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La cour avant le règne de Louis XIV. Formation de la cour.

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C’était la mode au XVIIe siècle d’imaginer pour chaque personne de marque un emblème qui exprimait aux yeux de la foule la grandeur ou la dignité du personnage. «Un antiquaire, nommé Douvrier, raconte Voltaire dans son célèbre ouvrage intitulé le Siècle de Louis XIV, imagina pour ce prince l’emblème d’un soleil dardant ses rayons sur un globe avec ces mots: Nec pluribus impar, qu’on peut traduire ainsi: Il n’a pas d’égal. Cette devise, continue Voltaire, eut un succès prodigieux. Les armoiries du roi, les meubles de la couronne, les tapisseries, les sculptures, en furent ornés.»

Cet emblème avait charmé l’orgueil du jeune monarque; il en goûta si pleinement l’idée qu’il a pris soin dans ses Mémoires de le commenter lui-même et d’en expliquer minutieusement le sens.

«On choisit pour corps le soleil, écrit-il, qui, par sa qualité d’unique, par l’éclat qui l’environne, par la lumière qu’il communique aux autres astres qui lui composent comme une espèce de cour, par le partage égal et juste qu’il fait de cette même lumière à tous les divers climats du monde, par le bien qu’il fait en tous lieux, produisant sans cesse de tous côtés la vie, la joie et l’action, par son mouvement sans relâche où il paraît néanmoins toujours tranquille, par cette course constante et invariable dont il ne s’écarte et ne se détourne jamais, est assurément la plus vive et la plus belle image d’un grand monarque. Ceux qui me voyaient gouverner avec assez de tranquillité et sans être embarrassé de rien, dans le nombre de soins que la royauté exige, me persuadèrent d’ajouter le globe de la terre et pour âme nec pluribus impar; par où ils entendaient, ce qui flattait agréablement l’ambition d’un jeune roi, que, suffisant seul à tant de choses, je suffirais sans doute à gouverner d’autres empires, comme le soleil à éclairer d’autres mondes, s’ils étaient également exposés à ses regards.»

Ainsi, de l’aveu même de Louis XIV, il faut voir en lui une sorte de soleil, et la cour est le monde où l’astre fait particulièrement briller ses rayons. Il n’en avait pas toujours été ainsi et ce n’est qu’avec le règne de Louis XIV que la cour de France atteignit l’incomparable éclat qui faisait l’admiration des contemporains du prince, étrangers autant que Français; le spectacle qu’elle présente dans les chefs-d’œuvre de l’art et dans les récits des auteurs du temps éblouit encore nos yeux.

Les premiers Capétiens n’auraient pas été moins étonnés que nous devant le faste de leur lointain successeur; ils vivaient simplement, à la mode des seigneurs de leur temps, n’exigeant d’eux que de médiocres marques de respect, et n’ayant guère d’autres distractions que la guerre, la chasse ou les cérémonies de la vie féodale, telles que l’introduction dans la chevalerie des enfants royaux ou l’hommage des grands vassaux. La cour de saint Louis est déjà moins simple; les historiens nous ont conservé le récit de la fête somptueuse où le roi et ses frères reçurent la chevalerie; cependant le cérémonial n’était pas encore compliqué dans une cour où, pour causer familièrement avec ses amis, le roi faisait étendre un tapis sur les marches du perron de la Sainte-Chapelle, ou bien encore s’asseyait au pied d’un arbre au bois de Vincennes afin d’y rendre la justice.

Les Valois se montrèrent plus amis du faste; les fêtes devinrent nombreuses et coûtèrent fort cher à la cour de Philippe de Valois ou à celle de Jean le Bon. Tournois, bals, mascarades, longs festins, occupaient les loisirs d’une noblesse avide de plaisirs qui déjà se pressait autour des rois; le luxe des vêtements incessamment renouvelés, chargés d’or et de pierreries, était la dépense où se laissaient entraîner le plus volontiers les riches nobles de cette époque. Même le sage roi Charles V, pourtant si bon ménager de l’argent de ses sujets, donna parfois de splendides fêtes, comme celle par laquelle il reçut son oncle l’empereur d’Allemagne, Charles IV. Un élément original de ces fêtes, c’était l’exécution, au milieu des interminables repas où l’on se plaisait alors, de pantomimes moitié militaires, moitié religieuses, qu’on appelait justement entremets. C’est ainsi qu’à l’un des festins offerts par le roi à son hôte, on vit représenter la prise de Jérusalem par Godefroy de Bouillon et Pierre l’Ermite.

Mais les désastres de la seconde partie de la guerre de Cent Ans arrêtèrent le développement régulier de la cour de France; Charles VII n’eut guère les moyens de donner des fêtes, et Louis XI n’en eut point le souci, bien qu’au début de son règne il eût fait une belle entrée dans sa ville de Paris. C’est auprès des ducs de Bourgogne qu’il faut se transporter pour retrouver une cour régulièrement organisée; déjà, ces princes ont imaginé tout ce qui constitue cette institution monarchique; ils ont un entourage nombreux de serviteurs; le langage qu’on doit tenir aux souverains, les attitudes que l’on doit avoir devant eux, tout cela est minutieusement déterminé ; il y a un cérémonial arrêté pour la réception des ambassadeurs, pour les mariages, pour les deuils; les fêtes sont nombreuses, et chacun en connaît l’éclat; enfin, un écrivain de ce temps, Olivier de la Marche, prend le soin de recueillir et de rédiger tous les usages suivis auprès de ses maîtres. Par un détour curieux, une grande partie des coutumes bourguignonnes allait se transporter par suite du mariage du petit-fils de Charles le Téméraire, Philippe le Beau, avec Jeanne la Folle, héritière de Ferdinand et d’Isabelle, à la naissante cour d’Espagne, pour en revenir un siècle après à la cour de France avec l’infante espagnole, Anne d’Autriche, femme de Louis XIII.

Au XVIe siècle, la cour de France redevint brillante; le pays est pacifié, les nobles sont rentrés dans l’obéissance, les rois sont riches. François Ier mène avec lui de château en château un nombreux cortège de seigneurs et de dames; la chasse, les bals, les tournois, déjà même de timides représentations théâtrales, des concerts, des fêtes sur l’eau, sont les distractions favorites des rois et des gens de cour, qui recherchent en outre la société des artistes et des écrivains. Les rois ne se préoccupent pas d’abord de se distinguer de leur entourage en exigeant de leurs serviteurs des marques constantes de déférence; mais, à partir du règne de Henri II, un cérémonial qui règle la vie de la cour commence à s’établir, et ainsi s’introduit dans la vie de nos rois cet ensemble de règles dans l’attitude ou le langage qu’il convient d’avoir devant le maître, qu’on appelle l’étiquette.

A LA COUR DE FRANCE AU XIVe SIÈCLE.

D’après une miniature du manuscrit français n° 2813 (Bibliothèque Nationale) représentant l’entremets du festin offert par Charles V à son oncle l’empereur d’Allemagne Charles IV. Debout à la table on voit l’empereur d’Allemagne, le roi de France, le fils de l’empereur d’Allemagne et quelques évêques. En avant de la table est un écuyer tranchant, puis, sur un navire, Pierre l’Ermite, et à droite les chevaliers faisant le siège de Jérusalem.


Nouvelle éclipse dans l’histoire de la cour de France avec la seconde moitié du XVIe siècle. Au temps de la Ligue, le roi est bafoué. Henri IV a vécu la plus grande partie de sa jeunesse au milieu des camps; une fois sur le trône, tout en sachant se faire respecter, il conserva les manières grossières auxquelles une trop longue fréquentation des gens de guerre l’avait habitué ; son bon sens et le souci de ses finances encore précaires lui interdirent de gaspiller l’argent du royaume en de somptueuses fêtes; son principal divertissement fut la chasse. Son fils, le mélancolique Louis XIII, fut constamment malade; il n’avait pas grand goût aux fêtes et n’aurait guère eu la force d’en supporter les fatigues; des bals, la représentation de quelques ballets, des concerts, l’accomplissement d’un petit nombre de cérémonies, telles que la création des chevaliers dans l’ordre du Saint-Esprit, la chasse, voilà à quoi se réduisit sous ce monarque une cour où d’ailleurs dames et seigneurs étaient encore peu nombreux. La médiocrité de cette vie ne réjouissait guère l’épouse du roi, Anne d’Autriche, qui, de l’Espagne sa patrie, avait conservé le souvenir de la cour rigoureusement ordonnée où elle avait vécu dans sa jeunesse; elle trouva dans son fils, à défaut du père, l’homme qui réalisa son désir. Louis XIV allait donner à la cour de France une régularité comparable à celle de la cour d’Espagne, et les fêtes où il se plaisait devaient, du vivant même de la reine-mère, surpasser en beauté celles de toutes les autres cours européennes. Dans les raisons qui ont déterminé Louis XIV à s’entourer d’une cour nombreuse, les historiens en démêlent quelques-unes qui tiennent à son caractère et d’autres qui proviennent de sa politique.

UN BAL A LA COUR DE FRANCE A LA FIN DU XVIe SIÈCLE.

D’après une peinture du temps (Musée du Louvre).


Louis XIV aimait passionnément son métier de roi.

«Le métier de roi, disait-il, est grand, noble, délicieux.» Or, ce métier comportait une partie de représentation, qui ne pouvait être réalisée qu’au milieu du nombreux entourage qui constitue, la cour. Nulle part ne pouvaient mieux apparaître cette politesse savamment mesurée, cette courtoisie, cette égalité d’humeur, cette maîtrise de soi, cette dignité constante, cette majesté affable, cet ensemble de qualités qui faisaient du roi un modèle de savoir-vivre, admiré sur ce point de tous ses contemporains, français ou étrangers. Il était orgueilleux; la distance qu’une étiquette minutieuse mettait entre le souverain et ceux qui l’approchaient, fût-ce les membres les plus intimes de sa famille, marquait nettement aux yeux de tous la supériorité du prince. Il aimait par-dessus tout l’ordre et la ponctualité ; or, chacun de ses actes déterminait les différents mouvements de la cour; il savait qu’elle était, grâce à lui, comme une horloge, dont il constituait l’indispensable ressort. Il était follement épris de gloire; l’adulation dans laquelle s’abîmèrent bientôt les plus grands personnages du royaume chatouillait doucement sa passion. Il avait le goût du faste et de la magnificence; il put, à Versailles, repaître ses yeux de la richesse des appartements et s’éblouir de l’éclat des fêtes, où, dans sa jeunesse surtout, il engloutit une bonne part des revenus de son royaume.

Des raisons politiques achevèrent de déterminer Louis XIV à s’entourer d’une cour. La principale fut la ferme résolution de contraindre les nobles à l’obéissance; il avait connu dans sa jeunesse, à l’époque de la Fronde, l’indiscipline et l’ambition démesurée de quelques-uns d’entre eux, d’un Condé par exemple; il voulut que désormais, du plus petit gentillâtre de France jusqu’aux plus rapprochés du trône, l’obéissance fût entière. Il réalisa son désir en obligeant les chefs de la noblesse à vivre auprès de lui; il les habitua peu à peu à considérer, dit-il dans ses Mémoires, «sa bonne grâce comme la seule source de tous les biens; on ne doit s’élever qu’à mesure qu’on s’approche de sa personne ou de son estime, tout le reste est stérile». «Ce fut, écrit Saint-Simon, un démérite aux uns, et à tout ce qu’il y avait de distingué, de ne pas faire de la cour son séjour ordinaire, aux autres d’y venir rarement, et une disgrâce sûre pour qui n’y venait jamais ou comme jamais.» Quand il s’agissait de quelque chose pour eux: «Je ne le connais point», répondait-il fièrement. Sur ceux qui se présentaient rarement: «C’est un homme que je ne vois jamais». Et ces arrêts-là étaient irrévocables. Le même auteur estime que ce fut aussi de dessein délibéré qu’il lança les gens de cour dans les dépenses les plus grandes en vêtements, en équipages, en bâtiments, enjeu. «Le fond était qu’il tendait et qu’il parvint par là à épuiser tout le monde en mettant le luxe en honneur, et qu’il réduisit ainsi peu à peu tout le monde à dépendre entièrement de ses bienfaits pour subsister.» Enfin, il n’y a pas à douter que la magnificence des fêtes données à la cour de France avait pour but d’établir aux yeux de tous les autres princes de l’Europe la richesse et la puissance du roi; aux jours mêmes les plus sombres du règne, le roi recourut parfois à cet expédient pour donner le change à ses ennemis et dissimuler sous l’éclat apparent de la cour la misère où le royaume était tombé.

LOUIS XIII PRÉSIDANT LE REPAS DES CHEVALIERS DU SAINT-ESPRIT.

D’après une gravure en taille-douce d’Abraham Bosse (1605?-1678).


Qu’on n’aille pas croire d’ailleurs que le sentiment public fût hostile à ces manifestations coûteuses de la grandeur royale. Les hommes du XVIIe siècle aimaient à la fois leur pays et leur roi, et ne distinguaient pas l’un de l’autre. On verra plus loin les plus grands écrivains du temps approuver l’amour du roi pour les constructions; et, en ce qui concerne l’éclat de la cour, Bossuet exprimait l’opinion générale quand, dans l’oraison funèbre de la reine Marie-Thérèse, il prononçait les paroles suivantes: «Les rois non plus que le Soleil n’ont pas reçu en vain l’éclat qui les environne: il est nécessaire au genre humain; et ils doivent, pour le repos autant que pour la décoration de l’univers, soutenir une majesté qui n’est qu’un rayon de celle de Dieu».

Ainsi le caractère et la politique du roi s’unirent pour le déterminer à créer et à maintenir pendant tout son règne cette institution, la cour, dont on a essayé de tracer ici un «léger crayon», comme on disait au temps où vécut le Roi Soleil.


La cour du Roi Soleil

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