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II

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Frédéric et Bernerette s’étaient livrés à leur amour avant d’avoir échangé presque un seul mot, et ils en étaient à se tutoyer aux premières paroles qu’ils s’adressèrent. Enlacés dans les bras lun de l’autre, ils s’assirent près de la cheminée, où pétillait un bon feu. Là, Bernerette, appuyant sur les genoux de son amant ses joues brillantes des belles couleurs du plaisir, lui apprit qui elle était. Elle avait joué la comédie en province; elle s’appelait Louise Durand, et Bernerette était son nom de guerre; elle vivait depuis deux ans avec un jeune homme qu’elle n’aimait plus. Elle voulait, à tout prix, s’en débarrasser, et changer sa manière de vivre, soit en rentrant au théâtre, si elle trouvait quelque protection, soit en apprenant un métier. Du reste, elle ne s’expliqua ni sur sa famille, ni sur le passé. Elle annonçait seulement sa résolution de briser ses liens, qui lui étaient insupportables. Frédéric ne voulut pas la tromper, et lui peignit sincèrement la position où il se trouvait lui-même; n’étant pas riche, et connaissant peu de monde, il ne pouvait lui être que d’un bien faible secours. «Comme je ne puis me charger de toi, ajouta-t-il, je ne veux, sous aucun prétexte, devenir la cause d’une rupture; mais, comme il me serait trop cruel de te partager avec un autre, je partirai, bien à regret, et je garderai dans mon coeur le souvenir d’un heureux jour.»

A cette déclaration inattendue, Bernerette se mit à pleurer.–«Pourquoi partir? dit-elle. Si je me brouille avec mon amant, ce n’est pas toi qui en seras cause, puisqu’il y a long-temps que j’y suis déterminée. Si j’entre chez une lingère pour faire mon apprentissage, est-ce que tu ne m’aimeras plus? Il est fâcheux que tu ne sois pas riche; mais, que veux-tu? nous ferons comme nous pourrons.»

Frédéric allait répliquer, mais un baiser lui imposa silence.–«N’en parlons plus et n’y pensons plus, dit enfin Bernerette. Quand tu voudras de moi, fais-moi signe par la fenêtre, et ne t’inquiètes pas du reste, qui ne te regarde pas.»

Pendant six semaines environ, Frédéric ne travailla guère. Sa thèse commencée restait sur sa table; il y ajoutait une ligne de temps en temps. Il savait que, si l’envie de s’amuser lui venait, il n’avait qu’à ouvrir sa croisée; Bernerette était toujours prête; et quand il lui demandait comment elle jouissait de tant de liberté, elle lui répondait toujours que cela ne le regardait pas. Il avait dans son tiroir quelques économies qu’il dépensa rapidement. Au bout de quinze jours, il fut obligé d’avoir recours à un ami pour donner à souper à sa maîtresse.

Quand cet ami, qui se nommait Gérard, apprit le nouveau genre de vie de Frédéric.– «Prends garde à toi, lui dit-il, tu es amoureux. Ta grisette n’a rien, et tu n’as pas grand’chose; je me défierais, à ta place, d’une comédienne de province; ces passions-là mènent plus loin qu’on ne pense.»

Frédéric répondit en riant qu’il ne s’agissait point dune passion, mais d’une amourette passagère. Il raconta à Gérard comment il avait fait connaissance, par sa croisée, avec Bernerette. C est une fille qui ne pense qu’à rire, dit-il à son ami; il n’y a rien de moins dangereux qu’elle, et rien de moins sérieux que notre liaison.»

Gérard se rendit à ces raisons, et engagea cependant Frédéric à travailler. Celui-ci assura que sa thèse allait être bientôt terminée, et, pour n’avoir pas fait un mensonge, il se mit en effet à l’ouvrage pendant quelques heures; mais le soir même Bernerette l’attendait. Ils allèrent ensemble à la Chaumière, et le travail fut laissé de côté.

La Chaumière est le Tivoli du quartier latin; c’est le rendez-vous des étudiants et des grisettes. Il s’en faut que ce soit un lieu de bonne compagnie, mais c’est un lieu de plaisir: on y boit de la bière et on y danse; une gaieté franche, parfois un peu bruyante, anime l’assemblée. Les élégantes y ont des bonnets ronds, et les fashionables des vestes de velours; on y fume, on y trinque, on y fait l’amour en plein air. Si la police interdisait l’entrée de ce jardin aux créatures qu’elle enregistre, ce serait peut-être là seulement que se retrouverait encore à Paris cette ancienne vie des étudiants, si libre et si joyeuse, dont les traditions se perdent tous les jours.

Frédéric, en sa qualité de provincial, n’était pas homme à faire le difficile sur les gens qu’il rencontrait là; et Bernerette, qui ne voulait que se divertir, ne l’en eût pas fait apercevoir. Il faut un certain usage du monde pour savoir où il est permis de s’amuser. Notre heureux couple ne raisonnait pas ses plaisirs; quand il avait dansé toute la soirée, il rentrait fatigué et content. Frédéric était si novice, que ses premières folies de jeunesse lui semblaient le bonheur même. Quand Bernerette, appuyée à son bras, sautait en marchant sur le boulevard Neuf, il n’imaginait rien de plus doux que de vivre ainsi au jour le jour. Ils se demandaient de temps en temps l’un à l’autre où en étaient leurs affaires, mais ni l’un ni l’autre ne répondait clairement à cette question. La chambrette garnie, située près du Luxembourg, était payée pour deux mois; c’était l’important. Quelquefois, en y arrivant, Bernerette avait sous le bras un pâté enveloppé dans du papier, et Frédéric une bouteille de bon vin. Ils s’attablaient alors; la jeune fille chantait, au dessert, les couplets des vaudevilles qu’elle avait joués; si elle avait oublié les paroles, l’étudiant improvisait, pour les remplacer, des vers à la louange de son amie, et, quand il ne trouvait pas la rime, un baiser en tenait lieu. Ils passaient ainsi la nuit tête-à-tête sans se douter du temps qui s’écoulait.

–Tu ne fais plus rien, disait Gérard, et ton amourette passagère durera plus long-temps qu’une passion. Prends-garde à toi, tu dépenses de l’argent, et tu négliges les moyens que tu as d’en gagner.

–Rassure-toi, répondait Frédéric; ma thèse avance, et Bernerette va entrer en apprentissage chez une lingère. Laisse-moi jouir en paix d’un moment de bonheur, et ne t’inquiète pas de l’avenir.

L’époque approchait cependant où il fallait imprimer la thèse. Elle fut achevée à la hâte et n’en valut pas moins pour cela. Frédéric fut reçu avocat; il adressa à Besançon plusieurs exemplaires de sa dissertation, accompagnés de son diplôme. Son père répondit à cette heureuse nouvelle par l’envoi d’une somme beaucoup plas considérable qu’il n’était nécessaire pour payer les frais du retour au pays. La joie paternelle vint donc ainsi, sans le savoir, au secours de l’amour. Frédéric put rendre à son ami l’argent que celui-ci lui avait prêté, et le convaincre de l’inutilité de ses remontrances. Il voulut faire un cadeau à Bernerette, mais elle le refusa.

–Fais-moi cadeau d’un souper, lui dit-elle; tout ce que je veux de toi, c’est toi.

Avec un caractère aussi gai que celui de cette jeune fille, dès qu’elle avait le moindre chagrin il était facile de s’en apercevoir. Frédéric la trouva triste un jour et lui en demanda la raison. Après quelque hésitation, elle tira de sa poche une lettre.

–C’est une lettre anonyme, dit-elle; le jeune homme qui demeure avec moi l’a reçue hier et me l’a donnée en me disant qu’il n’ajoutait aucune foi à des accusations non signées. Qui a écrit cela? Je l’ignore. L’orthographe est aussi mauvaise que le style; mais ce n’en est pas moins dangereux pour moi: on me dénonce comme une fille perdue, et on va jusqu’à préciser le jour et l’heure de nos derniers rendez-vous. Il faut que ce soit quelqu’un de la maison, une portière ou une femme de chambre; je ne sais que faire ni comment me préserver du péril qui me menace.

–Quel péril? demanda Frédéric.

–Je crois, dit en riant Bernerette, qu’il n’y va pas moins que de ma vie. J’ai affaire à un homme d’un caractère violent, et s’il savait que je le trompe, il serait capable de me tuer.

Frédéric relut en vain la lettre, et l’examina de cent façons; il ne put reconnaître l’écriture. Il rentra chez lui fort inquiet, et résolut de ne pas voir Bernerette de quelques jours; mais il reçut bientôt d’elle un billet.

«Il sait tout, écrivait-elle; je ne sais qui a parlé; je crois que c’est la portière. Il ira vous voir; il veut se battre avec vous. Je n’ai pas la force d’en dire davantage; je suis plus morte que vive.»

Frédéric passa la journée entière dans sa chambre; il s’attendait à la visite de son rival, ou du moins a une provocation. Il fut surpris de ne recevoir ni l’une ni l’autre. Le lendemain, et pendant les huit jours suivants, même silence. Il apprit enfin que M. de N***, l’amant de Bernerette, avait eu avec elle une explication, à la suite de laquelle celle-ci avait quitté la maison et s’était sauvée chez sa mère. Resté seul et désolé de la perte d’une maîtresse qu’il aimait éperdument, le jeune homme était sorti un matin et n’avait plus reparu. Au bout de quatre jours, ne le voyant pas revenir, on avait fait ouvrir la porte de son appartement; il avait laissé sur sa table une lettre qui annonçait son fatal dessein. Ce ne fut qu’une semaine plus tard, qu’on trouva dans la forêt de Meudon les restes de cet infortuné.

Frédéric et Bernerette

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