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III.—LES LÉGENDES

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Ce qui fait le plus grand charme de la veillée de Noël, ce sont assurément les légendes qu'on y raconte: leur ensemble forme un des plus captivants chapitres de la littérature populaire; elles sont tour à tour terribles ou touchantes, dramatiques ou gracieuses. Il serait bien difficile de dire quelle est l'origine de ces fables, historiettes ou contes, qui ont trait à la naissance de l'Enfant-Dieu. Ces récits, auxquels les vieillards savent donner tant de charmes, font toujours les délices des enfants.

Les légendes de la veillée de Noël peuvent se diversifier d'après les êtres qui entrent en scène. Êtres inanimés, animaux, démons, récits édifiants; tel est l'ordre que nous suivrons.

Êtres inanimés

En Franche-Comté, on raconte qu'une roche pyramidale, qui domine la crête d'une montagne, tourne trois fois sur elle-même pendant la Messe de minuit, quand le prêtre lit la généalogie du Sauveur. En cette même nuit, les sables des grèves, les rocs des collines, les profondeurs des vallées s'entr'ouvrent et tous les trésors enfouis dans les entrailles de la terre apparaissent à la clarté des étoiles.

Dans cette même contrée existe la légende de la pierre qui vire. C'est une pierre pointue dressée en équilibre sur un rocher, entre les villages de Scey-en-Varais et de Cler, et qui, dit-on, fait un tour complet sur elle-même au coup de minuit, à Noël13.

Note 13: (retour) L'abbé V..., du diocèse de Besançon.

Dans les Vosges, la pierre tournerose, bloc élevé qui existait près de Remiremont, se mettait elle-même en mouvement quand les cloches de Remiremont, de Saint-Nabord et de Saint-Etienne (deux paroisses voisines de Remiremont) appelaient les fidèles à la Messe de minuit14.

Note 14: (retour) Richard, Traditions populaires.

C'est surtout au pays de Caux (Seine-Inférieure) qu'existe la légende des pierres tournantes. Ces pierres faisaient autrefois trois tours sur elles-mêmes pendant la Messe de minuit, et les monstres qui étaient censés y habiter exécutaient autour d'elles des danses folles qu'il eût été dangereux de troubler. Citons la chaise de Gargantua à Duclair, la pierre Gante à Tancarville, la pierre du Diable à Criquetot-sur-Ouville.

A Millières, dans le Cotentin (Manche), au carrefour des Mariettes, se trouve un bloc de pierre pesant mille kilos, qui, dit-on, saute trois fois, le jour de Noël, à minuit.

On croit encore, au pays de Caux, que les cloches perdues sonnent pendant la Messe de minuit.

Certains affirment avoir entendu l'ancienne cloche de l'église des moines d'Ouville-l'Abbaye, qui passe pour être enfouie dans le «Bose-aux-Moines», à Boudeville.

Mais il faut surtout lire les légendes bretonnes.

Nombreuses autant qu'énormes sont les pierres qui se déplacent pendant la Messe de minuit, pour aller boire, comme des moutons altérés, aux rivières et aux ruisseaux.

Un mégalithe, près de Jugon (Côtes-du-Nord), se rend à la rivière de l'Arguenon. Dans le bois de Couardes, un bloc de granit, haut de trois mètres, descend pour aller boire au ruisseau voisin et remonte à sa place de lui-même.

Il y a, au sommet du mont Beleux, un menhir qui se laisse enlever par un merle et qui met à découvert un trésor.

Il faut entendre surtout, telle qu'elle nous est contée par Emile Souvestre, la jolie légende des pierres de Plouhinec qui vont boire à la rivière d'Intel15.

Note 15: (retour) Emile Souvestre, Le Foyer Breton, tome II. p. 181.

La plus célèbre était jadis la grosse pierre de Saint-Mirel, dont Gargantua se servit pour aiguiser sa faux, et qu'il piqua, après la fauchaison, comme on la retrouve encore aujourd'hui. Elle cachait un trésor qui tenta un paysan des alentours. Ce paysan était si avare qu'il n'eût pas trouvé son pareil: le liard du pauvre, la pièce d'or du riche, il prenait tout; il se serait payé, s'il eût fallu, avec la chair des débiteurs.

Quand il sut qu'à la Noël les roches allaient se désaltérer dans les ruisseaux, en laissant à découvert des richesses enfouies par les anciens, il songea, pendant toute la journée, à s'en emparer.

Pour pouvoir prendre le trésor, il fallait cueillir, durant les douze coups de minuit, le rameau d'or qui brillait à cette heure seulement dans les bois de coudriers et qui égalait en puissance la baguette des plus grandes fées. Lors, ayant cueilli le rameau, il se précipita de toute sa force vers le plateau où le rocher de Gargantua profilait sa masse sombre, et, lorsque minuit eut sonné, il écarquilla les yeux.

Lourdement le bloc de pierre se mettait en marche, s'élevant au-dessus de la terre, bondissant comme un homme ivre à travers la lande déserte, avec des secousses brusques qui faisaient sonner au loin le terrain de la vallée.

Jusqu'à ce moment la branche magique éclairait l'endroit que la pierre venait de quitter. Un vaste trou s'ouvrait, tout rempli de pièces d'or.

Ce fut un éblouissement pour l'avare, qui sauta au milieu du trésor et se mit en devoir de remplir le sac qu'il avait apporté. Une fois le sac bien chargé, il entassa ses pièces d'or dans ses poches, dans ses vêtements, jusque dans sa chemise. Dans son ardeur, il oubliait la pierre qui allait venir reprendre sa place. Déjà les cloches ne sonnaient plus. Tout à coup le silence de la nuit fut troublé par les coups saccadés du roc qui gravissait la colline et qui semblait frapper la terre avec plus de force, comme s'il était devenu plus lourd après avoir bu à la rivière. L'avare ramassait toujours ses pièces d'or. Il n'entendit pas le fracas que fit la pierre quand elle s'élança d'un bond vers son trou, droite comme si elle ne l'avait pas quitté.

Le pauvre homme fut broyé sous cette masse énorme, et de son sang il arrosa le trésor de Saint-Mirel16.

Note 16: (retour) Lectures pour Tous, déc. 1903, p. 190.

Animaux

Il existe, en France surtout, une croyance populaire dont les formes varient suivant les différentes contrées: c'est la conversation des animaux entre eux pendant la Messe de minuit et surtout pendant la lecture ou le chant de la Généalogie.

C'est sans doute une réminiscence de la représentation de l'ancien «Mystère de la Nativité», pendant laquelle on faisait parler les animaux.

Cette croyance si répandue, avec de nombreuses variantes, peut se résumer ainsi: un paysan, probablement ivre, ayant omis d'offrir à son bétail le réveillon traditionnel, entend ce dialogue entre les deux grands boeufs de son étable:

Premier boeuf: «Que ferons-nous demain, compère»?

Second boeuf: «Porterons notre maître en terre...»

Le maître, furieux, en entendant cette prédiction, saisit une fourche pour frapper le prophète de malheur; mais, dans sa précipitation, il se blesse maladroitement lui-même à la tête... et le lendemain les boeufs le portent en terre.

Tel est le thème développé différemment suivant les provinces.

Dans les Vosges, à la Bresse, canton de Saulxures-sur-Moselotte, on a soin de donner abondamment à manger aux animaux avant d'aller à la Messe de minuit.

A Cornimont, au Val-d'Ajol, on croit encore que les animaux se lèvent et conversent ensemble pendant la Messe de minuit. On raconte à ce sujet qu'un habitant de Cornimont, jouissant de la réputation d'esprit fort, voulut s'assurer de ce fait surnaturel. Il alla se coucher dans un coin obscur de l'écurie située derrière sa maison.

A l'heure de minuit, il vit un de ses boeufs se réveiller, puis se lever pesamment et demander, en bâillant, à son compagnon de fatigue, ce qu'ils feraient tous deux le lendemain. Celui-ci lui répondit qu'ils conduiraient leur maître au cimetière. La chose ne manqua pas d'arriver, dit la tradition: notre esprit fort fut saisi d'une telle frayeur qu'il en tomba raide mort sur place. Ainsi, sans doute, le racontèrent les boeufs.

On assure aussi qu'une semblable aventure arriva à une femme de Raon-aux-Bois, canton de Remiremont. Poussée par la curiosité, elle alla visiter ses étables pendant la Messe de minuit. Elle apprit également de ses boeufs qu'ils ne tarderaient pas à la conduire en terre17.

Note 17: (retour) Traditions populaires, par Richard. Remiremont, 1848.

La nuit de Noël est célèbre par une vieille légende que les paysans landais racontent avec terreur, pendant les veillées d'hiver.

Ils prétendent que le jour de Noël, vers minuit, l'âne et le boeuf se mettent à parler entre eux. Ils causent du temps où l'Enfant-Jésus n'avait pour se réchauffer que leur haleine. Ce don miraculeux de la parole est le cadeau envoyé tous les ans par le Ciel à ces deux animaux, en souvenir des bons offices rendus à l'Enfant-Jésus dans l'étable de Bethléem. Mais malheur à celui qui tente de surprendre leur mystérieuse conversation.

Sa témérité est punie d'une manière terrible: il tombe mort à l'instant même18.

Note 18: (retour) Le Petit Landais, 25 décembre 1902.

Un bon paysan de Gaillères l'éprouva à ses dépens. Pour se convaincre de la vérité du fait, il vint écouter à l'étable, et voilà qu'à minuit juste, le boeuf dit à son voisin:

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