Читать книгу La nuit de Noël dans tous les pays - Alphonse Chabot - Страница 9
I.—LE REPAS MAIGRE.
Оглавление«Il existe dans notre Auvergne des coutumes qui, pour être moins éclatantes, n'en ont pas moins un charme tout particulier et un sens profondément chrétien. La veille de Noël, la nuit venue, la table est dressée devant le foyer. On la couvre d'une nappe bien blanche, et, au centre d'une magnifique brioche, on place un chandelier en cuivre soigneusement fourbi. La maîtresse de la maison fouille dans la grande armoire et revient avec une chandelle précieusement enveloppée dans du papier gaufré.
«La belle chandelle prend place au milieu de la table.
«... Les préparatifs termines, mon vieux père, quoique malade, veut assister au repas. Il prend, de sa main tremblante, la chandelle de Noël, l'allume, fait le signe de la croix, puis l'éteint et la passe au frère aîné. Celui-ci, debout et tête nue, l'allume à son tour, se signe, l'éteint, puis la passe à sa femme. La chandelle passe ainsi de main en main, pour que chacun, à son rang d'âge, puisse l'allumer. Elle arrive enfin entre les mains du dernier né. Aidé par sa mère, celui-ci l'allume à son tour, se signe et, sans l'éteindre, la place au milieu de la table, où elle brille—bien modestement—pendant tout le repas.
«N'est-ce pas là le souvenir touchant de la Lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde1?
Note 1: (retour) Joann. I, 9.
«Ce rite accompli, le repas commence joyeux, animé, assaisonné par le jeûne de la vigile, agrémenté par l'apparition de la traditionnelle soupe au fromage et par les surprises que ménage la cuisinière. Et quand les grâces sont dites, les enfants vont se coucher, bercés par l'espoir—souvent trompé—d'aller à la Messe de minuit. On roule dans le foyer une grosse souche, et on attend minuit, en chantant les vieux Noëls ou en racontant les histoires d'autrefois.
«Quand l'heure est venue, quand les habitants des villages arrivent de tous côtés, avec leurs lanternes et leurs torches de paille, on se dirige vers l'église pour goûter les émotions toujours nouvelles de cette bienheureuse nuit2.»
Note 2: (retour) D'après la Semaine de Clermont.
On nous écrit des Salces (Lozère):
«Quelquefois la ménagère, la mère de famille, n'a pas pu assister à la Messe de minuit. Elle a dû préparer le réveillon. Ce repas consiste souvent, dans nos montagnes, en lait bouilli et chaud, saucisses fraîches et autres productions de la ferme, sans exclure la rasade de vin pétillant.»
La chandelle de Noël, conservée précieusement, est allumée au matin du premier jour de l'an, quand les parents et les amis viennent, avant l'aube, offrir leurs voeux empressés. C'est elle encore qui éclaire de ses dernières lueurs les royautés éphémères du jour de l'Épiphanie.
Cette gracieuse coutume a été célébrée par un de nos meilleurs poètes:
LES CHANDELLES DE NOËL
Aujourd'hui que l'acétylène,
Le gaz ou l'électricité
Ont détrôné sans nulle gêne
L'antique et fumeuse clarté
De la Chandelle,
Peut-on vraiment
Vous parler d'elle
En ce moment?
Cependant elle vit encore
Et se livre à de beaux exploits
Quand, de Minuit jusqu'à l'Aurore,
Elle rayonne en maints endroits.
Venez plutôt dans la Lozère:
Au début de tout Réveillon
Une Chandelle seule éclaire
La familiale collation.
L'aïeule, d'une main tremblante,
L'allume, se signe... et l'éteint;
Puis, enfants, serviteurs et servante
De même font, d'un tour de main.
Précieusement conservée,
Dame Chandelle, huit jours après,
Avec sa mèche ravivée
Éclaire encor voeux et souhaits.
Et ce n'est qu'à l'Épiphanie,
A ce joyeux banquet des Rois,
Qu'à l'Étoile portant envie,
Elle brille... et meurt à la fois!
Comtesse O'MAHONY
En Provence, toute la famille se réunit à table pour le gros souper. Dès sept heures du soir, les rues de la ville ou du village, sont désertes et, par contre, toutes les maisons sont brillamment éclairées; on oublie pour un jour l'économie du luminaire; la modeste lampe à l'huile (lou calèn) est mise de côté et l'on place sur la table, d'une façon symétrique, les belles chandelles cannelées, ornées de festons.
La place d'honneur appartient de droit au plus âgé, grand-père ou quelquefois bisaïeul. Avant de passer à table, on allume dans la cheminée l'énorme bûche de Noël (cacho fio) qui doit brûler une moitié de la nuit.
Le plus jeune des enfants de la maison, muni d'un verre de vin, fait trois libations sur la bûche, tandis que l'aïeul prononce, en provençal, les paroles solennelles de la bénédiction:
Alegre! Diou nous alegre!
Cacho-fio ven, tout ben ven.
Diou nous fague la graci de veire l'an que ven,
Se sian pas mai, siguen pas men!
Réjouissons-nous! Que Dieu nous donne la joie! Avec la Noël, nous arrivent tous les biens. Que Dieu nous fasse la grâce de voir l'année qui va venir! Et si l'an prochain nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins.
Tandis que la bûche flambe, on s'assied pour le plantureux repas. «Le plus jeune enfant, avec une gentille gaucherie, bénit les mets, en dessinant de ses mains mignonnes, lentement dirigées par l'aïeul, un grand signe de croix au-dessus de la table. Il semble tout naturel de choisir ce petit être innocent comme le représentant du Christ nouveau-né3».
Note 3: (retour) Nicolay, Hist. des croyances, t. II, p. 78.
Ce repas, comme c'est jour d'abstinence, n'est composé que de plats maigres, mais servis à profusion; poissons frais, poissons salés, légumes, figues sèches, raisins, amandes, noix, poires, oranges, châtaignes, pâtisseries du pays. C'est donc avec raison qu'on donne à ce festin le nom dou gros soupa.
Les enfants, qui ont obtenu, ce soir, la permission de tenir compagnie aux vieux parents, regardent toutes ces gourmandises avec des yeux émerveillés. Dans certaines familles, on met de la paille sous la table, en souvenir de la crèche où naquit le Sauveur. Quelquefois, par esprit de charité, on permet, ce jour-là, aux serviteurs de prendre leur repas à la table du maître.
Le gros souper commence parfois tristement, et cela se conçoit: les convives se comptent et la mort cruelle fait que bien souvent il manque quelque parent à l'appel. On cause un moment des absents, on adresse un hommage ému à leur mémoire, on rappelle leurs qualités. Mais la grandeur de la fête, la joie des enfants, mettent bientôt fin à ces tristes souvenirs. Les conversations deviennent plus bruyantes, le vin circule, le nougat se dépèce et, quand l'appétit est satisfait, les regards se tournent vers la Crèche qui représente le grand mystère du jour.
C'est devant la Crèche qu'après le gros souper, se continue la fête de famille. On chante avec entrain les vieux noëls provençaux souvent plusieurs fois séculaires: ceux de Saboly et ceux de Doumergue sont les plus populaires. La soirée de famille se prolonge ainsi toute la veillée. Alors tout le monde se rend à l'église pour assister à la Messe de minuit4.
Note 4: (retour) D'après Fred. Charpin et François Mazuy.
Pour les Provençaux, la fête la plus traditionnelle, la plus régionale, c'est bien la Noël. Dans cette veillée, dont l'usage se perpétue avec le même esprit familial depuis des centaines d'années, on s'unit plus étroitement aux morts vénérés et aimés. Bien des inimitiés prennent fin dans cette fête à laquelle on n'ose pas manquer et qui établit entre tous les parents une profonde et chrétienne intimité. Rester seul, chez soi, à l'écart, ce jour-là, serait regardé comme la marque d'un mauvais naturel et d'un coeur peu chrétien.
Dans le Comtat-Venaissin, l'ordonnance de la collation de Noël est de la plus grande simplicité. Du poisson ou des escargots, suivant les ressources des convives, du céleri, des confitures, des fruits de toutes sortes, verts ou secs. Au milieu de la table, un pain ou gâteau de forme élevée et conique nommé pan calendau ou pain de Noël; il ne doit pas s'entamer avant le premier jour de janvier. Au-dessus de ce pain, un rameau de houx frelon ou vert bouissé, garni de ses fruits rouges et de ganses faites avec la moelle de jonc. Les chandelles ou bougies qui éclairent le repas doivent être neuves et leur usage, ainsi que celui de la bûche de Noël, doit se prolonger jusqu'au jour de l'an.
Nous ne saurions mieux faire que de laisser Frédéric Mistral lui-même nous raconter la veillée de Noël en Provence:
Fidèle aux anciens usages, pour mon père, la grande fête, c'était la veillée de Noël. Ce jour-là, les laboureurs dévalaient de bonne heure; ma mère leur donnait à chacun, dans une serviette, une belle galette à l'huile, une rouelle de nougat, une jointée de figues sèches, un fromage du troupeau, une salade de céleri et une bouteille de vin cuit. Et qui de-ci et qui de-là, les serviteurs s'en allaient, pour «poser la bûche au feu», dans leur pays et dans leur maison. Au Mas, ne demeuraient que les quelques pauvres hères qui n'avaient pas de famille; et, parfois, des parents, quelques vieux garçons, par exemple, arrivaient à la nuit, en disant:
—Bonnes fêtes! Nous venons poser, cousins, la bûche au feu, avec vous autres.
Tous ensemble, nous allions joyeusement chercher la «bûche de Noël», qui—c'était de tradition—devait être un arbre fruitier. Nous l'apportions dans le Mas, tous à la file, le plus âgé la tenant d'un bout, moi, le dernier-né, de l'autre; trois fois, nous lui faisions faire le tour de la cuisine; puis, arrivés devant la dalle du foyer, mon père, solennellement, répandait sur la bûche un verre de vin cuit, en disant:
Allégresse! Allégresse,
Mes beaux enfants, que Dieu nous comble d'allégresse!
Avec Noël, tout bien vient,
Dieu nous fasse la grâce de voir l'année prochaine.
Et, sinon plus nombreux, puissions-nous n'y pas être moins.
Et, nous criant tous: «Allégresse, allégresse, allégresse!» on posait l'arbre sur les landiers et, dès que s'élançait le premier jet de flamme:
A la bûche,
Boutefeu!
disait mon père en se signant. Et, tous, nous nous mettions, à table.
Oh! la sainte tablée, sainte réellement, avec, tout à l'entour, la famille complète, pacifique et heureuse. A la place du caleil, suspendu, à un roseau, qui, dans le courant de l'année, nous éclairait de son lumignon, ce jour-là, sur la table, trois chandelles brillaient; et si, parfois, la mèche tournait devers quelqu'un, c'était de mauvais augure. A chaque bout, dans une assiette, verdoyait du blé en herbe, qu'on avait mis germer dans l'eau, le jour de la Sainte-Barbe. Sur la triple nappe blanche, tour à tour apparaissaient les plais sacramentels: les escargots, qu'avec un long clou chacun tirait de la coquille; la morue frite et le muge5 aux olives, le cardon, le scolyme, le céleri à la poivrade, suivis d'un tas de friandises réservées pour ce jour-là, comme: fouaces à l'huile, raisins secs, nougat d'amandes, pommes de paradis; puis, au-dessus de tout, le grand pain calendal, que l'on n'entamait jamais qu'après en avoir donné, religieusement, un quart au premier pauvre qui passait.
Note 5: (retour) Muge, poisson de mer appelé aussi mulet.
La veillée, en attendant la messe de minuit, était longue, ce jour-là; et, longuement, autour du feu, on y parlait des anciens ancêtres et on louait leurs actions6.
Note 6: (retour) Frédéric Mistral.
A Marseille, pour le repas maigre de la veillée de Noël, il faut invariablement un plat d'anguille, une raïto, sorte de sauce au poisson, et des légumes. Le dessert se compose de fruits secs, de gâteaux, de confitures, en un mot de tout ce qu'on nomme, à Marseille, les Calenos. Autrefois, suivant la coutume des anciens seigneurs provençaux, la table demeurait couverte de mets pendant les trois jours de fête; on se contentait de relever la nappe quand la repas était terminé.
Pour compléter ce que nous avons déjà dit de la veillée de Noël en Provence, nous citerons la description que nous fait de gros souper Jeanne de Flandreysy dans le Museon Arlaten.
Le musée d'Arles, fondé en 1896 par Frédéric Mistral, est une véritable reconstitution du passé intime, familial de la Provence.
L'illustre fondateur y a réuni, dans six grandes salles ouvertes au public, tout ce qui a trait aux moeurs locales et régionales du pays.
Dans la première salle, dite salle, de Noël (Salo Calendalo), est représentée la cuisine d'un mas (ferme, métairie). Nous y voyons, entourant la grande cheminée, tous les meubles, ustensiles, table, crédence, panetière, huche, armoires, dressoirs pour les étains, horloge, chenets, la vaisselle, verriers, lampes, batterie de cuisine, brocs de cuivre, poteries grossières, etc., en un mot tout le mobilier traditionnel d'une ancienne maison agricole de Provence.
En voyant cette pièce, nous sentons parfaitement que nous sommes chez de riches paysans. Les étables doivent être pleines, les mûriers doivent donner des brassées de feuilles pour le réveil des vers à soie, et la vigne doit saigner aux vendanges, comme un taureau blessé ensanglante une arène.
... Sur la table, trois nappes, trois chandelles, symbolisent le mystère de la sainte Trinité. A ses deux extrémités, cette table est garnie des prémices de la moisson sous la forme de blé en herbe, et couverte de tous les plats conventionnels: le pain calendal (de Noël) portant une incision cruciale (on en réserve un quart pour le premier pauvre qui passe), le muge (faute de muge, on mange de la morue), les escargots, le cardon, le céleri et enfin la fougasso (fouasse), galette percée de trous.
Nous y voyons encore le sauve-crestian, grosse bouteille renfermant des grains de raisin dans l'eau-de-vie, et enfin le barralet, petit tonneau contenant le vin cuit, ce fameux vin cuit dont les Provençaux boivent une rasade dans leurs festins.
Nous terminerons par une lettre très intéressante que nous a écrite un confrère de Bretagne7.
Note 7: (retour) A. G., ancien curé de Malestroit.
«Dans beaucoup de familles, vous le savez comme moi, le réveillon de Noël n'a plus de raison d'être. Bien des gens qui ne vont pas à la messe et qui se vantent de ne plus croire à rien, croient encore au réveillon, parce que c'est un prétexte à ripaille, mais ils ne se soucient nullement de la naissance de l'Enfant Jésus. Eh bien! je crois que, proportion gardée, on pourrait presque en dire autant du repas maigre.»
Assurément les Auvergnats et les Provençaux dont vous parlez sont encore des croyants, puisqu'ils ont conservé la tradition du repas maigre à la veillée de Noël; mais pourtant ce repas est trop plantureux et trop varié pour qu'on puisse y voir une mortification. Évidemment tous ces détails sont pleins d'intérêt et vous avez eu grandement raison de ne pas les négliger, surtout au point de vue du pittoresque local. Mais, je le répète, ces repas maigres sont de vrais festins et non des collations de vigile, et, à la veillée de Noël, je les trouve tout à fait déplacés. Est-ce bien, pour des chrétiens, le moment de faire bombance, quand l'Evangile nous montre Marie et Joseph cherchant inutilement un gîte et peut-être un morceau de pain?
Qu'après la Messe de minuit, on se réjouisse, on réveillonne, rien de mieux, parce qu'alors les bergers sont déjà venus apporter des provisions à la Crèche et que la Sainte Famille n'a plus à craindre la disette; mais, avant minuit, je vous avoue que cela me choque, d'autant plus que je ne vois, dans la soirée, aucun acte religieux préparatoire à la fête de Noël.
En Bretagne, rien de plus frugal que le repas de la vigile de Noël. A Bignan, par exemple, on fait cuire, dans le four de la ferme, un petit pain rond pour chaque personne de la famille. Ce petit pain est mangé tout sec, sans beurre et sans autre boisson qu'un verre d'eau. C'est là tout le repas de la vigile.
On ne commence à manger qu'après le coucher du soleil et lorsqu'on a pu compter au moins neuf étoiles, en mémoire des neuf mois pendant lesquels la Vierge Marie a porté l'Enfant Jésus.
Ce maigre repas achevé, on s'assied autour de la bûche traditionnelle, et la veillée se passe en prières. A Mohon, où j'ai été trois ans recteur, avant de partir pour la messe de minuit, on tient à réciter «les mille Ave». Chacun dit un chapelet à son tour, pendant que les autres répondent. Après trois ou quatre chapelets récités de la sorte, on se délasse un peu en chantant quelque vieux Noël; puis on reprend la prière, jusqu'à ce que soient achevés les vingt chapelets nécessaires pour faire le total des mille Ave.
Voilà ce que devrait être, avec des variantes, selon les régions, la veillée de Noël dans toute famille vraiment chrétienne: Ne prendre de nourriture que ce qui est nécessaire pour soutenir le corps; puis, le repas achevé, prier en union avec l'Ange, en saluant mille fois la Vierge qui, dans quelques instants, sera la Mère de Dieu, mais qui, pour le moment, erre encore dans les rues de Bethléem à la recherche d'un gîte qui lui sera refusé. Tout à l'heure, au retour de la Messe de minuit, la nature reprendra ses droits et on réveillonnera copieusement, pour se réjouir de la naissance de Jésus et aussi pour réparer les fatigues de la marche et de la veillée; mais alors la Sainte Famille aura reçu la visite des bergers et ne sera plus dans le dénûment.»
Nous sommes bien de l'avis de notre aimable correspondant. Le véritable esprit chrétien de la nuit de Noël doit consister dans la mortification du repas maigre de la vigile et, après la Messe de minuit, dans la joie exubérante du réconfortant réveillon auquel prend part la famille tout entière.