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INTRODUCTION

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Nul être vivant n’est seul. Les animaux particulièrement soutiennent des rapports multiples avec les existences qui les environnent; et, sans parler de ceux qui vivent en commerce permanent avec leurs semblables, presque tous sont entraînés par les nécessités biologiques à contracter, ne serait-ce que pendant un court moment, une intime union avec quelque autre individu de leur espèce. Au-dessous même des régions où les sexes sont distincts et séparés on trouve encore quelques traces de vie sociale soit chez les animaux qui, comme les plantes, demeurent attachés à une souche commune, soit chez les êtres inférieurs qui, avant de se séparer de l’organisme qui leur a donné naissance, restent quelque temps soudés à lui et incorporés à sa substance. Ainsi la vie en commun n’est pas dans le règne animal un fait accidentel; elle n’apparaît pas çà et là d’une manière fortuite en quelque sorte et capricieuse; elle n’est point, comme on le croit souvent, le privilège de quelques espèces isolées dans l’échelle zoologique, castors, abeilles et fourmis. Elle est au contraire, et nous nous croyons en mesure de le prouver abondamment dans le présent ouvrage, un fait normal, constant, universel. Depuis les plus bas degrés de la série jusqu’aux plus élevés, tous les animaux se trouvent à quelque moment de leur existence engagés dans quelque société ; le milieu social est la condition nécessaire de la conservation et du renouvellement de la vie. C’est là une loi biologique qu’il ne sera pas inutile de mettre en lumière. Et de plus, depuis les plus bas degrés de la série jusqu’aux plus élevés, on observe dans le développement des habitudes sociales une progression sinon uniforme, du moins constante, chaque groupe zoologique poussant toujours un peu plus loin dans un sens ou dans l’autre le perfectionnement de ces habitudes. Enfin, les faits sociaux sont soumis à des lois, et ces lois sont les mêmes partout où de tels faits se montrent, en sorte qu’ils forment dans la nature un domaine considérable ayant son unité distincte, un tout homogène et bien lié dans toutes ses parties.

C’en est assez pour que la science s’y attache. Si ce que nous avançons est vrai, il y aurait déjà quelque intérêt à établir par des observations la généralité du fait de la vie collective, à en suivre les manifestations de plus en plus éclatantes dans toute l’échelle zoologique, à en chercher les lois essentielles. C’est là ce que nous allons tenter sans nous dissimuler la nouveauté, et, partant, les difficultés de l’entreprise. Mais des questions plus délicates, d’une portée supérieure, viendront se mêler à cette, recherche expérimentale et en accroîtront les difficultés en même temps qu’elles en doubleront l’intérêt.

En effet, nous ne tarderons pas à nous apercevoir, en suivant la série des groupes sociaux formés par l’animalité, que la représentation, c’est-à-dire un phénomène psychologique, y joue un rôle de plus en plus important, et qu’elle y devient bientôt la cause prépondérante de l’association. Nous verrons dès lors que comme les éléments constitutifs du corps vivant forment par leur participation à une même activité biologique un seul tout qui n’a dans la pluralité de ses parties qu’une seule et même vie, de même les animaux individuels qui constituent une société tendent à ne former, par l’échange de leurs représentations et la réciprocité de leurs actes psychiques, qu’une conscience plus ou moins concentrée, mais une aussi et en apparence individuelle. De là naîtra un double problème que nous n’aborderons pas de front dès l’abord, mais dont nous préparerons la solution au cours de notre classification des sociétés: 1° quel est le rapport des individus avec le centre psychique auquel leur activité se rattache, avec le groupe dans lequel ils naissent à la vie comme corps séparés et comme consciences distinctes? comment concilier l’individualité des parties et celle du tout? et si le tout forme un individu véritable, comment, dans l’animalité, une conscience collective est-elle possible? 2° quelle sorte d’être est la société ? est-elle un être à proprement parler, quelque chose de réel et de concret, ou bien ne faut-il voir en elle qu’une abstraction, une conception sans objet, un mot? bref, la société est-elle un vivant comme l’individu, aussi réelle, et dans ce cas même plus réelle que lui, ou bien n’est-elle qu’une unité de collection, une entité verbale dont l’individu forme toute la substance?

Ces deux problèmes ont leur gravité. Ils ont été posés au sujet de la société humaine, et c’est sur les solutions qu’on en a données que reposent les divers systèmes politiques. Peut-être ne sera-t-il pas mal à propos de les agiter à nouveau au sujet des sociétés animales. La plupart des philosophies politiques modernes ont pour principes cachés des comparaisons entre la société humaine et certaines productions de la nature. De leur côté les naturalistes, voulant expliquer les groupements des êtres dans le domaine de la vie, recourent aux sociétés humaines. Mais ni les uns ni les autres ne se sont demandé à quel point ces comparaisons étaient scientifiques et quel rapport unissait les sociétés humaines aux sociétés d’animaux. Pourtant, c’est là une question préliminaire qui s’impose aux recherches de la science sociale: tant qu’elle ne sera pas résolue on ne saura pas quelle place occupe la société humaine dans l’ensemble de la nature. Nous ne dissimulons pas que nous avons cru travailler. quoique de fort loin, à préparer cette solution. Des deux termes de la comparaison maintenant si coutumière aux naturalistes comme aux politiques, nous n’oserions dire que l’un (la société humaine) est bien connu; mais nous pouvons affirmer que l’autre (la société animale ) n’a que très rarement été étudié d’une manière systématique. Sans rien préjuger sur les résultats de cette comparaison, nous pensons qu’une telle étude ne peut que faciliter sur ce point la tâche de la philosophie sociale.

Là est le suprême intérêt de notre travail. Parviendra-t-on à déterminer les lois de la vie sociale pour l’humanité ? nous l’ignorons. Mais nous croyons que ces lois, si jamais elles sont découvertes, auront un grand caractère de généralité et formeront le couronnement naturel des lois qui régissent le système du monde.

Des sociétés animales : étude de psychologie comparée

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