement populaire, des exemples à suivre, c’est en Savoie: parmi ces populations aussi actives d’intelligence que de corps; chez ces montagnards honnêtes et judicieux, dont les instincts religieux, le respect du pouvoir, le sentiment profond de la famille, unis à un amour inné d’indépendance, à une sorte d’orgueil du libre arbitre, ont fait une race vraiment intéressante à étudier.
Et cependant, que n’a-t-on pas dit; que d’opinions aussi désobligeantes qu’erronées n’a-t-on pas émises, depuis quelques années surtout, à l’endroit de ce pays et de ses habitants, que nous avons appris à aimer depuis qu’il nous a été donné de les bien connaître! Ce que nous avons voulu essayer de faire, c’est de montrer, dans leur jour limpide et vrai, quelques points instructifs de l’histoire des populations des Alpes; d’initier nos lecteurs à la vie municipale des petites paroisses de la Savoie, dont on ne connaît que fort peu les détails curieux; et enfin, et surtout, d’exposer, aussi brièvement, mais aussi complètement que possible, ce qu’a été l’instruction primaire en Savoie, comment on y avait pourvu et quels résultats les systèmes successifs avaient produits.
Nous voulons prouver à ceux qui ont parlé légèrement de l’ignorance qui existait en Savoie et de l’obscurantisme du clergé et du gouvernement, qu’ils ont calomnié les habitants, les prêtres et les princes, et démontrer que nulle part, peut-être, on ne retrouve chez les populations autant d’initiative intelligente et raisonnée; dans le clergé, autant de dévouement; de la part du gouvernement, autant de paternelle sollicitude pour la diffusion de l’instruction publique. Le lecteur reconnaîtra enfin que si, avant 1790, l’instruction primaire en Savoie n’était pas très élevée et n’embrassait pas un programme bien étendu, elle y était beaucoup plus générale, beaucoup plus répandue qu’on ne le pense; que la pieuse philanthropie des populations en faisait presque tous les frais, et que le clergé la soutenait, la dirigeait avec autant de zèle que de généreux désintéressement.
Un premier fait apparaîtra, il est vrai: c’est que les finances de l’État ne contribuaient pas aux dépenses des écoles de village au moyen-âge. On ne doit pas s’étonner que l’exiguïté du budget général, dans ces temps reculés, ait rendu impossible pour le Trésor un crédit régulièrement inscrit pour ce service; mais il ne faudrait pas en conclure que l’administration supérieure n’eût pas entouré constamment les petites écoles des encouragements et de la protection qu’elles méritaient si bien. Les documents législatifs nombreux que nous avons eu à examiner témoignent au contraire de l’intérêt que les princes de Savoie ont toujours porté à la bonne direction de l’enseignement populaire.
Nous montrerons ensuite les conditions dans lesquelles l’instruction publique a traversé la tourmente révolutionnaire après 1792, nous terminerons en faisant connaître comment elle s’est relevée, et par quelles séries de transformations successives et d’efforts combinés, elle est arrivée à ce qu’elle est à l’heure où nous écrivons.
Désirant voir notre œuvre se répandre le plus possible, nous avons cru bien faire en la dépouillant en quelque sorte de tout appareil scientifique. C’est ainsi que nous en avons écarté toutes les longues dissertations et que nous nous sommes permis de supprimer, à l’impression, les documents, les pièces justificatives, qui nous ont servi à fixer notre opinion. Mais, nous le répétons, ce que nous avons voulu faire est, avant tout, une histoire véridique, et nous n’avons rien avancé, rien affirmé, qui ne fût le résultat des investigations consciencieuses auxquelles nous nous sommes livré.