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Alfred Assollant
Rose d'amour
  Rose d'amour
III

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Bernard et moi nous assistions au conseil.

« Ah ! dit le père Bernard, il est bien dur de travailler toute sa vie et d’amasser avec beaucoup de peine quatre ou cinq mille francs pour en faire cadeau au gouvernement ou n’importe à qui, quand on est vieux et quand on ne peut plus travailler. »

Mon père, qui était là, ne répliqua rien. Comme il n’avait pas de dot à me donner, il était trop fier pour engager les parents de Bernard à faire donner un remplaçant à leur fils. Ce fut la mère de Bernard qui répondit à son mari.

« Écoute, mon vieux. Ces trois mille francs qu’il nous faudra donner nous mettront sur la paille, c’est vrai ; mais aimerais-tu mieux que Bernard partît pour l’armée, qu’il tint un fusil dans les mains, qu’il allât tuer l’ennemi, qu’il en fût tué ou estropié, pendant que nous jouirions ici bien tranquillement de l’argent gagné, et que nous aurions de bonne viande à manger et de bon vin à boire tous les jours que Dieu nous donne ?

À chaque bouchée ne penserais-tu pas que Bernard est là-bas, qu’il a froid, qu’il a faim peut-être, qu’on nous le tue ? Et cette pensée ne te couperait-elle pas l’appétit ? Pour moi, je suis vieille, infirme, je n’ai pas longtemps à vivre, je n’ai pas d’autre enfant que Bernard, et je veux voir les siens avant de mourir. Qu’il en coûte ce qu’il pourra, il faut lui donner un remplaçant.

– Comme tu voudras, dit le vieux. Crois-tu que je n’aime pas Bernard autant que toi, et que je n’ai pas envie de voir une demi-douzaine de marmots grimper sur mes genoux et me tirer les cheveux et la barbe ? Va, va, je ne regrette pas plus mon argent que toi. Allons, viens ici, Bernard, et toi, ma petite Rose-d’Amour, ne pleure pas comme une fontaine, tu auras ton amoureux. C’est convenu : embrassez-vous, et que ce soient là vos fiançailles. Demain, je vais chercher quelqu’un à qui je puisse vendre ma maison.

– Mais je ne veux pas que tu la vendes ! s’écria mon pauvre Bernard. Je ne veux pas que ma mère et toi vous soyez ruinés pour moi. Je partirai. Rose-d’Amour m’attendra, je le sais ; je reviendrai à cheval et avec des épaulettes comme un seigneur, et nous nous marierons dans sept ans comme Jacob et Rachel.

– Tais-toi, dit le père, et ne parle ni de Rachel ni de Jacob, ni de sept ans. Je veux voir ton premier-né l’année prochaine, et si Rose-d’Amour manque à nous le donner, je me fâcherai tout de bon. Allons, à quinze jours la noce. Est-ce décidé, vieux Sans-Souci ?

– Si ça plaît aux enfants, répondit mon père, je ne suis pas pour les contrarier ».

Vous croyez, madame, que j’allais être la plus heureuse des femmes ? Attendez la fin. Ah ! la tuile tombe toujours sur celui qui ne l’attend pas.

Huit jours avant celui qui était fixé pour notre mariage, le père Bernard avait trouvé un bourgeois qui consentait à lui prêter trois mille francs hypothéqués sur la maison et le jardin, qui en valaient à peu près deux fois autant. Aussitôt, il vint chez nous, le soir, pour nous annoncer cette bonne nouvelle.

« Eh bien ! vieux Sans-Souci, dit-il, l’affaire est faite, et Bernard va se marier. C’est Malingreux qui les prête. Tu connais Malingreux, ce petit homme sec, avec un nez de fouine, qui est une si bonne pratique pour les huissiers ? Quand je dis qu’il les prête, c’est une manière de parler, car il ne déboursera pas un centime, mais il me les fait prêter par un propriétaire, à 5 pour 100. Ce n’est pas trop cher, hein, pour Malingreux ?

– Ma foi, dit mon père, je ne l’en aurais pas cru capable.

– Oui, mais le propriétaire lui-même, qui ne les a pas, est obligé de les emprunter à un notaire, à 6 pour 100.

– Six et cinq, ça fait onze, dit mon père.

– Oui, onze et trois pour la peine de Malingreux, cela fera quatorze, sans comprendre les renouvellements. Enfin, Bernard est sauvé de la conscription, c’est tout ce que nous voulions. Ce sera à lui et à Rose-d’Amour de regagner ma pauvre maison, et d’économiser jour et nuit. Et maintenant viens, Sans-Souci. Veux-tu venir avec nous faire une partie à Saint-Sulpice ? Nous dînerons au cabaret avec toute la famille, excepté ma femme, qui ne peut pas aller si loin. Rose-d’Amour et Bernard seront bien aises de se promener ensemble. »

Le lendemain nous partions huit ou dix, ensemble, à pied, pleins de joie comme pour une noce. J’avais pris le bras de Bernard, et nous marchions les premiers à plus d’un quart de lieue en avant. Jamais nous n’avions été si gais. Pensez un peu, madame, si jeunes, si heureux, contents de nous-mêmes, de nos parents, de nos amis, du bon Dieu et de toute la nature, délivrés d’ailleurs de toute inquiétude pour l’avenir, nous étions dans un de ces jours qu’on ne rencontre pas trois fois dans la vie.

Saint-Sulpice est un village de quarante ou cinquante maisons, à deux lieues de chez nous. Derrière chaque maison sont des prés et des chènevières. Au milieu du village est une grande place avec une belle église, consacrée à saint Sulpice, un saint à qui l’on a coupé la tête dans les anciens temps, et dont les reliques font encore des miracles. Tout le village est très beau et bien situé sur le penchant de la montagne. Les prairies sont les meilleures du département, on les fauche trois fois par an, et les bœufs si beaux que j’entends dire qu’on les envoie à Paris, pour être servis sur la table de l’empereur. Vous savez mieux que moi, madame, si l’on m’a dit la vérité.

La plus belle maison du village est un grand cabaret, toujours plein le dimanche, et où les gens de la ville vont quelquefois dîner comme les gens de la campagne. On y trouve toujours des pâtés, du veau rôti, des fruits, du lait, du vin d’Auvergne, de la bière et du cassis : et comme, à cause des chemins qui sont très mauvais dans nos montagnes, il est plus commode d’aller à pied, on a toujours faim et soif en arrivant.

Nous n’étions pas, vous pensez bien, pour faire autrement que les autres, et nous ne tardâmes pas beaucoup à nous mettre à table. On but et l’on mangea comme à la noce ; et de fait, c’était notre noce qu’on célébrait. Après dîner on dansa de toutes ses forces. Nous avions amené un vieux joueur de violon qui nous joua les plus belles bourrées du pays, et nous fit sauter comme des Basques, ou comme des tanches dans la friture. Peu à peu on s’échauffa de telle sorte, que les plus vieux se mirent de la partie et voulurent danser comme les autres.

Le vieux Sans-Souci lui-même ne se fit pas prier : on invita les paysans et les paysannes qui étaient là et qui nous regardaient, à danser avec nous, et bientôt toute la commune, le maire en tête, se mit en branle, et commença à faire un tel vacarme qu’on n’entendait pas le son des cloches qui appelaient les paroissiens à vêpres.

Pour moi, je dansais de mon mieux avec Bernard sans que personne s’occupât de nous, tant le tumulte et les cris de joie empêchaient de rien remarquer.

Quant au père de Bernard, il était d’une gaieté folle ; le vin et la danse avaient réjoui sa vieillesse, il parlait de ses petits-enfants et chantait des chansons à boire. Enfin la nuit vint, et nous retournâmes à la ville.

Comme nous arrivions, nous vîmes une grande flamme s’élever au-dessus du faubourg. C’était la maison de Bernard qui brûlait. Sa mère, restée seule et infirme, avait, sans y penser, mis le feu aux rideaux de son lit. On l’avait sauvée à grand-peine. La rivière était loin, on n’eut pas d’eau pour l’incendie, et la maison fut brûlée tout entière sans qu’on put en retirer une chaise.

« Allons, dit le père Bernard, plus de maison, plus d’hypothèque ; plus d’hypothèque, plus d’argent ; plus d’argent, plus de remplaçant, plus de Bernard. Mes enfants, il faut vous séparer, Bernard partira dans dix jours. Ma pauvre Rose, vos amours sont finies pour l’éternité, à moins que vous n’attendiez ce garçon pendant sept ans ; et sept ans, croyez-moi, c’est beaucoup. »

Bernard ne dit pas un mot : on aurait cru que le tonnerre venait de tomber sur sa tête. Pour moi, je me sauvai dans ma chambre, et je pleurai toute la nuit.

Le vieux Sans-Souci, qui s’inquiétait d’entendre mes sanglots à travers la cloison, se leva au milieu de la nuit et m’embrassa en disant :

« Pauvre Rose ! »

Il était loin de connaître tout mon malheur ! Hélas ! madame, à l’insu de nos parents, nous étions déjà mariés devant Dieu, et, depuis quelques jours, je n’avais plus rien à refuser à Bernard.

Rose d'amour

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